Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/08/02

E. Arrault et cie (1p. 372-392).


§ 2. — LA CORRECTION EN PREMIÈRES


I. — Le manuscrit.


I. La lecture en premières exige, de la part du correcteur, la collation aussi rigoureuse que possible de la composition avec le manuscrit de l’auteur ; elle comporte également la nécessité de s’assurer de l’observation stricte des règles spéciales de la composition. « Les erreurs commises sous ce double rapport étant à la charge du compositeur, il est indispensable de les relever avec soin. »

Le rôle du correcteur est ainsi de veiller à ce que, une fois l’épreuve en premières corrigée, la composition soit à tous points de vue aussi correcte que possible.

Mais, comme le remarque Daupeley-Gouverneur, « sans perdre de vue les droits et les devoirs du compositeur à l’égard des irrégularités du manuscrit, le correcteur doit savoir envisager la question à un point de vue d’égalité qui donne satisfaction aux intérêts communs. Par exemple, lorsque la copie contient une erreur évidente facile à rectifier, le correcteur doit l’indiquer sur les premières, et le compositeur ne se refusera pas à la corriger. S’il manque un mot qu’il eût été aisé de restituer, il est du devoir de l’un et de l’autre de corriger l’oubli de l’auteur[1]… En tout état de cause, le correcteur s’attachera à allier les intérêts du compositeur avec les exigences légitimes d’un auteur dans les cas où la copie laisserait à désirer ; mais en même temps, se pénétrant parfaitement des règles de la composition, il devra en réclamer partout l’application rigoureuse. »

Cette attitude, la seule qui convienne au correcteur consciencieux, est inspirée et dictée par ce principe maintes fois rappelé au cours des lignes qui précèdent : ne rien négliger pour que les intérêts de la Maison soient soigneusement sauvegardés, en même temps dégager sa responsabilité et soutenir sa réputation littéraire et technique. Le correcteur qui veut atteindre ce but ne doit jamais — il est indispensable d’insister sur ce point — laisser passer, sans les solutionner dans la mesure de ses moyens, l’une ou l’autre de ces nombreuses difficultés d’interprétation, d’orthographe, de rédaction, etc., dont les manuscrits de certains auteurs sont comme à plaisir émaillés.

Nombre de correcteurs sont trop fréquemment portés à se « laver les mains » de ces cas embarrassants qui mettent en opposition violente leur désir de bien faire et la nécessité d’aller vite ; ceux-là ont une tendance regrettable à écouter et à suivre les conseils des patrons, des chefs qui recommandent, qui exigent en des termes moins expressifs, mais enfin qui recommandent le travail « vivement bâclé » ; avec un tel principe, la besogne ne sera jamais irréprochable. Pour se dispenser de recherches fastidieuses, pour éviter ces reproches rengaines : « La production de la journée n’a pas été merveilleuse », « la lecture ne va pas » ou « n’avance pas », le correcteur en premières passe rapidement ; il étouffe ses scrupules sous ce sophisme banal : « L’auteur doit revoir les épreuves ; le correcteur de secondes, relire les bons à tirer ; ils auront, l’un et l’autre, amplement le loisir de remédier au mal. » Maintes fois cependant l’auteur, préoccupé de son sujet, parcourt le texte sans que son attention ait été éveillée ; le correcteur en secondes se trouve aux prises avec des difficultés qu’il lui est indispensable de signaler, au détriment de la réputation professionnelle de son collègue, au mécontentement du patron, à l’étonnement de l’auteur qui ne peut comprendre comment ces erreurs ont échappé dès le début.

Il est possible qu’un sujet tout spécial soit au-dessus de l’entendement du correcteur même le plus instruit : mathématiques supérieures, traités de théologie ou de dogmatisme, thèses de tout droit et de tout acabit ; il n’y a dans ces circonstances aucun démérite à reconnaître l’impossibilité de mener à bien la recherche entreprise ; mais l’excuse est inadmissible si le correcteur omet de prendre note de l’obscurité du texte, de l’irrégularité du manuscrit, et de faire solutionner l’une et l’autre par l’auteur.

Certains protes, à l’encontre des intérêts bien compris d’une Maison, cherchent à annihiler l’initiative de leur correcteur, à restreindre le champ de son activité à la recherche pure et simple des coquilles, à limiter son attention à l’apurement des mauvaises lettres. Ces « donneurs d’ordres » agiraient plus sagement en conseillant à leur collaborateur de noter sur une fiche spéciale les anomalies rencontrées au cours de la lecture, anomalies auxquelles la nature spéciale du sujet ne lui a pas permis de donner une solution. Cette fiche serait jointe aux premières épreuves adressées à l’auteur ; elle solliciterait de manière particulière son attention ; elle lui éviterait maints oublis ; enfin, elle dispenserait l’imprimeur de retourner à un auteur toujours un peu pointilleux un questionnaire souvent ennuyeux ou de lui adresser une demande délicate.

Cette dernière manière d’agir est certes, et de beaucoup, préférable à celle du chef qui, par mauvais vouloir, par ignorance, par indifférence et, il faut le dire aussi, par dédain de la remarque faite par un simple correcteur, déclare se retrancher derrière un bon à tirer. Alors que la première attitude inspire à l’auteur un peu de reconnaissance pour le soin apporté à son travail, cette autre, « venue de haut », n’est qu’un exemple regrettable dont en d’autres circonstances certains intéressés imiteront trop facilement la déplorable morale ; elle ne donne satisfaction à aucun de ces intérêts communs dont nous parle Daupeley-Gouverneur : sauvegarder les droits du compositeur, dégager la responsabilité du correcteur, satisfaire les exigences légitimes de l’auteur, enfin ne rien négliger de ce qui importe aux intérêts de la Maison.

II. Lors de la remise du manuscrit qui lui est faite, le correcteur de premières doit se renseigner auprès du prote, ou de la personne qui a reçu le manuscrit ou l’a préparé, de l’orthographe arbitraire exigée par l’auteur pour certains mots. Un correcteur soigneux considérera comme un devoir de se faire remettre une note contenant les diverses indications relatives à l’emploi, qui a pu être demandé, de l’italique, des caractères gras, des majuscules, des abréviations, etc. Il y fait joindre une échelle de grosseur des caractères acceptés pour les titres. Cette note doit être conservée avec soin : elle sera toujours d’un précieux secours dans les cas douteux, lorsque la préparation du manuscrit aura été insuffisante ou par trop rapide ; elle aidera, en outre, grandement la mémoire au cas où la lecture de l’ouvrage, interrompue pendant un certain temps, devrait être reprise après la correction d’un labeur de marche différente.

III. « Avant de commencer la lecture d’un manuscrit, quel qu’il soit, le correcteur doit d’abord vérifier le numérotage des feuillets de copie, afin d’être certain qu’il n’en manque aucun et qu’ils sont en ordre. De cette façon sera évitée toute interruption de nature à jeter le trouble dans le travail, et il sera d’autant plus facile de remédier à une transposition éventuelle de la composition que la première vérification aura été soigneusement faite. »

IV. Les noms des compositeurs, inscrits sur la copie au point de départ de leurs compositions respectives, se reportent en tête des épreuves, soit sur chaque feuillet, soit simplement sur le premier feuillet de la série appartenant à un même ouvrier. Le nom est parfois accompagné du nombre de lignes composées.

V. « Les feuillets d’épreuves détachés — la correction en premières ayant presque toujours lieu en paquets — se foliotent au fur et à mesure de la lecture », lorsqu’il n’est pas d’usage que le metteur en pages les remette lui-même avec la numération convenable. La dernière épreuve doit toujours recevoir, à la suite de son numéro d’ordre, le signe

×

Suivant les travaux, les épreuves peuvent être cotées de diverses manières : si le travail n’a trait qu’à un seul sujet, les feuillets sont numérotés de 1 à n ; si, au contraire, l’ouvrage comporte plusieurs sujets d’étude ou plusieurs articles, le folio, la cote, est fréquemment accompagné, dans chaque article, de la lettre initiale de chaque article. — Toutefois, ces différences de numérotage semblent plutôt réservées, exclusivement aux revues, aux périodiques, aux journaux où il faut éviter soigneusement toute confusion, en raison de la multiplicité des articles composés au fur et à mesure de la réception des manuscrits et sans égard pour les besoins de la mise en pages ou en placards. Dans un labeur courant, la composition ayant lieu suivant l’ordre logique des feuillets, les indications particulières à chaque série d’articles ne présentent plus le même intérêt, si le numérotage des feuillets d’épreuve a lieu de 1 à n.

Enfin, un troisième mode de numérotage — préférable aux précédents — est en usage dans nombre de Maisons : sur les feuillets d’épreuves en paquets, on reporte le numérotage des feuillets de copie correspondants ; de la sorte, il est relativement aisé de retrouver presque immédiatement les parties concordantes des épreuves et des manuscrits.

Mais, si, comme nous l’avons dit, ce numérotage des épreuves est fait, suivant les usages, indifféremment par le correcteur ou par les soins du metteur en pages, lorsqu’il s’agit des premières, il n’en est plus de même pour les placards : « le metteur en pages doit avoir soin de leur donner un numéro d’ordre, imprimé, en tête de la première page » ; le titre de l’ouvrage, parfois accompagné du nom de l’auteur, et, le cas échéant, du chiffre de tomaison, doit figurer également au début de chaque placard.


II. — Ce que peut lire un correcteur de premières.


Quelle somme de travail un patron est-il en droit de demander à un correcteur de premières ?

Cette question est particulièrement difficile à résoudre ; tout au moins, la solution que l’on peut y apporter dépend des circonstances et des différents genres de lectures.

Un labeur de sciences comporte plus de difficultés, partant demande pour sa correction une plus longue durée de temps qu’un roman ; un ouvrage d’algèbre, de mathématiques, de physique ou de chimie, nécessite davantage de soins, d’attention, qu’un travail de géographie, d’histoire ou de science botanique ; un texte anglais, allemand, latin ou grec exige pour sa collation un examen plus serré qu’un discours français.

La rapidité de la lecture, conséquemment la somme de travail produite, varie suivant les capacités du correcteur et surtout, et avant tout, on le conçoit aisément, suivant celles du compositeur ; elle diffère encore avec l’acuité visuelle de l’intéressé et avec les conditions de lumière, de paix ou de tranquillité, dans lesquelles se trouve le bureau ou l’atelier ; elle est modifiée — les maîtres imprimeurs l’oublient trop souvent — par le milieu plus ou moins hygiénique (air, froid, chaleur) dans lequel vit et se meut le travailleur intellectuel ; elle dépend encore de l’habileté du teneur de copie, de l’état du manuscrit ; enfin, elle est soumise à nombre d’influences dont l’énumération apparaît fort longue et risque cependant d’être incomplète parce que celles-ci sont sujettes à trop de contingences : caractères du texte et des notes, sommaires, intercalations, justification, etc.

Toutefois, en se plaçant dans des conditions moyennes, en faisant abstraction de maints facteurs, on a pu déterminer approximativement la « somme de travail que peut produire un correcteur ».

a) Dans l’Arrêté portant réglementation du personnel des lecteurs d’épreuves et des viseurs de tierces[2] de l’Imprimerie Nationale, le Ministre des Finances, sur la proposition du Directeur, fixe ainsi le travail de correction que doivent, chaque jour, exécuter les correcteurs-lecteurs d’épreuves de notre établissement national : « Art. 7 : L’effectif total des lecteurs d’épreuves, tant titulaires que stagiaires, est fixé à 1/10e des compositeurs aux pièces. » — D’après le Directeur de l’Imprimerie Nationale, un correcteur peut donc, et doit, conférer sur le manuscrit, lire, chaque jour, les épreuves de composition de dix compositeurs.

b) Dans une de ses réunions, tenue au cours de l’année 1900, discutant cette question du travail des correcteurs, le Syndicat des Correcteurs de Berlin, après un long examen, reconnaissait « qu’un bon correcteur devait suffire au travail de dix à douze compositeurs », et faisait de cette opinion l’objet d’un article de son tarif syndical.

c) À l’exemple de leurs collègues berlinois, les correcteurs parisiens réunis en syndicat ont étudié cette question. L’article 1er de leur Tarif décide : « Un correcteur ne peut accepter de lire en premières typographiques le travail de plus de douze compositeurs à la main ou de quatre opérateurs linotypistes[3]. »

Que les patrons veuillent bien le reconnaître, au moins une fois : le travail de la correction exige « à notre époque beaucoup plus d’activité, de rapidité qu’autrefois, — et cela en raison de la fièvre de production qui dévore le monde de la presse et du peu de temps dont on dispose souventes fois entre la composition et l’impression ».

Les maîtres imprimeurs estiment cependant que le correcteur « n’en fait jamais assez » ; à leur encontre, les ouvriers réclament et veulent imposer une limite. Les deux partis souvent ne sont pas d’accord.

En était-il de même autrefois ?

Dans certains ateliers, le contrat de travail n’était point un leurre comme trop souvent aujourd’hui. On y déterminait soigneusement les attributions de l’employé, son temps de présence à l’atelier, son salaire, les avantages particuliers qui lui étaient alloués et les obligations de l’employeur à son égard. Les « livres de raison » ou, plutôt, les livres de comptes qui nous ont été conservés sont fort explicites à cet égard.

L’un des plus curieux et des plus complets sous ce rapport est assurément le livre de comptes de Plantin, le célèbre imprimeur d’Anvers. Au milieu d’un certain nombre de résumés de contrats ouvriers, ce livre contient quelques pièces relatives à des correcteurs. Nous verrons, dans un chapitre ultérieur de ce travail, quel fut le contrat du savant Kiliaan[4]. Un autre contrat n’est pas moins instructif pour la question qui nous occupe ici : « Mathieu Ghisbrechts vint demeurer dans l’imprimerie le 1er novembre 1563. Suivant les termes du contrat qu’il conclut à cette date, il devait servir de correcteur pendant un an et revoir le travail de six compositeurs[5]. »

Ainsi le correcteur qui, au xvie siècle, devait assumer la charge du travail de six compositeurs, doit au xxe accepter la vérification des compositions de douze typographes.

Les temps sont changés !

Ils étaient déjà, au reste, changés aux premières années du xixe siècle. Sismondi, un correcteur dont nous ignorons et la situation et l’autorité qui s’attache à son nom, écrivait pendant les Cent Jours : « Dans ce moment-ci, bonne mère, je suis disposé à croire que je ne mérite pas le reproche que tu me fais de perdre mon temps, car je me sens fatigué d’avoir, dans la matinée, lu une feuille en premières et deux en secondes. Pour la première opération je lis trois fois mon épreuve, et deux pour la seconde. En tout, ce sont cinq lectures, dont deux à haute voix, et le degré d’attention qu’elles exigent, ou plutôt l’effort continuel qu’il faut faire pour ne pas se distraire, fatigue énormément. »

Déjà regrettable à l’époque des Cent Jours, l’habitude de surcharger le correcteur est devenue déplorable au début du xxe siècle. En un style vif et imagé — par respect pour un confrère nous n’osons dire « un peu outré » — un correcteur, sous la signature « Un Vieux Pupitre », fit, un jour de « bœuf », de cet usage une critique réaliste : « L’industrie moderne se croit très habile en surmenant les correcteurs ; on les traite un peu partout en tâcherons, en forçats ; on les pousse, on les harcèle… « Allez donc ! Dépêchez-vous donc ! » Et les infortunés, assaillis de toutes parts, surchargés, ahuris, font de la camelote.

« Le nombre des correcteurs est presque toujours insuffisant : économie bien mal entendue, si l’on envisage les résultats. Sans aucun doute, à Paris, il faudrait augmenter d’un quart au moins le nombre des correcteurs, dans les Maisons importantes et pour certains journaux, c’est-à-dire qu’en pratique il faudrait ici doubler presque le personnel, et là donner plus d’élasticité au service, en permettant au correcteur d’emporter du travail au dehors, pour le faire exécuter par un confrère en cas de fatigue[6].

« Il paraît impossible en effet de fournir plus de douze heures de correction sérieuse, à moins d’avoir une vigueur exceptionnelle ; et, en définitive, un correcteur ne s’engage pas à exécuter des tours de force perpétuels et à tenir des records de résistance cérébrale, comme se l’imaginent certains protes peu physiologistes. En face de ces exigences plutôt naïves, qu’on ne saurait trop blâmer, le correcteur se trouve pris entre deux alternatives : refuser un service trop chargé — c’est-à-dire recevoir son « sac » à bref délai, — ou bien accepter la consigne, et risquer une lecture au triple galop, quitte à commettre des gaffes. Alors, entre deux maux, on choisit le moindre, quand il s’agit du pain quotidien.

« L’imprimerie fin de siècle, la librairie aussi ne vivent plus que de travaux hâtifs, et, grâce aux folies de la concurrence, le livre bon marché répand dans le public les chefs-d’œuvre de la littérature et de la science agrémentés de coquilles et de balourdises. Encore doit-on bénir le Ciel que les correcteurs « compound », chauffés « à double courant d’air », ne laissent point passer plus de fautes dans leurs cribles ; ils ont encore assez d’amour-propre pour sauver les apparences dans la déroute générale des marches typographiques et des vieux usages. Sans prestige, sans autorité, ils luttent à la fois contre les manies subversives des clients, contre le mauvais vouloir des compositeurs aux pièces, contre la bousculade des conducteurs. Car il faut que « les moulins tournent », voilà l’essentiel[7]. »

Nous voulons croire qu’à l’heure actuelle les « douze heures de correction sérieuse » du « Vieux Pupitre » ne sont plus dans les ateliers qu’un lointain souvenir, bien que le nombre des correcteurs soit toujours insuffisant : la main-d’œuvre humaine faisant défaut, le machinisme s’est développé rapidement, et dès lors la situation n’a pas trouvé un équilibre cependant fort désirable.

On peut avouer que parfois nombre de correcteurs en prirent à leur aise » pour la rapidité et l’exactitude avec lesquelles leur travail devait être exécuté. La lettre suivante en est un témoignage ancien fort curieux et intéressant : « Vous savez qu’on n’est pas toujours maître d’un imprimeur pour les corrections, car, quand on voudroit donner les épreuves à des personnes qui pourroient les corriger, il faut que leur tems puisse s’accorder avec celuy des ouvriers, or cela n’est pas toujours facile ; un correcteur prendra son tems, comme cela est raisonnable, et un ouvrier perd patience si cela dure trop longtems[8]. »

Cette nécessité de « prendre son tems » dégénéra sans doute parfois en abus, et cela presque dès les débuts de l’imprimerie, car à cette époque le Pouvoir crut devoir prendre à l’encontre de cet usage des mesures qui étonnent aujourd’hui : la déclaration du 1er août 1539 enjoint aux correcteurs de « rendre leurs corrections aux heures accoutumées d’ancienneté » … — « J’ignore, dit M. L. Morin, quelles étaient les « heures accoutumées » fixées comme délai de reddition des épreuves. Mais j’ai trouvé, dans un contrat du 26 mai 1655, pour l’impression d’un ouvrage intitulé : Article cent trente-neuf de la Coutume de Troyes, que le correcteur devait en rendre les épreuves une heure et demie après les avoir reçues. »

Nous aurions aimé connaître la quantité, le format et la longueur de justification des épreuves « que le correcteur devait rendre une heure et demie après les avoir reçues » ; regrettons que M. L. Morin qui, sans doute, a pu examiner l’ouvrage dont il parle, ait omis de compléter sur ce point les renseignements donnés ici.


III. — Comment le correcteur doit-il « lire » les épreuves ?


« Il y a deux façons de lire les premières : soit seul, soit avec un teneur de copie. »

I. « La lecture des premières faite par le correcteur seul lui impose une plus grande fatigue des yeux » et de l’esprit, car, ayant à gauche la copie qu’il suit du doigt, et à droite l’épreuve qu’il annote, il doit à chaque instant se reporter de l’une à l’autre pour opérer la collation du texte par membre de phrase.

La « lecture au pouce », nom sous lequel on désigne le mode de lecture qui précède, assure dans la reproduction du manuscrit la plus grande exactitude possible ; elle permet, en outre, de mieux comprendre les desiderata de l’auteur ; et, si le compositeur a cru bon de modifier tel ou tel détail, il est facile de s’en apercevoir et de remettre les choses au point, s’il y a lieu.

Le principal écueil à éviter pour le correcteur qui lit seul est la possibilité de laisser passer des bourdons ou des doublons, chose relativement aisée en raison de la répétition des mêmes mots dans des lignes ou dans des phrases qui se suivent, ou de la suppression accidentelle de mots non indispensables à la clarté du texte.

Un autre inconvénient de cette méthode est sa lenteur, sa trop longue durée de temps, inconvénient qui ne permet pas, dans les Maisons où le service de la correction a quelque importance, « de l’employer comme marche générale, mais seulement comme moyen d’exception ».

Aussi est-ce au second mode de lecture — avec un teneur de copie — que l’on a ordinairement recours, parce qu’il est plus expéditif et moins fatigant.

II. « Le teneur de copie est l’aide du correcteur en premières. »

a) On a confié parfois la tâche du teneur de copie à « un compositeur vieilli dans le métier, et qui ne trouve plus, par suite de l’affaiblissement de sa vue ou pour d’autres raisons, qu’un salaire insuffisant dans la composition ». Aujourd’hui il semble bien que cette coutume a été abandonnée presque partout par les maîtres imprimeurs comme trop onéreuse.

b) « Dans un grand nombre d’imprimeries, ce sont les apprentis qui « tiennent la copie » : cet emploi leur donne très vite l’habitude de déchiffrer les manuscrits.

c) À Paris et dans maints autres grands centres, particulièrement pour la correction des journaux où le travail doit être accompli avec une célérité prodigieuse, le correcteur, quelles que soient ses préférences, ne peut « lire au pouce » ; le teneur de copie est indispensable. Mais alors ce teneur de copie n’est plus un compositeur infirme, un enfant, un vague lecteur qui ânonne péniblement un texte auquel il ne comprend le moindre mot ; c’est un lettré, un érudit, un typographe intelligent, jeune, actif ; bien mieux même parfois, ce n’est plus un aide, mais un autre correcteur qui apporte à un collègue le concours de ses connaissances.

Tout au moins est-ce ainsi que prétend l’entendre le Syndicat des Correcteurs et Aides-Correcteurs de Paris, devenu simplement le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne : « Il ne doit point y avoir, dans notre Syndicat, de privilégiés : des correcteurs et des sous-correcteurs, des maîtres et des aides. Nous marquons, en supprimant définitivement de notre titre tout souvenir du teneur de copie, que nous désirons voir cette fonction devenir de plus en plus rare. Les correcteurs s’aideront entre eux, se tiendront la copie quand ils le jugeront nécessaire, mais nous n’aurons plus ces salaires de famine donnés à des confrères qui, souvent, ont seulement le manque de chance de n’avoir pas une place de correcteur. Toutefois, si nous voulons voir la fin d’une inégalité choquante, nous ne supprimons pas l’emploi ; il aura encore, pendant un certain temps, son utilité pour des confrères qui, par convenances personnelles, préfèrent aider leurs camarades plutôt que d’être eux-mêmes correcteurs[9]. »

Les fonctions de teneur de copie ne sont point, comme certains pourraient le croire, une création de notre époque. Elles existaient déjà au xvie siècle. Le 1er juin 1580, Olivier van den Eynde ou a Fine entrait à l’imprimerie du célèbre Plantin d’Anvers. Aux termes de son contrat que M. Max Rooses résume succinctement, « van den Eynde s’engageait à servir d’aide aux correcteurs — tel est bien assurément le rôle du teneur de copie, de l’aide-correcteur actuel, — à faire des copies, des tables des matières, etc., pendant quatre ans ».

Sans doute, cette fonction d’aide-correcteur, plus ou moins instruit, plus ou moins aide, se conserva aux siècles suivants. Nous en retrouvons en effet la mention au xviiie siècle, à l’article Imprimerie de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « Le prote déploie l’épreuve et la laisse sécher : quand elle est sèche, il la plie et la coupe ; alors il fait venir un lecteur qui est ordinairement un apprenti, qui lit la copie, pendant que le prote la suit attentivement mot à mot sur l’épreuve[10]. »

Sur ce même sujet Bertrand-Quinquet s’exprimait ainsi : « Pour lire une première épreuve, il faut que cette opération se fasse à deux, et dans un local tranquille. L’un tient la copie, l’autre l’épreuve, et celui-ci lit tout haut. Ce dernier marque à mesure les fautes qu’il rencontre sur la marge de l’épreuve, et se sert à cet effet de signes usités dans l’imprimerie, et qui lui sont particuliers[11]. »

III. Le teneur de copie doit lire lui-même : c’est le plus sûr moyen de ne pas laisser passer de bourdon. Toutefois, pour procurer au teneur un peu de repos, le correcteur peut de temps à autre lire sur l’épreuve ; mais il doit s’assurer par intervalles, soit en sautant un membre de phrase, soit en changeant un mot, que le teneur « suit » très exactement. La lecture par le correcteur présente en effet un grave inconvénient : le cas est certes très fréquent où le teneur de copie est en retard sur le manuscrit, « n’y est plus », suivant l’expression consacrée, et laisse passer nombre d’à peu près qui sont autant d’incorrections.

En pratique, la lecture avec teneur de copie est bien faite, présente le maximum de garanties, lorsque la copie est une réimpression, ou lorsque le manuscrit est très clair et bien écrit. Mais il est plutôt rare de rencontrer des auteurs dont la calligraphie égale celle qui valut à Pétrarque l’honneur de donner naissance à l’un de nos caractères les plus employés. Aussi est-il nécessaire d’exiger au moins du teneur de copie quelques qualités matérielles et morales élémentaires :

a) Il est indispensable que le teneur puisse déchiffrer très rapidement le texte ; s’il en était autrement, la lecture n’avancerait guère, le correcteur devant se reporter à chaque instant au manuscrit pour trancher les hésitations du lecteur ;

b) Il faut, en outre, que le teneur ne soit ni un étourdi, ni un rêveur ; son attention — la première et la principale des qualités qu’il doive posséder — doit être constamment en éveil ;

c) Enfin, on l’a déjà dit — mais il est bon de l’affirmer à nouveau, à l’encontre des idées de certaines Maisons — le teneur doit être au courant des choses de l’imprimerie.

IV. La lecture doit être faite posément, sans hâte, afin de donner au correcteur le temps d’effectuer convenablement les corrections qu’il rencontre et de ne point l’obliger à une course préjudiciable à une bonne exécution du travail. La qualité de la correction ne saurait valoir par le nombre de kilomètres verbeux parcourus ; elle se déduit d’autres faits. Quantité et qualité sont deux mots qui parfois s’accordent mal ensemble, surtout dans le sujet qui nous occupe.

Le teneur parle à voix moyenne : rien ne sert de crier à haute voix ; il faut cependant éviter de tomber dans l’excès contraire, car ces deux défauts ont un résultat analogue de fatigue vocale et auditive. Le teneur articule clairement chaque mot et, particulièrement, chaque nom propre ; il épèle les termes d’orthographe difficile, surtout ceux d’origine étrangère, et les expressions locales (patois) ; il signale les modifications que nombre de personnes apportent parfois aux appellations familiales ou personnelles : Henry au lieu de Henri ; Briand, Briant, Bryant ; Hélène, Hélaine ; Madeleine, Magdeleine, Madelène, etc. ; il fait sentir les différences de genre et de nombre, ainsi que les temps des verbes quand il peut y avoir doute ; il indique la valeur de chaque ponctuation par un repos de durée variable ; il signale à l’attention du correcteur les accidents du discours ou les caractères étrangers au texte de l’ouvrage : parenthèses, tirets ou moins, guillemets, italiques, égyptiennes, etc.

Le teneur de copie est ainsi l’intermédiaire, l’organe intelligent, à l’aide duquel le correcteur, dont l’attention est exclusivement consacrée à l’examen de l’épreuve, peut cependant lire directement le manuscrit reproduit et saisir les moindres incidents de son texte.

La manière d’agir de M. P. Didot nous est, d’ailleurs, en cette matière, au dire de Frey, un exemple remarquable : « Nous savons que M. Didot s’enfermait, pour faire ses lectures, dans un cabinet retiré dont les appartements voisins étaient inhabités ou silencieux ; là, au milieu d’une bibliothèque nombreuse, il lisait debout, à haute voix, articulant assez nettement pour que sa vue pût distinguer les lettres une à une ; une personne qui lui était bien chère suivait attentivement la copie et ne l’interrompait que lors de besoin voulu. Qu’on vînt le demander, il n’y était pas, à moins que ce ne fût pour des motifs d’une urgence extrême. Malgré ces précautions, M. P. Didot faisait encore lire une double épreuve par un de nos bons grammairiens, et, de plus, les tierces étaient conférées et relues avec une grande attention. »

Sans aucun doute, Frey avait encore présent à l’esprit cet exemple de P. Didot, lorsqu’il écrivait dans son Manuel de Typographie : « Deux genres d’attention bien distincts et pourtant inséparables constituent l’exercice de la lecture typographique : lire une épreuve lettre à lettre, syllabe à syllabe, mot à mot ; et, en même temps, saisir la justesse de sens isolé et de sens relatif des locutions, phrases, propositions et périodes du langage ordinaire, aussi bien que du langage des chiffres et d’autres signes, comme l’arithmétique, les mathématiques, etc. »

On ne peut assurément mieux définir le rôle du correcteur pendant la lecture. Aussi est-ce avec raison que l’on a pu dire : « Pour bien lire, il faut astreindre à une gymnastique spéciale l’œil[12] », la mémoire et l’intelligence.

Si, dans le cercle forcément restreint où l’enferment ses attributions, le teneur de copie n’est point tenu de posséder la mémoire, tout au moins doit-il « astreindre à une même gymnastique spéciale ses yeux et son intelligence ». Faute de quoi il ne pourra jamais être qu’à demi teneur de copie.


IV. — Ce que le correcteur doit « voir »
au cours de sa lecture
.xxxxx


La tâche du correcteur est considérable ; pour la remplir, il doit faire appel à toutes ses capacités.

I. a) Mais, pour qu’une « collation aussi rigoureuse que possible de la composition avec le manuscrit de l’auteur » donne tout le bénéfice qu’on est en droit d’attendre de ses capacités, le correcteur doit porter tous ses soins sur les points suivants :

1o Orthographe irréprochable, tant au point de vue des règles de la grammaire que des usages du dictionnaire ;

2o Noms propres, mots populaires et de patois, etc., reproduits suivant les indications de l’auteur, même lorsque ces indications ne sont pas conformes à l’orthographe courante ;

3o Sens complet et clair de la phrase, afin, le cas échéant, d’appeler l’attention de l’écrivain sur un texte ambigu ou incomplet ;

4o Ponctuation rationnelle, c’est-à-dire conforme au sens, mais se bornant à la transcription de celle de la copie qui ne devra être modifiée qu’au cas d’erreur évidente ;

5o Observation stricte des seuls alinéas portés au manuscrit ;

6o Enfin, reproduction fidèle de la copie dont aucune phrase, aucun mot ne doivent être omis dans la composition (bourdon).

b) Le travail, toutefois, ne pourra prétendre à être parfait que si à la « collation rigoureuse de la composition avec le manuscrit » on joint « l’observation stricte des règles typographiques ».
xxxx Au cours de sa lecture le correcteur devra donc encore surveiller :

1o Le renfoncement des alinéas, suivant la longueur de la justification ;

2o L’espacement irréprochable de chaque ligne et aussi régulier que possible pour l’ensemble de la composition, ni trop large, ni trop serré dans une ligne par rapport à la précédente ou à la suivante ; dès la première épreuve, l’élimination s’impose, rigoureuse, de tous ces défauts auxquels, en son langage imagé, le typographe a donné le nom de rue, lézarde, cage à poules, nid, etc. ;

3o Les signes de ponctuation ou autres espacés suivant les prescriptions typographiques ou les usages de la Maison, en tenant compte du blanc que portent en bas ou en haut certaines lettres bas de casse et capitales, telles o, r, v, y, V, A, Y, T, F, L ;

4o L’interlignage régulier du texte, des intercalations et des notes ;

5o Les blancs, espaces, cadrats, interlignes, qui, trop hauts, pourraient marquer sur l’épreuve ;

6o Les divisions de mots en fin de justification : leur nécessité pour la régularité de l’espacement ; leur nombre ; si elles sont faites d’une manière convenable et d’accord avec les règles typographiques ou l’usage, avec la prononciation, l’épellation, le dictionnaire ou l’étymologie ;

7o Les lignes de fin d’alinéa, qui ne peuvent comprendre moins de deux syllabes (lignes à voleur), après une ligne convenablement espacée ;

8o Les lettres d’œils ou de corps différents : italiques ou grasses dans le romain, et vice versa ;

9o Les lettres mauvaises, sales, abîmées ;

10o Les coquilles, lettre ou signe mis par erreur à la place d’un autre ;

11o Les lettres et signes retournés ou transposés ;

12o Les doublons, mots, lettres ou signes répétés, particulièrement au début de la justification après une division de mot ;

13o Les chevauchages, mots ou lettres dont l’alignement est défectueux soit au cours, soit en fin ou au début de la justification ;

14o La ponctuation d’œil et de caractère conformes au texte : romaine, italique, égyptienne, normande, suivant les cas ; mise à sa place, après ou avant les guillemets, les parenthèses, les tirets, suivant les circonstances ;

15o L’emploi régulier d’un caractère uniforme pour une même catégorie de titres (parties, chapitres, livres, sections, paragraphes, etc.) et pour leurs sommaires ;

16o La disposition, conforme aux règles typographiques et au sens littéraire, du texte ou des sommaires des titres ;

17o Les renvois de notes, et leur place par rapport aux guillemets, aux parenthèses et à la ponctuation ;

18o La concordance des notes avec les renvois ;

19o La régularité et l’uniformité des abréviations ;

20o L’emploi des lettres bas de casse o, v, s, x, dans les petites capitales et vice versa ;

21o La rentrée des vers, suivant leur mesure, le texte auquel ils appartiennent et la longueur de la justification ;

22o L’emploi rationnel, suivant les règles typographiques, de l’italique pour les titres d’ouvrages, les noms de navires, les désignations d’enseignes, etc., et en général pour tous les mots soulignés par l’auteur ;

23o La mise en petites capitales, dans les notes ou dans le texte, des noms d’auteurs ;

24o L’utilisation convenable des mots Idem et Ibidem, remplaçant respectivement, dans les notes, les noms d’auteurs et les titres d’ouvrages déjà cités.

Tels sont, brièvement exposés, quelques-uns des points, les principaux, sur lesquels devra plus spécialement se porter l’attention du correcteur de premières ou de typographiques. La tâche, on le comprend mieux à la lumière de cet exposé, est lourde et compliquée. Aussi ne saurait-on insister à nouveau trop vivement pour que des conditions matérielles convenables de travail — parmi lesquelles il faut, en premier lieu, placer le silence — soient assurées au correcteur, afin qu’il puisse conserver entière la liberté d’esprit nécessaire à l’exécution de sa tâche.

II. Si par un hasard extraordinaire, qui ne devrait cependant jamais se présenter, il est nécessaire de vérifier une épreuve, ou plutôt une fin d’épreuve, en l’absence de copie, le correcteur, pour dégager sa responsabilité, inscrit sur l’épreuve : Lu sans copie.

III. Suivant les méthodes de composition des imprimeries, les notes et les intercalations de textes en caractères différents sont placées « dans le texte aux endroits mêmes de leurs appels respectifs », ou « mises par sections au bas de chaque paquet ou colonne », ou enfin composées séparément. Dans les deux premiers cas, la lecture des notes et des intercalations est ainsi obligatoirement faite au fur et à mesure qu’elles se présentent ou que les renvois se rencontrent : « on s’assure dès lors aisément qu’elles appartiennent bien à la partie de composition qui précède, et la mise en pages en devient plus facile ». « Mais on fera mieux de lire séparément notes et intercalations, si la composition et, conséquemment, l’épreuve de celles-ci ont été faites séparément. » — « En règle générale, il faut éviter, quand cela est possible, de passer trop fréquemment d’un caractère plus gros à un caractère plus petit, et réciproquement. L’œil qui suit une même force de corps est moins sujet à faillir. Ce principe est bien connu des vieux praticiens. »

Si le correcteur lit séparément notes et intercalations, il est indispensable qu’il s’assure de la concordance des appels ou renvois et de la numération des notes. Une précaution, celle d’un numérotage spécial, est dès lors nécessaire : elle permettra au correcteur d’obtenir
Indication des réclames (Th. Lefevre).
la certitude que le compositeur n’a omis aucun des renvois indiqués au texte, ou que chaque renvoi possède son appel dans le texte ; elle facilitera le travail du metteur en pages qui, sans recherches vaines, sans efforts, « suivra » le travail. Le numérotage sera établi de 1 à n.
xxxx Quand il interrompt sa lecture — quel que soit le motif de l’interruption — le correcteur marque sur la copie la réclame, c’est-à-dire le point précis où la lecture et, le cas échéant, la composition se sont arrêtées ; en marge, d’une façon très apparente, il écrit les mots : À reprendre.

IV. Enfin, c’est un devoir pour le correcteur de « mentionner en marge de l’épreuve, en entourant cette mention d’un trait de plume », toute intercalation dont il ne lui est pas loisible de vérifier la composition ou le placement : en toutes circonstances, il ne doit rien négliger de ce qui sauvegarde sa responsabilité.
xxxx Le cliché ci-joint emprunté au Guide du Compositeur et de l’Imprimeur typographe indique clairement de quelle manière Th. Lefevre conseille de procéder dans les différentes circonstances que nous venons d’énumérer.

V. Lorsqu’il a terminé la lecture d’une composition, d’un article, le correcteur indique la fin du travail par sa signature ou par une croix de Saint-André ou plutôt par un signe « multiplié » :

×

VI. « Après que les épreuves ont été corrigées sur le plomb par le compositeur, nulle correction nouvelle, fût-elle juste, ne doit être marquée par le correcteur, si pour un motif ou un autre ces épreuves reviennent entre ses mains. Le compositeur, il ne faut pas l’oublier, n’est tenu que d’une première correction, et c’est seulement s’il a négligé de corriger soigneusement celle-ci que le prote peut avoir quelque recours contre lui[13]. L’indication de nouvelles fautes dont on chercherait à le rendre responsable lui causerait un préjudice grave et serait, à son égard, un acte d’injustice auquel aucun correcteur ne songerait à prêter les mains.

VII. « Si une épreuve déjà corrigée sur le plomb est l’objet d’une seconde lecture, les nouvelles corrections doivent être distinguées des premières par la couleur de l’encre, afin d’éviter toute hésitation et, par suite, une perte de temps au corrigeur chargé de les effectuer. »

VIII. Dans certaines Maisons même, les divers degrés d’épreuves se différencient par la couleur du papier : les premières, par exemple, sur bulle ; les secondes ou épreuves d’auteur, sur blanc ; les revisions, sur violet ou jaune, ou inversement. Cette distinction, aisée à réaliser, facilite le classement des épreuves et évite toute erreur dans les envois aux auteurs ou dans la répartition de la lecture aux correcteurs.

IX. Enfin, il est à ce propos un sujet sur lequel on nous permettra d’exprimer un désir, après un de nos plus anciens auteurs techniques que nous avons déjà maintes fois cité ici : « Le papier de l’épreuve doit être suffisamment collé pour qu’il ne boive pas l’encre ; il est arrivé jusques à présent, que l’inattention sur ce point a été la cause principale des incorrections et des fautes qui se trouvent dans la plupart des livres de nos bibliothèques. Cet objet devient une légère dépense dans une imprimerie ; et, pour peu qu’on y réfléchisse, on reconnaîtra qu’il n’y a pas d’économie plus mal entendue que celle de tirer les épreuves sur un papier mince et sans colle qui s’attache à la forme et ne permet pas d’indiquer à la plume le plus léger changement[14]. »



  1. Voir, page 219, l’article 11 du Règlement de l’imprimerie Plantin.
  2. Arrêté du 7 mars 1912 (Circulaire des Protes, no 211, p. 159). — L’arrêté du 22 mars 1920 a modifié ces prescriptions de la manière suivante : « Art. 4 : L’effectif total des lecteurs d’épreuves, titulaires ou stagiaires, y compris le lecteur principal, est fixé à 1/11e de l’affectif des compositeurs aux pièces ; si le nombre de ces compositeurs excède un multiple de 11 de plus de 5 unités, cet excédent est compté pour 11. — Les compositeurs affectés à l’atelier de distribution sont comptés parmi les compositeurs aux pièces. »
    xxxx  Malgré notre qualité de profane en ce qui concerne l’organisation du travail à l’Imprimerie Nationale, nous nous permettons de penser que l’arrêté du 22 mars 1920, englobant « les compositeurs de l’atelier de distribution parmi les compositeurs aux pièces », ne peut modifier en quoi que ce soit notre sentiment sur la quantité de travail exigée du lecteur d’épreuves par l’arrêté du 7 mars 1912.
  3. Bulletin du Syndicat des Correcteurs typographes de Paris et de la Région parisienne, mars 1919.
  4. Voir chap. xii, p. 503.
  5. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois.
  6. Manière d’agir plus ou moins recommandable en pratique. — En cas d’erreur, de correction négligée ou défectueuse — ces choses arrivent, personne ne saurait le nier — quel sera le responsable si le confrère n’appartient pas au personnel de la Maison ?
  7. D’après « Un Vieux Pupitre » (Circulaire des Protes).
  8. Lettre du chanoine Remy Broyer, de Troyes (23 juillet 1725), d’après L. Morin.
  9. Rapport de la Commission de revision des Statuts (Bulletin du 30 mars 1919, p. 5).
  10. Diderot et d’Alembert, Encyclopédie (art. Imprimerie).
  11. Traité de l’Imprimerie, p. 110.
  12. Ch. Ifan, le Prote, étude-causerie.
  13. Cet usage est fort ancien. En 1799, Bertrand-Quinquet écrivait : « Le compositeur aux pièces doit corriger la première et la seconde épreuves — Bertrand-Quinquet entendait sans doute par ce mot une revision possible de la première épreuve — de sa composition. Les troisième et quatrième sont corrigées par des ouvriers en conscience, à moins que les fautes trouvées à celles-ci proviennent directement de l’ouvrier aux pièces, comme bourdons ou doublons, qui auraient échappé à la première lecture. »
  14. Bertrand-Quinquet, Traité de l’Imprimerie, p. 110. — Telle est aussi l’opinion de Crapelet, un maître entre tous en la matière : « L’épreuve doit être faite avec soin, proprement, sur papier collé et suffisamment blanc… »