Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 215-218).


CHAPITRE XIII

(147)

Comment il en est qui sont plus habiles à jeter le filet et qui prennent plus de poissons. De l’excellence de ces parfaits.

Tout ce que je viens de dire est pour te faire comprendre, par la lumière de l’intelligence, avec quelle providence, ma Vérité, dans le temps qu’elle vivait avec vous, réglait tous ses services et accomplissait toutes ses actions. Tu apprendras par là même comment se conduit et ce que doit faire une âme qui est en cet état de grande perfection. Remarque-le bien, l’un agit plus parfaitement que l’autre, suivant qu’il obéit plus promptement à cette parole, et avec une plus parfaite lumière, dépouillé de toute confiance en lui-même, toute son espérance reposant en moi, son Créateur.

Celui qui obéit aux préceptes et aux conseils intérieurement et extérieurement jette son filet plus parfaitement que celui qui observe les commandements réellement, et les conseils d’esprit seulement. Celui qui n’observerait pas les conseils mentalement n’observerait déjà plus les commandements réellement : ces deux conditions sont inséparables comme je te l’ai expliqué plus longuement en un autre endroit. Qui lance plus parfaitement le filet, pêche aussi plus parfaitement ; et les parfaits dont je t’ai parlé font une pêche très abondante et excellente.

Supérieurs en effet sont leurs moyens d’action, par la belle ordonnance qu’ils ont su mettre en leurs puissances, par la bonne et douce garde exercée par le libre arbitre à la porte de la volonté. Tous leurs sentiments s’accordent en la plus suave harmonie, à l’intérieur de la cité de l’âme, dont toutes les portes sont à la fois ouvertes et fermées. La volonté est fermée à l’amour-propre, elle est ouverte au désir, au zèle de mon honneur, et à l’amour du prochain. L’intelligence est fermée à la considération des plaisirs, des vanités et des bassesses du monde, ténèbres épaisses qui obscurcissent l’esprit qui s’y attache et le plongent dans la nuit ; elle est ouverte à la mémoire et au souvenir de mes bienfaits. Toute la puissance affective de l’âme entre alors en jubilation et entonne un cantique, dont la prudence a réglé tous les accords et dont la dominante est la gloire et l’honneur de mon nom. Elle a accordé pour cette harmonie, les grandes cordes des puissances de l’âme, comme aussi les cordes plus grêles des sens qui sont les organes du corps. Si les hommes d’iniquité rendent un son de mort en accueillant leurs ennemis, ceux-ci, mes parfaits, font entendre un hymne de vie, et en recevant leurs amies, les vraies et solides vertus, ils leur donnent le concert de leurs œuvres bonnes et saintes.


Chaque membre s’acquitte de la fonction que je lui ai assignée, et chacun à son rang, dans un ordre parfait. L’œil s’applique à voir, l’oreille à entendre, l’odorat à sentir les odeurs, le goût à percevoir les saveurs, la main à toucher et à œuvrer, les pieds à marcher. Et tous s’accordent en un même sens harmonieux, qui est le service du prochain, pour l’honneur et la gloire de mon nom et le progrès de l’âme, parleurs bonnes, vertueuses et saintes opérations, soumis qu’ils sont, comme organes, à toutes les impulsions de la volonté. Ce bel accord a toutes mes complaisances ; il ravit les anges et fait les délices de tous. les vrais amateurs, qui l’écoutent dans la joie et dans l’allégresse, chacun participant au bonheur d’autrui.

Il fait aussi l’admiration du monde. Qu’ils le veuillent ou non, les hommes d’iniquité ne peuvent pas demeurer insensibles à la douceur de cette harmonie. Beaucoup se laissent prendre à son charme, et sa séduction les arrache à la mort pour les ramener à la vie. Tous les saints ont attiré les âmes par cette musique. Le premier qui ait fait entendre ce concert de vie fut le doux Verbe d’amour, lorsque, après avoir pris votre humanité pour l’unir à la divinité, il fit entendre sur la croix un si doux chant qu’il attira à lui le genre humain, et subjugua le démon auquel il enleva le pouvoir usurpé qu’il avait possédé si longtemps parla faute de l’homme. C’est à l’êcole de ce maître que tous vous avez appris l’harmonie. C’est lui qui vous a enseigné à accorder vos instruments. C’est avec cet art qu’ils tenaient de lui, que les apôtres furent si puissants et répandirent sa parole dans le monde entier martyrs, confesseurs, docteurs, vierges, tous ont attiré et séduit les âmes par le bel accord de leur vie. Vois la glorieuse vierge Ursule, qui sut tirer de son instrument des sons si doux qu’elle entraîna à sa suite onze mille vierges, et en conquit autant et davantage encore d’une race étrangère. Et ainsi tous les autres, qui d’une manière, qui d’une autre, ont exercé la même séduction. Quelle en est la cause, sinon mon infinie providence, qui a pourvu mes serviteurs de ces instruments, et en a réglé l’instrumentation, en leur apprenant l’art de leur faire rendre de semblables accords.

D’ailleurs tout ce que je leur donne, tout ce que je leur ménage en cette vie, n’est qu’un moyen pour les amener à tirer de leurs instruments encore plus d’harmonie, si toutefois ils veulent profiter des leçons de ma providence, en ne se laissant point aveugler par la nuée de l’amour-propre, de leur bon plaisir et de leur propre sagesse.