Le Diable à Paris/Série 3/Exposition animo-végétale
Exposition animo-végétale
Les plantes ne restent pas en dehors du grand progrès scientifico-animique : pour peu qu’on y prête attention, on se convaincra qu’elles pensent, agissent, posent, grimacent, grognent, reniflent maintenant comme des personnes véritables…
Qu’il en est même qui donnent de cette vitalité multiple les preuves les plus frappantes…
Que leur sommeil au lieu de les tenir inertes, les fait tantôt sourire dans les rêves les plus gracieux et tantôt se tordre en d’horribles cauchemars…
Que la rose sait, aussi bien que n’importe quelle coquette bipède, abuser de ses avantages et de ses épines pour écraser les fleurs moins bien douées et réduire les plantes les plus superbes à lui servir d’estafiers…
Que les courges concombres et autres cucurbitacées sont particulièrement aptes à la musique et arrivent, sous la direction vigilante et crochue d’il maestro Chardon, à produire des effets d’harmonie vraiment extraordinaires…
Que certaines plantes trop nerveuses, comme de vraies filles d’Ève se laissent volontiers aller à des pâmoisons et à des syncopes lorsqu’on les transplante ou qu’on les contrarie, mais qu’heureusement aussi il suffit d’une douche bien administrée pour les faire revenir à elles…
Que des gueules-de-loup des tulipes et même de simples œillets peuvent remplir à la satisfaction générale comme les grognards les plus mal élevés les fonctions délicates de gardiens des endroits interdits au public…
Que les innocents champignons en sont venus à s’extraire eux-mêmes de leurs couches et à s’arranger tout seuls dans les maniveaux, de façon à y être le moins serrés possible…
Item les navets, les radis, les poireaux, les asperges, à se ficeler spontanément en bottes fallacieuses, approuvées des plus fins maraîchers et marchands de légumes…
Que les végétaux partagent nos sentiments et nos goûts au point qu’on voit les moins cultivés et les plus rustiques d’entre eux s’extasier, s’ébahir ou applaudir avec passion aux exercices chorégraphiques d’une araignée funambule et empanachée…
Et qu’enfin il n’est pas douteux qu’avec du temps et de l’étude un radis noir intelligent ne parvienne à représenter admirablement les Othello et autres traîtres de même couleur.
Par laquelle il est établi entre autres choses qu’il y a moins de distance d’une fleur sur une carafe à une jolie femme soutenue de ses jupes que de celle-ci à ce qu’elle sera plus tard.