Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/29

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 791-796).


CHAPITRE XXIX

CROCHETS



Les crochets figurent, au nombre des signes autres que les lettres dont on se sert, dans l’écriture.
xxxx Au sens propre du mot, « le crochet est le texte enfermé entre les deux signes ».
xxxx Abusivement, on a attribué aux signes qui délimitaient le texte le nom donné à celui-ci : Saint-Simon au xviie siècle disait : « J’ai mis entre deux crochets de parenthèses les quelques mots qui ne sont pas dans le cérémonial. » — L’usage a consacré l’abus.
xxxx Le rôle des crochets se rapproche de celui des parenthèses, dont ils diffèrent cependant par la forme. Alors que les parenthèses ont approximativement l’apparence d’un quart, de cercle légèrement renflé vers le milieu et aigu aux extrémités ( ), le crochet se compose d’une ligne verticale, terminée en haut et en bas par un trait horizontal tourné vers la droite ou vers la gauche, suivant qu’il s’agit d’un crochet initial ou d’un crochet final.
xxxx On dit : Ouvrir les crochets, Ouvrez les crochets, Les crochets sont ouverts, lorsque, l’on veut employer le premier des signes (crochet initial) destinés à renfermer le mot, le membre de phrase ou même la phrase et l’alinéa ; par voie de conséquence, lors de l’emploi du crochet final, c’est-à-dire du signe limitant le terme ou le texte enfermé, on dira : Fermer les crochets, Fermez les crochets, Les crochets sont fermés.
xxxx Les crochets sont d’un usage beaucoup moins fréquent-que les parenthèses avec lesquelles ils sont parfois concurremment employés ; souvent ils doublent celles-ci ou plutôt les suppléent, pour éviter toute chance d’erreur.

1. Le crochet initial se colle à la première lettre du mot ou au premier signe du membre de phrase ou de la phrase comprise entre crochets.
xxxx Le crochet final est collé à la dernière lettre ou au signe de ponctuation qui termine le texte enfermé[1].

2. La principale fonction des crochets est, suivant la phrase typique de Saint-Simon, de renfermer les passages explicatifs ou complémentaires interpolés dans un texte original ou dans une citation :

Quelle leçon, pour, les riches et les puissants de la terre, contiennent ces mots de Massillon : « Employez-les [vos biens et votre autorité] à faire des heureux et à rendre la vie plus douce et plus supportable à des infortunés » !

Bon nombre d’écrivains commettent une erreur en employant, dans ce cas, les parenthèses. Alors que les mots placés entre parenthèses peuvent généralement être supprimés sans nuire en rien à la clarté et au sens de la phrase, les mots « vos biens et votre autorité », qui ne figurent pas dans le texte original, mais qui ont été interpolés, ne sauraient disparaître de la citation sans la rendre obscure, incompréhensible même.

Autre exemple :

La marche de l’armée n’a été tracée que par le crime, la dévastation et le pillage… [Le soldat porte partout cette soif de sang, cet esprit de dévastation et de rapine qui le font redouter…] (Arch. nat., AFii, 125, plaq. 964, pièce 16.)

3. Dans les développements ou les restitutions d’inscriptions anciennes donnés à la suite de la reproduction du texte, plus ou moins tronqué, de l’inscription, on a coutume de marquer entre crochets les mots, lettres ou signes qui existaient sur la pierre, mais qui ont disparu. Les crochets, initial ou final, se collent aux lettres ou aux signes qu’ils renferment :

[Pro salu]te et re[ditu | et vi]ctori[a | imp(eratoris)]
Cæ[s(aris)], M(arci) Au[re | li An]tonin[i | Aug(usti) Ger]
manici | [Sarmati]ci, p(atri) p(atriæ), | [d(ono)] d(ato) |…
xxxx Pour le salut, le retour et la victoire de l’empereur César…

4. Certaines indications de renvois figurant parfois, en dehors d’un texte, soit en manchettes, soit dans les folios, se placent de préférence entre crochets :

 
78
[Élève, p. 58]
arithmétique

On rend un nombre décimal 10, 100, 1.000, …, fois plus grand en avançant la virgule de 1, 2, 3, …, rangs vers la droite.

 
78
xxxxxxxxxxx
arithmétique
[Élève,
p. 14]
xxxx On rend un nombre décimal 10, 100, 1.000, …, fois plus grand en avançant la virgule de 1, 2, 3, …, rangs vers la droite.

5. Dans la poésie, le crochet indique que le mot, ou la fraction de mot, qu’il accompagne, a été, du vers précédent ou du vers suivant dont le texte débordait au delà de la justification, reporté à la fin de la ligne où on le rencontre :

Un futur chevalier doit avoir l’avantage    [sage
Dans les combats : je fais mon noble apprentis
Et pour me distinguer en mainte mission…
 
Nous ne pouvons aller où bon nous semble.
Pourquoi ? Tant qu’un humain devant un autre
11 lui faut arroser la terre de sueur…    [tremble,

Il ne faut pas oublier que le crochet initial seul doit être employé, au début du rejet ; le crochet final ou fermé ne doit jamais être placé à la fin du mot reporté ; certains compositeurs commettent en effet la fâcheuse erreur de mettre entre deux crochets les rejets de versification.

6. Au début comme à la fin d’un article, ou d’un chapitre, ou de toute autre division, pour enfermer soit une note explicative ou récapitulative, soit une introduction de plus ou moins d’étendue — composées généralement, dans ce cas, en caractères différents de celui du texte — on fait usage de crochets :

Les troupes russes ont occupé Kâchan et marchent, vers Ispahan.
xxxx [Kâchan, très ancienne ville de Perse, connue surtout aujourd’hui par la belle qualité de ses tapis, est située à 250 kilomètres d’Ispahan.]
xxxx [Nous avons reçu, d’un de nos collaborateurs mobilisés, des croquis littéraires, fines esquisses des villes et villages que nous avons reconquis.]
xxxx Pour entrer en Alsace, il n’y faut pas pénétrer par la plaine, où rien n’en marque la première motte.

7. Si au cours d’une intercalation placée entre parenthèses se rencontre une deuxième intercalation à mettre également entre parenthèses, la parenthèse initiale, et la parenthèse finale de la première intercalation se remplacent par deux crochets :

Mais ceux qui ne se fient pas à cette assertion font valoir le précédent du dernier hiver, quand les Allemands, attaquant subitement en février, malgré l’épaisseur des neiges, firent, un bond de la Prusse orientale jusqu’au Niémen.
[Le Journal, 25 lévrier 1915 (d’après Pravda, 22 février 1915).]

Quelques auteurs typographiques commettent une erreur en attribuant l’usage des crochets à la deuxième intercalation.

Dans son Nouveau Manuel complet de Typographie[2], E. Leclerc dit, sans justifier les raisons de son sentiment : « Quand il se présente une intercalation dans une autre déjà mise entre parenthèses, elle se met entre crochets pour être mieux différenciée. »

Presque dans les mêmes termes, Dumont exprime une opinion analogue[3].

Par contre, le Nouveau Manuel complet de Typographie[4] de A. Frey donnait, au paragraphe de la page 324, un exemple en contradiction très nette avec les idées des auteurs précédents, la première intercalation étant composée entre crochets, et l’intercalation intérieure entre parenthèses.

8. Le crochet initial employé dans une formule mathématique, algébrique, physique ou chimique, se colle avec la première lettre, le premier chiffre ou le premier signe de l’expression qu’il précède.
xxxx Le crochet final se colle avec la lettre ou le signe qu’il suit immédiatement :

[Fe(CAz)6]3Fe4 + 9 HgO = 2 Fe2O3 + 3 FeO + 9 Hg:(CAz)2.

9. Au contraire, précédés ou suivis d’un point faisant office de signe mathématique, le crochet initial et le crochet final sont séparés de ce point par l’espace forte de la ligne :

pn[rv + (4xy − 2)] • mn = 250
N • [xz − 25n(p + r))] = 125.

10. Employés au milieu d’une expression, le crochet initial, lorsqu’il est précédé, et le crochet final, lorsqu’il est suivi d’une ponctuation virgule, ne prennent pas l’espace entre eux et la virgule.

11. Le crochet initial employé au milieu d’une expression et précédé d’une lettre ou d’un chiffre, est séparé de cette lettre ou de ce chiffre par l’espace de 1 point ou 1 point 1/2, suivant l’espacement de la ligne et le type de la lettre.

Cette règle est en contradiction avec le principe : « Dans une formule, chimique ou algébrique, les lettres, parenthèses, crochets, etc., se groupent sans espace[5]. » Mais il semble bien que, pour la clarté de l’opération, il vaut mieux accepter l’opinion donnée par Leclerc, dans le Nouveau Manuel complet de Typographie[6] : « On espacera à 1 point toutes les lettres affectées de coefficients, accent, indice, exposant, et aussi les parenthèses, les crochets, les accolades[7], de préférence à la manière plus habituellement usitée consistant à coller ces derniers signes. »

12. Un crochet final est séparé, par un blanc analogue, de la lettre ou du chiffre qui suit. Toutefois, s’il s’agit d’un exposant (lettre ou chiffre supérieur) ou d’un arrangement (lettre ou chiffre inférieur), l’exposant ou l’arrangement est collé au crochet sans espace.

13. Dans les opérations mathématiques ou algébriques, la force de corps des crochets employés varie suivant les circonstances :

a) Les crochets doivent être de force de corps égale à celle des termes de la formule, si les termes de cette formule sont simples :

[Fe(CAz)6]3 Fe4 ;
Ferrocyanure ferriquexx

b) Il en est de même si le premier et le dernier terme de l’opération sont simples[8], bien que celle-ci contienne au milieu une fraction :

c) Le crochet initial et le crochet final doivent être de la hauteur du diviseur, du dividende et du filet réunis auxquels ils sont accolés :

d) Le crochet initial et le crochet final doivent être, l’un par rapport à l’autre, de force de corps égale, même si un seul d’entre eux est accolé à une fraction :

14. La coupure d’une opération (c’est-à-dire le report à la ligne suivante de la partie de l’opération excédant la Justification) n’est pas permise au milieu des termes placés entre crochets.

15. Dans les missels, les rituels, les bréviaires, etc., on place entre crochets les termes ou expressions que l’officiant doit, pour des raisons particulières, substituer au texte courant :

Non intres in judicium cum servo tuo [vel ancilla tua], Domine, quia nullus apud te justificabitur homo, nisi per te omnium peccatorum ei tribuatur remissio. Non ergo eum [vel eam] quæsamus tua judicialis sententia premat, quem [vel quam]…



  1. Frey écrivait dans le Nouveau Manuel complet de Typographie (p. 176) : « Les parenthèses et les crochets étant, aux phrases qu’ils isolent, dans la même relation que la virgule et le point virgule sont aux phrases dont ils divisent le sens, doivent avoir une position analogue, c’est-à-dire que ces divers signes seront séparés à l’extérieur comme les mots le sont entre eux, et en dedans de deux-tiers de moins. »
    xxxx De nos jours l’espacement de la virgule, des crochets et des parenthèses en dedans n’est plus qu’une exception, lorsqu’il s’agit de composition d’un texte. Il est d’ailleurs à remarquer que Bouchez, dans l’édition de 1857 de Frey, n’observe pas, de manière générale, en ce qui concerne la virgule et la parenthèse, l’obligation de l’espacement en dedans.
  2. Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 201 (éd. de 1921).
  3. Vade-Mecum du Typographe, p. 102 (éd. 1915).
  4. Édition de 1857, revue par E. Bouchez, correcteur à l’imprimerie J. Claye.
  5. Th. Lefevre : « Toutes les lettres ou chiffres avec parenthèses ou crochets d’une formule se groupent sans espace. » (Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographes, p. 159, § 6.)
  6. Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 482 (éd. 1921).
  7. Leclerc n’entend point dire, en s’exprimant de la sorte, qu’une espace de 1 point doit précéder et suivre les signes parenthèses, crochets et accolades, mais simplement — comme le prouve l’exemple donné — qu’une espace de 1 point est à « placer devant le signe parenthèse, crochet et accolade, lorsqu’il est initial, et après le même signe, lorsqu’il est final ».
  8. Contrairement à l’opinion de Leclerc (Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 489, éd. 1921), qui paraît reproduire exactement sur ce point les idées de Th. Lefevre.