A. Maloine (p. 21-30).

CHAPITRE III modifier

Après avoir décrit les bandes et les ceintures antiques, je vais étudier en( détail les modifications subies, après la chute de l'empire romain, par l'habillement des femmes.

Lors de la période de la décadence de Rome, on comprenait sous le nom de Gaule — Gaule transalpine — le vaste territoire borné par l'Océan Atlantique, la mer de Germanie, le Rhin dans tout son cours, les Alpes occidentales, la Méditerranée et les Pyrénées; c'est-à-dire notre France actuelle, plus la Belgique, une partie de la Hollande et de l'Allemagne, l'Alsace-Lorraine et la Suisse presque entière. Pour la première fois en 154 les Romains, appelés par les Massaliotes contre les peuplades voisines de leur ville, pénétrèrent dans la Gaule transalpine, s'emparèrent rapidement de la partie sud-est à laquelle ils donnèrent le nom de Province, fondèrent en 122 la plus ancienne colonie romaine dans la Gaule : la ville d'Aquae Sextiœ (Aix) et plus tard encore en 118 celle de Narbo-Martius, actuellement la ville de Narbonne.

Les Gaulois s'aperçurent vite que, dans leur protecteur, ils avaient un maître qui bientôt conquit tout le pays et fit mourir par la main du bourreau leur dernier défenseur Vercingétorix.

Sous l'influence de l'administration impériale, la Gaule devint promptement romaine de mœurs et de langage.

« Les chroniqueurs, qui ont traité du costume dans les Gaules ne sont pas nombreux et leurs conclusions reposent sur des données bien peu précises, car les quelques manuscrits qui sont parvenus jusqu'à nous, ne s'occupent pas des accessoires du costume féminin. Malgré le manque de documents exacts, les historiens sont unanimes à reconnaître que les Gallo-Romains suivaient les modes de Rome et portaient sous la stola ou tunique, le strophium ou le capitium. »

« Au milieu des calamités qui, du troisième au cinquième siècle, replongèrent l'Europe dans la barbarie en faisant disparaître l'empire d'Occident envahi par les hordes innombrables des peuples du Nord, la coquetterie ne perdit pas tout à fait ses droits. Les femmes des rois Franks sont à la vérité représentées pour la plupart au portail de nos églises, dans les caveaux de Saint-Denis, avec des robes d'une coupe fort simple, semblables aux blouses ou peignoirs de nos dames, ou si l'on aime mieux aux longues tuniques des femmes romaines et fixées uniquement par une ceinture étroite, sans que rien indique d'autres pièces de vêtement destinées à marquer ou à contenir les formes, souvent cachées en outre, par une guimpe pareille à celle de nos religieuses.

Fig. 18. — Clotilde, femme de Clovis Ier

Mais quelques rares monuments, certains documents historiques font retrouver, même à cette époque les traces d'une mise plus élégante, de ces robes justes au corps, dessinant la taille depuis le cou jusqu'aux hanches, qui, suivant Herbe, peuvent être nommées à juste titre les robes françaises, comme ayant appartenu dès l'origine à la nation Franque.

Toutefois, les femmes de ce temps ne connaissaient pas les corsets et l'on n'est point fondé sous ce rapport à regarder ceux-ci comme une invention gothique, ainsi que l'ont fait quelques auteurs. » Sous la dynastie des Mérovingiens qui s'étend de Mérovée, son fondateur, vers l'an 450, ainsi que sous la dynastie des Garlovingiens qui lui succéda élevant au trône en 752 Pépin le Bref, les femmes continuèrent l'emploi des ceintures romaines.

Il suffit d'étudier les sceaux des Ve, VIe, VIIe et VIIIe siècles pour voir que pendant toute cette période l'habillement se composait d'une longue tunique serrée par une ceinture placée au-dessous de la poitrine et que la coquetterie à cette époque était à peu près nulle.

Une longue suite de siècles en effet était nécessaire pour qu'une civilisation nouvelle polît les mœurs des États barbares élevés sur les débris de l'Empire romain.

Le costume des femmes conserva longtemps une grande simplicité dans la classe roturière opprimée et misérable. Ce n'est guère qu'après le Xe siècle, que les riches bourgeois rivalisèrent de luxe avec la noblesse. Les premiers Capétiens, dont l'avènement au trône eut lieu en 987, virent commencer une révolution dans le costume, mais d'après les recherches de Quicherat, ce n'est que sous le règne de Louis VI le Gros et de Louis VII le Jeune, au XIIe siècle par conséquent, que l'on vit apparaître les robes moulant le haut du corps et le corsage séparé de la jupe.

Les statues des portails de Saint-Germain-des-Prés, de l'abbaye de Saint-Denis, des cathédrales de Paris et de Chartres, des églises de Sainte-Marie de Nesle, de Sainte-Bénigne de Dijon, etc., dont plusieurs sont aujourd'hui à Saint-Denis et au musée de Gluny, ont été, dit Racinet, J'objet d'examens approfondis. La preuve est acquise au-aujourd'hui que les artistes des XIe, XIIe et XIIIe siècles,ayant à représenter des personnages appartenant aux ve et vie siècles, leur ont fait porter les costumes qu'ils avaient sous les yeux. Cela s'est fait ainsi pendant tout le moyen âge. Clovis et Ghildebert, Clotilde et Ultrogothe leurs épouses n'ont jamais porté qu'en sculpture des costumes qui ne furent répandus en Europe qu'à la suite des premières croisades.

C'est ainsi que les statues — reproduites ici d'après cet auteur — de Clotilde, femme de Clovis Ier et de Haregonde, femme de Clotaire Ier et qui se trouvent, la première, au portail de Notrc-Dame-de-Corbeil, et la seconde au portail de Notre-Dame de Paris sont les types les plus complets du costume féminin au XIIe siècle.

Il se compose d'un corsage ajusté au plus près, prenant le ventre, n'ayant qu'une ouverture de dimension restreinte au haut de la poitrine et lacé dans le dos.

Le corsage, le justaucorps, était d'une sorte de tricot de soie crépelée, si élastique, si souple, que la tension sur les seins faisaient disparaître la gaufrure de l’étoffe. Les femmes, dit Dulaure, s’appliquaient à montrer qu’elles étaient en « bon poinct ».

Dans son ouvrage des Costumes Français, Herbe dit que sous Charlemagne la robe des femmes était si collante que non seulement les côtes, les seins se dessinaient à travers ce vêtement, mais encore l’ombilic.

Fig. 19. — Haregonde, femme de Clotaire Ier.

Dans le Lai de Lanval, poésie de Marie de France (XIIIe siècle), on trouve confirmation de ces détails de toilette :

Unques n’eut veues si bêles
Vestues, furent richement,
Et laciées estreitement
De deux bliauts (robes) de purpre bis.

Ainsi que dans le Lai de Gugemer, du même auteur ;

Il la retint entre ses bras,
De son bliaut trança les laz,
Sa ceinture voleil ovrir. Les variantes des costumes féminins ne semblent pas avoir été considérables pendant le xne siècle. En avançant on exagéra d’abord les modes byzantines, les manches traînèrent à terre et le corsage ajusté, moins prolongé fut encore rendu plus étroit.
« L’habillement des princesses et des dames nobles suivit le caprice de la mode, les mœurs et les vicissitudes des temps : riche et coquet à la cour brillante de Charlemagne ; simple et plus couvert dans l’entourage du dévot Louis le
Fig. 20. — Cotte hardie.
Débonnaire ; bientôt après de nouveau plus découvert et juste au corps, il fut plus élégant encore sous Philippe-Auguste et même sous Louis IX ou plutôt sous la régence de la belle Blanche de Castille sa mère, malgré la modestie affectée avec laquelle hommes et femmes s’enveloppèrent alors de la tête aux pieds par dessus les premiers vêtements. »

À cette dernière époque, c’étaient surtout les robes elles-mêmes, presque toujours au nombre de deux superposées, qui remplissaient l’office des corsets modernes par la ma nière dont elles s’adaptaient exactement à la taille et dont elles en dessinaient les moindres contours ; on appelait cotte hardie ces robes traînantes et sans ceinture au corsage extrêmement collant.

Déjà, s’il faut en croire Herbe, sous le règne si pudique de Louis IX, on les cousait pour ainsi dire sur le corps, tant elles étaient ajustées avec art ; on y retrouve souvent soit par devant, soit en arrière, le lacet qui serre les corsets.

Fig. 21. — Robe du XIVe siècle.

L’auteur de la vie de sainte Thaïs qui vivait au XIIe siècle, nous apprend que les françaises étaient « si étroitement lacées qu’elles ne pouvaient plier ni leur corps, ni leurs bras. »

Les robes sont si étroites par le faux du corps, écrit Pierre des. Gros, que à peine peuvent les dames dedans respirer et souventes fois grand douleur y souffrent, pour faire le corps menu.

« Cette pièce ajustée sur le buste comme une cuirasse, se nommait gipe ou gipon, première l'orme du mot jupe. Ainsi à l'origine, et longtemps après, le gipon ou jupon était un vêtement qui ne se portait que sur la partie supérieure du corps. »

« C'est surtout du xnie au xve siècle que les dernières traces du costume romain disparaissent peu à peu, on voit les femmes adopter presque généralement les robes à corsage serré, laissant ordinairement à découvert le cou et le haut de la poitrine, scopoto gutture et collo, comme disait, en 1340, le frère Galvani de la Flamma. »

Les deux costumes de femme que j'ai fait reproduire ici d'après un manuscrit italien du xive siècle, Roman de Saint Graal, montrent ce qu'étaient à cette époque les robes à corsage collant. D'une part l'absence de fermeture en avant du vêtement, d'autre part la façon très ajustée de la partie de la robe qui couvre la région supérieure du tronc, nécessitait en arrière, la présence d'un lacet pour fermer et serrer le corsage.

Fig. 22. — (1386) Comtesse d'Auvergne

La pièce la plus caractéristique de l'habillement des femmes sous les rois Jean-le-Bon (1350-1364) et Charles V (1364-1380) fût le vêtement appelé corset fendu sur les côtés.

C'est la première fois que nous voyons ce mot corset apparaître et ce terme n'a aucun rapport avec le corset tel que nous le comprenons. C'était, dit Demay dans son livre sur Le Costume au Moyen âge, un manteau que l'on portait sur le surcot échancré et qui était formé de deux pièces ; l'une sur le devant très petite descendait un peu plus bas que la poitrine, l'autre plus longue tombait par derrière. Les deux pièces se réunissent sur chaque épaule laissant le bras tout à fait libre et découvert. La duchesse de Bourgogne, Jeanne de France, en 1340, et Jeanne de Clermont, comtesse d'Auvergne, en 1386, dont le buste est ici reproduit d'après un sceau, semblent parées de cette petite mante qu'on appelait le corset fendu.
Fig. 23. — Gentilhomme présentant son cœur à une demoiselle (1360)

Ce n'est du reste pas le seul vêtement, qui fût désigné sous le nom de corset, car un peu plus tard la mode vint pour les gentilshommes de porter de fausses épaules d'une largeur extrême appelées mahoîtres, par dessus lesquelles ils mettaient un pourpoint si ajusté et si serré à la taille qu'on l'appelait : le corset sanglé.

De même, on appela aussi corset court, un surcot serré par une ceinture et que portaient les écuyers. Dans une lettre de remission de 1359, jupon est synonyme de corset ou garde-corps : « Osterent avec ce ans dictes femmes troys jupons appelez corsez. »

Avec le XIVe siècle se termine la deuxième époque de l'histoire du corset : cette période, n'est qu'une période de transition; elle nous lègue le mot corset, sans que cependant ce terme français se rapporte à une partie du vêtement féminin qui soit comparable au corset proprement dit ; elle fait plus toutefois, puisque abandonnant progressivement les bandelettes antiques, elle les perfectionne et met au jour les corsages ajustés sans que cependant l'usage de ceux-ci devienne général.
L'ESSAI DU CORSET (A. WILLE)