Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/04/03

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 79-92).


III

LE MÉCANISME DE LA COMPOSITION


a) L’ouvrier, pour composer, se place devant la casse dressée, et face au milieu de cette casse ; il se tient debout[1] — ce qui assure mieux la liberté de ses mouvements, — la tête droite, les coudes à la hauteur du rang, le corps parfaitement d’aplomb sur les deux jambes. Le composteur est placé diagonalement dans la main gauche : les quatre doigts repliés l’embrassent en le supportant, tandis que le pouce ramené en dessus le maintient également. Au début de la composition, la dernière phalange du pouce est posée sur le talon mobile, presque perpendiculairement au fond du composteur. Au fur et à mesure que les lettres et les mots sont assemblés, la main gauche, par un mouvement simultané des doigts et du pouce, avance doucement, faisant en quelque sorte glisser le composteur d’avant en arrière ; le pouce maintient les lettres, en se plaçant toujours sur la dernière. À l’aide du pouce également, le typographe s’assure que la lettre est bien dans sa position normale et non renversée, c’est-à-dire le cran tourné vers le compositeur, qui au toucher ne doit percevoir qu’une face verticale sans solution de continuité.

Pendant qu’elle supporte l’outil, la main gauche ne doit pas rester inerte, comme plaquée au corps ou sur le rebord de la casse. Légèrement élevée au-dessus de la casse, elle doit sans raideur ni contrainte « prêter son concours à la main droite », en s’avançant modérément vers elle chaque fois qu’une lettre nouvelle doit être ajoutée au contenu du composteur.

Ce mouvement contribue à réduire le parcours effectué par le bras droit : d’où fatigue moindre, économie de temps, gain d’argent.

b) La main droite — ou, plutôt, le pouce et l’index de la main droite — prend la lettre par le haut, du côté, de l’œil, et la porte de la casse au composteur.

La lettre est simplement posée dans le composteur : le pouce de la main gauche qui la reçoit à son arrivée aide à sa descente au fond de l’outil ; puis, l’ayant serrée près de la paroi latérale ou de la lettre qui précède, il se relève pour l’arrivée de la lettre suivante.

Le regard doit, par avance, choisir parmi les lettres celle qui se présente de la manière la plus favorable, « c’est-à-dire la tête en avant » et, autant que possible, cran dessous ; « la lettre qui serait saisie, cran dessus sera, par un mouvement rapide du pouce et de l’index, retournée cran dessous » avant son arrivée au composteur.

L’hésitation entre deux ou plusieurs lettres est une cause de désordre dans la casse et, conséquemment, de retard : en saisissant légèrement toujours une seule lettre, au-dessus du tas, on évite, avec une casse pleine, le glissement des autres lettres dans les cassetins immédiats ; on évite également, dans une casse moyenne, de creuser vers le milieu le contenu des cassetins, alors que sous la simple pression des doigts les lettres se tassent de plus en plus nombreuses sur les côtés.

Pour remédier à ce dernier inconvénient, certains compositeurs ont la manie fâcheuse d’égaliser les cassetins, à l’aide de leurs pinces, en ramenant vers le centre, non sans quelque vivacité, les lettres repoussées près des bords. Pratique regrettable : plus l’acte est répété et prolongé, plus les dégâts qu’il occasionne sont nombreux ; mainte lettre, ainsi brutalement rejetée, risque d’être frappée à l’œil, égratignée et mise hors de service. Les cassetins « caverneux » d’une casse s’égalisent en levant légèrement le bas de casse au-dessus de l’horizontale prise à la partie supérieure du haut de casse ; on imprime à la casse elle-même, sans exagération, et surtout sans ce bruit désagréable de « crible de bois », quelques secousses légères et rapides de va-et-vient vertical et latéral, puis on régularise à l’aide des doigts la surface des cassetins défectueux[2].

c) « Pour arriver à lever la lettre très vite, il faut d’abord la lever lentement, mais régulièrement, en ne faisant que les mouvements absolument nécessaires. » Pour avoir négligé ces principes dès le début de leur apprentissage, maints compositeurs, frappant la lettre sur le bord du composteur ou de l’interligne — sous le prétexte futile de la retourner dans le sens voulu — au lieu de la placer directement et posément, « battent le briquet ». Un grand nombre, oublieux de cet axiome que « la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre », de la main simulent dans le vide d’imaginaires circonférences ou se livrent à des évolutions bizarres. D’autres, enfin, tantôt « branlent du chef et tanguent des épaules, tantôt balancent le corps, agitent les jambes », ou encore de l’avant-bras gauche rythment leurs mouvements par une sorte de mesure à deux temps du plus bizarre effet : toutes contorsions, qui sans doute pourraient être passagères au début, mais qui ne tardent pas à dégénérer en tics profondément ridicules, parce que les maîtres d’apprentissage n’ont point réprimé sévèrement, dès leur apparition, ces mouvements anormaux, particulièrement préjudiciables aux intérêts et à la santé du futur ouvrier. Il est indispensable, en effet, pour « devenir promptement un habile leveur », « d’éviter tout faux mouvement, toutes contorsions ou moulinets inutiles » : le travail de la main droite doit, comme on l’a vu, se borner au simple va-et-vient, le plus direct, cependant que la main gauche, de la lettre rapprochant légèrement le composteur, diminue autant que possible la distance.

Nombre de bons compositeurs possèdent une autre qualité : au toucher, ils « peuvent soupçonner » qu’ils lèvent une coquille : certaines lettres b, d, p et q, n, et u, l et i, etc., ont approximativement la même épaisseur ; mais, à part ces quelques exceptions, des doigts exercés reconnaissent immédiatement l’emploi d’une lettre fautive au lieu de la bonne.

d) « Le compositeur doit s’habituer à lire sa copie pendant le mouvement de la main ou à peu près. » La lecture se fait rapidement par membres de phrases ou par courtes phrases, aussi étendues toutefois que la mémoire le permet ; chaque mot, durant la composition, est épelé mentalement, afin d’éviter l’omission de quelque lettre que ce soit. Au moment où s’achève le dernier terme de la phrase lue, l’ouvrier « du premier coup d’œil reprend sur le manuscrit l’endroit précis » où il s’est précédemment arrêté. Ni l’œil ni la mémoire ne doivent dans ces circonstances se trouver pris au dépourvu ; au cas contraire, alors qu’il a voulu gagner quelques secondes, le compositeur les perd en relisant une deuxième fois le même passage ou en recherchant laborieusement la reprise sur le plomb et sur la copie.

e) Au fur et à mesure que chacun des mots de la copie est composé, le typographe les fait suivre d’une espace, qui les sépare les uns des autres, et qui produira à l’impression entre chaque terme de la ligne le blanc nécessaire à la lecture. En principe, cette espace doit être égale au tiers de la force de corps du caractère employé ; en pratique, il en va parfois différemment, en raison des règles typographiques auxquelles il est nécessaire de se conformer ; on s’efforcera cependant de tenir toujours le blanc de séparation très près de cette mesure.

Une composition est dite bien espacée, lorsque dans une ligne donnée tous les blancs sont, en théorie, rigoureusement égaux, et que l’espacement des lignes voisines est aussi semblable que possible à celui de cette ligne.

Toutefois, en pratique, cette règle subit des exceptions nombreuses : après une ponctuation (virgule ou point), qui comporte naturellement à son extrémité supérieure un blanc, l’espacement peut être légèrement différent de celui utilisé entre chaque mot ; de même, après quelques lettres, surtout grandes capitales, dont les formes, rondes, creuses ou anguleuses donnent à l’œil l’impression d’un léger blanc.

f) Lorsqu’une ligne est sur le point d’être terminée, un compositeur soucieux de parfaire son travail doit s’imposer l’obligation de relire cette ligne, avant de la compléter à l’aide de l’espace justifiante ; il s’assure ainsi qu’aucune faute — coquille, doublon ou bourdon — ne s’y est glissée.

Par un simple mouvement du poignet, ramenant la main gauche vers le corps on place le composteur dans une position horizontale qui facilite la lecture. « Si la ligne contient des coquilles (lettres employées pour d’autres), on prend, dit Th. Lefevre, la lettre de remplacement entre le pouce droit et l’index ; et avec le pied de cette lettre on soulève par-dessous la lettre qui doit être remplacée, de façon que le pouce gauche puisse la soutenir en appuyant légèrement sur son plat, jusqu’à ce que, la lettre de remplacement ayant été suffisamment engagée, la lettre fautive soit saisie par la main droite pour être remise en place dans la casse. » — Plus simplement, nombre de compositeurs, après avoir saisi la lettre de remplacement, utilisent cette lettre pour faire basculer d’avant en arrière, sur le pouce qui la soutient, la lettre à remplacer. La lettre nouvelle est aussitôt glissée à sa place ; la main qui l’abandonne saisit la lettre remplacée pour la remettre dans le cassetin convenable, cependant que le pouce de la main gauche maintenant en place la nouvelle lettre facilite sa descente. S’il s’agit d’un mot entier ou de plusieurs syllabes, syllabes ou mots sont d’abord, à l’aide du pouce et des premiers doigts de la main droite, légèrement dégagés des lettres ou mots voisins, puis enlevés du composteur, et les lettres distribuées dans leurs cassetins respectifs ; le pouce gauche maintient libre l’emplacement où seront composés aussitôt syllabes ou mots nouveaux.

Ces diverses opérations exigent peu de temps ; d’ailleurs le profit que parfois on en peut retirer compense largement les quelques instants qu’elles nécessitent. Si, dans une composition entièrement terminée, il est en effet relativement aisé et rapide de réparer une erreur légère due à une simple coquille, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’un bourdon ou d’un doublon : la correction affecte alors un certain nombre de lignes et cause une perte de temps fort appréciable.

Bien qu’ils reconnaissent les avantages de la lecture sur le plomb, quelques compositeurs affectent systématiquement de faire cette lecture seulement dans la galée, alors que le paquet est terminé.

Ils perdent de la sorte, sans conteste possible, tout le profit de cette opération : ils ne sauraient en effet, dans ces conditions, prétendre corriger économiquement un doublon ou un bourdon à remaniement étendu ; il eût été relativement plus facile, et certes moins dispendieux, de réparer, avant même que la ligne fautive ait été justifiée, l’erreur qu’une vérification aurait permis de constater.

g) La ligne relue et, éventuellement, corrigée, le compositeur, à l’aide du pouce, redresse les lettres « qui pourraient être couchées dans le composteur », pour que la lettre de fin, parfaitement d’aplomb, se trouve également serrée dans toute sa hauteur : signe certain d’une bonne justification. Le compositeur s’assure alors s’il y a lieu de modifier l’espacement de sa ligne, et décide quelle doit être cette modification : augmenter ou diminuer le blanc séparatif de chaque mot.

Quatre cas peuvent se rencontrer au moment où le typographe va terminer sa ligne :

1° Le dernier mot de la ligne complète exactement la justification : aucun blanc n’est à diminuer, et aucune espace ne doit être ajoutée à celles mises uniformément entre les mots au cours de la composition ;

2° Le dernier mot entre complètement dans la justification, mais un léger blanc existe en fin de ligne, qui oblige à augmenter l’intervalle existant entre chaque mot ;

3° Le mot à composer ne peut loger entièrement dans le blanc qui reste en fin de ligne : il faut désespacer légèrement entre chaque mot, afin de trouver le blanc voulu ;

4° Le mot est de longueur assez importante : il déborde au delà de la justification même après que l’espacement a été diminué ; d’autre part, le blanc restant en fin de ligne est trop important pour qu’il puisse être réparti tout entier entre chacun des mots ou des signes sans nuire au bon aspect et à la régularité de la composition. Le mot doit alors être coupé, séparé, divisé en deux parties plus ou moins égales dont la dernière est rejetée à la ligne suivante.

L’obligation de faire une division s’impose, parfois assez fréquente, pour obtenir un espacement régulier, irréprochable. La division acquiert de ce fait une importance considérable : suivant que la coupure a été établie d’après les règles ou à l’encontre des prescriptions qui forment le Code typographique, le résultat sera bon ou mauvais. Le compositeur ne doit rien négliger qui puisse lui venir en aide pour la solution de ce problème simple en apparence, mais fort complexe en réalité, et dont dépend pour une bonne part la perfection de son travail.

Le typographe qui, lors de la distribution, aura soigneusement évité le mélange des espaces fines, moyennes et fortes, exécutera rapidement les modifications d’espacement nécessaires : s’il doit augmenter entre chaque mot le blanc séparatif, il évitera, pour obtenir l’intervalle voulu, l’emploi dans un même blanc de deux espaces fines ; après correction, une composition doit toujours présenter au point de vue espacement des qualités analogues à celles d’un travail de premier jet : on ne devra donc point rencontrer dans les blancs ne cette composition quatre ou même cinq espaces de forces différentes, alors que deux espaces convenables eussent suffi amplement.

h) Avant de placer la dernière espace qui justifiera (qui rendra juste, c’est-à-dire de longueur convenable) la ligne, le compositeur retire du composteur la dernière lettre de cette ligne[3]. Cette précaution est indispensable lorsque l’espace justifiante est une espace fine que la simple pression du pouce risquerait de briser, sans pouvoir la pousser au fond du composteur. Outre qu’il est difficile de se rendre compte, de cette manière, de l’élasticité et, par suite, de la bonne ou de la mauvaise justification d’une ligne, l’espace fine, n’offrant pas une résistance suffisante pour supporter la poussée qui l’oblige à se loger dans la ligne, ne peut servir de terme de comparaison pour voir si toutes les lignes sont justifiées avec la même élasticité, condition essentielle.

La dernière lettre doit rentrer avec une résistance moyenne, à frottement doux, afin de donner au texte, comme on l’a déjà dit, une certaine élasticité, qui est nécessaire pour l’opération ultérieure de l’imposition. Avec une justification faible, sous les efforts de là presse, les lettres se couchent et ne paraissent, qu’incomplètement à l’impression. Une justification forte occasionne fréquemment, à l’imposition, des accidents désagréables : lors du levage de la forme, la page peut se rompre, par suite d’une insuffisance de serrage de l’ensemble due à la ligne forte ; dans les compositions compactes, presque inévitablement un soleil se produit, obligeant à la recomposition d’une fraction plus ou moins importante du texte ; au cours du tirage, les espaces, les cadrats les interlignes et même les garnitures montent insensiblement par suite de la trépidation et ne tardent pas à marquer sur la feuille ; à ce point de vue les habillages de gravures causent de fréquents ennuis. L’inconvénient est plus grave encore, si le texte comporte un tableau, une opération mathématique, ou quelque autre intercalation de formule algébrique ou chimique.

Les lignes creuses — titres en vedette, fins d’alinéas, opérations — dites lignes à cadrats sont justifiées à frottement plus doux. En raison des cadrats qu’elles contiennent, ces lignes ont en effet moins d’élasticité. En outre, l’espace justifiante, quelle qu’elle soit, se place près de la dernière lettre et jamais entre les cadrats, pour éviter « qu’elle ne monte et marque à l’impression ». Même, un compositeur soigneux aura soin, dans ces lignes à cadrats, de ne pas laisser un demi-cadratin ou un cadratin à l’extrémité de la justification, après des cadrats de 2, 3, 4 cadratins.

Dans les compositions à lignes courtes — tableaux, manchettes, légendes, habillages de gravures, etc. — l’espace fine, malgré son peu d’épaisseur, est, cependant, parfois encore trop forte pour obtenir une justification convenable : dans ces cas, afin d’arriver à la longueur exacte, presque toujours on utilise des espaces en papier, coupées à la demande de chaque cas particulier, et auxquelles on donne le nom d’espaces de Limoges ; enfin — mais ces procédés ne sauraient se recommander, car ils sont répréhensibles — quelques ouvriers faussent légèrement une espace fine pour lui donner la force voulue ou utilisent comme espace justifiante une lettre de l’épaisseur nécessaire, dont ils ont préalablement abattu la tête.

Certains compositeurs ont une manie déplorable : ils négligent d’enfoncer les espaces complémentaires utilisées pour la justification et les laissent à hauteur de l’œil de la lettre. Rarement ces espaces « tombent » d’elles-mêmes : lors du tirage, elles marquent ; il est dès lors indispensable de revenir sur chacune d’elles : travail fastidieux et assez long qu’il eût été aisé d’éviter si le typographe avait soigneusement poussé ces blancs dans le composteur avant d’arrêter la justification de sa ligne.

Lorsque, la justification terminée, le compositeur replace la dernière lettre, la butée s’exerce à chacune des extrémités de la ligne, cependant que le centre, suivant sa plus ou moins grande élasticité, a tendance à s’écarter vers l’extérieur et à provoquer de la sorte la rupture brusque de la ligne. Pour éviter cet accident, l’ouvrier allonge la paume de la main et le pouce sur la composition afin de la maintenir.

Plus simplement, par surcroît de précaution, lorsque le texte est interligné, et avant la justification définitive, on couche l’interligne ; si la composition est compacte, on utilise, à la place de l’interligne, un filet ou lève-lignes.

i) Si l’interlignage se fait avec deux interlignes bout à bout, il est indispensable que celles-ci ne soient pas d’égale longueur : la solution de continuité qui se produirait dans la composition occasionnerait un défaut de consistance pouvant donner lieu à de graves ennuis.

Pour la même raison, les interlignes d’inégale longueur seront croisées, autrement dit interverties à chaque ligne.

Lorsque l’interlignage est composé de deux interlignes d’inégale épaisseur — par exemple une interligne de 1 point et une interligne de 3 points, — il est préférable de placer l’interligne la plus mince la première : la plus forte, présentant davantage de solidité, remplira mieux l’office de filet, s’il y a lieu.


LA COMPOSTÉE


Une première ligne composée et justifiée, comme on vient de le voir, et, le cas échéant, l’interligne placée, une deuxième ligne est aussitôt commencée et exécutée comme la première ; puis, successivement, d’autres, jusqu’à ce que le composteur soit plein.

Celui-ci rempli, on le vide dans la galée, afin de continuer la composition.

Pour éviter de mettre en pâte le compositeur opère de la manière suivante :

a) Lorsque le composteur contient trois lignes ou plus, une interligne ou un filet sont placés sur la dernière ligne et avant la première. Le composteur est placé à plat sur la casse, appuyé contre le bord inférieur ; son extrémité droite, posée sur la traverse du milieu, est légèrement relevée, afin de permettre aux doigts de le mieux entourer. Les mains sont alors ployées verticalement sur le composteur : la face interne de l’index de chaque main est appuyée à plat sur la dernière interligne presque à chacune de ses extrémités ; le pouce est placé face aux index sur l’interligne de tête ; et les médius pliés et allongés contre les extrémités des lignes les encadrent à droite et à gauche et s’opposent à la chute des lettres du début et de la fin des lignes (pie pourrait causer l’effort d’extraction. Par un mouvement d’avant en arrière et vice versa, pouces et index appuyant fortement sur les interlignes et aidant au mouvement, on fait basculer la compostée — la première ligne en dessus, la dernière en dessous, les pouces en haut — tout en la soulevant, cependant que du poignet gauche on exerce une pression assez forte sur la partie libre du composteur, pour le maintenir en place.

La compostée dégagée de l’outil, elle est relevée verticalement, l’œil de la lettre tourné vers l’ouvrier ; elle est maintenue dans une position rigoureusement stable, afin d’éviter tout accident dans son transport jusqu’à la galée, — placée au haut de la casse, près des cassetins des lettres accentuées — sur laquelle elle est posée, par un rapide mouvement en avant. Cette première compostée est appuyée le long de la tringle longitudinale, puis, les pouces étant retirés, elle est approchée contre la tringle transversale. Le médius gauche ne sera pas descendu trop bas le long de la composition, afin de ne pas buter sur l’équerre lors du placement du texte dans la galée.

b) L’opération est plus simple si la compostée ne comprend qu’une ou deux lignes dont la justification est plutôt courte. La main gauche continue à tenir le composteur. Le pouce et l’index droits sont placés, par leur face interne, sur les extrémités des lignes qu’ils enserrent ainsi que les interlignes qui les recouvrent. Une minime oscillation de droite à gauche et de gauche à droite, combinée à un léger mouvement en avant, suffit pour retirer la compostée que le médius, recourbé, soutient sous la première interligne. On place les lignes sur la galée, en les appuyant le long des tringles de l’équerre.

c) Le composteur empli de nouveau, la composition est, comme la précédente, enlevée et transportée sur la galée ; elle est appuyée à la tringle longitudinale, le long de laquelle on la fait glisser vers la compostée précédente ; les pouces sont enlevés, et les deux compostées réunies. On continue ainsi jusqu’à ce que la galée soit remplie ou la composition terminée.

d) Il est essentiel pour l’impression, on l’a déjà vu, que la lettre ne soit pas couchée. Il est donc indispensable, chaque fois que le composteur est vidé, de veiller à ce que ce défaut ne se produise pas, ou, le cas échéant, d’y remédier aussitôt : il est en effet bien plus difficile de redresser une page de composition qu’une simple compostée.

De plus, en passant, à chaque videment du composteur, le doigt sur l’extrémité des lignes, le compositeur s’assurera que la justification du composteur est toujours exacte.


LE PAQUET


La galée remplie ou le paquet ayant une longueur convenable, on lie la composition afin de la mettre sur le porte-page qui facilitera son transport et sa mise en place sous le rang ou sur le marbre.

a) La galée est appuyée longitudinalement contre le bord inférieur du bas de casse. Le pouce et l’index de la main gauche retiennent 2 centimètres environ de la ficelle : celle-ci, dont l’extrémité est relevée en équerre, est posée à peu près au milieu de la hauteur de l’interligne qui maintient la dernière ligne de la composition, à l’angle de droite. Le pouce et l’index droits, raidissant la ficelle, l’entraînent vers les premières lignes du paquet, puis, tournant sur l’interligne de tête, et vers le côté gauche, la ramènent, en la maintenant très près des tringles de la galée, jusqu’à l’endroit où le pouce et l’index gauches maintiennent en coude, le premier bout ; la ficelle est passée par-dessus ce bout qui, tendu légèrement à l’aide du pouce, se trouve en quelque sorte coincé entre l’interligne et la ficelle. Un second tour de ficelle est ainsi amorcé qui, nécessairement, se trouve placé au-dessus du premier. On le continue jusqu’à la première ligne de la composition. À ce moment l’index et le pouce gauches abandonnent à lui-même le bout de ficelle qui vient d’être coincé ; la main gauche ouverte est placée sur le haut de la page, le pouce appuyé sur la tringle verticale de la galée, les doigts maintenant l’extrémité des lignes. La ficelle est alors allongée au delà de la galée sur une longueur de 12 à 15 centimètres environ, et cette partie libre enroulée autour de la main droite en-deçà du pouce. Prenant à l’aide du pouce un point d’appui sur le rebord extérieur du haut de la galée, la main droite exerce une traction énergique, mais régulière et sans à-coup. Le serrage doit être exécuté dans un plan aussi horizontal que possible, afin d’éviter le soulèvement de l’extrémité des lignes, et particulièrement de celles du bas de la page ; d’ailleurs, avant même le début de cette opération, la main gauche, largement ouverte, est redescendue vers le bas du paquet qu’elle maintient. Le serrage terminé et toute crainte d’accident éloignée, la ficelle est menée jusqu’à l’angle gauche de la ligne de tête où elle est maintenue par l’index et le médius gauches. La main droite, se débarrassant à ce moment du tour de ficelle qui l’enserrait, reprend cette dernière entre le pouce et l’index et l’entraîne jusqu’à la rencontre du premier bout qui se trouve ainsi coincé une deuxième fois. Suivant les circonstances, si la nécessité l’exige — en raison de la longueur de la justification, de la hauteur du paquet, de la force du corps, du texte plein ou interligné, etc., — un troisième, un quatrième tour de ficelle sont exécutés en suivant la méthode décrite. Régulièrement, chaque nouveau tour de ficelle doit se placer au-dessus de celui qui le précède, et non point enjamber sur lui ni se mêler aux tours antérieurement exécutés, afin d’éviter toute cause d’accident lorsque sera déliée la composition.

Le troisième, le quatrième tour de ficelle, ou plus, terminés, et le paquet jugé convenablement serré, on amène la ficelle, en la tendant suivant l’habitude, jusqu’à l’angle droit de la ligne de tête ; elle est maintenue à cette place par le médius gauche et également par l’index placé légèrement en avant sur l’interligne de début.

La main droite à l’aide des pinces, enfonce alors, entre l’interligne et les tours de ficelle, l’extrémité de celle-ci : une sorte de boucle en forme de V très ouvert est ainsi formée ; la partie inférieure est saisie à l’aide des pinces, et, ramenée vers l’extrémité de l’angle, elle est coincée fortement, afin de former arrêt ; puis, la partie supérieure est de même, et en obliquant, tirée vers l’angle droit et en haut, afin que la boucle, en débordant, ne puisse passer sous le pied de la lettre ; elle est alors coupée à une hauteur de 3 centimètres environ au-dessus de l’œil de la lettre. Pendant ces diverses opérations, tout autant qu’il est possible, la main gauche étendue sur le haut de la composition, comme lors du premier tour de ficelle, maintient solidement cette partie du texte.

La page ligaturée est éloignée de la tringle verticale de la galée ; à l’aide des pouces, la ficelle est légèrement abaissée à chaque angle, afin que la ligature se trouve à peu près au milieu de la hauteur du caractère : condition indispensable pour obtenir le maximum de solidité. Très rarement, mais parfois cependant, cette opération doit être exécutée au cours même de la ligature après chaque tour de ficelle : il peut arriver en effet que la hauteur des tringles de la galée ne permette pas, sans crainte d’accident lors du serrage, de placer chaque tour de ficelle au-dessus du précédent : aussitôt après chaque tour de ficelle, alors que celle-ci est encore maintenue à la partie supérieure, il faut à l’aide de la main gauche repousser la page vers le bas, tout en l’éloignant de la tringle de côté, afin d’abaisser la ligature vers le milieu du caractère.

b) La page liée, il faut la retirer de la galée : pour cette opération, Théotiste Lefevre et Leclerc conseillent l’emploi des deux mains : « la face interne des médius (Leclerc dit : « la face latérale des annulaires »), pliés, sur le plat des lignes de tête et de pied, la face intérieure des index (« la face interne des index et des médius accolés », d’après Leclerc) sur l’extrémité droite des lignes, et la face interne des pouces sur l’extrémité gauche » : c’est dire que la page est levée d’abord sur le côté. « Par un mouvement de renversement sur les pouces, la page est redressée, l’œil vers le compositeur, les bordures dans le sens horizontal ; puis, par une nouvelle évolution d’un quart de cercle à droite, la page se trouve dressée les bordures dans le sens vertical, en équilibre sur le petit doigt de la main droite, maintenue d’un côté par le pouce, et de l’autre par les trois doigts restants. »

Lorsque la galée employée est en bois, et la page de dimension moyenne, nombre de compositeurs, après avoir « sondé » celle-ci — c’est-à-dire s’être assuré que la ligature est convenable — encadrent solidement le paquet comme l’indique Leclerc : le petit doigt de la main droite placé le long de l’interligne de tête, le pouce sur le côté gauche, et les trois autres doigts sur le côté droit ou fin des lignes. La main gauche lève alors la galée de la hauteur d’un quart de cercle environ, pendant que la droite maintenant la composition achève de la dresser verticalement.

La main gauche libérée saisit, le porte-page et approche celui-ci face au pied de la lettre ; tout en l’appliquant le long du paquet, elle s’ouvre largement pour embrasser à son tour la page et la maintenir, en se renversant horizontalement, comme pour remettre à plat la page à ce moment abandonnée par la main droite ; cette dernière, collant sur les bords des lignes les côtés du porte-page qu’elle a relevés, reprend la page sur laquelle elle s’étend de toute sa largeur et la dépose sous le rang ou à l’endroit désigné. Pour les commençants, la main gauche glissée sous le porte-page peut aider utilement à soutenir la composition.

Lorsque la composition — placards, tableaux, page, etc. — est établie sur une longue justification et une hauteur proportionnée, il est nécessaire, pour éviter une « mise en pâte » toujours à redouter, d’agir avec précaution : parfois, on se borne à soulever par un mouvement en quart de cercle, et de la hauteur voulue pour placer le porte-page, le paquet resté dans la galée ; d’autres fois, relevant légèrement et avec précaution le texte, on engage sous la composition le porte-page, sur lequel on la fait ensuite glisser doucement ; fréquemment encore, utilisant les galées à oreilles et à tirettes, le porte-page maintenu par les oreilles de la galée est placé sur le marbre ou en place sous le rang, et la composition poussée hors de la galée sur celui-ci.

c) Les pages et les placards se superposent, en ordre, sous le rang, sur le marbre ou dans les rayons, d’après les nécessités de la mise en pages ; ils sont disposés par 4 pages, ou par 8 pages, ou par multiples de 2, comme on le verra plus loin ; on évite, toutefois, les piles de plus de 8 pages, en raison de l’instabilité que présenterait une hauteur exagérée.

Les paquets sont toujours placés par ordre de grandeur, les plus longs et les plus larges, s’il y a des justifications différentes, à la base, pour donner une stabilité parfaite à l’ensemble. Afin d’éviter toute erreur, s’il y a interversion dans le placement d’un paquet, on inscrit sur chaque porte-page le numéro d’ordre de la composition.

d) Les porte-pages sont généralement des maculatures découpées à la grandeur ou au format de la composition ou de la page qu’elles débordent sur les quatre côtés de 2 centimètres environ. On utilise, en plusieurs épaisseurs, les « feuilles intercalaires » des tirages, ainsi que les « mauvaises feuilles » rejetées comme maculées, mal margées, noires ou grises, etc. ; on emploie surtout, et de préférence, en raison de leur résistance plus appropriée à la fonction qui leur est imposée, les papiers, appelés maculatures, qui servent à l’emballage des rames de papier.

Lorsque les pages comprennent des gravures à trames très fines, le choix des porte-pages n’est pas indifférent : une maculature à gros grain et de fabrication trop primitive peut rayer la trame ; une mauvaise feuille légèrement humide oxyde un zinc et le rend inutilisable ; certains papiers et même quelques encres contiennent des produits qui nuisent au bon état des gravures. L’emploi de n’importe quelle macule pour porte-pages n’est donc pas à conseiller, comme cela a lieu trop souvent : le metteur en pages devra apporter quelque soin à l’examen du papier qui lui est proposé.

e) La qualité de la ficelle qui sert, à la ligature doit être à l’abri de tout reproche : fréquemment, un désir mal placé d’économie minime expose le compositeur à un accident regrettable de mise en pâte, par suite d’une rupture intempestive au moment du liage. Même utilisée pour la première fois et tendue à l’excès, une ficelle soumise accidentellement à une humidité passagère se détend inconsidérément sous l’influence de la sécheresse, et au moindre heurt le paquet se rompt. D’autre part, on oublie souvent cet axiome fondamental : sans dépasser une limite convenable, la grosseur et, conséquemment, la force de résistance doivent être en rapport avec la grandeur de la page et la force de corps du caractère employé. Enfin une ficelle mince brise la main du compositeur.

Il semble relativement facile, afin d’éviter les multiples désagréments qui résulteraient pour une maison de l’emploi de types multiples de ficelle, de recourir à un modèle de grosseur moyenne, de résistance irréprochable, satisfaisant aux conditions les plus exigeantes. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que, si le prix est en rapport avec la qualité demandée, il est aussi et surtout fonction du poids.

En résumé : pour un maximum de sécurité, sous une grosseur moyenne, la ficelle choisie subira un minimum d’allongement lors de la tension, et elle ne donnera aucun signe de relâchement après une sécheresse consécutive à une période d’humidité. Même après un usage deux ou trois fois répété, le chanvre ne présentera aucune trace d’effilochage.

f) Nombre de compositeurs insistent vivement sur l’utilité d’un nœud à l’extrémité de la ficelle qui constitue le début de la ligature : ce nœud empêcherait, le chanvre de s’effiler, et, surtout, lors du premier tour, il aiderait les doigts à retenir cette extrémité ; lorsqu’un paquet attaché depuis quelque temps menace de se délier, le nœud retarderait la catastrophe.

Mais il est bon de reconnaître que maintes fois ce nœud donne lieu à des ennuis : prise entre deux tours de ficelle, l’extrémité tirée brusquement par un ouvrier inattentif ne peut s’échapper en raison du nœud qui la retient : la ligature entière s’enlève d’un coup, et c’est un désastre irréparable. Pour défaire une ligature mal exécutée, un compositeur maladroit ou trop pressé saisit hâtivement la ficelle en un point quelconque : le nœud coincé résiste à la traction et, s’il n’est pas rapidement dégagé, risque d’entraîner le coin de la composition. Ces accidents sont surtout fréquents lorsque le texte est plein ou établi sur une justification assez longue.

g) Lors de la terminaison de la ligature, pour faire la boucle retenant l’extrémité de la ficelle, le typographe ne se servira jamais d’interlignes, surtout d’interlignes de 1 point : il risque de les fausser, même de les briser, et, conséquence plus regrettable, de se blesser à la main.

  1. On s’est demandé — et, une polémique s’est engagée sur ce grave sujet — si le compositeur doit travailler de préférence debout ou assis.
    xxxxL’usage, les habitudes, certaines exigences de la profession veulent que l’ouvrier travaille debout.
    xxxxMais les hygiénistes déclarent que le typographe doit, autant que possible, travailler assis. Ils appuient leur manière de voir de raisons dont le bien-fondé n’est point contestable.
    xxxxC’est un fait reconnu, disent-ils, que beaucoup de compositeurs souffrent des jambes. Avec les années, des maladies se déclarent, dont l’origine tient à la façon dont ces ouvriers ont été obligés de travailler au cours de leur apprentissage, alors que leur constitution n’était pas encore assez forte et leur corps assez formé pour résister à la fatigue d’une station debout prolongée du matin au soir. Les positions anormales au cours du travail que l’on constate chez nombre de typographes n’ont pas d’autre origine : les uns lèvent tantôt un pied, tantôt l’autre ; certains portent tout le poids du corps sur une jambe, alors que la deuxième se repose sur les rayons du rang.
    xxxxCes positions n’ont d’autre but que d’alléger, de diminuer la fatigue.
    xxxxCependant la souffrance prolongée indéfiniment est telle qu’elle provoque le gonflement des veines des jambes ; la circulation du sang est irrégulière, de fortes démangeaisons en sont d’abord la moindre conséquence, aboutissant parfois à des déchirures très longues à se cicatriser.
    xxxxL’apprenti, en dehors des heures de distribution qu’il peut faire assis, devrait non seulement être autorisé, mais parfois obligé à travailler assis, alors qu’il se tient à la casse.
    xxxxLe typographe de travaux de ville échappe dans une certaine mesure aux inconvénients de la station debout ; les déplacements auxquels il est astreint sont une trêve heureuse à la fatigue particulière à l’immobilité debout.
    xxxxL’opérateur de machines à composer travaille assis, et certes c’est la position qui, incontestablement, facilite le rendement. Il semble que l’on pourrait, tout aussi aisément avec un système particulier de sièges, conserver aux compositeurs aux pièces la liberté de mouvement qui leur est indispensable, et en vertu de laquelle on le contraint à la station debout.
  2. Suivant la composition du métal, la lettre neuve possède une sorte de brillant plus ou moins clair qui, surtout à la lumière artificielle, fatigue la vue du compositeur, et qu’il est bon d’atténuer. À cet effet, dès son arrivée de la Fonderie, le caractère est passé à la presse à épreuves, puis, pour le débarrasser de l’encre, soigneusement nettoyé à l’aide de la brosse à potasse. Outre que cette opération ternit le brillant, elle permet au chef de matériel de se rendre compte de l’état de la lettre, de sa régularité d’œil et, si l’épreuve est faite soigneusement, de sa hauteur en papier.
  3. Il est nécessaire de recommander au compositeur de tenir entre deux doigts cette dernière lettre et de ne jamais la porter à la bouche : coutume malpropre et dangereuse au point de vue de la santé, en raison des produits toxiques qui entrent dans la composition du métal.