Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 210-214).


CHAPITRE XII

(146)

Bref résumé de ce qui précède. — Explication des paroles du Christ à saint Pierre : " Jette tes filets à droite de la barque. "

Je t’ai expliqué comment je pourvois aux besoins de mes créatures, soit en général, soit en particulier. Ce que je t’en ai fait voir est comme la vapeur d’une goutte de rosée en comparaison de l’Océan. Je t’ai exposé les moyens que j’emploie, pour accroître dans l’âme la faim et le désir du sacrement. Tu as pu apprendre aussi, comment l’action de ma providence se fait sentir à l’intérieur de l’âme, par l’intermédiaire du Saint-Esprit, le serviteur, qui distribue ma grâce au méchant pour le ramener au bien, à l’imparfait pour l’acheminer vers la perfection, au parfait pour le rendre plus parfait encore. Car vous pouvez toujours progresser, et devenir de bons et parfaits médiateurs entre moi et les hommes qui se sont mis en révolte contre moi. Je t’ai dit en effet, s’il t’en souvient bien, que c’est par la médiation de mes serviteurs, que je ferai miséricorde au monde, et que c’est à cause de leurs souffrances que je réformerai mon Epouse. Vraiment, on les peut appeler un autre Christ crucifié, puisqu’ils ont accepté de remplir son office. Mon Fils unique est venu comme médiateur, pour mettre fin à la guerre, et réconcilier dans la paix, l’homme et moi, en souffrant avec patience jusqu’à la mort ignominieuse de la croix.

C’est aussi l’œuvre de ces crucifiés. Ils se font médiateurs par leurs prières, par leurs paroles, par leur bonne et sainte vie, proposée comme un modèle aux yeux de tous. En eux brillent les pierres précieuses des vertus, et cette patience avec laquelle ils supportent les défauts du prochain. Ce sont là, les amorces auxquelles ils prennent les âmes. Ils lancent lé filet non de la main gauche, mais de la main droite, comme le disait ma Vérité à Pierre et aux autres disciples après la Résurrection. La main gauche, c’est-à-dire l’amour-propre, est morte chez eux ; mais la main droite est vivante. Elle est ce vrai et pur amour, cette douce et divine dilection, avec laquelle ils jettent le filet du saint désir, en moi, l’océan de paix. En rapprochant le récit qui précède la résurrection de celui qui la suit, tu y verras qu’en retirant le filet, c’est-à-dire en enfermant leur désir dans la connaissance d’eux-mêmes, ils prennent une telle abondance de poissons qu’ils ne peuvent suffire à le ramener à eux, et qu’ils sont obligés d’appeler un compagnon pour les aider dans cette besogne. En effet l’acte de saisir et de lancer le filet doit être accompagné de la véritable humilité, et il faut appeler le prochain par amour, pour le prier d’aider à retirer ces poissons qui sont les âmes.


Cette vérité tu l’expérimentes en toi-même, et tu la peux observer dans mes serviteurs. Si lourd est le poids de ces âmes qu’ils enferment dans le filet de leur saint désir, qu’ils crient au secours ; ils voudraient que toutes les créatures raisonnables accourussent à leur aide, et vinssent prêter à leur propre insuffisance l’assistance de leur humilité. Voilà pourquoi je t’ai dit qu’ils faisaient appel à l’humilité et à la charité du prochain pour les aider à retirer ces poissons, qui se trouvent pris en grande abondance, bien que plusieurs s’en échappent par leur propre faute et ne demeurent pas enfermés dans le filet. Le filet du saint désir les a bien tous pris, puisque l’âme affamée de mon honneur ne se contente pas d’une partie, mais veut y englober tous les hommes.

Elle veut les bons, pour qu’ils l’aident dans cette pêche à faire entrer les poissons dans le filet, et que par cette œuvre ils se conservent dans le bien et avancent dans la perfection ; les imparfaits, elle voudrait qu’ils devinssent parfaits, et les mauvais, elle désire les voir devenir bons. Les infidèles plongés dans les ténèbres, elle souhaite qu’ils parviennent à la lumière du saint baptême. Elle les veut tous, quels que soient leur état, leur condition, parce qu en moi elle les voit tous, créés par ma bonté à l’amour de feu, et rachetés par le sang du Christ crucifié, mon Fils unique. Tous sont donc pris dans le filet de son saint désir : mais beaucoup s’en échappent, comme je te l’ai dit, qui se privent de la grâce par leur faute, ou qui, comme les infidèles et les autres, demeurent dans le pêché mortel. Cela n’empêche pas qu’ils soient compris en ce désir et cette incessante prière car qu’une âme s’éloigne de moi par ses offenses ainsi que de la société de mes serviteurs, en manquant à l’amour et au respect qu’elle leur doit, les sentiments que ceux-ci ont pour elle n’en subissent aucun dommage. Le propre de leur charité est de demeurer inaltérable. C’est ainsi qu’ils jettent de la main droite cet aimable filet.

O fille très chère, il est raconté dans le saint Evangile, que lorsque ma Vérité commanda au glorieux apôtre Pierre de jeter à la mer ses filets, Pierre répondit, que toute la nuit il s’était fatigué sans rien prendre (Lc 5, 5-7), mais, ajouta-t-il, sur votre commandement, je vais le jeter. Il le jeta ; il prît une si grande quantité de poissons qu’il ne le pouvait retirer seul, et qu’il dut appeler les disciples à son aide.

Considère cet acte de Pierre ! Dans la réalité qui vient d’être décrite, tu découvriras une figure, et tu comprendras par tout ce que je t’ai dit que cette figure s’applique à toi. Car, sache-le bien, tous les mystères, toutes les actions accomplies en ce monde par ma Vérité avec ses disciples ou en dehors des disciples, étaient représentatifs de ce qui se passe dans l’intime de l’âme de mes serviteurs et chez tous les hommes. Vous pouvez retirer de tous ces faits un enseignement et une règle de vie. Qu’on les médite à la lumière de la raison, et les esprits les plus grossiers comme les plus subtils, les intelligences vulgaires comme aussi les plus hautes peuvent en tirer profit chacun peut en prendre sa part, s’il le veut.

Pierre, t’ai-je dit, au commandement du Verbe, jeta le filet : il fut donc obéissant, en croyant avec une foi vive, qu’il prendrait du poisson, et il en prit en effet beaucoup ; mais ce ne fut pas pendant la nuit. Sais-tu quel est ce temps de la nuit ? C’est la nuit ténébreuse du péché mortel, où l’âme est privée de la lumière de la grâce. En cette nuit, elle ne saurait rien prendre, parce qu’elle jette le filet de son désir non dans l’océan de vie, mais dans la mer morte, où elle ne trouve que la faute qui n’est pas quelque chose. Elle se fatigue en vain, tous ses efforts sont inutiles. Ceux qui s’imposent toutes ces peines se font les martyrs du démon, non du Christ crucifié. Mais, quand le jour paraît, quand l’âme sort de la nuit du péché, pour recouvrer la lumière de la grâce, elle retrouve du même coup dans son esprit le commandement de la loi que je lui ai donnée, de jeter le filet, à la parole de mon Fils, en m’aimant par-dessus toute chose, et le prochain comme soi-même. Docile dès lors à la lumière de la foi, avec une ferme confiance, elle jette son filet, sur sa parole, en suivant la doctrine et les exemples de ce doux Verbe d’amour et de ses disciples. Comment son filet se remplit et quels sont ceux qu’il appelle a son aide. Je te l’ai déjà dit, et je n’y reviens plus.