Despret frères (p. 53-55).

Les voilà triomphants !… Mais, hélas ! aujourd’hui,
Le sombre mausolée où repose celui
Qui du fier Musulman sut dompter la colère,
Profané par la haine et couvert de poussière,
N’offre plus aux regards qu’un marbre sans honneur,
Qu’à peine reconnaît le triste voyageur.
Toi qui sais cet affront, toi, ma chère Belgique,
Qui vis naître autrefois dans ton sein héroïque
Ce valeureux guerrier, patrie, oublîras-tu
Celui qui pour ta gloire a jadis combattu ?
Ton cœur à tant d’affronts serait-il insensible ?
Non, non, ô mon pays ! non, non, c’est impossible !!

Sur un rocher battu par la vague des mers,
Napoléon, miné par des regrets amers,
Victime de l’Anglais, dont il subit l’outrage,
Succombe sous le poids des fers de l’esclavage ;
À l’ombre d’un vieux saule au feuillage penché,
Il gît sous un granit par la mousse caché ;
Point d’aigle, point de nom sur cette pierre nue
Qui recouvre son corps dans une île inconnue !…
Mais !… La France se lève, elle arme ses vaisseaux ;
De l’Océan Joinville affronte au loin les flots,
Et ramène en triomphe, à Paris, sous un dôme,
Près de ses vétérans, la cendre du grand homme
Qui remplit l’univers du bruit de ses exploits,
Et sur leurs trônes d’or fit trembler tous les rois !

Ce que la France a fait pour relever la gloire
D’un héros qui broya sous son char de victoire

Les membres palpitants des vaincus, des vainqueurs,
Qui des mères, vingt ans, a désolé les cœurs,
Ne le feras-tu pas, toi, ma noble patrie,
Pour rendre son éclat à la tombe flétrie
De ce héros fameux dont le bras indompté
Planta notre étendard sur la sainte cité ;
Au chemin de l’honneur qui guida notre armée,
Et sut rendre le calme à l’Église alarmée ?

Sur les parois du temple où ce grand guerrier dort,
Frères, allons inscrire en caractères d’or
Ses exploits et son nom, et que sa grande épée,
Qui dans le sang des Turcs fut si souvent trempée,
Et qui subit encore aujourd’hui tant d’affronts,
Brille d’un vif éclat près de ses éperons !

Lorsqu’on verra régner la paix la plus profonde ;
Quand un réseau de fer sillonnera le monde
Des bords de la Tamise aux rives du Jourdain ;
Quand dans tout l’univers l’Évangile divin,
Sur le peuple épanchant sa limpide lumière,
À longs flots versera le bonheur sur la terre,
Avec le remorqueur, aussi prompt que le vent,
Le Belge franchira les déserts du levant ;
Il ira visiter cette tombe sacrée,
Où jadis reposa la victime adorée,
Ce Jésus, qui, rendant à l’homme tous ses droits,
Sous un facile joug mit le faible et les rois ;
Alors, en contemplant, non pas sans quelques charmes,
Le marbre de celui qui fit briller nos armes :
« C’est ici, dira-t-il en parlant au Sauveur,
» Qu’attend le grand réveil cet illustre vainqueur
» Qui pour ta sainte gloire en dépensant sa vie,
» Rendit à tes enfants la liberté ravie ;
» Mais parmi tes élus, dans les palais du ciel,
» Il jouit maintenant du bonheur éternel.
» Ah ! Seigneur, si jamais ma patrie opprimée,
» Gémissant dans les fers, de douleur abîmée,
» Voulait en appeler au hasard des combats,

» Tu laisserais vers nous, pour guider nos soldats,
» Du valeureux Bouillon descendre la grande ombre ;
» Et de nos ennemis sans regarder le nombre,
» Comme aux champs de l’Asie, il verrait aujourd’hui
» Leurs bataillons vaincus fuir soudain devant lui. »

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