Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/Avant-propos

E. Arrault et cie (1p. xi-xv).


CE QU’EST CETTE ÉTUDE



Les notes qui formèrent le fond de ce travail n’étaient point destinées à la publicité. Réunies depuis 1888, au hasard des circonstances et des lectures, elles constituaient le modeste vade-mecum d’un jeune correcteur épris de son art, curieux de toujours et plus apprendre, désireux de sans cesse mieux faire.

Des événements que nul n’avait pu prévoir, en nous créant une situation nouvelle et en nous obligeant à des loisirs forcés, nous ont incité à développer maintes idées à peine ébauchées et à coordonner un ensemble de documents un peu épars et fort disparates.

Il ne faut point voir en effet dans les lignes qui vont suivre le labeur d’un seul : beaucoup qui ne sauraient y songer se retrouveront dans ces pages : tantôt en longs extraits, tantôt en phrases courtes et incisives, d’autres fois en des expressions pittoresques, ou même encore en des critiques que nous avons voulues les moins acerbes possible.

Sans doute, les moyens et les ressources dont nous disposions étant par trop restreints, il ne nous a pas été permis d’écrire ce que certains désirent trouver en ce volume : un Manuel du Correcteur ; tout au moins, dans ce travail avons-nous cherché à condenser, comme en un long sommaire, les connaissances indispensables au correcteur, ce travailleur intellectuel dont nous nous honorons d’avoir si longtemps porté le titre.

Nous n’avons point songé, disons-nous, à faire œuvre nouvelle et originale : nos illustres devanciers nous ont laissé peu à glaner sur le chemin que nous avons suivi et qu’ils ont — non sans gloire — parcouru avant nous.

Notre travail s’est borné à rappeler, après une courte définition du mot (chap. i), ce que fut le correcteur à l’origine de l’imprimerie et au cours des siècles qui suivirent (chap. ii), — à examiner son recrutement actuel et ce que devraient être son instruction et son apprentissage (chap. iii), — à énumérer sommairement ses devoirs envers lui-même, envers les autres, et les obligations qui lui incombent (chap. iv).

Cette étude en quelque sorte préliminaire achevée, nous avons abordé la partie technique avec la préparation du manuscrit (chap. v) et le Code typographique dont nous reconnaissons la nécessité (chap. vi), — puis tenté l’historique, en même temps que l’étude des signes de correction (chap. vii).

Le futur correcteur nous a semblé dès lors prêt à affronter les difficultés de l’apprentissage de la correction en premières (chap. viii), puis de la correction en secondes (chap. ix) à laquelle, après quelques années de profession et grâce à une instruction littéraire étendue, le correcteur peut « s’essayer » sans trop d’hésitation ; — la revision et la vérification des tierces (chap. x), la correction des journaux (chap. xi) ont fait l’objet de chapitres particuliers.

Le lecteur qui aura bien voulu suivre les développements parfois un peu fastidieux de ce travail apprendra alors non sans un certain étonnement que la situation morale et matérielle du correcteur (chap. xii), cet ouvrier intellectuel dont on exige plus que de son collègue le compositeur, est — chose invraisemblable ! — inférieure à celle d’un travailleur manuel. Nous ne songeons point à réclamer le monopole de cette prétendue découverte, qui a fait, depuis longues années, surgir mainte discussion ; mais il nous a semblé qu’il était bon de rappeler une fois de plus, et de mettre en parallèle, grâce à de nombreux exemples, le peu d’estime accordé au correcteur moderne et la considération dont jouissait son prédécesseur, aux origines de l’imprimerie ou même au temps de l’ancien régime.

C’est pour nous un devoir, en même temps qu’une satisfaction, d’exprimer notre sincère gratitude à notre collègue et excellent ami M. J. Lemoine, lecteur d’épreuves — correcteur, dirions-nous dans toutes autres circonstances — à l’Imprimerie Nationale, qui a revu notre texte avec un soin méticuleux et nous a suggéré maintes modifications des plus heureuses.

Nous devons également adresser nos vifs remerciements à M. Léon Berteaux, directeur de l’Imprimerie de la Maison de la Bonne Presse, qui voulut bien, nous témoignant sa sympathie, encourager la rédaction de ces lignes ; — à M. René Berteaux, directeur du Courrier du Livre, qui un jour eut le désir de publier cette étude dans son excellente revue ; — à M. Gabriel Delmas, maître imprimeur, dont l’approbation nous a été particulièrement agréable ; — à M. A. Geoffrois, président de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’imprimerie de France, dont l’appui moral nous a été un précieux réconfort ; — enfin, à M. G. Becker, directeur de l’Imprimerie E. Arrault et Cie, qui s’est vivement intéressé à notre travail et a apporté tous ses soins à sa parfaite exécution.

Il nous plaît encore de rappeler ici le souvenir du typographe qui, patiemment, inlassablement, s’essaya à nous inculquer les premières notions de typographie et de correction : durant près de cinquante années, M. Guéry exerça successivement les ingrates fonctions de metteur en pages, de correcteur et de sous-prote dans une des plus importantes imprimeries de province. Alors que de pénibles incidents nous obligent à conserver le plus amer souvenir de certains de nos anciens chefs, nous n’avons cessé, dans les diverses situations que les circonstances nous ont permis d’occuper — correcteur, sous-prote, directeur et patron — de nous remémorer la bienveillance, l’amitié, parfois même l’indulgence dont notre premier éducateur fit preuve à notre égard.

Une tâche dernière nous incombe : remercier tous ceux qui ont contribué à nous faciliter la rédaction de ces lignes.

Est-il nécessaire d’énumérer les noms des maîtres, des amis, des collègues dont nous avons souvent parcouru et consulté avec fruit les travaux ? Aussi fréquemment que nous avons cru pouvoir le faire sans fatigue pour le lecteur, nous avons, au cours de notre texte, cité les auteurs anciens et modernes dont nous avons accepté ou combattu les idées. Si parfois nous avons omis, involontairement, de rappeler l’origine d’appréciations ou de théories qui ne sont point nôtres, on voudra bien nous excuser de cet oubli. Des écrivains que nous avons étudiés particulièrement notre mémoire a conservé des souvenirs que nous avons transcrits ici, sans pouvoir parfois retrouver le texte original, sans avoir la possibilité de fixer par une référence exacte l’esprit du lecteur. Nos devanciers, nos contemporains pourraient-ils nous reprocher ce souci que nous avions en notre prime jeunesse de fixer hâtivement les meilleures pensées directrices sans en noter la source ?

Nos conseillers, nos instructeurs ont d’ailleurs été nombreux : ce furent des professionnels, tels Émile Leclerc, E. Desormes, D. Greffier, Arnold Muller, Th. Lefevre, Daupeley-Gouverneur, Jean Dumont, Bertrand-Quinquet, G. Crapelet, Aug. Bernard, Boutmy, Fournier, Tassis, Breton, Bernier, Ch. Ifan, Chollet ; des littérateurs et des universitaires, tels Levasseur, Larousse, J. Baudrier ; des écrivains techniques, tels Claudin, Renouard, Radiguer, Mellottée, E. Morin ; des historiens, tels Egger, Max Rooses ; des collègues et des amis, tels J. Lemoine, M. Dumont, Matrignat, Aristarque, Campens, Verlet ; enfin, tous ceux qu’encouragent les hommes d’initiative et d’énergie dont s’honorent le Courrier du Livre, la Revue des Industries du Livre, la Revue universelle de la Papeterie et de l’Imprimerie, la Circulaire des Protes. Nous nous sommes efforcé de mettre à profit leurs leçons. Puissent-ils, bien que nous ayons conservé à leur égard le silence, juger que l’élève ne s’est pas montré inférieur à sa tâche et aux exemples dont il devait s’inspirer.


15 août 1923.