Le Désert (1895)
Calmann-Lévy (p. 32-34).
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VII

Et le troisième jour au matin, il y eut des tonnerres et des éclairs, et une grosse nuée sur la montagne, avec un très fort son du cor dont tout le peuple dans le camp fut effrayé.
(Exode, XIX, 16.)
Mercredi, 28 février.

Au milieu de la nuit, le fracas du tonnerre nous éveille, immense et terrible ici, dans cette vallée sonore, pleine d’échos. Un vent d’orage secoue nos frêles maisons de toile, menaçant de nous les enlever ; nos chameaux gémissent alentour, sous une ondée torrentielle et soudaine…

Le vent, plus encore que la pluie, est l’ennemi des nomades. Il faut se lever, faire enfoncer à coups de pierre tous les pieux de nos tentes, qui se gonflent comme des voiles, s’arrachent et se déchirent, — et puis attendre, se tenir prêt à n’avoir plus d’abri contre le froid déluge : détresses impuissantes d’infiniment petits, au milieu d’un déchaînement de forces souveraines…

Au-dehors, dans la vallée sinistre, qui s’éclaire de grandes lueurs incessantes, règne une épouvante d’apocalypse ; elle est comme secouée jusqu’en ses fondements, avec des bruits crépitants ou sourds ; on dirait qu’elle tremble, qu’elle s’ouvre, qu’elle s’écroule…

Et puis les coups s’espacent et s’éloignent ; cela devient quelque chose de profond et de caverneux, comme si on entendait, au fond d’abîmes lointains, rouler des mondes…

Et enfin cela s’apaise et se tait…

Peu à peu reviennent à nous le silence, la sécurité et le sommeil.



Au frais matin tranquille, au soleil levant, quand j’ouvre ma tente, une bouffée de parfum m’arrive avec l’air du dehors, si violente qu’il semble qu’on soit venu briser devant ma porte un vase d’aromates. Et toute cette triste vallée de granit est embaumée ainsi, comme un temple d’Orient. Ses rares petites plantes pâles, qui étaient exténuées de sécheresse, ont repris vie sous les ondées de la nuit et répandent à présent leurs senteurs comme des cassolettes innombrables ; on croirait que l’air est rempli de benjoin, de citronnelle, de géranium et de myrrhe…

D’abord je regarde la vallée déserte, si étrange et superbe, au soleil matinal qui fait flamboyer ses pics de granit rouge, sur un fond de nuages noirs, déchirés, rapides, en fuite vers le nord. La tourmente dure encore là-haut, tandis qu’en bas l’air se repose, immobile.

Et après, je regarde la terre, d’où montent tous ces parfums : elle est recouverte de graines blanches, comme de grêlons après une averse…