Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 85-93).


CHAPITRE XVIII

(127)

Comment ces ministres sont dominés par l’avarice. Ils prêtent à usure, mais surtout ils vendent et achètent les bénéfices et les Prélatures. Des maux que cette cupidité a causés à la sainte Église.

Parlons maintenant de la seconde colonne du vice, qui est l’avarice.

Oui, ce que mon Fils a donné sur la croix, avec tant de générosité, n’est plus distribué, désormais, qu’avec la plus grande parcimonie. Regarde-le sur le bois de la Croix, son corps est tout percé, de chacun de ses membres son sang coule à flots. La rédemption, ce n’est pas à prix d’or ou d’argent qu’il l’opère, c’est avec son Sang et par largesse d’amour. Il n’a pas racheté seulement une moitié du monde, mais le genre humain tout entier, tous les hommes passés, présents et à venir. Ce Sang ne vous a pas été donné, sans, qu’en même temps, vous fût distribué le feu ; car, c’est par le feu de l’amour, que le sang a été versé pour vous. Le feu et le sang ne vous ont pas été accordés, sans ma Nature divine, si étroitement unie à la nature humaine. Et c’est de ce Sang, uni à ma divinité, par la libéralité de mon amour, que toi, malheureux, je t’ai constitué le ministre ! Et voilà que ta cupidité te rend si avare, de ce que mon Fils a acquis sur la croix ! Toi, ministre du Sang, par un don de lui, tu t’es si criminellement approprié ce trésor, que tu vends, maintenant, la grâce du Saint-Esprit, aux âmes que le Christ a rachetées lui-même, avec un si pur amour ! Ce que tu as reçu gratuitement, tu veux qu’on te le paie, quand on te le demande. Ton avidité ne te porte point, à faire ta nourriture des âmes, pour l’honneur de Moi c’est l’argent qu’elle dévore ! Ta charité est devenue si serrée, dans la dispensation de ce que tu as reçu avec tant de largesse, qu’évidemment, je ne suis pas en toi par la grâce, ni le prochain par l’amour. Les biens temporels que l’on te donne, à cause de ce Sang, c’est largement encore que tu les reçois, et d’eux encore, pauvre avare, tu ne sais pas être bon, pour d’autres que pour toi ! Larron que tu es, voleur digne de la mort éternelle, tu dérobes encore le bien des pauvres et de la sainte Église ; tu l’emploies a tes dépenses ; tu le dissipes avec des femmes, avec des hommes sans mœurs ; tu en enrichis ta parenté. Avec ce bien des pauvres et de l’Église, tu te procures toutes tes aises, et prépares un établissement à tes fils.

O malheureux ! Où sont donc ces fils des vraies et douces vertus que tu devais avoir ? Où donc, cette charité ardente que tu devais répandre ? Où, ce zèle dévorant de mon honneur et du salut des âmes ? Où, cette douleur crucifiante, que tu devais ressentir, à la vue du loup infernal qui te ravissait tes brebis ? Plus rien ! En ton cœur étroit, il n’y a plus de place, ni pour Moi, ni pour ton prochain. Tu n’aimes que toi ! Tu n’as que cet amour égoïste et sensuel ; et, cet amour est un poison, pour toi et pour les autres. Tu es, toi-même, le loup infernal ! C’est ton amour déréglé qui les dévore tes brebis ! Ton avidité ne convoite que cette proie ! Que t’importe donc, que le démon invisible emporte les âmes, quand tu es, toi, le démon visible qui les livre à l’enfer ! Les biens de l’Église ne servent qu’à te vêtir et à t’engraisser toi-même, avec les autres démons de ta compagnie, comme aussi à entretenir des animaux, ces beaux chevaux, que tu ne possèdes que pour ton plaisir déréglé, et sans aucune nécessité. C’est la nécessité seule, pourtant, et non ton propre plaisir, qui peut te permettre ce train de maison. Que les hommes du monde cherchent cette jouissance, soit ; mais tes plaisirs, à toi1 devraient être d’assister les pauvres, de visiter les malades, de subvenir à leurs besoins spirituels et temporels. C’est pour cela, et pour cela seul, que je t’ai fait mon ministre, que je t’ai confié une si haute dignité. Mais, après que tu es devenu semblable aux bêtes, tu te complais au milieu des bêtes. Aveugle que tu es ! Si tu pouvais voir les supplices qui t’attendent si tu ne changes pas de vie, tu n’agirais pas ainsi, tu n’aurais que douleur de ta conduite passée, et dès à présent tu commencerais à mieux vivre.

Tu le vois, ma très chère fille, combien n’ai-je pas raison de me plaindre de ces malheureux ! Quelle ne fut pas ma générosité envers eux, et quelle n’est pas leur ingratitude envers moi !


Qu’ajouter de plus ?

Comme je te l’ai dit, il en est qui prêtent à usure. Ils ne mettent pas d’enseignes, comme les usuriers publics, mais ils ne manquent pas de moyens subtils, pour vendre le temps a leur prochain, par pure avarice : car, rien au monde ne peut légitimer un semblable commerce. Si on leur fait un présent, si petit soit-il, et que dans leur pensée ils le reçoivent comme prix du service rendu, en excédent de la somme prêtée, c’est usuraire, comme usuraire aussi, tout ce qui serait perçu, en paiement du temps, pour la durée du prêt.

Je les ai établis, pour qu’ils défendent l’usure aux séculiers, et ils la pratiquent eux-mêmes. Ce n’est pas tout. Si quelqu’un vient les consulter sur cette matière, comme ils ont eux-mêmes ce vice, et qu’ils ont perdu sur ce point la lumière de la raison, le conseil qu’ils donnent est obscur et comme enveloppé de la passion qui est dans leur âme. De là, par conséquent, une infinité de méfaits qui découlent de leur cœur étroit, cupide et avare. A eux s’applique bien cette parole que prononça mon Verbe, lorsque, entrant dans le Temple, il y trouva vendeurs et acheteurs : " La maison de mon Père est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs (Mt 21, 13) ", cria-t-il ; et, prenant des cordes, il s’en fit un fouet, pour les jeter dehors.

Il en est bien ainsi, aujourd’hui, tu le vois, ma très douce fille ! De mon Église qui est un lieu de prière, ils ont fait une caverne de voleurs ! Ils vendent, ils achètent, ils trafiquent de la grâce de l’Esprit-Saint. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux. Veut-on obtenir des prélatures et des bénéfices de la sainte

Église, on les achète. On commence par circonvenir, par de nombreux présents, soit en argent, soit en nature, les officiers de la curie. Ceux-ci ne s’arrêtent plus, désormais, à considérer si le solliciteur est bon ou mauvais. Ils sont tout complaisance envers lui. Comme ils n’ont d’amour que pour les dons qu’ils en ont reçus, ces malheureux vont s’employer à introduire, dans le jardin de la sainte Église, cette plante vénéneuse. Ils feront de lui bon rapport au Christ en terre.

Ainsi, de part et d’autre, c’est un complot de mensonges pour tromper le Christ en terre, dont l’on ne devrait approcher, cependant, qu’en droiture et franchise. Si le vicaire de mon Fils s’aperçoit de la fraude, c’est son devoir de punir les coupables. Il doit priver son subordonné de son office, s’il ne se corrige et ne s’amende ; et, au solliciteur si offrant, il fera bien de conférer la prison, en échange de son argent. Ce sera pour lui une correction alu taire, et, pour les autres, un exemple qui les détournera d’un semblable trafic. Si le Christ en terre en agit ainsi, il ne fera que son devoir ; et, s’il ne le fait pas, son péché ne demeurera pas impuni, quand il viendra rendre compte, devant Moi, de ses brebis.

Crois-moi, ma fille, aujourd’hui, cette répression n’est plus connue. Voilà pourquoi l’Église, mon Église, en est arrivée à cet état de crimes et d’abominations. Pour élever aux prélatures, l’on ne s’enquiert plus de la vie de ceux qui sont promus ; l’on ne s’informe plus, s’ils sont bons ou mauvais. Si l’on fait quelque enquête, c’est auprès de ceux qui sont les complices de leurs péchés, c’est ceux-là qu’on interroge, et qui sont tout disposés à leur rendre de bons témoignages, puisqu’ils sont semblables à eux. On n’a égard qu’à la grande situation du candidat, à sa naissance, à sa richesse, à la distinction de son langage. Ce qui est pire, c’est qu’on alléguera même, parfois, et en plein consistoire qu’il est beau de sa personne. Langage de démon, note bien ! Là où l’on devrait rechercher l’ornement et la beauté de la vertu, l’on n’a d’yeux que pour la beauté du corps !

Ceux qu’on devrait préférer, ce sont les humbles qui s’effacent, ceux qui, par humilité, fuient les prélatures ; et voilà qu’ils choisissent ceux qui, par vaine gloire, et tout enflés d’orgueil, briguent cette élévation !

On fait grand cas de la science. Certes, la science, en soi, est bonne. Elle est parfaite, quand celui qui la possède, y joint une vie honnête et sainte et une sincère humilité ; mais, dans un orgueilleux, dépravé et libertin, la science est un poison. Ce savant n’a pas le sens de l’Écriture, il n’en entend plus que la lettre. Son esprit est dans les ténèbres, parce qu’il a perdu la lumière de la raison, et qu’il a obscurci l’œil de son intelligence. C’est dans cette lumière de la raison, accrue de clartés surnaturelles, que fut exposée et comprise la sainte Écriture, comme je te l’ai dit plus. explicitement, en un autre endroit. Tu le vois donc. la science est bonne en soi, mais elle peut être dépravée par le mauvais usage que le savant en peut faire. S’il ne met pas plus de droiture dans sa vie, elle deviendra même pour lui un feu vengeur.

Aussi, doit-on considérer davantage la bonne et sainte vie, et la préférer à la science d’un libertin. C’est le contraire, pourtant, que l’on fait. Les hommes de bien et de vertu, s’ils ne sont point de science raffinée, sont tenus pour sots ; on les méprise. Quant à ceux qui sont pauvres, on les écarte, parce qu’ils n’ont rien à donner.

Ainsi, ma propre maison, qui devrait être la maison de la prière, où brilleraient la perle de la justice, avec la lumière de la science unie à une bonne et sainte vie, où l’on respirerait le parfum de la vérité, ma maison est pleine de mensonge. Ceux qui l’habitent devraient posséder la pauvreté volontaire, un zèle sincère pour préserver les âmes, ou les arracher aux mains du démon, et ils n’ont de goût que pour les richesses ; le soin des choses temporelles les absorbe tellement, qu’ils n’ont plus aucun souci des spirituelles. Jouer, rire, accroître et multiplier leur bien, voilà qui prend toute leur vie. Ils ne s’aperçoivent pas, les pauvres, que c’est le moyen le plus assuré de perdre leurs richesses ! S’ils étaient riches en vertu, ils s’adonneraient à l’administration des choses spirituelles, comme ils le doivent, les biens temporels leur viendraient en abondance, et mon Epouse n’aurait pas eu à subir, à ce sujet, tant de révoltes.

Qu’ils laissent donc les morts ensevelir les morts : leur devoir, à eux, est de suivre la doctrine de ma Vérité et d’accomplir, en eux-mêmes, ma volonté, en se consacrant au ministère que je leur ai confié. Tout au contraire, ils s’appliquent, avec un amour déréglé, à ensevelir les choses mortes, les choses qui passent, usurpant ainsi l’office des hommes du monde. C’est là, ce qui m’offense, et c’est là, ce qui perd la sainte Église. Qu’ils abandonnent aux séculiers ce qui appartient aux séculiers. C’est aux morts à ensevelir les morts ; c’est à ceux qui sont préposés au gouvernement des choses temporelles, à s’occuper de cette administration.

Pourquoi t’ai-je dit que c’est aux morts à ensevelir les morts ? — Ce mot est à double sens. Morts sont ceux qui s’occupent des choses temporelles, avec un amour désordonné, et une sollicitude exclusive, qui les font tomber en péché mortel. Mais morts, aussi, peuvent être dits, ceux qui s’y adonnent, simplement. Car ces biens sont des biens sensibles, des biens corporels, et cette administration est un office corporel. Or le corps, de soi, est chose morte, il n’a pas la vie en lui-même. La vie, il la tient de l’âme, il participe à la vie de l’âme, tant que l’âme habite en lui ; il la perd, dès qu’il en est séparé.

Mes ministres consacrés, qui sont appelés à vivre comme des anges, doivent donc laisser les choses mortes aux morts, pour s’adonner à la conduite des âmes, réalités vivantes qui ne meurent jamais. Qu’ils les gouvernent, qu’ils leur administrent les sacrements, qu’ils leur distribuent les dons et les grâces de l’Esprit-Saint, qu’ils les nourrissent du pain spirituel par une bonne et sainte vie. A ce prix, ma maison sera la maison de prière, abondante en grâces et riche de vertus. Mais ce n’est pas là, ce qu’ils font : leur conduite est tout autre. Aussi peut-on dire que ma maison est devenue une caverne de voleurs. Ils s’y sont établis marchands : ils vendent, ils achètent, et leur seule avarice est la loi de leurs contrats.

Ils ont fait de ma demeure un repaire de bêtes, puisqu’ils vivent, sans moralité, à la façon des bêtes. Oui, ils en ont fait une écurie, où ils se vautrent dans la fange du vice. Ils ont là, dans l’Église, leurs complices diaboliques, comme l’époux a son épouse dans sa maison. Tu vois, combien plus grands que tous les désordres dont je t’avais parlé, sont les maux qui reposent sur ces deux colonnes de pestilence et de corruption, qui sont l’impureté et l’avarice.