Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/31/01

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 843-847).


I

LES ALPHABETS


2. L’alphabet grec fut importé à Rome par l’intermédiaire des colonies athéniennes de l’Italie et de Sicile et servit à former l’alphabet romain. Mais, au cours des temps, cet alphabet subit des changements importants : quelques-uns des caractères qui le composaient disparurent, alors que de nouvelles lettres étaient créées et employées momentanément ou conservées définitivement.

3. Les différents genres de caractères que les archéologues rencontrent sur les monuments romains sont, pour l’étude de l’épigraphie, classés en trois catégories :

a) L’alphabet archaïque n’est autre chose que l’alphabet grec lui-même légèrement modifié. Toutefois, cet alphabet n’est pas aussi ancien que son nom le laisse supposer : aucun document écrit des temps de la Rome primitive n’a été conservé ; les spécimens les plus curieux qui soient restés de la gravure romaine (monnaies, cistes ou miroirs) ne remontent pas au delà de la deuxième moitié du ive siècle de la fondation de la Ville ; à partir du ve et surtout du vie seulement, il est possible, grâce à des textes épigraphiques assez nombreux, d’étudier et d’analyser avec fruit les caractères de l’alphabet latin archaïque. La figure 1, empruntée à M. Fr. Lenormant[1],
Fig. 1. — Alphabet latin archaïque.
donne le tableau des principales formes des lettres de cet alphabet.

L’alphabet archaïque ne comprenait que vingt et une lettres : il n’avait point de signes correspondant au θ (thêta), au φ (phi), au ψ (psi) et à l’Ω (oméga) de l’alphabet grec ; d’autre part, le G avait remplacé le Ζ (dzêta), le Γ ou plutôt Π (pi) avait fait place au Ρ (rho ou r) devenu P, cependant qu’une nouvelle lettre (Q), dérivée, dit-on, du Ϙ (koppa), avait été créée, et que d’autres (C, D, H, L, M, R, S, V) provenaient de modifications dans la forme, l’emploi ou le sens des consonnes et des voyelles primitives.

b) L’alphabet cursif se rapproche par de nombreux côtés du précédent, dont il n’est, en certaines lettres, qu’une


Fig. 2. — Alphabet cursif, d’après
xxxx les inscriptions de Pompéi.


Fig. 3. — Alphabet cursif, d’après
xxxx des pièces du iie siècle.

déformation plus ou moins accentuée, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par la comparaison attentive des gravures rapportées ici (fig. 2, 3). De cet alphabet on peut dire qu’il fut l’écriture courante, populaire ou vulgaire, plus ou moins déformée au cours des temps
Fig. 4. — Alphabet cursif.
suivant les usages et les gens, alors que, sous l’inspiration des écrivains officiels, des artistes, la gravure de la lettre archaïque proprement dite s’améliorait et devenait remarquable dès les débuts de l’Empire.
xxxx Par les exemples rapportés ici, le lecteur verra les transformations subies par l’alphabet archaïque, transformations dues aussi bien aux habitudes mauvaises et à l’inexpérience des graveurs qu’à la nature même de l’objet sur lequel l’inscription figure, bois, plomb, pierre, bronze, etc. (fig. 4, d’après un diplôme militaire, gravé sur bronze).

c) L’alphabet monumental, qui atteint son plein épanouissement dès le début de l’Empire, est le résultat des efforts de plusieurs générations de travailleurs vers le Beau : les angles de la lettre archaïque se sont peu à peu adoucis, les formes raides et compassées ont été éliminées, les proportions sont remarquables : bien que le dessin subisse au cours du règne des Césars des modifications assez appréciables,
Fig. 5. — Alphabet monumental : types divers.
l’ensemble conserve constamment une harmonie et une élégance qui séduisent : les inscriptions, surtout à l’époque d’Auguste, sont fort belles et très régulières (fig. 6). Il ne faut pas s’étonner, dès lors, qu’en un temps où par l’étude de l’antique les artistes de la Renaissance s’efforçaient de rénover l’Art, nombre des premiers typographes, parmi lesquels surtout Nicolas Jenson, aient tenté, pour la gravure de leurs poinçons, de reproduire les alphabets romains dont la perfection les séduisait.
xxxx L’alphabet monumental comprend seulement vingt lettres : le K archaïque, dont la langue de Cicéron et de Virgile ignore l’emploi, a disparu ou n’est qu’exceptionnellement utilisé ; mais sur nombre d’inscriptions, dont certains termes sont venus directement du grec, on rencontre Y et Z. Puis à l’époque de Claude, et sous son inspiration ou sur son ordre, deux consonnes et une voyelle font leur apparition : 1° l’antisigma Ↄ, sorte de C retourné, exprimant en quelque sorte le son ps (PS), à l’imitation de la
Fig. 6. — Alphabet oncial.
consonne grecque ψ ; 2° le digamma inversum Ⅎ, qui prend la place du V consonne (ℲVLGVS, au lieu de VVLGVS) ; 3° enfin Ⱶ, dont la prononciation mi-aspirée donne une voyelle intermédiaire entre I et V voyelle.

d) À l’écriture cursive on peut rattacher — car il continue la déformation de la lettre archaïque — l’alphabet oncial (fig. 6). Les manuscrits firent usage de ce type d’écriture à partir du ive siècle de l’ère chrétienne ; mais, dès le iiie siècle, on rencontre des exemples de cette lettre dans les inscriptions, particulièrement dans celles de l’Afrique.

4. Tantôt pour simplifier la gravure, pour diminuer l’étendue d’un texte trop important pour l’emplacement qui lui est réservé, ou parce que l’usage est pris de cette manière de faire et que l’artiste éprouve quelque plaisir à compliquer la lecture du texte, outre les lettres courantes les inscriptions renferment des ligatures : plusieurs lettres, fréquemment même une phrase, sont réunies en une figure :

O(ssa) h(ic) s(ita),
Ici repose le corps (les ossements) ;
O(plo) t(erra) s(it) l(evis) t(ibi),
Je souhaite que la terre te soit légère
.

On peut concevoir qu’en cette matière les combinaisons sont innombrables et offrent des difficultés sérieuses de lecture : au point de vue typographique cet inconvénient peut paraître négligeable ; l’impossibilité de les reproduire convenablement par des types mobiles conduit, en effet, à la confection de dessins ou de gravures, dont le compositeur n’a point à se préoccuper. Toutefois, dans le but d’éviter aux auteurs ou aux éditeurs des frais assez onéreux, certains fondeurs ont gravé quelques-unes des figures les plus simples et les plus courantes.

  1. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, à l’article Alphabetum, t. Ier, p. 215.