Voyage de Marco Polo, Texte établi par Eugène MüllerDelagrave (p. 289-290).
XXX
Du royaume de Laë.


Après avoir quitté la province de Maabar et allant vers l’occident, on trouve la province de Laë, qui est habitée par les abrajamins (sectateurs de Brahma), qui ont en horreur tout mensonge. Ils n’ont chacun qu’une femme, ils ont en abomination le rapt et le vol, ils ne se servent pour la vie ni de chair ni de vin et ne tuent aucun animal. Ils sont idolâtres et s’attachent aux augures. Quand ils veulent acheter quelque chose, ils considèrent premièrement leur ombre, et suivant le jugement qu’ils forment, ils payent la marchandise. Ils mangent peu et font de grandes abstinences. Ils usent dans leur boisson d’une certaine herbe qui aide beaucoup à la digestion. Ils ne se font jamais saigner. Il y a parmi eux quelques idolâtres, qui vivent très austèrement à l’honneur de leurs idoles. Ils vont tout nus et disent qu’ils n’ont pas de honte de ce qui est sans péché. Ils adorent les bœufs et se frottent avec beaucoup de révérence le corps d’une huile qu’ils font de leurs os. Ils ne se servent point de couteaux en mangeant ; mais ils mettent leur manger sur des feuilles sèches, qu’ils prennent aux arbres qui portent les pommes dites de Paradis (bananiers) ou de quelques autres arbres. Ils ne mangent ni fruits ni herbes vertes, car ils disent que toutes ces choses, si elles sont vertes, ont vie et âme. C’est pourquoi ils ne veulent point les tuer, de peur de faire un grand péché en privant de la vie aucune créature. Ils dorment sur la terre nue et ils brûlent les corps morts.