Traduction par Fernand Hû.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 21-23).

CHAPITRE VI




LE SAVANT


76 Si l’on voit un homme ayant l’œil de la foudre, comme un trouveur de trésors, exhortant à la continence, et plongé dans la méditation, qu’on honore ce savant-là. Celui qui l’honore s’en trouve plutôt bien que mal.

77 Qu’il reprenne, qu’il commande, qu’il détourne de ce qui n’est pas bien ! Les bons l’aiment, les méchants le haïssent.

78 Pour amis, ne prenez point des méchants, ne prenez point les derniers des hommes. Pour amis, prenez des hommes de bien, prenez les plus éminents des hommes.

79 S’abreuvant de la Loi, le savant vit heureux dans la sérénité de son âme. Dans la doctrine enseignée par les Aryas, il se complaît éternellement.

80 À leur guise, les constructeurs d’aqueducs dirigent l’eau, les faiseurs de flèches plient l’arc, les charpentiers courbent le bois : c’est d’eux-mêmes que viennent à bout les savants.

81 De même qu’un rocher d’un seul bloc n’est point ébranlé par le vent, de même ni le blâme, ni la louange n’ont de prise sur les savants.

82 Semblables à une pièce d’eau profonde, calme et limpide, n’ayant d’oreilles que pour les préceptes de la Loi, les savants vivent dans une sérénité complète.

83 Partout où ils vont, les hommes de bien sont ce qu’ils sont. Le désir des jouissances n’arrache point une parole aux gens vertueux. En possession du bonheur, ou bien en proie au malheur, les savants ne laissent voir ni orgueil, ni abattement.

84 Celui qui, soit pour lui, soit pour les autres, ne désirerait ni un fils, ni des richesses, ni la royauté, qui ne préférerait point son intérêt propre à la justice, celui-là serait vertueux, savant et juste.

85 Bien peu, parmi les hommes, atteignent l’autre rive[1]. Le commun des mortels ne fait que courir le long de cette rive-ci.

86 Après avoir abandonné la fausse doctrine, que le savant médite la vraie. Après avoir quitté sa demeure pour errer à l’aventure, dans un isolement pénible,

87 Qu’il cherche son bonheur dans cet isolement, désormais insensible aux jouissances, et ne possédant rien au monde ! Il mettrait ainsi sa pensée à l’abri de toute agitation.

88 Ceux qui, après que la Loi leur a été convenablement enseignée, vivent en s’y conformant, — ceux-là atteindront l’autre rive. Difficile à traverser est le domaine de la mort.

89 Ceux dont la pensée a médité complètement les différentes parties de la Science Parfaite, qui, délivrés de tout lien, se complaisent dans cette délivrance, qui, ayant détruit en eux le péché, brillent d’un grand éclat, — ceux-là sont affranchis dès ce monde.

  1. L’autre rive, le Nirvâna, le bonheur suprême.