Dumas (p. 172-184).


XII

NUIT HEUREUSE SUR LES JARDINS


Un autre mois de mai exalte les parfums et les couleurs sur les jardins de Pomponiana. Et cette journée-là fut dorée, lumineuse, embaumée entre toutes ; et ce fut jour de grande liesse au domaine : le docteur Ellinor et Mme Galliane ont tenu sur les fonts baptismaux, dans une église d’Hyères, leur petite-fille Marie-Hélène.

On a donné à ce second enfant les noms très chers de la mère de Blanche ; pour la coucher, on a descendu du grenier — où il était soigneusement abrité de la poussière et des vers — le berceau centenaire sculpté avec amour par un ancêtre Galliane dans un tronc d’olivier de Pomponiana. Ce berceau, dont le travail révèle les hésitations et la tendresse d’un artiste naïf, a la forme d’un vaisseau ; il rappelle ceux qu’on voit suspendus en ex-voto dans la chapelle de Notre-Dame-de-Consolation. La figure de proue est un ange gardien ; sur la carène polie et veinée de brun, une date est gravée : 1835. Que fut le petit enfant dont le premier sommeil a été balancé, en 1835, dans cette nef légère ? La fille de Nérée et de Blanche, sur qui se penchent tant de tendresses et d’espoirs, commence sereinement la grande traversé sur son petit navire vieux de plus de cent ans.

Toute la journée, la joie a bourdonné sur cette terre heureuse. À l’ombre des arbres, que les ouvriers illuminèrent le soir, une table digne des noces de Cana avait été dressée pour le personnel du domaine et les braves gens de l’Almanarre cordialement invités. Maintenant, le divin silence nocturne a remplacé les chansons et les rires ; et les marmots poursuivent dans leur sommeil des rêves de dragées et de brioches. Un dernier lampion, orange lumineuse, brûle au-dessus de la porte de Carini.

Mme Galliane, pour obéir à ses enfants, s’est couchée avant qu’il soit tard ; mais elle ne dort pas, ne désire point le sommeil ; elle veut s’enchanter encore, toute seule, du bonheur de cette journée et de toutes les espérances qu’elle fait éclore.

À la lueur atténuée d’une veilleuse, elle promène son regard et sa pensée sur tous les détails de la chambre… La grande armoire provençale sent une bonne odeur de cire et de lavande. Elle recèle des piles de beau linge, des richesses et souvenirs de toutes sortes, les bijoux et colifichets dont se parait la dame lorsqu’elle était jeune et jolie. Dès qu’on tourne la clé dans la serrure ouvragée, une bouffée du passé heureux vous monte au visage et vous mouille les paupières… Aux murs sont les images chéries : le mari en son ardente jeunesse, puis, souriant en sa maturité ; le fils, petit enfant, lycéen, officier d’aviation, puis côte à côte avec sa jeune femme et enfin tenant son enfant sur ses genoux. Il y a aussi un grand dessin au pastel du domaine de Pomponiana, presque aussi cher au vieux cœur que les figures aimées. Sur le guéridon ovale, les quelques livres que la vieille dame aura le plus souvent feuilletés : les Évangiles, un manuel d’horticulture et Miréïo, de Mistral, dans la belle langue aux syllabes d’or. Enfin, il y a le grand lit en palissandre où elle dormit quarante-cinq ans auprès de l’homme uniquement aimé ; le grand lit sur lequel son petit corps presque immatériel pèse si peu aujourd’hui.

Elle contemple pieusement ces vieux objets, compagnons de toutes ses heures, et voilà que ses yeux se troublent ; les larmes coulent et mouillent l’oreiller. Chagrin ? Regret ? Non : ce sont des larmes d’amour pour les êtres et les choses ; ce sont des larmes de reconnaissance envers le destin. Elle sent que la vie l’a comblée ; et, comme elle a coutume de le faire aux heures d’insomnie, elle se met à prier à mi-voix :

— Qu’ai-je donc fait, mon Dieu, pour que vous m’accordiez une si douce vieillesse ? Dans votre royaume où vous allez bientôt m’appeler, pourrez-vous m’offrir plus d’amour, de paix heureuse et de beauté ? Votre divin paradis sera-t-il plus beau, mon Dieu, que ces jardins, ces forêts odorantes, cette mer ?… Seigneur, je répondrai avec soumission à votre appel ; je sais que j’ai fait mon temps sur la terre… mais laissez-moi encore un peu dans ce monde que j’aime tant ; accordez-moi de vivre assez pour voir ma petite-fille me sourire et qu’elle se souvienne de moi…

Blanche, qui vient de monter légèrement l’escalier, s’est arrêtée un instant avant de pousser la porte.

— Mère, dit-elle en entrant, vous n’êtes pas raisonnable. Après cette journée fatigante, vous devriez dormir.

— Je disais mes prières, ma charmante.

— Il est trop tard.

— Vous pensez que le Bon Dieu est couché et qu’il ne m’écoute plus ? Eh bien, je vais me taire. Nos deux petits hommes sont-ils endormis ?

— Pomme dort depuis longtemps ; quant à Marc, il a obtenu, ce soir, un sursis exceptionnel : il a toujours tant de choses à dire à son grand-père !

— Et que fait notre Nérée ?

— Mon grand fou de Nérée, malgré mes objurgation, est allé prendre sa fille qui pleurait dans son berceau et la promène triomphalement sous les étoiles.

— Ma pauvre enfant, que vont devenir toutes vos belles théories de… — comment dites-vous ?

— De puériculture ? Eh bien ! maman, elles auront le sort de toutes les théories… Les principes de la puériculture sont une bonne chose ; mais c’est chose excellente aussi qu’un tout petit enfant soit promené sur les bras paternels. Lorsque je vois notre poupée tendrement pressée sur la poitrine de son père, j’imagine qu’au delà de la conscience, une mystérieuse osmose s’opère entre ce grand cœur d’homme et ce petit cœur à ses premiers battements ; et la vie entière de notre fille, peut-être, en restera marquée.

— Ce n’est pas impossible… J’aime bien cette idée. Et je crois que si un bébé a besoin d’un lait pur et d’hygiène, il ne lui est pas moins indispensable d’être couvé avec amour, choyé et caressé… Voyez-vous, ma fille, il n’est que l’amour ! Aimer est le mot qui répond à toutes les questions, résout tous les problèmes… Dieu merci, l’amour n’est pas ce qui manque sous notre toit. Avez-vous vu comme votre père était transfiguré en lisant cet article de la Revue Médicale ? Je crois qu’en cette journée si douce pour nous, c’était peut-être lui le plus heureux.

— Peut-être.

— Je crains de n’avoir pas très bien compris ces questions de médecine ; je n’ai pas osé poser au docteur des questions sottes. Vous m’expliquerez…

— Oui, mère ; mais peu nous importent ces détails scientifiques ; l’essentiel est que la thèse de mon frère ait provoqué le plus vif intérêt. Un jour, on citera le nom de Claude Ellinor parmi ceux des léprologues éminents, c’est-à-dire des bienfaiteurs de l’humanité souffrante. Mon père ne peut être insensible à cela.

— Et nous verrons bientôt ce jeune grand savant ?

— Il est en route, à bord de l’Arizona qui arrivera dans vingt jours à Anvers.

— Dites-moi, Blanche, il ne nous reprendra pas notre petit Marc, au moins ?

— Il ne le pourrait pas, maman. Après un court repos parmi nous, Claude doit partir pour la Roumanie où la lèpre est en recrudescence. Que ferait-il de l’enfant ?

— C’est mieux ainsi ; car, vous savez, s’il fallait, maintenant, enlever ce petit à son grand-père…

De la cuisine, montent des bruits d’ustensiles entrechoqués, les roulades et les éclats de rire de Fine et de la jeune bonne qu’on dut lui adjoindre depuis que la maison compte trois enfants. C’est un tel vacarme que Blanche s’en offusque :

— Ces deux folles oublient que vous êtes couchée. Je vais les faire taire.

— Non, ma fille, je vous en prie. Je n’aime pas le silence. Rien ne berce mieux mon repos que les voix joyeuses et les rires… — les bruits de la vie !

Au jardin, sous le grand poivrier, le docteur Ellinor fume une dernière pipe, son petit-fils appuyé à ses genoux, et suit des yeux le va-et-vient de son gendre le long des allées. Avec d’infinies précautions, Nérée promène une blancheur légère comme un flocon. Tous les dix pas, il s’arrête pour l’admirer, l’adorer, émerveillé comme si un astre du ciel lui était tombé dans les bras.

— Père, dit-il en passant, vous n’avez pas l’air de croire que ma fille me reconnaît ! Pourtant, voyez : dès qu’elle est sur mes bras, elle cesse de pleurer, s’épanouit et prend ses aises. Là, elle se sent en pays conquis !

— Mais j’en suis persuadé, mon ami. Si une fille de six semaines ne connaissait pas son père et ne le préférait pas à tout le reste de la création, il y aurait lieu de désespérer de la nature humaine !

Le petit Marc, un pli au front, considère le groupe qui s’éloigne :

— Dis, pépé, c’est-il vrai que la Néréide aura quarante-neuf petites sœurs ?

— Euh… ce n’est pas bien sûr. Il faudrait, tu comprends, agrandir beaucoup la maison ; pour cela, on devrait arracher les plus beaux arbres…

— Oh ! alors je suis tranquille ! L’oncle Nérée n’arrachera pas les arbres.

— Dis-moi, Marc, tu es un peu jaloux de ta petite cousine ?

— Moi, pépé ? Je serais jaloux de cette mioche qui ne fait que dormir et piailler ? Et puis c’est une petite sale… Et puis, tu sais, elle est déjà chauve — à son âge ! Seulement, faut pas le faire remarquer à tantine, qui la croit jolie. Je ne le dis pas non plus au gros Pomme, qui n’y connaît rien et pense que sa petite sœur est une beauté !

Non, Marc n’est pas jaloux, mais un peu agacé tout de même de voir la Néréide passer de bras en bras, comme une petite idole, tandis que lui connaît déjà l’irréparable disgrâce d’être « trop grand ».

— Pépé, veux-tu me prendre un tout petit moment sur tes genoux ?… Je ne suis pas trop lourd ?… Si je te fatigue, tu le diras ?

— Sois tranquille. Tu n’es pas encore trop lourd pour mes forces.

Un bras tendre entoure le corps menu et, sous la belle main sensible, le cœur de l’enfant bat vite, vite, comme un cœur d’oiseau.

Le docteur a laissé s’éteindre sa pipe et rêve… Il songe au fils qui revient vers lui sur l’Océan — qui revient de si loin… Il songe à sa propre vie renouvelée, refleurie comme un arrière-été lumineux.

— C’est lui qui avait raison. Il a toujours raison.

Lui, c’est son gendre, ce Nérée à qui l’attachent de si puissants liens ; ce Nérée qu’il aime presque autant que Blanche…

Petit Marc sent que l’esprit de son grand-père s’est évadé ; pour le rappeler à lui, il se fait un peu plus lourd, appuie sa tête à cette poitrine qu’il considère comme sa propriété privée. Et le grand-père, qui a compris, sourit dans l’ombre et resserre doucement son étreinte.

Ce fils de Claude… le docteur Ellinor n’avait-il pas déclaré de son grand air inflexible : « Il ne m’est rien » ?

La première fois que le docteur accepta de venir déjeuner à Pomponiana, Nérée et Blanche furent en grande perplexité : quel parti prendre au sujet du petit Marc ? Si la présence du petit-fils allait éloigner le grand-père ? Si l’homme autoritaire allait croire qu’on veut forcer ses sentiments ?… Il fallait user des plus grandes précautions. On imagina une excursion et un déjeuner sur la plage d’Hyères, où la femme de Ramillien conduirait tous les enfants du domaine, sauf Pomme, encore trop petit. Et, deux ou trois fois, on recourut à des subterfuges de ce genre. Chacun se gardait de toute allusion à l’enfant. Pomme avait eu quelquefois la langue un peu trop longue ; mais le docteur n’avait pas paru y prendre garde.

Le hasard se chargea de ménager la rencontre entre le grand-père et le petit-fils. Un matin, le docteur Ellinor fut appelé au chevet d’un malade à la villa Olbia. Il laissa son automobile à l’entrée du domaine où il se proposait de faire une visite à ses enfants.

Comme il rejoignait sa voiture, son attention fut attirée par un groupe de marmots qui s’ébattaient sous les palmiers : c’étaient les héritiers de Labarre, Carini et Ramillien, embrigadés et subjugués par un autre petit homme dont le ton et l’allure décidée leur avait imposé dès le premier contact.

Avec curiosité, le docteur se dirigea vers le groupe, alla droit au personnage important qui menait le jeu et lui souleva le menton :

— Comment t’appelles-tu, mon petit ?

L’enfant le toisa d’un air méfiant et moqueur :

— Je m’appelle Moustique.

— Moustique ? Ce n’est pas ton vrai nom. Voyons, dis-moi comment tu t’appelles.

— Ben… et vous ?

Le grand monsieur se pencha jusqu’à mettre son visage au niveau de la frimousse espiègle et répondit :

— Moi, je m’appelle Marc Ellinor.

Avec un accent gavroche acquis on ne sait où, le petit répliqua :

— Sans blague ?

— Et pourquoi serait-ce une blague ?

— Ben, parce que, moi aussi, je m’appelle Marc Ellinor.

— Je m’en doutais un peu… Viens par ici.

Un banc s’offrait à quelques pas. Le docteur s’y assit, attira à lui le petit garçon.

— Regarde-moi.

Il considéra les yeux ; d’un revers de main, rebroussa la chevelure brune et drue, palpa les épaules, les bras, les cuisses de sauterelle… Un peu mince, tout cela ; mais la chair était saine et ferme.

— Fais voir tes dents… Bien. Montre tes mains.

— Monsieur, elles sont sales.

— Fais-les voir quand même.

Il examina les doigts longs, la forme des ongles, et rit dans sa barbe :

— Un Ellinor pur sang !

Pendant cet inventaire, un travail s’accomplissait dans le cerveau de Moustique. Il dévisagea gravement le monsieur et demanda :

— Vous êtes peut-être mon grand-père ?

— Oui, petit Marc Ellinor, je suis ton grand-père.

Alors, l’enfant appuya ses deux mains sur les genoux de l’homme et regarda profondément la figure penchée sur lui.

— Ah ! c’est toi ? Tu es donc revenu de tes voyages ? Alors, dis, tu ne t’en iras plus ?

Cette tranquille prise de possession, ce tutoiement soudain bouleversèrent Ellinor au point de le laisser sans voix. Le petit poursuivait son examen :

— Tu sais pas ? Mon papa disait que je te ressemblais. Moi, je ne trouve pas… D’abord, t’as une barbe !

— Il te parlait quelquefois de moi, ton père ?

— Oh ! souvent.

— Que te disait-il encore ?

— Que tu étais un monsieur pas commode, mais chic.

Il mit sur ce dernier mot un long point d’orgue. Puis il conclut :

— Je suis bien content de t’avoir trouvé !

Les mains fébriles du docteur cherchaient encore à reconnaître la forme de ce petit homme issu de lui. Il sentait son propre cœur dilaté à se rompre. Aurait-il jamais cru que l’appel du sang soit aussi impérieux ?…

Le silence s’est fait sur la maison heureuse. Les deux servantes bavardes sont couchées ; la vieille maman rêve ou prie. La Néréide, paupières closes, rit aux anges dans son petit navire en bois d’olivier qui cingle vers le long avenir. Pomme et son cousin Marc dorment côte à côte dans leurs lits jumeaux, enveloppés de la même tendresse vigilante. La voiture du docteur Ellinor file sur la route de Toulon vers le devoir quotidien ; mais la demeure solitaire est éclairée maintenant de tous les flambeaux de l’espérance…

Blanche est venue rejoindre son mari sur la terrasse :

— Enfin, on se retrouve ! soupire-t-elle.

Nérée l’attire dans le large fauteuil rustique où l’on peut tenir deux en se serrant.

— Nous deux, on se retrouve toujours, dit-il. Heureuse ?

— Trop pour trouver les mots qui l’exprimeraient.

— De quelle pierre blanche marquerons-nous cette journée ?

— De deux perles pures : l’une pour le baptême de notre petite enfant, l’autre pour le succès de Claude.

— Ma chérie, ajoutons une perle noire.

— Une perle noire ?

— Pour la pensée de Mme Horsel.

En effet, le matin, pendant qu’on s’affairait aux préparatifs du baptême, est arrivé de Paris un léger envoi : c’est le livre de Diane Horsel, tout fraîchement imprimé, le livre où la conquérante aux mains vides traduit avec une mélancolie passionnée le sortilège des jardins de Pomponiana, chargés d’histoire, de poésie et d’humanité.

La page de garde porte une sobre dédicace : « Aux trois heureux, aux trois sages de Pomponiana. » Et c’est tout ce que l’on saura désormais de la femme sans foyer qui vint souffrir ici des dernières convulsions de sa jeunesse.

Blanche reste un moment pensive et murmure :

— Ta perle noire fut d’abord un charbon ardent.

— Ne regrettons rien. Il était peut-être nécessaire que Mme Horsel passât. Certains êtres pénètrent dans notre vie comme un ferment.

— Un microbe !

— Non, j’ai bien dit : un ferment ; capable de déterminer de mortelles décompositions ou de multiplier les germes de vie. Si Mme Horsel n’avait pas traversé notre route, nous ne serions peut-être jamais descendus au plus profond de nous-mêmes et nous ne saurions pas de quel métal inattaquable est fait notre amour.

— Tu as raison. Et puis je suis persuadée que cette pauvre femme troublée emporta d’ici, sans en avoir conscience encore, une promesse d’apaisement, de sérénité, d’harmonie intérieure. Il ne se peut pas qu’elle ait passé là en vain.

— La dédicace de son livre le laisse espérer.

Ils se taisent et leurs deux pensées voyagent de conserve. Peut-être songent-ils qu’un grand amour est souvent l’œuvre d’un grand courage. Le leur, Blanche l’a audacieusement voulu, au prix de tous les risques ; et Nérée, aux heures difficiles, a su le maintenir plus haut que toutes les menaces.

L’heure est ineffablement suave et solennelle. Les rossignols ont fait silence dans le Bois Sacré d’Olbia ; le vent nocturne, à grands coups d’éventail, apporte l’âme de toutes les fleurs et, plus frais, les baumes de la forêt ; la voix assoupie de la mer n’est plus qu’un murmure amoureux ; le vaste éclair du phare de Porquerolles dit l’émouvante veille de l’esprit humain sur les éléments domptés.

Nérée et Blanche voient se dérouler devant eux la longue suite des années à venir. La ronde des saisons tournera selon son rythme immuable ; fête des mimosas et chant du rouge-gorge ; grappes de lilas et feuilles nouvelles aux figuiers ; puis les roses, les rossignols, la floraison capiteuse des pittospores et des orangers, la stridulation ardente des cigales ; puis les vendanges opulentes et la récolte des olives ; enfin, les brefs hivers sans rigueur qui vous rassemblent, coude à coude, autour des flambées pétillantes de pommes de pins et de souches d’oliviers.

Les jardins seront de plus en plus beaux ; on plantera de nouveaux arbres ; d’autres enfants naîtront, s’épanouiront dans la tendresse, dans l’humble et chaude poésie quotidienne. Cet homme et cette femme qui s’aiment suivront avec certitude la route tracée par les anciens, toujours plus étroitement appuyés l’un sur l’autre, leurs deux pas accordés, une seule pensée en deux cerveaux, la main tendre serrée dans la main forte.

Parmi tant d’ambitions qui les pouvaient tenter, ils ont choisi la plus modeste et non pas la moins haute : s’aimer, aimer leur terre et perpétuer leur race.

Et, tandis qu’ils s’enchantent de la magie nocturne et de leur rêve commun, mille racines, mille germes s’abreuvent puissamment à la glèbe rouge, inépuisable réservoir de forces, de vertus héréditaires et de bonheur.

FIN