Le Diable à Paris/Série 2/Les Débardeurs

Le Diable à ParisJ. HetzelVolume 2 (p. 1-45).

Les débardeurs

par Gavarni

Je t’avertis, milord… si tu dines demain avec cette Andalouse-là, c’est moi qui vous tremperai la soupe… tu comprends la parabole !

— As-tu vu ? m’ame Chose et le petit baron qui ne peuvent pas se voir ! Le feu et l’eau, quoi !… ça va danser ensemble !

— Va donc ! depuis souper, ils ne tiennent qu’à cinq sous.

Caporal, on gèle dans votre satané violon ! mon épouse n’est vraiment pas bien ! Est-ce qu’on ne pourrait pas se procurer une goutte de n’importe quoi, sans vous commander ?… et un bout de pipe…

J’espère que tu vas te tenir, Angélique, et que tu ne t’épanouiras pas comme l’autre fois ! que tu étais d’une gentillesse à faire dresser le crin sur le casque à l’autorité.

— Ça ! c’est pas la perruque à Jules ?

— Non, c’est pas la perruque à Jules !

— Ah ! c’est pas la perruque à Jules ?… Tu vois bien, Alphonsine, tu n’es qu’une petite pas grand’chose, et lui rien du tout, parce que c’est la perruque à Jules.

Y en a-t-i, des femmes ! y en a-t-il… Et quand on pense que tout ça mange tous les jours que Dieu fait ! C’est ça qui donne une crâne idée de l’homme !

— Qui ? — Moi et Zélie, Achille et toi. — Où ? — Aux Vendanges. — Quand ? — Jeudi… ça y est ? — Ça y est !

As-tu vu ? m’ame Alexandre et l’ancienne à Paul qui sont à se peigner en bas pour ce paltoquet d’Eugène !… quelque chose de gai !

Agathe et toi, mon vieux Ferdinand, ça ne sera pas long ; cette petite-là est trop rouée pour toi, parce que t’es plus roué qu’elle… et pour que ça dure, faut toujours qu’un des deux pose, d’abord

Voyons, Angélina, as-tu assez fait poser mosieu ?

Vlà qu’elles ont des mots !… Fameux ! Angélina s’aligne… touché !… bien joué… Amanda ramasse ses quilles.

Ils vont venir : écoute, Hortense ! sur le coup de minuit, minuit et demi, vois-tu ? j’aurai affaire… Tu t’arrangeras pour m’égarer mon Anténor…

— Voyons si tu te souviens… Numéro ? — Dix-sept. — Rue ? — Christine — Madame ? — Bienveillant… et il y a un bilboquet à la sonnette.

En voulez-vous de la crevette ?… pas cher.

— Ah ça ! décidément Caroline est folle du petit Anglais.

— Cornichon ! va.

C’est demain matin qu’mon tendre époux va beugler… Ah ! mais… zut ! ce soir j’suis Simonienne, enfoncé l’conjugal !

— Un honnête domino ! des airs décents ! pus que ça de tenue, l’ancienne à Philippe !…

— Nous sommes en carnaval, mon gentilhomme

J’te parie mon alezan doré contre ta vicomtesse que j’emporte ce soir le petit rat du baron…

Le vicomte Aimé de trois étoiles et dame Éloa de Tremblemont vont tout à l’heure ouvrir un cours public de polkas comparées

Ça ne te regarde pas, de quoi te mêles-tu ? est-ce que son homme n’est pas là pour la battre ?…

— … Et si Cornélie ne trouvait pas de voiture ?

— Nous irions à pied !
— Merci ! Je serai canaille tant qu’on voudra, mais mauvais genre, jamais !
Ton Alfred est un gueux : il est ici avec l’autre… calme-toi !


On va pincer son petit cancan, mais bien en douceur… faut pas désobliger le gouvernement !…

— V’là trois heures, Titine ; filons ! faut que je sois levé au petit jour…

— Moi, dormir si peu ! j’aimerais mieux pas…

— Une douzaine d’huitres et mon cœur.

— Ta parole ?

— Et ton épouse ?

— Elle est au violon… Mais c’est mon chapeau que j’ai perdu !… v’là une catastrophe !

Le débardeur mâle et femelle… vivants !… rapportés d’un voyage autour du monde par monsieur Chicard, célèbre naturaliste, avec la permission des autorités !… Le débardeur est carnivore, fumivore, hydrophobe et nocturne ! se repaît de gibier, de volaille et de poisson !… il mange de l’huître, de la sole au gratin, de la mayonnaise de homard !… il mange de tout !…

— Tais-toi, moutard, faut laisser jaser l’autorité !… Je trouve que mosieu cause agréablement…

Tu danseras, Cocardeau !… tu danseras, Cocardeau !… tu danseras, Cocardeau !… deau !… deau !…

J’i ai dit ! j’i ai dit : Madame, si vous vous permettez de fich’ les pattes ici quand j’y serai, je connais une jeune personne qui vous tannera le cuir, ah ! mais !

Mon cher, le municipal a emporté le petit muf’e avec qui je dansais, parce qu’i voulait pincer son cancan, et qu’i ne pouvait pas, ce jeune homme !… t’aurais ri !

— Te v’là ici, toi ! c’est comme ça qu’t’as ta migraine ?

— C’est comme ça qu’tu montes ta garde, toi ?

Un amour de petit ménage, quoi ! ça se retire à la pointe du jour, bien paisibles ! bien unis !… ça va se mettre sous le nez son pauvre polichinelle de quatre sous, dormir jusqu’à midi, et puis bonjour ! en voilà pour la semaine…

Six pouces de jambes, et le dos tout de suite


Monter à cheval sur le cou d’un homme qu’on ne connait pas, t’appelles ça plaisanter, toi !

Malheureuse enfant ! qu’as-tu fait de ton sexe ?…


On rit avec toi et tu te fâches… en voilà un drôle de pistolet !


Qu’est-ce que c’est ? Tu vous déranges pour ça, et t’en voudrais déjà pus… en v’là un muf’e capricieux !

Avec l’agrément de cet agréable muf’e-là, pourrait-on, madame, pincer avec toi le prochain rigodon !

— V’là qu’i fait jour : j’suis échigné, moi, dame ! et toi ?

— Moi pas

Voilà un fainéant qui dort, et qui laisse une pauv’ femme danser toute la nuit !…

— Aurai-je l’honneur de danser un galop avec mosieu le baron ?

— Qu’est-ce que tu payes ?

Doux Jésus ! où que je vas me sauver ? la Félicité qui fait des manières !  !  !


V’là un gueux de petit pékin qui se divertit au bal comme un grain de plomb dans du champagne.

Pus que ça de bouillon ! merci.