Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/02/05

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 39-55).


V

LE MATÉRIEL ET LES OUTILS DU COMPOSITEUR


Les premiers objets du matériel typographique mis entre les mains de l’apprenti compositeur, à son entrée dans la profession, sont : la casse et ce qu’elle contient (lettres, signes et blancs), le composteur, l’interligne, la galée et les pinces.


LA CASSE


Autrefois, la casse était divisée en deux parties, égales et indépendantes, auxquelles on avait, pour la partie supérieure, donné le nom de haut de casse, et pour la partie inférieure celui de bas de casse. Chacune de ces deux parties, prise isolément et considérée sans désignation de fonction, a reçu le nom générique de casseau.

Par son poids et par ses dimensions, la casse ancienne était peu maniable et cause d’encombrement. À une époque où les genres de caractères utilisés dans les labeurs étaient peu nombreux — grandes capitales, petites capitales, italique — elle eut cet avantage de mettre à portée du typographe presque tout ce qui lui était indispensable pour la composition, évitant ainsi toute perte de temps. Mais de nos jours, où l’on recherche dans la multiplicité des types le moyen de parler aux yeux en même temps qu’à l’esprit du lecteur, la casse primitive devint rapidement insuffisante. D’ailleurs, la classification des lettres et des signes qu’elle contenait variait fréquemment, pour ainsi dire d’une ville à une autre, parfois même d’une maison à la voisine, et cette divergence était cause de multiples ennuis.

Par la force même des choses, la casse en deux parties tomba peu à peu en désuétude, ses inconvénients ne compensant plus les quelques avantages qu’on pouvait en tirer ; l’usage en fut alors réduit aux seuls caractères d’affiches pour lesquels elle est encore utilisée.

Après maintes discussions, après de nombreux essais de casses de dispositions diverses, une Commission conseilla l’adoption d’une casse en une seule pièce, utilisée déjà par certaines Maisons, et comportant une classification identique des lettres et des signes[1].

La case actuelle — dite casse Parisienne, que le compositeur, dans son langage imagé, qualifie du nom de boîte — est une boîte rectangulaire, d’une seule pièce, plus longue que large, plate et découverte ; d’une hauteur moyenne de 0m,04, elle est divisée en deux parties principales comprenant des compartiments inégaux appelés cassetins, dont les divisions ont une hauteur inférieure de 3 à 4 millimètres à l’assemblage constituant le cadre ; le fond est généralement garni d’un papier très résistant[2].

CASSE PARISIENNE

a) La partie supérieure, que l’on désigne encore par le terme de « haut de casse », est plus spécialement réservée aux majuscules (grandes capitales), aux signes divers, aux lettres supérieures et aux lettres accentuées.

Le « bas de casse », isolé de la partie supérieure par une séparation plus accentuée que celle qui limite les cassetins entre eux, contient les lettres minuscules (bas de casse), les chiffres, les signes de ponctuation et les blancs utilisés dans la composition (espaces, cadratins et cadrats).

À la partie supérieure gauche du bas de casse, on a ménagé un cassetin dénommé cassetin au diable ou de fonte et destiné à recevoir provisoirement les lettres hors d’usage rencontrées au cours de la distribution. Le compositeur jaloux de la propreté et de l’ordre à conserver dans sa casse doit fréquemment survider ce cassetin ; en aucun cas, il ne saurait laisser déborder son contenu dans les cassetins environnants, comme on le voit trop fréquemment[3].

b) La place des lettres dans la casse française et la grandeur des cassetins (leur capacité ou contenance) sont déterminées d’après des conditions parfaitement raisonnées.

1° Par l’emplacement affecté à chaque lettre on a cherché à éviter au bras et à la main du compositeur une cause de fatigue : on a dès lors raccourci le plus possible le chemin à parcourir, par ceux-ci, pour prendre la lettre au cours de la composition : les grandes capitales, ou majuscules, reportées à l’angle gauche du haut de casse, se suivent régulièrement, sauf U et J ; les lettres minuscules accentuées et supérieures, peu utilisées, sont rejetées à l’extrémité droite du haut de casse ; les autres lettres bas de casse, ou minuscules, sont distribuées dans la partie inférieure suivant un ordre qui les rapproche du centre en raison de leur utilisation plus ou moins fréquente.

2° La capacité des cassetins a été établie en tenant compte de l’emploi plus ou moins fréquent des lettres ou des signes. Ainsi :

Les cassetins des chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0, du point et virgule, du deux points, du ½ cadratin, du cadratin, de l’espace fine, de l’astérisque, de la division, de l’apostrophe, et des lettres w, k, fi, y, z, ç, œ, æ, sont simples, c’est-à-dire représentent l’unité ;

Les cassetins des lettres b, f, g, h, l, p, q, x, v, du point et de la virgule ainsi que du tiret sont doubles ;

Les cassetins des lettres c, d, m, n, i, o, s, u, t, a, r, sont quadruples, alors que le cassetin de la lettre e, la plus fréquemment employée dans la langue française, est sextuple, c’est-à-dire représente six fois la contenance d’un cassetin de chiffres.

La casse est la même, quant à la disposition et à la place respective des cassetins et des lettres, pour tous les caractères romains, italiques, égyptiennes et normandes ; elle diffère pour les caractères d’écriture, anglaise et ronde ou bâtarde, ainsi que pour les caractères étrangers, grec, gothique, allemand, etc.

c) Les fondeurs et les constructeurs de matériel typographique ont, en dehors de la casse courante, créé des modèles différents destinés à divers usages : casse pour caractères en bois et pour caractères d’écriture, à lattes mobiles ajustables dans des rainures verticales pratiquées de 12 points en 12 points de chaque côté ; — casse à garniture et à interligne ; — casse à filets et accolades ; — casse pour caractères de fantaisie comportant plusieurs œils, généralement deux ou quatre ; etc.

d) Toutes les casses n’ont pas les mêmes dimensions : il existe des grandes, des moyennes et des petites casses.

Les grandeurs dont on se sert le plus habituellement sont :

0m,44 × 0m,50 ;
0m,44 × 0m,65 ;
0m,50 × 0m,85.

On trouve également des casses ayant :

0m,38 × 0m,50 ;
0m,47 × 0m,70 ;
0m,47 × 0m,75 ;
0m,47 × 0m,80 ;
0m,50 x 1m,00.

Le chiffre le plus élevé, qui indique la longueur de la casse de la gauche vers la droite, sert parfois à désigner le type de casse. Ainsi on dit : une casse de 50, une casse de 65, une casse de 85. La casse de 85 paraît être celle qui est le plus fréquemment utilisée à l’heure actuelle.

e) Pour éviter des confusions regrettables et pour faciliter le bon entretien du matériel, en même temps qu’une rapide exécution du travail, toutes les casses sont étiquetées, c’est-à-dire munies sur leur face avant d’une ou plusieurs étiquettes de couleur, portant l’indication du corps, le numéro distinctif du caractère, le nom du fondeur, le nombre et la place du ou des crans dont les lettres sont munies, le nombre de casses et souvent aussi la date de mise en service du caractère. Fréquemment ces divers renseignements sont composés dans le caractère même faisant l’objet de la désignation :

  7 Elzévir n° 3 Berthier et Durey  
1 cran bas 1 cran haut 12 casses
  9 Romain Didot n° 75 Chaix et Cie
Août 1923 2 crans bas 25 cassesxxxxxxxxx

Ces étiquettes sont collées sur la casse elle-même, ou placées dans un porte-étiquette spécial servant à les protéger.

f) Pour le travail, les casses sont placées sur des rangs de longueur nécessaire pour tenir 2, 3, 4, 5, 6, etc., casses[4], suivant la demande, et d’une hauteur approximative moyenne de 1 mètre, du côté où se placera le compositeur.

La profondeur des rangs est déterminée par les dimensions des casses auxquelles ils sont destinés : 0m,50, 0m,65, 0m,75, 0m,85, 1m,00.

La partie supérieure du rang, sur laquelle repose la casse, est inclinée, afin de placer celle-ci dans la position la plus favorable pour les yeux et la main ; l’inclinaison ne saurait d’ailleurs être exagérée, car elle réduirait singulièrement la contenance des cassetins par le risque que présenteraient les lettres d’un cassetin supérieur à glisser dans le cassetin inférieur.

Les rangs, construits en bois ou en fonte, sont parfois munis, à l’intérieur, sur toute leur hauteur ou simplement sur une partie, de tasseaux destinés à recevoir en réserve, et à portée de l’ouvrier, les casses de caractères momentanément inutilisés, ou de tablettes, servant à déposer les paquets de composition au fur et à mesure de leur achèvement.

Les modèles de rangs sont nombreux ; les constructeurs se sont d’ailleurs ingéniés non seulement à réaliser, mais encore à perfectionner la confection de meubles donnant satisfaction à toutes les exigences.

L’ouvrier monte ou dresse une casse quand il sort celle-ci du rayon ou du meuble et la place sur le rang, dans la position qu’elle doit occuper pour le travail ; au contraire, il démonte la casse (il se démonte) quand il enlève celle-ci pour la mettre de côté ou la replacer dans le rayon ou le meuble.

Une casse est dite couverte, quand une deuxième casse est placée sur elle.

On appelle casse bardeaude celle dans laquelle certaines lettres, certaines sortes manquent, alors que d’autres sont surabondantes : cette casse ressemble à un bardeau.

g) Théoriquement, la casse devrait contenir l’assortiment complet des lettres et des signes servant à la composition typographique, ensemble auquel on a donné le nom de caractère :

1o Les lettres minuscules ou bas de casse :

a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, etc. ;

2o Les lettres doubles ou triples bas de casse[5] :

ff, fi, fl, ffi, ffl, w, æ, œ, ç ;

3o Les lettres accentuées bas de casse :

é, è, ê, ë, à, â, î, ù, ü, ô ;

4o Les lettres majuscules ou grandes capitales :

A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, etc. ;

5o Les grandes capitales accentuées[6] :

É, È, Ê, etc. ;

6o Les grandes capitales doubles :

Æ, Œ, W ;

7o Les petites capitales :

a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, etc ;

8o Les petites capitales accentuées :

é, é, ê, etc. ;

9o Les petites capitales doubles :

æ, œ, w ;

10o Les chiffres :

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0 ;

11o Les signes de ponctuation proprement dits :

, ; : . ? !


auxquels on peut ajouter :

», -, ), — ;

12o Certains signes couramment employés :

§, [, /, *, etc. ;

13o Les lettres supérieures au moins les plus fréquemment utilisées :

a, e, i, o, u, l, m, s, r, t ;

14o Les blancs :

Espaces fines, espaces moyennes, espaces fortes,
demi-cadratins, cadratins, cadrats.

En pratique, on serait obligé d’avoir recours, pour contenir tout cet ensemble, à des casses de dimensions considérables, occupant un trop grand emplacement et difficiles à manier, telles autrefois les casses en deux morceaux.

Le poids de ce matériel serait en effet considérable. Les fondeurs ont recherché, pour deux genres différents de casses, le chiffre approximatif que pèse chaque sorte contenue dans les cassetins :

DÉSIGNATION DES CASSETINS CASSE
de 0m,65
CASSE
de 0m,85
  kg. kg.
a, c, d, i, m, n, o, r, s, t, u 
00,435 00,890
00,785 01,600
b, f, g, h, l, p, q, v, x, é 
00,220 00,340
j, k, y, z, w, æ, œ, ç, fi, fl, ff, accents et ponctuations, capitales et chiffres 
00,100 00,170
Supérieures 
00,050 00,085
Blancs 
01,380 02,400
 

xxxxxxxxxxxxxxxPoids de la casse pleine 
2000» 3500»

Si à ces nombres on ajoute la tare de la casse elle-même, on peut supposer qu’une casse de 0m,65 atteindra le poids moyen de 23 kilogrammes, et une casse de 0m,85 celui de 40 kilogrammes.


LE CASSEAU



Pour remédier au défaut de place que présente la casse ordinaire, on a créé le casseau.

Au sens propre du mot, le casseau est une casse de grandes dimensions, divisée à peu près comme le bas de casse des casses ordinaires. Les casseaux sont destinés à contenir les sortes surabondantes des casses ordinaires, en même temps qu’ils servent de réserve — de concert avec le bardeau — pour recevoir, lors de leur arrivée de la fonderie, les sortes que l’on ne peut conserver en paquets.

Il existe des casseaux de grandes capitales, de petites capitales, d’italique, d’égyptienne, de normande, etc. ; il y a également des casseaux de chiffres, de lettres supérieures, de signes divers.

On a créé en effet des casseaux de toutes les dimensions, depuis le petit casseau de 0m,25 jusqu’à la grande casse de 1 mètre ; et le nom de casseau a été abusivement attribué à des « boîtes » n’ayant qu’une vague ressemblance avec le véritable casseau ou grande casse, tels les casseaux pour filets, accolades, vignettes, clichés, etc.

Les casseaux doivent être étiquetés, comme les casses.


LE BARDEAU


Le bardeau est destiné au même usage que le casseau, mais il est de dimensions plus considérables que celui-ci.

Le bardeau, composé de cassetins, à l’instar des casses et des casseaux, est divisé en plusieurs parties, généralement deux, quelquefois trois (une pour les grandes capitales, deux pour le bas de casse), plus rarement quatre ; les lettres et les signes y sont répartis de la même façon, en suivant le même ordre, que dans la casse.

Plus particulièrement, on désigne sous le nom générique de « bardeau » un ensemble de grands casseaux contenant les sortes en réserve des caractères. Tous les caractères, suivant l’importance de l’imprimerie, ont pour chaque corps leur bardeau particulier. Généralement, un meuble spécial enferme le bardeau de chaque caractère.


LE COMPOSTEUR


Le composteur est un instrument (de fer, de zinc, de nickel, même de cuivre ou de bois), dans lequel le typographe assemble les lettres pour en former les mots et les lignes.

D’après Bertrand Quinquet[7], « dans l’origine de l’imprimerie, à l’époque à laquelle on inventa les caractères isolés et même longtemps après, on ne se servait pas de composteur, mais de fils de fer ou de brochettes de la longueur précise que l’on voulait donner aux lignes ; les lettres et les espaces étaient percées dans le milieu du corps à la même hauteur ; on les enfilait tour à tour dans le fil de fer, et quand il était rempli, la ligne était complète ; il n’est pas nécessaire de dire à combien d’inconvénients cet usage était sujet, lors de la correction, combien on brisait de lignes, combien on laissait de fautes. »

Certains auteurs font remonter l’invention du composteur aux dernières années du xviiie siècle, vers 1796. Mais des documents incontestables en confirment l’existence bien avant cette date. En 1778, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert donne une description très précise du composteur en usage à cette époque ; en 1771, l’inventaire de l’imprimerie François Le Tellier (de Chartres) mentionne « trois composteurs, dont un de cuivre » ; et, en 1638, soit un siècle plus tôt, un acte de vente de Pierre Cattereau énumère, parmi les objets du matériel typographique, « troys composteurs de cuivre, ung de fer et troys de boys ».

Le corps du composteur est constitué par deux lames de métal d’égale longueur, assemblées à angle droit ; à l’extrémité droite — le composteur étant tenu dans la position normale qu’il occupe au cours du travail — il est terminé par une partie fixe, le talon de justification ; un second talon, parallèle au premier, et plus proprement appelé languette ou glissière, est constitué, par une pièce mobile : la languette coulisse à volonté sur toute la longueur du composteur ; elle peut être maintenue en place par une vis de pression ou par un levier.

Il est indispensable que le talon et la languette soient rigoureusement parallèles : un composteur défectueux ou faussé occasionne des irrégularités de justification auxquelles il est nécessaire de remédier par un travail supplémentaire dont les résultats ne sont pas toujours satisfaisants et ne sauraient être comparés au travail obtenu de premier jet avec un outil irréprochable.

Les constructeurs fournissent des composteurs de longueurs et de dimensions diverses : la longueur varie de 23 centimètres et au dessous jusqu’à 0m,80 et même 1 mètre ; les dimensions vont de 1 douze jusqu’à 12 douzes. Les composteurs utilisés pour la composition courante des labeurs ont généralement 0m,25 de longueur environ et de 6 à 8 douzes comme dimension.

La longueur et la largeur d’un bon composteur ne doivent pas être exagérées : il ne faut pas oublier en effet que le poids est fonction de ces dimensions, et qu’il est une cause de fatigue pour la main et le bras de l’ouvrier, d’autant plus accentuée que la quantité de composition contenue par le composteur est plus considérable.

Le composteur à dimensions réduites a cet avantage de diminuer le poids de composition à soutenir par le typographe ; par contre, il offre le réel inconvénient d’obliger à vider plus fréquemment dans la galée les lignes de composition, ce qui conduit à une perte de temps parfois fort préjudiciable.

a) Il existe des composteurs à deux ou plusieurs divisions de justifications, c’est-à-dire à languettes mobiles multiples donnant pour chaque languette une longueur de justification variable au gré du compositeur. Ces composteurs sont surtout utiles pour la composition de tableaux ou de travaux comportant plusieurs colonnes.

b) On rencontre également des composteurs à graduations typométriques : sur la lame de métal formant la paroi verticale de l’outil, et à l’intérieur, on grave les divisions par 6 points et par 12 points ; d’autres fois la graduation figure sur la lame de métal formant le fond du composteur, et la paroi verticale comporte de 6 points en 6 points des crans formant arrêts de justification dans lesquels se cale, par un appendice approprié, le talon qui se trouve ainsi automatiquement justifié à la longueur indiquée. Malgré le surcroît de sécurité matérielle que peuvent lui apporter de tels composteurs, un typographe ne devra jamais, pour « se justifier », se priver du secours de la garniture ou des interlignes.

c) Pour la composition des affiches ou de certains travaux à gros caractères, sur longues justifications, on utilise des composteurs en bois : leur disposition est analogue à celle des composteurs ordinaires en métal ; leur longueur varie de 0m,50 à 1m,20 et même lm,30 ; leur dimension moyenne est de 12 douzes ; ils sont renforcés d’une garniture de cuivre.

d) À ces divers modèles il faut en ajouter un dernier, plus particulièrement désigné sous le nom de composteur en bois. Ce composteur est une pièce ou, plutôt, parfois un assemblage de deux pièces de buis ou bois blanc, évidées en angle rentrant sur une longueur de 25 à 30 centimètres environ ; sa surface inférieure est taillée en chanfrein ; il ne possède aucune partie de justification, chacune de ses deux extrémités comportant un talon fixe, soit naturel, soit rapporté.

Lorsque ce composteur est dans sa position normale, l’œil de la lettre doit se présenter directement à la vue du compositeur. Cet outil, dont la profondeur plus grande que celle du composteur en fer donne plus de fixité à la lettre, présente une pente légère du côté du pied ; il ne peut contenir que deux ou trois lignes des lettres ou des mots de caractères étrangers à la casse courante, destinés à être intercalés dans la composition, ou rencontrés au cours de la distribution. On se sert également de cet outil pour la correction sous presse, sur le marbre, etc.

e) On obtient la longueur de ligne demandée, ou justification, en éloignant ou en rapprochant du talon qui est fixe la languette ou partie mobile.

Justifier un composteur, prendre une justification, c’est donc établir entre la languette et le talon une distance correspondant à la longueur de justification, ou à la longueur de ligne du texte exigée. L’opération est fort simple : la vis du composteur étant desserrée, ou le levier levé, et la languette écartée, on place dans le composteur, appuyées au talon, une poignée d’interlignes convenablement triées, ou encore une garniture, de longueur voulue ; on rapproche la languette ou glissière, et les interlignes ayant été bien dressées, la garniture étant tenue rigoureusement d’aplomb, on serre la vis ou l’on abaisse le levier, après s’être assuré que les interlignes « conservent sous l’effort du pouce un jeu aisé de va et vient dans le sens de leur épaisseur, c’est-à-dire qu’elles ne sont ni trop serrées ni trop libres ». Il ne faut pas oublier, en effet, qu’à l’imposition, lors du serrage, la pression à l’aide des biseaux et des coins doit s’exercer sur les lignes et non sur les interlignes, sous peine des plus grands ennuis. On peut encore — et c’est un conseil fréquemment répété — justifier un composteur, avec plus de précision, en employant des m de corps 12, placés à plat dans le composteur :


la dernière lettre doit pouvoir, après le serrage de la vis, s’enlever ou se remettre à frottement doux.

La vis ou le levier du composteur seront solidement serrés, de manière à ce que celui-ci ne puisse se déjustifier insensiblement sous l’effort des légères poussées successivement répétées à chaque justification de ligne.


LES PINCES


Les pinces, utilisées pour la correction, sont fabriquées en fer ou en acier ; elles se composent de deux branches, réunies à l’une de leurs extrémités par un rivet de métal et soudées ; à l’autre extrémité, sous une pression modérée des doigts, les branches, suffisamment élastiques, peuvent se refermer pour saisir l’objet voulu : lettre, interligne ou autre.

Pour la correction, le paquet de composition placé sur la galée même est débarrassé entièrement de la ficelle qui le maintient en le bridant, aux quatre angles ; si la page est imposée, elle est desserrée : ni coins ni biseaux ne doivent exercer la moindre pression.

La ligne dans laquelle doivent être faites une ou plusieurs corrections est légèrement élevée au moyen des pinces fermées qui pressent l’une de ses extrémités, pendant que la main gauche dirige l’autre extrémité. Cette ligne se trouvant de la sorte plus haute que les autres lignes de la page, on a toute facilité pour ajouter, changer ou retrancher des lettres et justifier à nouveau.

Si la correction ne porte que sur un mot, on peut n’élever que ce mot : à cet effet, dans les blancs laissés par l’espace on appuie d’un côté du mot la pince fermée, et de l’autre le doigt ; le mot légèrement levé, la correction s’exécute avec aisance.

Dans un texte compact, on doit, après avoir écarté les lettres voisines, saisir la lettre à changer par les flancs, c’est-à-dire dans le sens de, l’épaisseur ; dans une composition interlignée, il est plus expéditif, si la lettre est de grosseur moyenne, de la saisir dans le sens de la force du corps.

Manœuvrées avec dextérité et précaution par un ouvrier soigneux, les pinces peuvent être complètement inoffensives pour le caractère. Malheureusement trop de compositeurs en font le complice ou, plutôt, l’exécuteur d’une œuvre néfaste. Malgré tous les conseils, ils conservent l’habitude déplorable, de « corriger sans délier ». Les lettres étroitement bloquées les unes contre les autres n’offrent qu’une prise minime aux pinces : celles-ci, dont les extrémités sont parfois faussées ou éraillées, enserrent mal la lettre ; malgré un effort de pression plus considérable des doigts, les pinces échappent la lettre : elles glissent, à vide, non sans avoir auparavant égratigné parfois gravement un œil jusque-là irréprochable, et qu’il faut se résoudre dès lors à mettre à la fonte.

Autrefois, au lieu de pinces, on utilisait exclusivement la pointe : après avoir levé légèrement la ligne ou le mot à rectifier, l’ouvrier piquait sur l’un des flancs les lettres fautives, dégagées de leurs voisines, et les soulevait à l’aide des doigts de la main gauche. La pointe maniée avec précaution ne paraît pas devoir être plus néfaste au caractère que les pinces, et nombre de vieux typographes l’utilisent encore de préférence à celles-ci.

Quelques fabricants ont, d’ailleurs, combiné, pour la correction, un modèle d’outil comportant à la fois les pinces et la pointe : parfois la pointe est placée à l’extrémité des pinces, c’est-à-dire à la tête, de manière fixe ; d’autres fois, la pointe, pivotant sur l’axe qui la fixe, peut, après le travail, venir se loger entre les deux branches des pinces.


LE VISORIUM


À ces différents outils, bien qu’il ne soit plus aujourd’hui qu’assez rarement utilisé, on peut ajouter le visorium : cet instrument sert, ou plutôt servait, « à tenir la copie sous les yeux du compositeur ».

Un modèle particulièrement bien compris de visorium se compose de deux baguettes plates, de 2 centimètres de large environ, assemblées en forme de croix, légèrement inclinée sur le pied auquel elle est fixée. À la partie supérieure un mordant, appelé aussi pince, retient étendue dans le sens de la largeur la copie appuyée vers son milieu sur le bras horizontal de la croix ; ce bras peut coulisser à frottement doux, sur le montant vertical, suivant la longueur de la copie, dont le bas est pris sur un talon. Le pied du visorium est constitué par un fer rond dans lequel sont entaillées à angle droit deux rainures, permettant de fixer le visorium au coin de n’importe quel cassetin.

Plus simplement, à l’aide de deux baguettes de bois croisées, d’une lamelle de fer souple comme mordant, et d’une pointe comme pied, un typographe a vite fait de se construire un visorium économique qui lui donnera satisfaction.

Le visorium a le grand avantage de conserver la copie dans toute sa propreté et de laisser à découvert tous les cassetins de la casse. À ce titre il mériterait d’être remis en honneur.


LA GALÉE


a) La galée ordinaire est une plaque de bois dur ou de métal (zinc ou cuivre), de forme rectangulaire, mais plus longue que large. À l’angle inférieur gauche[8] est placée une équerre en fer, de 1 centimètre de hauteur environ, régnant, à angle droit, sur toute la longueur des deux côtés.

Parfois, et particulièrement pour les galées de composition, au côté droit, et rivées dans le bois ou le métal, la galée porte, sous le fond, deux chevilles légèrement débordantes. Ces chevilles, butant sur deux cassetins, permettent d’assujettir la galée à la partie supérieure droite de la casse, en lui donnant une inclinaison convenable pour maintenir la composition.

Ce genre de galées est en effet surtout destiné à recevoir les lignes de composition au fur et à mesure que le typographe les enlève du composteur, pour en former un paquet, avant de les réunir ultérieurement en placards ou en pages.

Le bois employé à la confection des galées doit être bien sec, non susceptible de se fendre ou de se courber ; le compositeur s’abstiendra avec le plus grand soin, sauf en des cas tout à fait exceptionnels, de mouiller la composition placée sur ces galées, afin d’éviter au bois toute chance d’humidité qui pourrait le faire « travailler ».

Le fond, c’est-à-dire la partie portant la composition, doit être parfaitement poli ou laminé ; il ne doit, en outre, présenter aucune pointe, aucun rivet de métal d’une résistance à l’usure supérieure à celui qui constitue la galée elle-même, afin d’éviter au pied de la lettre le moindre choc toujours préjudiciable.

L’équerre doit être très régulière, et le fer qui la compose parfaitement dressé dans toute sa longueur.

Il est indispensable, en effet, que, lors de la correction en galée, l’ouvrier qui repasse la justification de ses lignes, puisse exécuter ce travail sans être exposé aux inconvénients qui résulteraient d’une équerre irrégulière ou faussée. Pour se prémunir contre ces désagréments, certains compositeurs ont l’habitude excellente de placer le long de l’équerre, sur la longueur voulue, c’est-à-dire débordant au delà de la composition, un douze soigneusement choisi qui leur assure une régularité de ligne irréprochable. D’ailleurs, certains constructeurs fournissent des galées avec équerres absolument rigides : à cet effet, un rebord en bois d’acajou double du côté extérieur l’équerre dont il augmente la solidité et qu’il met à l’abri des chocs et autres accidents ; d’autres fois, l’équerre en fer ordinaire fait place à une équerre en fonte, renforcée, avec base de soutien, et soigneusement dressée.

La galée de composition est généralement de dimensions restreintes : sa grandeur, à laquelle la longueur est toujours proportionnelle, ne va pas au delà de l’emplacement nécessaire au maniement d’une composition de format in-8o (15 × 25) ou, au plus, in-4o (20 × 30), suffisant de manière générale pour un compositeur aux pièces.

b) Pour les mises en pages, pour la composition des tableaux, poulies travaux de ville, on utilise des galées dont les dimensions atteignent le format[9] raisin (50 × 65), même parfois le format jésus (56 × 72), et dont la disposition est légèrement différente de celle précédemment décrite : ces galées possèdent une double équerre, avec un tasseau commun à l’une et à l’autre ; elles comportent un seul côté ouvert, celui opposé à la partie commune de la double équerre ; en outre, du côté libre, les tasseaux de chaque équerre débordent au-delà de la galée proprement dite. Il est aisé dès lors, en appuyant ces tasseaux ou oreilles sur le bord d’un ais, d’un marbre, de glisser sur cet ais ou sur ce marbre la page ou le tableau que les deux mains du compositeur ne pourraient soutenir.

Pour rendre encore plus appréciables les services que l’on peut retirer de ce genre de galée, dit galée à oreilles, on a imaginé de rendre détachable le côté commun de la double équerre ; lorsqu’il est en place, ce côté est encastré dans les mortaises à cliquet ménagées dans chacun des tasseaux des grands côtés de l’une et l’autre équerre : s’il est détaché, les extrémités de ces tasseaux débordent, elles aussi, au-delà du fond de la galée proprement dite : la page de composition peut, de la sorte, suivant les besoins, être poussée hors de la galée d’un côté ou de l’autre. Ces galées sont tout indiquées pour les mises en pages de labeurs et encore plus pour celles des journaux où elles peuvent rendre de grands services.

c) Bien qu’il soit d’un emploi plus restreint, il est nécessaire de mentionner encore un autre modèle de galée. Appelée galée à coulisse, cette dernière se compose d’un double fond : l’un, fixe, est constitué par une planche, bois ou métal, formant support ; l’autre, plus généralement de métal, glissant dans des rainures pratiquées sous les tasseaux, entre et sort au moyen d’une poignée placée sur le côté ouvert. Pour transporter le tableau ou la page, il est inutile de déplacer la galée elle-même : il suffit de tirer le fond mobile et, après l’avoir utilisé comme porte-pages pour déplacer la composition, de faire glisser celle-ci sur le marbre ou sur l’ais.

d) Plus rarement, la galée, au lieu d’être à coulisse, est à fond mobile. Dans ce cas, l’équerre, enfermant complètement le rectangle formé par la planche mobile, ne laisse aucun côté ouvert. La composition terminée, la galée est portée sur l’ais ou sur le marbre ; le fond mobile glissant, à l’aide d’une poignée, dans les rainures ménagées sur chacun des tasseaux des grands côtés des équerres, abandonne la composition maintenue par l’équerre placée à la sortie du fond.


e) La galée de distribution, plus ordinairement appelée violon, est destinée à recevoir les lignes ou paquets de composition courante que l’ouvrier distribuera pour faire sa casse. Presque toujours en bois, elle est de longueur plus considérable que la galée de composition ; on rencontre généralement les formats suivants : 18 × 38, 20 × 45, 22 × 60, etc. Sa construction est moins soignée que celle de la galée à composition ; d’ailleurs la nécessité de mouiller légèrement la lettre avant la distribution l’expose aux multiples inconvénients que présente le bois soumis aux alternatives de sécheresse et d’humidité ; et le service secondaire auquel ce genre de galée est destiné ne semble pas à nombre d’imprimeurs permettre d’engager la dépense considérable que nécessiterait l’achat de galée de distribution en métal.

f) Nombre de grands quotidiens utilisent, pour la composition et pour la distribution, une galée violon un peu spéciale : la largeur de cette galée à double équerre est conforme à la justification habituellement en usage dans les journaux (8 × 42, 14 × 42, 14 × 50) ; la longueur peut, au moyen d’agrafes munies de griffes, être divisée en plusieurs compartiments ; l’agrafe permet de serrer les lignes et d’en « faire épreuve » sans lier les paquets. Cette galée violon est utilisée pour la conservation des titres et des textes à insérer à plusieurs reprises. Elle se fabrique quelquefois en bois, mais surtout en zinc.

g) Pour la conservation de certaines parties de composition à utiliser ultérieurement — signatures, titres courants ou folios, lignes d’astérisques, titres passe-partout, blancs à mettre en réserve — beaucoup d’imprimeries possèdent une sorte de galée de distribution dite galée à pied. Un support en bois adapté sous le fond donne à cette galée, sur le marbre ou sur toute autre surface plane, l’inclinaison que la galée ordinaire a sur la casse.

Dans nombre de maisons on se sert également de la galée à pied pour la correction des épreuves en placards ou en pages, lorsque celle-ci doit être effectuée sur le marbre et non sur le rang.



  1. Si nos souvenirs sont exacts, cette Commission, composée de MM. Bonaventure, Claye et Serrière, fut constituée en 1857.
  2. En 1857, le Nouveau Manuel complet de Typographie reconnaissait déjà que « les casses modernes ne valent pas les anciennes sous le rapport de la solidité et de la justesse dans l’assemblage ». Il faut dire que le mal est allé s’aggravant. Les fabricants étrangers paraissent apporter plus de soins à la construction de ce matériel typographique que les constructeurs français.
  3. Le compositeur doit tenir sa casse dans le plus grand état de propreté, autant pour sa satisfaction personnelle que pour la plus grande facilité qu’il aura de travailler avec du matériel en bon ordre. Le temps passé à cet entretien sera largement regagné par l’ouvrier lorsque s’imposera une recherche dans un de ces cassetins rarement explorés, qui trop souvent font concurrence à la boîte à fonte. — Le cassetin de fonte n’existe pas sur tous les modèles de casse. Certains fabricants le suppriment.
  4. Dans la pratique la longueur courante utilisée pour les rangs est celle nécessaire pour deux ou trois casses. À moins de circonstances spéciales ou de raisons particulières, les rangs d’une seule pièce de quatre, cinq ou six casses paraissent peu pratiques, tout au moins lorsqu’ils sont réservés pour le service exclusif de la composition courante. Les fabricants construisent surtout les rangs pour les longueurs moyennes ; selon leurs besoins, les imprimeurs emploient deux rangs ou trois rangs côte à côte.
  5. Dans la plupart des caractères romains ordinaires, jusqu’au corps 11 ou 12, les lettres doubles ou triples, fl, fi, ff, ffl, ffi, sont fondues ensemble, d’un seul jet, parce que la bouclette supérieure en saillie de la lettre f rencontrant le point de la lettre i ou l’extrémité supérieure de la lettre l occasionnerait par pression latérale la rupture d’une de ces parties, peut-être des deux, et conséquemment la perte, la mise à la fonte de ces lettres mutilées.

    Sur un certain nombre de caractères, à partir du corps 11 ou 12, et même dans les caractères gras de corps inférieurs, où la largeur de l’œil et l’approche sont suffisantes pour parer en partie à cet inconvénient, on trouve moins fréquemment, chez les fondeurs, les triples lettres ffl, ffi. Le compositeur doit alors préférer l’emploi de la double lettre fi, fl, à celle , la pointe de l’f n’étant pas exposée à rencontrer la partie supérieure de l’autre f.

  6. On peut recommander ici au correcteur d’éviter l’emploi des grandes capitales accentuées É, Ê, Ê, etc., dans les compositions pleines ou compactes. Les accents qui sont fondus en saillie débordent, suivant les fondeurs et le genre de caractère auquel ils appartiennent, de 2 à 3 points environ ; ils portent ainsi presque toujours sur le talus des lettres de la ligne supérieure : ce fait occasionne très fréquemment la rupture de l’accent et entraîne la détérioration d’une partie de l’œil de la lettre elle-même. Bien plus, lorsque l’accent rencontre une lettre à queue inférieure, les deux lettres sont fréquemment mises hors d’usage.
  7. Traité de l’Imprimerie.
  8. Fournier écrit droit, ce qui est incontestablement une erreur.
  9. Le format du papier n’est pas en cause, mais seulement celui de l’outil décrit ici ; les dimensions sont données en centimètres, et non en cicéros.