Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 61-64).

CHAPITRE XIV

(15)

Comment la faute est plus gravement punie depuis la passion du Christ qu’elle ne l’était auparavant, et comment Dieu promet de faire miséricorde au monde et à la sainte Église moyennant la prière et la souffrance de ses serviteurs.

Je veux que tu le saches, ma fille, après avoir été régénérés dans le sang de mon Fils unique, et après avoir reçu la grâce qui a restauré la race humaine, les hommes n’en méconnaissent pas moins la faveur que je leur ai faite. Ils vont toujours de mal en pis, et de faute en faute, ils me poursuivent sans cesse de leurs injures sans tenir aucun compte des dons que je leur ai faits et que je continue à leur faire. Non seulement ils ne les considèrent pas comme une grâce, mais ils semblent y voir parfois une injustice de ma part, ni plus ni moins, comme si je voulais autre chose que leur sanctification. Eh bien ! je te le dis, ils deviendront plus endurcis, et ils seront dignes d’un plus grand châtiment, maintenant qu’ils ont reçu la rédemption du sang de mon Fils, qu’ils ne l’eussent été avant la rédemption, alors que n’avait pas été effacée la souillure du péché d’Adam. Il est raisonnable que celui qui a reçu davantage rende davantage, et que l’on soit plus obligé à celui dont on a plus reçu.


L’homme avait déjà des obligations envers moi, pour l’être que je lui avais donné en le créant à mon image et ressemblance ; de ce chef, il était tenu de me rendre gloire, et cette gloire il me l’a dérobée pour se l’attribuer à lui-même. Il en est venu à transgresser l’obéissance que je lui avais imposée, il s’est fait mon ennemi. Et Moi, par mon humilité, j’ai détruit son orgueil, en abaissant la nature divine pour prendre votre humanité ; en vous retirant de la servitude du démon, je vous ai rendus libres.

Et j’ai fait plus que vous donner la liberté ! Si tu regardes bien, tu verras que l’homme a été fait Dieu, comme Dieu a été fait homme par l’union de la nature divine à la nature humaine. Les hommes ne me doivent-ils rien pour avoir reçu ce trésor du Sang qui les a régénérés dans la grâce ?

Tu vois donc combien plus grandes sont les obligations qu’ils ont envers moi, depuis la rédemption. Ils sont donc tenus de me rendre louange et gloire, en suivant les traces du Verbe incarné, mon Fils unique. Cependant ils n’acquittent pas cette dette d’amour envers moi et de dilection vis-à-vis du prochain, avec une vraie et réelle vertu, comme je t’ai dit plus haut ; et par cette négligence, parce qu’ils me doivent beaucoup d’amour, ils tombent dans un plus grand péché. Aussi dois-je, par justice divine, leur imposer un châtiment plus grave en leur infligeant l’éternelle damnation. Un faux chrétien encourt une peine plus dure qu’un païen ; par divine justice il est plus brûlé par le feu qui ne consume jamais, c’est-à-dire qu’il est plus torturé, et dans cette torture il se sent dévoré par le ver de la conscience. Ce feu néanmoins ne consume pas, parce que les damnés, quel que soit le tourment qu’ils endurent, ne perdent jamais leur être. Je te le dis, ils demandent la mort, mais ils ne peuvent l’obtenir, parce qu’ils ne peuvent perdre l’être. Ils perdent bien l’être de la grâce par leur péché, mais l’être naturel, jamais.

Le péché est donc plus puni depuis la Rédemption du Sang qu’il ne l’était auparavant, parce que les hommes ont plus reçu. Il ne semble pas qu’ils s’en aperçoivent et qu’ils aient conscience de leurs propres maux : ils se sont faits mes ennemis, à Moi qui les avais réconciliés par le Sang de mon Fils !

Mais il y a un remède pour apaiser ma colère, ce sont mes serviteurs, s’ils ont assez de zèle pour me faire violence par leurs larmes et m’enchaîner dans les liens de leur désir. Tu vois dans quels liens tu m’as enchaîné ; mais ce lien c’est moi-même qui te l’ai donné parce que je voulais faire miséricorde au monde. Oui, cette faim et ce désir de mon honneur et du salut des âmes, c’est moi qui les inspire à mes serviteurs, pour que, vaincu par leurs larmes, j’en arrive à apaiser la fureur de ma justice divine. Prends tes sueurs, prends tes larmes, puise-les à la source de ma divine charité, et avec elles en union à mes autres serviteurs, lave la face de mon épouse. Je te promets que ce remède lui rendra sa beauté. Ce n’est ni le glaive, ni la guerre, ni la violence qui lui rendrait sa beauté, mais la paix, la prière humble et assidue, les sueurs et les larmes répandues avec un désir ardent par mes serviteurs. Ainsi tu réaliseras ton vœu de beaucoup souffrir ; vous répandrez la lumière de votre patience sur les ténèbres des hommes pervers de ce monde. Et soyez sans crainte, si le monde vous persécute, je serai pour vous, et en aucune occasion ne vous manquera ma Providence.