Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/03/03

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 65-68).


III

SYSTÈME DIDOT


En 1755, François-Ambroise Didot[1] décida, on ne sait exactement à la suite de quelles circonstances, d’établir entre les corps « une différence suffisamment sensible pour les faire distinguer aisément les uns des autres à l’œil et au toucher ».

Mais, pour que le nouveau système eût quelque chance de succès, il devait, en tant que mesure en quelque sorte de longueur, offrir un rapprochement possible avec le système métrique en usage et être d’une réelle simplicité. Le système Fournier avait manqué à l’une au moins de ces qualités. Peut-être Didot ne l’ignorait-il point et sut-il dès lors éviter l’écueil qui pouvait faire échouer sa tentative.

La mesure type posée à la base du système fut, comme dans le système Fournier, une unité appelée mètre ou point typographique, que Didot fit dériver directement et immédiatement de la ligne de pied de roi.

La ligne, on l’a vu plus haut, avait une valeur égale à 12 points géométriques. Au lieu de donner au point typographique une force rigoureusement semblable à celle du point géométrique, ou 1/12 de ligne, Didot imagina de lui attribuer une valeur double, soit 1/6 de ligne, mesure intermédiaire basée, elle aussi, sur le système duodécimal, comme toutes les mesures légales anciennes, et il établit l’échelle suivante :

1 ligne = 6 points typographiques,
6 points typographiques = 12 points géométriques ;


de la sorte :

1 point typographique = 2 points géométriques,


et, multiple obligé dans ce système duodécimal :

12 points typographiques = 24 points géométriques,


ce qui, en mesures actuelles, donne pour le point typographique 0mm,376, et pour les 12 points 4mm,512.

En résumé, la ligne fut divisée en 6 mètres, unités ou points typographiques, et « servit à graduer et à dénommer les différents caractères ».

Dans ce système, les dénominations anciennes des caractères ne sont plus usitées : « Le plus petit corps, qui a les 6 mètres complets[2], ou la ligne de pied de roi, se nomme le six ; celui qui le suit immédiatement est le sept, composé de 1 ligne et de 1 mètre de plus ; le huit, le neuf, le dix, le onze, le douze augmentent également de grosseur, et par des mesures aussi précises[3]. »

L’échelle de Didot comprend, d’ailleurs, plusieurs séries de corps :

Une première série va de 1 point à 6 points et procède par différence de 1/2 point typographique ou 1 point géométrique : 1 point, 1 point 1/2, 2 points, 2 points 1/2, 3 points, etc. ;

Une deuxième va de 6 points à 12 points, en croissant de 1 point pour chaque différence de corps immédiate : 6, 7, 8, 9, etc. ;

Une autre commence au corps 12 (force égale à 2 lignes, en mesures métriques anciennes) ; les corps y sont doubles de ceux de la série précédente et progressent de 2 points en 2 points : 12, 14, 16, 18, 20, etc. :

06 mètres et 06 mètres = 12 mètres ou points
07xxxxxxet 07xxxxxx= 14xxxxxxx
08xxxxxxet 08xxxxxx= 16xxxxxxx
09xxxxxxet 09xxxxxx= 18xxxxxxx
10xxxxxxet 10xxxxxx= 20xxxxxxx

Le nom de typomètre fut donné à l’instrument construit comme mesure de longueur : cet instrument est identique au prototype de Fournier, mais la longueur du grand côté de l’équerre a été augmentée et portée à 288 points Didot de 0mm,376. La hauteur en papier est de 23mm,60, soit 62 points 3/4 Didot.

Il ne faut pas croire que les chiffres donnés ici sont admis par tous les auteurs typographiques. Il existe, au contraire, sur ce point des divergences dont les raisons sont inexplicables.

Tout d’abord, les fonderies paraissent avoir accepté la hauteur en papier de 23mm,60, ou 62 points 3/4 Didot. Par contre, nombre de linotypistes et de mécaniciens régleraient leur hauteur en papier à 23mm,56. La différence, évidemment, est peu sensible ; elle existe cependant.

Parmi les manuels dont l’opinion n’est point conforme à celle des fondeurs, on peut citer :

Le Nouveau Manuel complet de Typographie, de E. Leclerc, qui indique : 23mm,5, soit 62 points 1/2 Didot ;

Le Vade-Mecum du Typographe, de Jean Dumont, qui donne également aux 10 lignes et demie la valeur de 23mm,5 ;

Le Traité de la Typographie, de H. Fournier, qui fut maître imprimeur et directeur de la célèbre imprimerie Mame (de Tours), fixe la hauteur, « pour la France, à 24 millimètres »[4] ;

Le Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographes, de Th. Lefevre[5], rappelle que la hauteur est de « 24 millimètres pour Paris et une partie de la France » ;

La Lettre d’Imprimerie, de F. Thibaudeau[6], dit que « le point typographique, d’après l’étalon arrêté par F.-A. Didot en 1780, équivaut à la sixième partie de la ligne du pied de roi, ou 0mm,000.266 » ; et que « la hauteur d’œil est de 62 points 7/6 ou 23mm,6 » : il est difficile d’expliquer autrement que par une erreur matérielle, la valeur donnée par Thibaudeau à la ligne du pied de roi qui est de 2mm,66 et non point de 0mm,266, quantité à l’aide de laquelle il serait difficile d’obtenir, pour la sixième partie, appelée point typographique, la valeur 0mm,376[7] ;

Le Compositeur et le Correcteur typographes, de G. Daupeley-Gouverneur, rappelle que la « hauteur de 10 lignes et demie, représentant 63 points typographiques, égale environ 23 millimètres pour les caractères fondus à Paris, ceux fondus à Lyon étant hauts de 1 millimètre[8] » ;

Les Notions de Typographie, de E. Desormes, passent sous silence tout ce qui concerne cette question et ne paraissent même point donner la définition du point non plus que du douze ;

Le Nouveau Manuel de Typographie, de A. Muller, donne une indication erronée également[9] : « Cette hauteur, à Paris, est de 62 points et demi (environ 0m,0235)… »

  1. Didot François-Ambroise, né à Paris en 1730, fut reçu libraire le 14 août 1753 ; il succéda à son père Didot François, en qualité d’imprimeur, le 1er  juillet 1757. Le roi_Louis XVI le choisit pour imprimer les ouvrages destinés à l’éducation du dauphin.
  2. Il semble, en effet, que Didot n’utilisa pas les caractères de corps inférieur au 6.
  3. Didot, Histoire de la Typographie, p. 846.
  4. P. 33, note 2, 4e éd. revue par A. Viot.
  5. Ed. de 1883, p. 495, note 3.
  6. T. I, p.2.
  7. T. II, p. 491.
  8. Ed. de 1880, p. 2.
  9. P. 2.