Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/08/01

E. Arrault et cie (1p. 369-371).


CHAPITRE VIII

LECTURE EN PREMIÈRES



§ 1. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES


Les opérations successives nécessaires à l’impression d’un volume — composition, mise en pages, tirage — ont fait naître dans le travail de la correction des divisions correspondantes.

Après la composition, une première épreuve est faite, à laquelle on a donné le nom d’épreuve typographique, de typographique, ou même encore, plus simplement, de première. Cette épreuve est vérifiée par le correcteur à l’aide du manuscrit.

Les épreuves suivantes, dites épreuves d’auteur, sont exécutées soit en placards, soit en pages. Leur nombre est variable, suivant les conventions avec l’éditeur ou les exigences de l’auteur auquel, ainsi que leur nom l’indique, elles sont destinées. De tout temps, semble-t-il, les auteurs ou les éditeurs ont exigé un nombre d’épreuves suffisant pour leur permettre de procéder à une revision soigneuse du texte. En 1799, Bertrand-Quinquet, rappelant des usages sans doute anciens, écrivait : « Quand les formes[1] sont corrigées, il en faut faire une seconde ou une troisième épreuve pour l’auteur de l’ouvrage ou pour le directeur de l’imprimerie, quelquefois même une quatrième quand la précédente se trouve encore trop chargée de fautes, ou qu’il est survenu des changements[2]. » Il est d’ailleurs d’usage que ces feuilles avant leur retour à l’éditeur ou à l’auteur, soient revues par un correcteur reviseur, qui s’assure que les indications de l’écrivain ont été rigoureusement suivies[3].

La dernière épreuve soumise à l’auteur a reçu le nom de bon à tirer, expression indiquant que le travail, après le visa de l’écrivain, sera prêt pour le tirage. — L’usage veut que le maître imprimeur fasse de cette épreuve une lecture soignée : c’est la lecture en secondes ou en bon à tirer ou, plus simplement, en bon[4].

Alors que le volume est sous presse, avant le tirage, une nouvelle épreuve est faite : c’est la tierce, ou troisième épreuve, spécialement destinée au correcteur tierceur.

Après chacune de ces lectures, au cas où le nombre des corrections serait exagéré, le correcteur a le droit, s’il le juge nécessaire pour sauvegarder sa responsabilité personnelle, d’exiger une revision, c’est-à-dire une nouvelle épreuve lui permettant de vérifier si les corrections ont été réellement et convenablement exécutées. Toutes les imprimeries considèrent comme obligatoire la revision, sur la tierce ou avant la tierce[5], des corrections des bons à tirer de l’auteur. La tierce peut elle-même être l’objet d’une revision. — Le correcteur devra alors porter son attention non pas seulement sur les corrections marquées, mais au besoin relire en entier les passages où ont été indiquées des corrections, vérifier soigneusement si l’espacement a été régularisé après le changement des lettres, si les remaniements demandés ont été convenablement exécutés, enfin si, au cours de ces remaniements, de nouvelles coquilles ou de nouvelles fautes n’ont pas été commises.

Dans les Maisons de moyenne importance, les différentes épreuves — premières, secondes, bons à tirer, revisions et tierces — sont parfois lues et revisées par le même correcteur : il est dès lors nécessaire que celui-ci possède les capacités exceptionnelles qui font de lui un typographe excellent et un érudit impeccable.
xxxx Dans les grandes imprimeries, ce cumul n’est plus possible : il nuirait à la rapidité et surtout à une bonne organisation du travail. Le correcteur, dès lors, se spécialise : il est exclusivement lecteur d’épreuves, c’est-à-dire correcteur de premières, ou correcteur en bon, ou tierceur et, parfois, reviseur. Ainsi certaines aptitudes peuvent mieux s’utiliser, ou quelques qualités spéciales s’adapter plus aisément au genre auquel on les veut utiliser.
xxxx À cet égard, chaque Maison a, d’ailleurs, ses habitudes particulières qui se rapprochent plus ou moins de ces principes. Mais, quels que soient ces usages, il est une règle dont aucune imprimerie, si le travail y est organisé sérieusement, ne devrait jamais se départir : rigoureusement, toutes les premières d’un ouvrage doivent être lues par le même correcteur : seul moyen rationnel d’avoir une marche vraiment régulière.



  1. On sait que, dès les débuts de l’imprimerie, le compagnon, payé à tant la feuille, établissait la composition en pages ; les épreuves, avant d’être lues par le prote ou le correcteur, étaient imposées. — Nous ignorons à quelle époque l’usage s’est établi des « épreuves en placards ».
  2. Traité de l’Imprimerie, p. 110-111.
  3. « Tant au point de vue des bons rapports avec le client que pour maintenir la réputation d’une Maison, il est indispensable que les prescriptions de l’écrivain soient exécutées rigoureusement : c’est par l’exactitude et le soin avec lesquels une imprimerie exécute les plus minimes modifications qui lui sont demandées, qu’elle affirme le souci des intérêts qui lui sont confiés et qu’elle justifie et affermit sa renommée. »
  4. Quelques auteurs font, entre ces deux expressions, une distinction que nous tenons à rappeler ici. D’après eux, « lire en secondes veut dire vérifier les corrections de première et redresser les fautes de style et d’orthographe avant que l’épreuve soit envoyée à l’auteur » ; « lire en bon à tirer, c’est revoir une dernière épreuve corrigée d’après les indications de l’auteur, pour s’assurer que celles-ci ont été bien observées, — extraire les mauvaises lettres, — vérifier les folios et les signatures, — veiller, en un mot, à ce que la composition soit aussi correcte que possible ».

    La lecture en secondes telle qu’elle est définie ici n’est, à notre sens, qu’une simple revision. Le correcteur ne saurait, « pour redresser les fautes de style et d’orthographe », attendre cette deuxième épreuve : la rectification de ce genre d’erreurs est une des attributions qui constituent le principal devoir d’un correcteur de premières.

    Il faut remarquer, en outre, que le rôle du correcteur en bon à tirer tel qu’il est défini par cet écrivain est surtout celui d’un simple vérificateur de corrections et non point celui d’un correcteur.

  5. Voir, sur ce sujet, chapitre x, Tierces, p. 411.