Le Diable aux champs/4/Scène 9

Calmann Lévy (p. 191).



SCÈNE IX


Dans le village de Noirac


GERMAIN, PIERRE, à la porte de leur maison

GERMAIN, effrayé. — C’est-il toi, Pierre ?

PIERRE. — C’est donc vous, mon père ?

GERMAIN. — M’as-tu fais peur !

PIERRE. — Ah dame, et vous à moi !

GERMAIN. — J’en étais malade. Depuis un quart d’heure d’horloge que je te voyais venir à six pas derrière moi, et que je n’osais point te parler !

PIERRE. — Et moi ! depuis l’écluse de la rivière que je vous voyais toujours dans mon chemin, et que je me disais : « Si c’était un chrétien, ça me parlerait, mais ça ne me dit rien, je ne veux rien lui dire. » J’en ai le mal de ventre !

GERMAIN. — Je voyais une chose toute noire sur le brouillard tout blanc, une chose grande comme moi, faite comme moi, avec un chapeau fait comme le mien… Je pensais, « Voilà mon double, » et quand on voit ça, c’est signe de mort ! La tête m’en chavire !

PIERRE. — Ah ! c’est des bêtises d’avoir peur comme ça ! Disons nos prières et couchons-nous. Voilà une nuit bien mauvaise ! Y aura des malheurs cette nuit sur la terre !