Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/31/04

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 852-854).


IV

GRAVURE DE L’INSCRIPTION


18. Les inscriptions qui nous sont parvenues ont été exécutées en vue de multiples besoins. Leurs auteurs avaient le désir :

a) De peindre sur un vase ou de graver sur des plaques de métal des dédicaces aux divinités ;

b) De sculpter sur le socle d’une statue, au frontispice d’un temple ou d’une demeure, une mention honorifique, une invocation pieuse, une consécration ;

c) De rappeler le souvenir des particuliers, des villes, des empereurs, des corporations, des corps constitués, qui construisaient ou réparaient un monument public, un édifice religieux ;

d) De célébrer, en une épitaphe plus ou moins pompeuse, les vertus, le courage, les qualités d’un mort bien-aimé auquel on élève un modeste cippe en pierre, un mausolée, un autel richement décoré, ou dont une urne funéraire, un sarcophage, enferme les restes ;

e) Enfin, d’inscrire sur la pierre, le marbre, le bronze ou d’autres matières, un acte public ou privé : loi, édit, sénatus-consulte, document impérial, diplômes ou listes militaires, décision judiciaire, fastes consulaires et triomphaux, textes religieux, actes municipaux, décrets de collèges, ventes ou contrats individuels.

19. Ainsi les motifs les plus divers sont la raison d’inscriptions sur des objets fort dissemblables. Il est aisé, dès lors, de concevoir que, dans la plupart des circonstances, le graveur ne pouvait être également le rédacteur. On sait, en outre, que parfois, soit lors de la gravure, soit avant son exécution, le texte était soumis à un personnage auquel on peut donner le titre de « correcteur », et que des modifications étaient apportées ou imposées à la rédaction primitive. Il semble aussi que deux graveurs différents pouvaient collaborer à une même inscription.
xxxx Dans maintes circonstances, en effet, la gravure comporte :

a) Des caractères dissemblables, qui dénotent bien l’emploi de deux artistes différents ;

b) Des surcharges, des corrections, des grattages, exécutés par une main autre que celle qui tailla les lettres premières ;

c) Pour des raisons politiques, militaires ou religieuses, le texte a été martelé ou enlevé en certaines parties : 1° des fractions de mots sont restées visibles, dont l’emploi dans la phrase ne s’explique pas ; 2° des noms nouveaux ont été gravés, laissant apparaître sous la deuxième gravure des lettres de l’inscription primitive ; 3° enfin, les termes disparus n’ont pas été remplacés, et la rédaction présente une lacune de plus ou moins d’étendue.
xxxx Mais il n’est pas que des inscriptions maquillées, il en est aussi d’incomplètes :

a) Le Corps de l’inscription rédigé et gravé, le personnage qui en faisait l’objet ne devait être mentionné qu’à une époque déterminée : des motifs inconnus ont empêché la réalisation du projet, et l’emplacement réservé est resté sans gravure ;

b) Dans ce même ordre d’idées on peut signaler les abréviations volontaires dont les graveurs usaient fréquemment : 1° soit pour les noms propres et les surnoms dont une ou plusieurs syllabes permettaient toutefois de conjecturer aisément la lecture ; 2° soit pour les termes d’usage courant avec lesquels le public était familiarisé ; 3° soit, enfin, pour les souhaits de paix, de bonheur, de repos, les formules de malédiction ou les expressions de reconnaissance ;

c) Le nom a été soit entièrement, soit en partie, enlevé et n’a été remplacé par aucun autre, comme il a été dit plus haut.
xxxx Dans ces circonstances la reproduction typographique des inscriptions est particulièrement difficile :

a) Les caractères dissemblables ne peuvent que s’indiquer à l’aide de fontes d’œils différents ;

b) Pour les surcharges et les corrections qui laissent apparaître le texte primitif, il est indispensable que l’auteur ait recours à la gravure ;

c) Pour les grattages dont le seul résultat a été de rendre moins visible, d’abîmer la surface de la lettre, le typographe est dans la nécessité « d’égratigner » l’œil du caractère à la lime, au canif ou de tout autre manière, afin de simuler l’aspect réel de la gravure ;

d) Enfin l’auteur peut restituer le texte des lacunes ou, en cas d’impossibilité de restitution, figurer ces lacunes à l’aide de l’artifice habituel.

20. À l’examen d’un grand nombre d’inscriptions la manière de travailler des tailleurs de lettres a pu être reconstituée :

a) En tenant compte du plus ou moins grand nombre de mots qu’elle devait contenir, la pierre était d’abord réglée, c’est-à-dire que le graveur traçait des lignes horizontales lui assurant la régularité de sa gravure : sur des pierres brisées dont on a juxtaposé les morceaux, on a pu constater la concordance du texte et du réglage ;

b) Un schéma de l’inscription était tracé : 1° à l’aide d’une substance laissant des traces suffisamment nettes et visibles, l’artisan esquissait la répartition du texte, afin de donner, par une disposition convenable, un aspect satisfaisant ; 2° après un examen sommaire de la rédaction, l’artiste, à l’aide du ciseau, gravait d’abord la lettre peu profondément, à la surface en quelque sorte, et achevait son travail si l’arrangement répondait à son goût ou à ses préférences artistiques et aux ordres qui lui avaient été donnés ; 3° si ces conditions n’étaient pas remplies, il faisait disparaître son premier travail et modifiait l’ordonnance du texte ; mais il arrivait parfois que les traces de la première disposition subsistaient : l’œil du lecteur pouvait les distinguer, ce qui ne manque pas de créer des embarras aux archéologues actuels ou de donner prise à des confusions.
xxxx De manière générale, la reproduction typographique néglige ces détails : si leur connaissance est considérable au point de vue de la technique et de l’histoire, leur importance est, le plus souvent, nulle au point de vue du texte typographique ; si, pour des raisons particulières, l’auteur désire indiquer la figuration exacte, il fournit une photogravure ou un dessin.