Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/30/01

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 797-803).


I

ACCOLADE


L’accolade, en typographie, est une « espèce de parenthèse, brisée dans son milieu en angle sortant ( ) et que l’on emploie horizontalement ou verticalement, pour indiquer les points de communauté qu’ont ensemble les mots ou les nombres qu’elle embrasse »[1].
xxxx D’après le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle[2], « avant l’invention de la typographie, on appelait accolade une espèce de crochet en demi-cercle, dans lequel les copistes renfermaient les mots ou portions de mots qu’ils portaient au dessous de la ligne. Pour ne point porter à la ligne suivante un mot qui complétait le sens, on le plaçait sous le dernier mot de la ligne, avec une accolade, pour indiquer qu’il appartenait à la ligne supérieure. »

Frey donne de l’accolade cette définition et littéraire et typographique qu’il est indispensable de citer : « Cette figure [l’accolade] est une extension de la parenthèse ; mais celle-ci exige le doublement de son signe pour ouvrir et fermer, tandis que celle-là marque la correspondance et la liaison d’expressions figurées sur plusieurs lignes en nombre ordinairement inégal, afin que les parties correspondantes ne présentent à l’œil qu’un seul tout[3]… »

D’après Fertel, l’accolade s’appelle « crochet, en terme d’imprimerie, et se dit encore de certains traits ou lignes tantôt droites, tantôt faites en S, et recourbées par le bout, qui servent, à lier et accoler quelques articles qu’il faut lire ensemble, avant que d’aller à des subdivisions qui se mettent à côté avec de semblables ou moindres crochets dont voici leur figure . On s’en sert dans les généalogies… » — Le signe accolade et le signe crochet paraissent ainsi avoir été, au temps de Fertel, désignés du même nom.

Cependant, Frey fait la remarque suivante : « Fournier jeune[4] nomme accolades seulement celles qui de son temps étaient composées d’abord de trois parties séparées, le centre et les extrémités, puis d’autant de parties intermédiaires nécessaires au prolongement à volonté de l’accolade, morceaux qui se joignaient, s’accolaient, d’où il a fait accolade ; mais il appelle crochets les petites accolades fondues d’une seule pièce. Cette dérivation est erronée, car le Dictionnaire de l’Académie de 1740, publié vingt-deux ans avant l’apparition de ce traité, dit : « On appelle accolade, dans un compte, un trait de plume qui joint plusieurs articles pour n’en faire qu’un[5]. ».

Les accolades sont fondues sur des forces de corps différentes suivant leur longueur et leur œil : elles comportent, au milieu, un angle ou nez saillant ; à leurs extrémités, des tournants accentués ou allongés ; entre leur centre et leur terminaison, des pleins ou gras prononcés qui obligent à augmenter de plusieurs points l’épaisseur :

D’ailleurs, pour répondre aux nécessités de la composition qui conduisent parfois à parangonner blancs et filets avec les accolades, il est indispensable de posséder celles-ci sur des forces de corps assez nombreuses : 2 points, 3 points, 6 points, 9 points, 1 cicéro ; quant à la longueur, elle varie de 2 points en 2 points.
xxxx À partir de 25 à 30 cicéros, pour obvier à certaines difficultés de fonderie, les accolades sont, fondues en deux parties séparées ; même, pour de très grandes longueurs, on fond seulement l’angle (le nez) et les tournants ; pour réunir ces fractions indépendantes, le compositeur utilise des filets d’œil convenable : ces accolades sont dites brisées. On employait autrefois, sous ce même nom, des accolades à branches inégales, destinées à enserrer l’ensemble d’un texte comprenant deux parties d’inégales étendues.
xxxx Mais certains compositeurs, avec beaucoup d’habileté, façonnent eux-mêmes, d’un seul morceau, les accolades de grandes dimensions dont ils ont besoin. « Un canif, une lime fine, ou même un morceau de verre, et dans l’œil d’un filet mat ou dans le pied exempt, de défauts d’un filet gras ou de cadre[6], une accolade préalablement dessinée sur la face de plomb ne tarde pas à être taillée ; on commence par la pointe et, conséquemment, le creux qui lui est opposé ; on termine par les tournants en amincissant avec précaution.
xxxx Bon nombre de pays étrangers, notamment l’Allemagne et l’Angleterre, se servent presque exclusivement des accolades à œil maigre sur toute leur longueur ; le nez fait un saillant brusque sur une ligne droite que termine à chaque extrémité un tournant aussi court que possible. Le plus fréquemment, sauf pour les petites longueurs, l’accolade est brisée.

1. Suivant les circonstances, l’accolade est employée dans le sens vertical ou dans le sens horizontal.

2. Lorsqu’elle est employée dans le sens horizontal, l’accolade est toujours placée la partie médiane saillante, ou nez, vers le haut, sauf dans les circonstances indiquées aux paragraphes 22 et 23.

3. La partie concave de l’accolade verticale doit toujours être tournée du côté de la fraction la plus importante du texte, la pointe médiane ou nez (partie convexe) se dirigeant vers la partie la moins étendue :

musique
I. Vocale 
  
Éléments.    
Sons.
Notations.
Étude.
II. Instrumentale 
  
Instruments 
  
Contre-basse.
Basse.
Alto.
Piston.
Bugle.
Exécution 
  
Composition.
Harmonie.
Contrepoint.
Union vocale.
Imitation.

4. Si les deux parties sont d’égale étendue, l’angle se tourne vers celle qui contient le moins d’articles ou d’alinéas.
xxxx Cependant, dans un tableau, dans un alignement, il est d’usage, afin <span class="romain" title="Nombre écrit en chiffres romains">d’obvier à un aspect choquant, de tourner dans un seul sens toutes les accolades placées sur la même ligne verticale ou horizontale.

Frey est d’un sentiment tout différent : « Cependant, s’écartant de cette règle quand un nombre plus ou moins grand d’accolades forme une ligne verticale d’une certaine étendue, quelques compositeurs ont le tort de placer chaque accolade dans une position d’œil uniforme, et cela au mépris de son rôle individuel, qui exige, que ses extrémités soient portées tantôt à droite, tantôt à gauche, en un mot toujours du côté de la partie correspondante la plus étendue[7]… »

5. En aucun cas, le texte le plus long accoladé ne saurait déborder au delà de l’une ou de l’autre des extrémités de l’accolade.

6. Les accolades verticales doivent correspondre exactement à la longueur du texte qu’elles embrassent, surtout dans les compositions compactes ; il est donc nécessaire de recourir à un parangonnage soigné si l’accolade est légèrement courte de 1 ou 2 points, pour éviter, à l’imposition, les ennuis que peut occasionner un texte mal justifié.

7. Le saillant de l’accolade verticale se place toujours face au milieu du texte accoladant (les termes ou expressions figurant du côté du nez de l’accolade étant le texte accoladant, ceux composés dans la partie concave étant le texte accoladé) : si, du côté vers lequel se trouve le saillant de l’accolade, il ne se rencontre qu’une ligne de texte, cette ligne doit être exactement au centre du nez ; lorsqu’il y a deux lignes, le centre de l’accolade sera placé face au milieu de l’intervalle existant entre ces lignes ; s’il y a trois lignes, il correspondra à la deuxième.

8. Dans les formules algébriques ou mathématiques, certains auteurs emploient l’accolade pour obvier aux difficultés que présenterait la répétition fréquente et simultanée du crochet et de la parenthèse : ainsi dans une série ascendante de trois facteurs, ils utilisent l’accolade pour le premier facteur qui se rencontre ; un deuxième facteur se présentant à l’intérieur de ce premier, ils se servent des crochets ; enfin, pour un nouveau facteur intercalé dans la deuxième, ils prennent la parenthèse :

9. En règle générale, et à moins de nécessité absolue, aucune coupure n’est tolérée dans les parties d’un terme mathématique ou algébrique se trouvant entre accolades.

Si le numérateur ou le dénominateur d’une fraction sont trop longs pour tenir en une seule ligne, on les coupe en deux à un signe algébrique en dehors d’un crochet ou d’une parenthèse, on rejette sur une deuxième ligne vers la droite la partie excédante, et on embrasse les deux lignes à l’aide d’une accolade :

10. Les accolades horizontales remplissant, dans les têtes de tableaux, le rôle de filets sont soumises à toutes les règles qui commandent l’emploi et la disposition de ces derniers : elles doivent, notamment, s’aligner horizontalement, si les têtes comportent une égale quantité de lignes de texte.

11. Lorsque, dans les tableaux, les accolades horizontales tiennent la place de filets, on observe les règles ordinaires de composition des têtes de tableaux, au point de vue disposition du texte des têtes et de l’importance des caractères à employer pour la composition.

12. Dans les cas de plusieurs accolades subordonnées les unes aux autres, les filets de séparation des textes qu’elles commandent sont, dans l’ordre croissant, le filet maigre, le filet quart-gras, le filet double-maigre.

13. Si les accolades embrassent deux colonnes de même justification, le filet séparatif des colonnes doit se trouver au centre de l’accolade.

14. Au cas où les colonnes sont de justification inégale, le filet séparatif se place obligatoirement sous la partie de l’accolade où se terminent l’une et l’autre colonnes.

15. L’accolade horizontale, embrassant deux colonnes d’un tableau, n’est jamais composée de branches d’inégale longueur, même si l’une des colonnes qu’elle commande est sensiblement plus large que l’autre.

16. Dans les tableaux, les accolades horizontales ont la longueur des colonnes qu’elles embrassent, même si le texte ou les chiffres de ces colonnes n’occupent qu’une partie de leur justification.

17. Si le texte embrassé par une accolade ne peut tenir dans une seule page ou dans une colonne, le surplus de ce texte est reporté à la page ou à la colonne suivante :

a) Certains compositeurs emploient, pour la première partie du texte, une accolade incomplète, c’est-à-dire une fraction d’accolade, l’autre fraction d’accolade accompagnant la deuxième partie du texte ;

b) D’autres typographes, par contre, utilisent deux accolades, la deuxième exigeant, face à son centre saillant, et après le texte accoladant, le mot suite : dans ce cas, le texte enfermé par la première accolade ne peut se terminer ni à une fin d’alinéa, ni à un point.

18. Les tableaux à livre ouvert, c’est-à-dire portant sur deux pages en regard, comportent parfois, dans les têtes, des accolades chevauchant sur l’une et sur l’autre page ; si, malgré tous les efforts tentés, en augmentant ou en diminuant la largeur des colonnes de l’une ou l’autre fraction du tableau, il n’est pas possible d’éviter cet ennui, il est nécessaire de faire à la main les accolades voulues, en les coupant suivant les nécessités du tableau. La longueur de l’accolade exigée par la partie du tableau embrassé doit être augmentée d’une partie de la valeur du fond, de manière que les branches de l’accolade puissent se rejoindre dans le fond sans produire une solution de continuité trop apparente.

19. Le texte embrassé par une accolade ne doit jamais être collé à celle-ci, qu’elle soit horizontale ou verticale : un blanc proportionné à la force de corps du caractère employé et qui ne sera pas inférieur à au moins une interligne de 1 point la séparera de la composition établie, suivant les circonstances, en sommaire, en alinéa, ou en lignes perdues.

20. De manière générale, et bien que les manuels donnent sur ce point des exemples contraires, il est préférable, dans les tableaux dont les têtes comportent des accolades horizontales, de ne pas faire buter sur ces accolades les filets doubles maigres, quart gras ou maigres, séparatifs des colonnes : une interligne de 1 point sera placée entre les filets et l’accolade.

Cette opinion est d’ailleurs celle de Frey, lorsqu’il écrit[8] : « Quelque position qu’on lui donne, le blanc sinueux qu’elle [l’accolade] laisse à découvert des deux cotés de sa longueur ne doit jamais être négligé, c’est-à-dire que la matière qui règne d’une manière continue sur la longueur de l’accolade doit en être détachée proportionnellement si l’œil de cette même accolade la touche proportionnellement d’aussi près que les lettrés se touchent entre elles… »
xxxx À l’examen des exemples donnés ! par Th. Lefevre[9], il est certain que cet auteur est, sur ce point, d’un sentiment opposé à celui de Frey.

21. Lorsqu’un nombre plus ou moins considérable d’accolades se suivent sur une ligne verticale, elles doivent être séparées par une interligne forte ou par un blanc convenable, variant de 2 points à 6 points, suivant l’importance des accolades elles-mêmes.

« Au sujet de cette ligne, dit Frey, on remarquera qu’elle produit confusion complète lorsque les diverses accolades ne sont pas séparées l’une de l’autre, entre leurs extrémités, par 2 à 6 points de blanc selon leur longueur, parce que ces extrémités réunies immédiatement figurent un véritable angle ou centre d’accolade, de sorte qu’elles ne présentent plus qu’une seule ligne continue plus qu’insignifiante. »

22. L’accolade, placée horizontalement, remplace dans un tableau le filet devant réunir en un total général l’ensemble de plusieurs colonnes d’opérations : elle se met alors la partie concave tournée vers le tableau :

  440,50 875,35 454,65  
354,75 952,45 115,45
245,25 635,25 635,25

23. Sous une addition marginale, sans fonction bien déterminée, l’accolade ne remplit plus qu’un simple rôle d’ornement ; son emploi à ce titre est fréquent dans les manchettes des pièces et circulaires officielles. La partie concave de l’accolade est tournée vers le texte de la manchette.

24. On fait un fréquent usage de l’accolade horizontale dans la composition des tableaux généalogiques ; mais, au lieu d’embrasser la totalité du texte, l’accolade ne s’étend que jusqu’aux filets ou tirets verticaux destinés à indiquer la descendance ou la filiation d’un auteur commun.

25. Le texte donné par une généalogie et à comprendre sous une accolade est parfois d’étendue inégale, par rapport au signe indiquant la filiation ou descendance. Pour obvier à l’aspect disgracieux d’une accolade embrassant un texte inégal, on se sert d’accolade brisée, c’est-à-dire à branches d’inégale longueur.

  1. D’après Larousse et Fournier.
  2. Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse, t. I, p. 53 (1866).
  3. Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 11, éd. 1857. — Il faut cependant remarquer que, si, au point de vue typographique, un rapprochement peut être fait entre la parenthèse et l’accolade, il n’en est pas de même au point de vue littéraire.
  4. Manuel typographique, t. I, p. 173.
  5. Nouveau Manuel complet de Typographie, par A. Frey, revu par E. Bouchez, p. 10.
  6. « L’œil des filets maigres et doubles maigres n’offrant pas assez de résistance au taquage et à l’impression, le filet pourrait s’affaisser ; l’accolade ne viendrait pas au tirage. » [Leclerc, Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 226 (éd. 1921).]
  7. Nouveau. Manuel complet de Typographie, p. 11.
  8. Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 11.
  9. Voir notamment page 152.