Le Diable au XIXe siècle/XVIII

Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 1p. 547-552).

QUATRIÈME PARTIE


LE MAGNÉTISME OCCULTE




CHAPITRE XVII

Les débuts du Spiritisme.




Sous le titre général de Magnétisme Occulte, je vais traiter successivement la question du spiritisme et celle des démoniaques mis en opposition avec les hystériques.

Toutefois, je dois prévenir le lecteur tout d’abord que le mot de « magnétisme », pris dans le sens littéral, ne signifie plus rien aujourd’hui, c’est-à-dire maintenant qu’on l’applique indifféremment à tout ce qui est ou parait merveilleux, aussi bien en matière de tables tournantes et parlantes qu’en matière d’hypnotisme, de somnambulisme, etc. Le système des passes magnétiques, la théorie du fluide nerveux, toutes ces sottises ont fait leur temps et n’appartiennent plus qu’au pur charlatanisme.

Néanmoins, j’ai cru devoir conserver ce mot de « magnétisme » dans le titre général de ma quatrième partie, parce qu’il a le grand mérite de désigner au lecteur de quoi il va être question ; d’autant plus que ce qui nous préoccupe, c’est surtout l’occultisme qui, dans notre société, prend tous les masques, et que souvent un médium luciférien, c’est-à-dire un individu en réel état de possession diabolique, se donne comme magnétiseur dans les réunions où sa nature démoniaque doit être tenue cachée.

Quant aux faits surprenants, qui sont l’objet de l’étude des savants et qui appartiennent à la science humaine, ils n’ont rien à voir avec le soi-disant fluide magnétique ; qu’on le sache bien. Des fonctions absolument physiologiques, des phénomènes d’inhibition dans les centres nerveux, une action automatique provoquée ou naturelle, tels sont les facteurs du magnétisme de nos jours ; et là où les explications scientifiques s’arrêtent, commence le domaine de l’inconnu, du surnaturel.

Je commence par le spiritisme proprement dit.

Vers la fin de l’année 1848, à Hydesville, petit village du comté de Wayne, état de New-York (Amérique), une petite fille de la famille Fox, de pauvres gens, entendit un beau soir des coups frappés dans un mur.

Prise de frayeur, elle courut appeler les siens, lesquels à leur tour convoquèrent tout le village. Tout le monde put se rendre compte que ces coups ne résultaient pas d’une hallucination, mais que réellement l’oreille percevait très nettement une série de petits chocs frappés sur le mur en question et dont ce dernier résonnait.

Grand émoi, on le conçoit, chez des gens simples et faciles à interloquer. Mais là ne devait pas s’arrêter le phénomène. Tout de suite, en effet, aux coups s’ajoutèrent des voix, des plaintes, puis des cris aigus, et en définitive on apprit qu’un nommé Charles Roya ou Royer avait été assassiné au temps jadis, dans cette maison, et les Fox dirent et firent croire que son esprit, revenu sur la terre, hantait cette ancienne demeure et demandait des prières pour le repos de son âme.

Pourquoi l’esprit de ce Royer, assassiné un siècle environ auparavant, a-t-il attendu la fin de l’année 1848 pour réclamer avec instance ? Il y a là évidemment dans l’histoire, — car c’est de l’histoire et non une histoire que je raconte, — une lacune regrettable. Quoi qu’il en soit, le spiritisme était… comment dirai-je, inventé ? Non, mettons : révélé.

Je sais bien, et les esprits chagrins ne manqueront pas de l’objecter, tant il est vrai qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil, je sais bien, dis-je, que Pline le Jeune (on le voit, cela remonte haut) avait été le premier à raconter cette même histoire, sans le nom de l’assassiné cependant ; je sais bien aussi que les catholiques, les vrais catholiques, ceux qui tiennent pour seul enseignement sûr la doctrine émanant de Rome, rappelleront que le clergé refusa obstinément à cette époque d’intervenir, de se mêler de ce qu’un évêque alors qualifia de honteuse superstition et supercherie, et que d’un autre côté la justice, moins accommodante et gardienne d’ailleurs du repos public, mit la main sur un petit garçon nommé Pater Waud, lequel fut absolument convaincu d’être l’auteur des dits bruits ; ils étaient, d’ailleurs, très ingénieusement par lui produits, au moyen d’une balle de plomb au bout d’une longue, très longue ficelle, qu’il manœuvrait, couché dans les combles de la maison, à travers le tuyau de descente des eaux.

Cette même justice, qui, on va le voir, ne respecte ni l’âge ni le sexe, mit du même coup la main sur la sœur de la petite fille qui avait la première entendu les coups frappés, et il fut démontré que, ventriloque précoce et habile, Mlle  Marguerite Fox s’amusait à mystifier les siens et ses contemporains.

Devant le tribunal, les deux jeunes gens firent les aveux les plus complets, répétant jusqu’en ses menus détails, devant le juge d’abord, au siège même de la cour, puis à leur domicile dans le village, l’aimable fantasmagorie que l’on sait.

Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat ; aussi le juge ne fouetta-t-il personne : il renvoya tout le monde dos à dos, ce en quoi il eut tort, à mon avis tout au moins. Mais aussi, qui aurait pu prévoir que cette fumisterie de village allait rendre fous des milliers et des milliers d’individus ?

Fin comme l’ambre, le père Fox vit cependant qu’il n’y avait rien à faire en face d’un juge plus fin que lui : il s’expatria avec sa smala et s’en fut à Rochester où, mieux stylés, les deux enfants continuèrent ou plutôt reprirent leur petit commerce, avec un gros succès cette fois.

Des phénomènes abracadabrants se produisent alors, qui montrent que la balle de plomb de la première manière s’est joliment perfectionnée depuis ; et si Roya ou Royer a définitivement renoncé à réclamer des prières (pourquoi, oh ! mon Dieu ?), des masses d’esprits se manifestent maintenant, qui tous heureusement n’ont rien à réclamer : Auburnon, New-York, Boston, Cincinnati, Saint-Louis, Buffalo, Philadelphie enfin, sont tour à tour infectés du contage. La balle de plomb devient boulet, puis sphère ; elle fait boule de neige : en 1852, l’Amérique compte 30,000 mediums ; en 1854, elle en compte 100,000 environ.

Vous le voyez, maintenant, juge de Wayne, combien vous avez eu tort de ne pas sévir dès le début et de ne pas stériliser en graine l’ivraie qui depuis a poussé si vite et si bien !

De l’Amérique, la contagion n’allait pas tarder à se répandre en Europe ; les bêtises vont vite, on le sait, et tout de suite aussi, il se trouvait un homme qui allait codifier, commenter, expliquer, traduire les phénomènes et leurs lois. Nommons-le, c’est Allan-Kardec (de son vrai nom : Rivail).

Allan-Kardec n’y va pas par quatre chemins ; tranquillisez-vous, bonnes gens, la doctrine, la voici :

Après la mort, nos âmes quittent la dépouille mortelle et s’en vont où Dieu les envoie. Cela, me direz-vous, c’est classique, c’est de foi, et il n’y a pas besoin de se lever de bonne heure pour l’inventer. — Mais, et c’est ici où l’ingéniosité d’Allan-Kardec se révèle tout entière, — l’âme au lieu de se servir du corps qu’elle a, j’ose dire sous la main, et que le bon Dieu en définitive lui a donné pour agir et s’exprimer, se sert d’un intermédiaire, le peresprit, c’est-à-dire quelque chose qui n’est ni chien ni loup, ni chair ni poisson, un garçon d’extra, quoi ! J’avoue qu’ici je me perds. Mais ce n’est pas tout ; ce peresprit, au lieu d’aller trouver l’âme ou de rester bonnement avec le corps, prend une forme, se concrète, puis profite de cela pour se promener librement, et, n’était la grossièreté de la comparaison et du mot, « chahuter mollement dans l’espace » ; et c’est le peresprit qui donne lieu aux phénomènes du spiritisme (peresperitisme alors ?), qui frappe, cogne, brame, geint, gifle, éternue et souffle, tout impondérable qu’il soit.

Voyons, monsieur Allan-Kardec, voyons, tout cela, c’est très joli ; mais, permettez-moi cette simple observation : croyez-vous que, si votre peresprit existait vraiment, nos livres saints, notre Écriture, notre dogme révélé, les enseignements de notre sainte mère l’Église catholique ne nous en eussent pas parlé ?

Vous savez, je ne voudrais, en aucune façon, faire de la peine à votre peresprit, qui doit joliment souffrir, à cette heure, de se voir ainsi vitupéré. Mais franchement, là, entre nous, quelle qualité avez-vous pour dogmatiser ainsi et me dire : post hoc, ergo propter hoc ? Moi, parce que catholique, je ne reconnais d’infaillible que le Pape et les évêques, parlant en son nom, et cela par la raison naïve qu’ils parlent au nom de Dieu, que je le sais pertinemment, que tradition, révélation, tout me le dit, me le crie, m’en fait foi. Mais vous, monsieur Allan-Kardec, voulez-vous me permettre de vous demander au nom de qui vous parlez ?

Si vous ne me le dites pas, peut-être vous le dirai-je, moi, dans un instant ? et nous serons deux à causer alors, ou trois même, si je compte… l’autre.

Quoiqu’il en soit, transporté d’Amérique en Europe, le spiritisme y courut aussi des chances diverses. L’ébénisterie, d’abord, lui dut beaucoup. Des gens, en effet, s’avisèrent de faire tourner des tables ; ce qui se pratique encore, quoique moins. Mais l’affaire dite des photographies spirites vint, au lieu de le tuer sous le ridicule et le dol, lui donner un regain nouveau.

Les 16 et 17 juin 1875, en effet, hier par conséquent, un procès curieux se jugeait à Paris devant la septième chambre. Trois escrocs, les nommés Leymarie (le successeur propre, entre parenthèses, ou sale, comme on voudra, d’Allan-Kardec), Firmann et Buguet, se livraient au petit truc suivant : non contents de faire tourner des tables, des pipes, des sabres, et la tête aux bons nigauds, ils voulurent photographier l’imbécillité humaine ; et ce problème, ils arrivèrent à le résoudre promptement.

Ils amenaient le bon nigaud à leurs séances de peresprit funambulesque, et, à la sortie, ils lui persuadaient qu’il lui fallait la photographie de sa sœur, par exemple, morte l’an dernier, c’est-à-dire le portrait pris instantanément du peresprit de sa sœur.

L’autre buvait comme du lait et savourait même le boniment ; et moyennant les métaux (ici, on le voit, nous côtoyons la maçonnerie), moyennant, dis-je, les métaux, on opérait, ou plutôt on l’opérait.

Placé devant l’objectif de Buguet, le photographe, on lui « tirait » son portrait comme dans les foires ; puis, sous prétexte de manipulations, on portait le cliché dans un arrière-laboratoire, où Leymarie, qui avait au préalable fait causer le bon nigaud, désignait à Firmann une des nombreuses poupées rangées dans un placard, la tête entourée d’une gaze, ressemblant à la sœur du jobard. On enquillait la tête gazée sur un mannequin, et, crac ! on prenait une épreuve. On faisait très lestement une troisième opération, pour obtenir la photographie spirite désirée. Cinq minutes après, le bon nigaud se trouvait en présence d’un cliché le représentant et lui donnant en même temps, à côté ou derrière lui, le peresprit de sa sœur, ressemblance garantie trois ans. Chose curieuse, le bon nigaud la reconnaissait toujours, cela ne ratait jamais. Il y eut, cependant, quelques-uns de ces bénévoles portraicturés qui se fâchèrent, mais uniquement sur la question du prix, et ce sont leurs réclamations qui firent découvrir le pot aux roses : il parait que Leymarie « était dur aux métaux » ; vingt francs, cinquante, cent, et jusqu’à deux cents francs. Cela coûtait cher, on le voit, la ressemblance garantie trois ans d’un peresprit de sa sœur !

Bref, la justice s’en mêla. On le croira ou non, mais pas une, pas une, entendez-vous, des dupes ne se plaignit d’avoir été volée sur la ressemblance. Cela parait fantastique ; eh bien, cela est. Ou eut beau, au tribunal, leur montrer et mannequin et tête, leur « débiner le truc », comme on dit en argot, rien n’y fit. Plaignants quant aux métaux, ils restèrent spirites convaincus quant à la ressemblance, et nul ne parvint à leur faire sortir de la caboche que le peresprit de leur sœur était bien dûment photographié là.

Leymarie, Buguet et Firmann furent condamnés à l’amende et à la prison, comme de simples fripons qu’ils étaient… Vous croyez peut-être que cela a troublé leur commerce, peresprit que vous êtes ?

En aucune façon.

Leur chef Leymarie continue officiellement et ouvertement son commerce de peresprits ; il tient boutique et journal, et il continue l’œuvre d’Allan-Kardec.

Voilà racontées, en deux mots, la genèse et l’histoire du spiritisme ; tout cela date d’hier, de 1848, et est un produit du puffisme américain. Ce qui le condamne irrémédiablement, à mon avis, c’est qu’il n’a pas progressé depuis. Si Leymarie est resté aussi canaille, pour ne parler que de ce chef des pseudo-spirites parisiens, il n’est pas devenu plus malin, plus spirituel pour cela.

Ce sont toujours les mêmes idées, les mêmes théories, les mêmes manœuvres qui s’effectuent, seulement devant des imbéciles nouveaux.

La théorie d’Allan-Kardec fait toujours autorité. On n’y a rien ajouté, ni rien retranché. Le peresprit tient toujours la corde, tandis que sur lui le médium s’est greffé. Voyant, auditif, graphologue ou tout autre, le médium pseudo-spirite n’agit que par l’intermédiaire du peresprit.

Nous sommes donc là, on le voit, en présence d’une chose commencée par une jonglerie comme dans les foires, continuée, comme dans les foires encore, par de la photographie en plein vent. Mais tout cela n’empêche pas de nombreux adeptes d’y croire et d’y croire sérieusement, tant l’esprit humain est ainsi fait qu’il apâte le merveilleux.

Le peresprit est entièrement entré dans nos mœurs. D’aucuns qui ne croient pas en Dieu, croient au peresprit comme ils croient au sel renversé sur la nappe ou aux couteaux en croix. Esprits forts à rebours.

Moi, le lecteur le sait, je ne fais pas de théorie, je n’abstrais pas des quintessences, je raconte des faits que j’ai vus ; et si, catholique jusques aux moelles, parce que croyant, devant les mystères que la Sainte Église me révèle et que je sais divins, je m’incline, prononçant humblement, mais à haute et intelligible voix, mon Credo, je déclare néanmoins, hautement aussi, que je n’en perds pas pour cela mon libre arbitre, ma volonté qui me rend responsable devant Dieu, et à cause de cela j’ai le droit d’examiner sérieusement et de faire passer au crible de la science et de l’expérience ce que me disent ceux auxquels personne n’a donné qualité pour me parler et qui pour paroles d’Évangile veulent me faire avaler des sornettes d’Amérique et frapper mon cerveau avec des coups donnés sur un mur.

Je suis de ceux qui n’écoutent, ne croient, et ne craignent que Dieu.

Le lecteur me pardonnera ce préambule, je l’espère ; peut-être même choquera-t-il quelqu’un. Je sais, en effet, qu’il y a, parmi les catholiques, quelques bons esprits égarés dans le domaine du spiritisme, lequel n’est pas, qu’ils le sachent bien, celui de l’esprit. Ceux-là sont, ou victimes de la supercherie, ou, ce qui est plus grave, victimes du diable. Je prie Dieu, ardemment, que ce que je vais leur raconter leur ouvre les yeux.