Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/07/02

E. Arrault et cie (1p. 307-328).


§ 2. — LES CORRECTIONS


I. — Coquilles.


17. Dans le langage typographique on donne le nom de coquille[1] aux lettres, aux signes, aux chiffres, etc., qui, par erreur, occupent la place de la lettre ou du signe demandés par le sens ou l’orthographe.
---- La coquille peut affecter, on le voit, une ou plusieurs lettres, un ou plusieurs signes.

Les raisons qui ont conduit les premiers typographes à donner le nom de coquilles aux « lettres erronées » sont restées inconnues, malgré les recherches les plus minutieuses. — Des explications que nous avons rencontrées nous n’avons cru devoir retenir que les suivantes :

— D’après E. Leclerc, « il est probable que, le caractère d’imprimerie sortant d’un moule alors appelé « coquille », toute lettre trouvée mauvaise, défectueuse, dans un texte, ait été désignée pour retourner à la « coquille » et soit devenue de même, par abréviation, une « coquille ». Remarquons que le terme ne s’applique qu’aux lettres mauvaises ; ce serait donc par extension que, depuis, on l’aurait également appliqué aux lettres erronées exclusivement. »

— Aux premières années de l’imprimerie, il y eut maintes fois « des imprimeurs allant de ville en ville, de pays en pays, avec armes et bagages, répandant leur art et leurs procédés ». Comme le pèlerin du moyen âge, le typographe eut sa coquille de voyageur.

— Pour comprendre l’explication qui va suivre, il suffit de se souvenir qu’au moyen âge le symbolisme, la représentation parlante d’un fait ou d’un acte, fut l’un des moyens d’instruire ou de convaincre le peuple les plus couramment employés. Les pèlerinages aux lieux saints, aux tombeaux des grands apôtres étaient fréquents : pour expier ses fautes, pour implorer le pardon de ses crimes, le pécheur se rendait au Mont Saint-Michel, à Rome, à Saint-Jacques de Compostelle, à Jérusalem. Au retour, en témoignage de sa pénitence, le pèlerin apparaissait le vêtement recouvert de coquilles qui alors possédaient le privilège d’indiquer la pureté de l’âme. « Ainsi, dit M. Locard, la comparaison entre le pèlerin et le compositeur devient facile à établir : lorsque le typographe met une lettre à la place d’une autre, il dénature la pensée de l’auteur et se rend coupable d’une faute ; cette faute nécessite une correction » ; la situation du compositeur est alors analogue à celle du pèlerin au moment où celui-ci se met en route pour accomplir sa pénitence. La correction exécutée, la pénitence accomplie, le typographe et le pèlerin reçoivent ou rapportent une coquille, preuve évidente que leur texte est purifié, que leur âme est lavée de sa souillure.

Presque dès les origines de l’imprimerie, les compagnons typographes de Lyon parurent dans les réjouissances publiques sous les enseignes de la « coquille », comme nous le raconte M. J. Baudrier : « La corporation des imprimeurs nommait un capitaine, un lieutenant et un enseigne pour la commander lorsqu’elle paraissait, sous les armes, aux réjouissances publiques. En termes du métier, le capitaine portait le titre de « seigneur de la Coquille » ; et les deux autres dignitaires, celui de « supposts du seigneur de la Coquille ». L’ignorance de la véritable signification de ces appellations a causé de bien curieuses méprises à certains bibliographes… Chastain dit aussi Dauphin (Pierre) (1562-1595), fils de Ondinet Chastain dit Dauphin (menuisier), parvint à la maîtrise d’imprimerie à la fin de 1586 ou au commencement de 1587. Neveu des imprimeurs Florys Maréchal et Antoine Dumergue, cousin germain et pupille de Benoît Rigaud, P. Chastain ne tarda pas à prendre de l’influence dans sa corporation et fut élu capitaine des imprimeurs, charge qu’il conserva jusqu’à sa mort et qui lui valut l’honneur d’imprimer les Plaisants Devis de 1589, 1593 et 1594. »

18. La coquille — lettres ou signes à changer — est barrée d’un trait vertical[2] ou renvoi :

ce renvoi, on l’a déjà dit, est répété dans la marge ; il se place près et à droite de la lettre à utiliser pour la rectification indiquée (n° 14).

19. Lorsqu’une même ligne comporte plusieurs renvois successifs de même catégorie, il est nécessaire, pour éviter toute erreur dans la correction sur le plomb, de différencier les renvois : à la partie supérieure du trait vertical on ajoute, à droite ou à gauche, un trait horizontal, soit simple, soit double ou triple :


on utilise également les croix, les doubles croix, dans leur sens naturel ou renversé :


enfin, tout autre signe accessoire ajouté au trait ou renvoi principal :

20. Si la rectification exigée par la coquille oblige à un changement affectant plusieurs lettres, un mot entier ou même un certain nombre de mots, on barre d’une ligne horizontale les lettres ou mots erronés ; chaque extrémité de cette ligne est terminée par un trait vertical :

— Le protocole de Tassis est, sur ce point, d’une irrégularité inexplicable : les lettres ou mots sont barrés tantôt d’une ligne horizontale (lignes 4 et 13), tantôt d’une ligne oblique soit à droite (lignes 4, 11, 13), soit à gauche, dont les extrémités ne reçoivent aucun trait vertical ; d’autres fois, particulièrement dans le cas de deux lettres erronées (ligne 13), chaque lettre est barrée d’un trait vertical. Dans la marge, un seul trait vertical accompagne les lettres ou les mots rectifiés.

— Le protocole de Didot donne lieu à des observations analogues, notamment aux lignes 5 et 6.

— Fournier omet le trait vertical à chaque extrémité de la ligne horizontale.

21. Plusieurs renvois successifs de cette catégorie se rencontrant dans une même ligne doivent être différenciés les uns des autres :

Les combinaisons sont nombreuses et variables, le correcteur pouvant, à chaque extrémité de la ligne horizontale barrant le mot, utiliser avec ses différentes modifications le trait vertical employé pour la coquille d’une lettre ; ces combinaisons ne sont, d’ailleurs, soumises à aucune règle ou prescription particulière.

On a vu plus haut (n° 5) les divergences qui existent entre les auteurs, pour l’emploi ou, plutôt, pour la répétition du trait de renvoi dans la marge.
---- Les divergences ne sont pas moindres, dans les manuels, en ce qui concerne les modifications à apporter au renvoi au cas de différenciation nécessaire :

Tassis, Desormes, l’Annuaire Desechaliers, l’Agenda Lefranc ne font aucune modification à la forme du renvoi, soit dans la marge, soit dans le texte, au cas de corrections multiples dans une même ligne.

— D. Greffier, dans ses commentaires, indique les différenciations possibles à apporter aux « renvois pour éviter toute erreur » ; dans son protocole il emploie correctement ces différenciations pour les « lettres changer (coquilles) », mais à ne les utilise pas aux « grandes capitales ».

Daupeley-Gouverneur tantôt différencie les signes de renvoi (ligne 1 du texte), tantôt emploie dans une même ligne la même forme de renvoi pour plusieurs corrections (lignes 3, 22 et 40). Il est à remarquer que cet auteur supprime fréquemment le report du trait de renvoi dans la marge, à côté de la correction ou du signe abréviatif (lignes 4, 5, 6, 11, 12, etc.).

E. Leclerc se conforme à la règle de la différenciation des renvois dans la ligne 1 de son « Protocole de corrections » ; puis, sans raisons plausibles, il semble ignorer cette règle dont on ne retrouve plus un seul exemple pour les corrections ultérieures.

Th. Lefevre ne différencie les renvois que s’il « est obligé de rompre l’ordre naturel dans lequel les corrections doivent se suivre » (ligne 4, p. 542).

Didot le Jeune écrit « Lorsqu’il y a plusieurs fautes dans une épreuve, l’on peut, pour éviter la confusion, se servir des signes suivants à chaque ligne : première faute,  ; deuxième, ; troisième, ; quatrième, … »

Il y aurait certes inconvénient à utiliser cette dernière figuration, que le compositeur peut involontairement confondre avec le signe d’espacement. D’ailleurs, Didot n’applique pas la règle qu’il expose.

22. La «lettre renversée », c’est-à-dire bloquée, est considérée comme une coquille. Comme la coquille, elle est barrée d’un trait vertical, reporté dans la marge avec la correction :

Desormes et Leclerc seuls signalent cette correction.

23. Lorsqu’une correction se présente à plusieurs reprises la même, et seule, dans une ligne, Th. Lefevre se borne à indiquer une seule fois la correction ; il répète le trait de renvoi autant de fois que cette correction est à exécuter :

Cette manière de procéder, bonne en théorie, dans un protocole préparé pour les « besoins de la cause », ne peut en pratique être suivie : la main indique la correction au fur et à mesure que l’œil rencontré la coquille, et le correcteur ignore quelles sortes de corrections il aura à effectuer dans la ligne dont il commence et poursuit la lecture.


II. — Le doublon.


24. La répétition, au cours de la composition, d’un alinéa, d’une ligne, d’un mot et même d’une lettre ou d’un signe, s’appelle doublon[3].

25. Les lettres ou signes en double à supprimer sont barrés d’un trait vertical de renvoi, comme pour la coquille :


ce trait est reporté en marge à côté du signe particulier indiquant la suppression (n° 40).

26. Lorsque le doublon affecte un ou plusieurs mots, une ligne entière, un alinéa, on emploie toujours, comme pour la coquille, pour barrer l’ensemble des mots, le trait horizontal accompagné à chacune de ses extrémités d’un trait vertical :


le renvoi est reporté en marge à côté du signe indiquant la suppression (n° 40).

27. Pour différencier, le cas échéant, les renvois de doublons successifs dans une même ligne, les renvois reçoivent — et les signes en sont accompagnés — les légères modifications vues plus haut pourla coquille (nos 19, 20 et 21).


III. — Le bourdon.


28. « Le bourdon, dit Fournier, est l’omission, faite par le compositeur, d’une partie quelconque de la copie. »
xxxx Suivant les circonstances, le bourdon peut avoir plus ou moins d’importance : généralement, c’est l’omission de plusieurs mots, d’un membre de phrase, d’une phrase entière, ou même plus. Mais, sous le nom générique de « bourdon », on désigne encore, quels qu’ils soient, toute lettre ou tout mot omis, à ajouter : si le bourdon peut être un nom entier, une syllabe, ce peut être aussi une simple lettre dans un mot, un signe, un chiffre.

Faire un bourdon a pour locution synonyme, en argot typographique : « aller à Saint-Jacques ». — « Un compositeur que l’on envoie à Saint-Jacques, dit Momoro, est un compositeur à qui l’on indique sur ses épreuves des remaniements à faire, parce que celui qui corrige les épreuves figure avec sa plume une espèce de bourdon aux endroits omis, pour indiquer l’omission. » — Le mot bourdon, ajoute E. Leclerc, viendrait donc de cette représentation graphique du bâton des pèlerins qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle. — Nouvelle preuve du symbolisme qui a présidé au choix de la plupart des signes utilisés pour la correction des épreuves, le bourdon était, avec la coquille, l’un des insignes distinctifs du pèlerin moyenâgeux se rendant aux lieux saints pour y faire pénitence ou revenant, l’âme en paix, des sanctuaires vénérés[4].

29. a) Pour signaler l’omission de mots ou de lettres, on emploie parfois, à titre de renvoi, le trait vertical simple, comme pour la coquille () ; ce trait vertical indique la place que doivent occuper les mots ou lettres omis par le compositeur ; il est reporté dans la marge après l’indication de la rectification :

Tassis, dans son protocole de correction, utilise exclusivement ce signe, pour ses ajoutés.

Didot, Desormes et l’Agenda Lefranc agissent de même.

30. b) On emploie aussi une sorte de , dans sa position naturelle ou renversée, placé là où l’omission a eu lieu :

-----


ce signe est peu employé ; il est, d’ailleurs, d’une visibilité moindre que le précédent et, dans sa position renversée, il présente trop de similitude avec le signe indicatif de la « lettre supérieure » (n° 66).

Daupeley-Gouverneur utilise ce signe (ligne 6) pour « séparer » deux mots collés et pour une « lettre à intercaler » (ligne 2).

Th. Lefevre et l’Annuaire Desechaliers emploient ce signe concurremment avec le trait simple (ligne 3).

31. c) Enfin, on a combiné en un seul les deux signes précédents (nos 29 et 30) : au trait vertical on a ajouté, soit en bas, soit en haut, à droite ou à gauche, le , dans sa position naturelle ou renversée :

E. Leclerc emploie la première forme de ces divers signes.

H. Fournier et L. Chollet se servent également de ce signe (lignes 3 et 17) ; mais L. Chollet emploie aussi, sans doute pour différencier les renvois, le signe ; et H. Fournier, le trait vertical simple.

Daupeley-Gouverneur utilise, (ligne 4) cette même forme entre deux mots « à séparer » (ligne 6, nous l’avons vu, le signe indiqué est  ; pour un « bourdon » (un mot omis), il fait emploi (ligne 14) du trait vertical simple terminé à la base par un trait horizontal :


antérieurement (ligne 9), pour une correction semblable, ce même auteur utilise le trait simple de renvoi () sans modification.

— Sans indiquer ses préférences, D. Greffier constate l’existence de trois signes différents :


mais, dans son protocole, il emploie pour des « lettres à ajouter », le signe


pour un « mot à ajouter », le signe


et, enfin, pour des « mots oubliés » (bourdon), le signe


cependant que, dans ses commentaires, il ne signale nullement l’emploi de ces deux derniers signes.

— Th. Lefevre, pour une « lettre » ou une apostrophe « à ajouter », utilise le signe

et pour un « mot à ajouter », le signe

d) À tous égards, il semble bien que des trois formes de renvoi connues la dernière (no 31) soit la préférable :


on ne saurait, comme cela peut se produire avec l’emploi du trait vertical simple, hésiter entre l’indication d’une correction de coquille et l’indication d’un bourdon ; de même que la deuxième forme (no 30), elle indique mieux que le trait simple la nécessité d’écarter les lettres voisines pour loger la lettre ou le signe omis ; enfin, elle est d’une plus grande visibilité que la deuxième forme. — La première variante () est celle qui peut être considérée comme la forme normale du signe indiquant le bourdon ; les modifications suivantes
() sont des variantes à employer dans le cas où il y aurait deux bourdons ou plus dans une même ligne, circonstance dans laquelle on peut encore utiliser les signes suivants : , etc.

32. De manière générale, le correcteur recopie seulement sur les épreuves les omissions de peu d’importance : a) celles de deux ou trois mots sont inscrites, avec les autres corrections, sur la marge convenable et à leur rang ; b) celles qui ont une certaine étendue sont reportées, avec un renvoi spécial, sur la marge opposée, et même parfois en tête ou en pied de l’épreuve si, en raison de la longueur, on craint d’occuper une trop grande partie de la marge.

33. Lorsque l’omission, ou bourdon, est de grande importance, soit trois ou quatre lignes ou plus, on écrit, dans la marge, à côté du signe de correction :

ou simplement :


cependant que, sur le manuscrit, le passage omis est entouré d’une manière spéciale (au crayon bleu ou rouge, ou autrement), avec l’indication dans la marge :


ou mieux :

Le feuillet manuscrit est alors joint à l’épreuve, lorsque celle-ci, pour être corrigée, est retournée au compositeur.

Didot, pour un bourdon d’une ligne entière, se sert du signe suivant :


et note avec précision : « Quand il y a quelques phrases de passées, ce que l’on appelle bourdon, l’on fait le renvoi et on la[5] transcrit au bas de la page avec le même renvoi , ou l’on renvoye à la copie en marquant les premiers mots, etc. »

Tassis, pour un bourdon dont l’importance n’est pas indiquée, tire un trait sur les trois quarts de la justification et, du côté où ce trait s’aligne avec l’extrémité du texte, ajoute les mots : voy. copie :


il donne, en outre, un exemple de bourdon placé, en raison de sa longueur, au bas de la page : un trait de plume entoure les mots omis et rejoint le texte à l’endroit convenable.

— Un bourdon d’importance à peu près égale, placé de même en bas de page, est précédé, dans Th. Lefevre et dans l’Annuaire Desechaliers, d’un renvoi à double croix qui a son analogue dans le texte :

— E. Desormes, Th. Lefevre, l’Agenda Lefranc, l’Annuaire Desechaliers indiquent de manière à peu près semblable les bourdons de grande importance : un renvoi de forme spéciale[6], dans le texte et à la marge,


accompagné, dans la marge, de l’indication :

V. Breton utilise ce signe même pour un bourdon d’un seul mot.

H. Fournier, E. Leclerc, Daupeley-Gouverneur ne donnent, en exemples, que des bourdons d’un mot ou d’une lettre.


IV. — Lettres défectueuses.


34. Au cours de sa lecture, le correcteur doit éliminer avec soin, de la composition qu’il vérifie, les lettres écrasées ou présentant un défaut[7].

35. Ces lettres sont, dans la composition, barrées d’un trait vertical ; elles sont reportées dans la marge et entourées d’un quart de cercle accompagné d’un signe analogue au renvoi du texte :

L’origine de ce signe ne semble point susceptible de longues recherches, non plus que de discussions.

Les copistes du moyen âge furent, en maintes circonstances, pour la reproduction des textes, aux prises avec des difficultés presque insurmontables : les manuscrits ne présentaient pas toujours une lisibilité suffisante ; le parchemin était plus ou moins altéré ; des abréviations nombreuses augmentaient encore les incertitudes de l’écrivain ; celui-ci d’ailleurs ne possédait pas toujours la science nécessaire pour déchiffrer sans erreur possible le texte ou le rétablir dans sa pureté primitive.

Aux prises avec ces difficultés, les copistes estimèrent qu’il était nécessaire de prévenir le lecteur et de le mettre en garde contre une interprétation erronée d’un passage douteux ou dont le sens réel était resté douteux : ils utilisèrent à cet effet un signe appelé cruphie ou cryphie, dont le nom tiré de la langue grecque (xpupatos) signifiait caché ; ce signe était formé d’une demi-circonférence (partie supérieure) au centre de laquelle figurait un point [8]. Pour indiquer les lettres ou les caractères de qualité douteuse, c’est-à-dire qu’ils lisaient mal et qu’ils jugeaient nécessaire dès lors de faire remplacer, les premiers correcteurs empruntèrent aux manuscrits dont ils assumaient la mise au point et la revision typographiques le signe de cruphie ; toutefois, ils déplacèrent légèrement la demi-circonférence dans le sens vertical et ils remplacèrent le point médian par la lettre douteuse.

Suivant les auteurs, le quart de cercle enserrant la lettre figure tantôt à droite, tantôt à gauche et même au-dessous de celle-ci.

Tassis l’indique à gauche :

Larousse, dans le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, donne la figuration suivante :


et sans aucun signe de renvoi.

De l’étude de ce protocole on ne peut, d’ailleurs, tirer la conclusion que le quart de cercle soit l’indication caractéristique du changement d’une lettre gâtée.

Ligne 1 du « folio verso », se trouve, dans la marge de droite, la mention : Lettres ou mots à changer. À l’exactement, il apparaît bien, autant qu’on peut en juger, que les lettres i, m, s à changer sont mauvaises, gâtées ; cependant elles ne sont point, dans la marge de gauche, entourées du quart de cercle qui accompagne les « lettres gâtées à changer » de la ligne 3 du même folio. — L’explication de ce fait est difficile, pour ne pas dire impossible.

Pour les « lettres basses », qui sont surtout dans ce protocole des lettres manquantes, Tassis utilise le trait de renvoi indicatif de la coquille.

Th. Lefevre et l’Annuaire Desechaliers emploient, eux aussi, pour les « lettres gâtées » le quart de cercle placé à la gauche de la correction.

Daupeley-Gouverneur utilise le quart de cercle placé à droite, sans y joindre le signe de renvoi :

— Dans les protocoles de Didot, de Th. Lefevre et de l’Annuaire Desechaliers, se rencontre un signe dont l’analogue ne se retrouve dans aucun autre manuel : les « lettres basses » sont accompagnées à leur partie inférieure d’un quart de cercle :


il ne semble point que ce signe soit d’une utilité bien réelle. La lettre basse, si une fraction est visible, est, sans conteste possible, une lettre mauvaise, gâtée (peu importe pour quelle raison) : le signe conventionnel des « lettres gâtées » doit donc être utilisé ; au contraire, la lettre réellement basse, que le rouleau n’a point touchée, et qui dès lors ne paraît pas à l’épreuve, est généralement traitée comme coquille.

E. Leclerc ne donne pas d’exemple de cette correction.

V. Breton considère les « lettres écrasées » comme de simples coquilles ; le trait de renvoi accompagne seul la correction.

L’Agenda Lefranc, pour une « lettre mauvaise », utilise le même renvoi que pour la coquille, sans aucun autre signe spécial.

— Le protocole de H. Fournier porte une seule indication de lettre écrasée « à remplacer » ; la lettre est reportée en marge accompagnée du signe de renvoi, mais sans le quart de cercle.

L. Chollet, dont le protocole est, sur presque tous les points, analogue à celui de Fournier, se sépare ici légèrement de ce dernier : pour une « lettre à remplacer », il esquisse une « sorte » de trait courbe qu’avec quelque bonne volonté il est possible d’assimiler à un quart de cercle ; le trait de renvoi n’est pas indiqué.

— Desormes entoure d’un rectangle, dans le texte, les « lettres écrasées » :


puis, reportant ce rectangle dans la marge, il y enferme des points et accompagne le tout d’un trait de renvoi :


signe qu’il indique (même page, ligne 4) comme caractéristique des « lettres à nettoyer » !

D. Greffier, dans son commentaire comme dans son protocole, entoure d’un cercle complet « les lettres gâtées, mauvaises » :


C’est le seul de nos auteurs typographiques qui ait adopté cette forme de correction dont il ne donne aucune explication.

36. Les lettres de caractère étranger ou d’œil différent rencontrées dans le texte, au cours de la lecture, sont, comme toute coquille, barrées d’un trait vertical ; elles sont ensuite inscrites dans la marge, entourées d’un cercle et suivies du signe de renvoi analogue à celui du texte :

— Les protocoles de Tassis et de Didot ne font pas mention de ce genre de correction.

Daupeley-Gouverneur, Jean Dumont et H. Fournier entourent d’un cercle les « lettres d’un autre œil » et d’un « corps différent » ; le renvoi n’est pas répété dans la marge.

E. Leclerc et l’Agenda Lefranc emploient un rectangle, au lieu d’un cercle ; ils reportent dans la marge le renvoi, ou trait vertical, qui dans le texte barre la lettre à changer.

Th. Lefevre, E. Desormes, V. Breton, l’Annuaire Desechaliers et Greffier, au lieu du cercle, utilisent également le rectangle, mais sans répéter après celui-ci le signe du renvoi : Greffier estimant que « la correction entourée est suffisamment distincte ».

Que l’on emploie le cercle ou que l’on utilise le rectangle semble d’importance secondaire : ces deux signes procèdent, en définitive, d’une même idée : indiquer au compositeur que la lettre signalée, d’œil ou de caractère différent, ne devait pas être contenue dans sa casse, mais doit être remise, renfermée si l’on veut, dans une autre. D’ailleurs, la rapidité d’écriture et la répétition fréquente d’un même mot aident, en raison d’une lecture souvent hâtive, à une déformation plus ou moins accentuée de la forme régulière d’un signe ; et, si en théorie ces deux signes, cercle et rectangle, diffèrent essentiellement par leur aspect, dans la pratique le rond est plus ou moins circulaire, et le carré plus ou moins rectangulaire : tous deux acquièrent ainsi par certains traits une ressemblance qui permet même aux esprits les plus prévenus de se reconnaître au milieu de ce dédale.

— Il n’est pas cependant inutile de rappeler que Desormes semble avoir commis une erreur singulière en indiquant, sans motifs plausibles, par un rectangle


le signe de « l’alinéa à faire » (p. 350) ; et que Greffler ne paraît pas davantage fondé à recommander le cercle


comme signe distinctif du changement des « lettres gâtées » (p. 320).


V. — Caractères à changer.


37. Les changements de caractères à effectuer dans le texte sont, suivant le genre, indiqués de manières différentes.

Dans un texte, soit romain, soit italique, soit gras, les passages, les membres de phrases, les mots à mettre respectivement en italique, en romain ou en gras, sont :

a) Entourés ou encadrés de manière compréhensible :


ou :

b) Ou simplement soulignés sur toute leur longueur du trait distinctif du caractère, terminé à chaque extrémité par un trait vertical :

c) Dans la marge, on répète le signe du texte, en portant à l’intérieur l’indication voulue :


ou :


ou simplement :


ou encore :

Ici, comme en maintes autres circonstances, l’emploi des traits de renvoi qui indiquent la correction dans le texte et l’accompagnent dans la marge varie suivant les auteurs :

Tassis-Brun se borne à souligner dans le texte le mot à corriger ; dans la marge, il porte l’indication de la correction qu’il souligne et accompagne d’un trait vertical de renvoi (remarquer que celui-ci n’existe pas dans le texte):
xxxx Texte :

mobiles ; et les livres d’images, qui parurent


marge :

Daupeley-Gouverneur utilise, dans le texte et dans la marge, l’un des signes indiqués plus haut, sans l’accompagner du trait de renvoi :
---- Texte :


marge :

Th. Lefevre et D. Greffier utilisent tous deux le même signe, sans l’accompagner, soit dans le texte, soit en marge, du trait de renvoi :
---- Texte :


marge :

Desormes, dans deux corrections, emploie le signe de Th. Lefevre et de D. Greffier ; dans une autre, il omet dans le texte le trait vertical initial placé au début de la correction (ligne 16, p. 299).

— L’Agenda Lefranc souligne sur toute sa longueur le mot à modifier et termine chacune des extrémités de cette barre par un trait vertical ; ce signe est répété dans la marge sans trait de renvoi :
---- Texte :


marge :

Fournier indique ainsi la correction :
---- Texte :

certitude irréfragable sur aucun des trois points


marge :

L. Chollet :

Texte :


marge :

E. Leclerc :
xxxx Texte :


marge :

Didot souligne les mots dont le caractère est à modifier ; il reporte en marge les traits distinctifs de la modification et les accompagne du trait vertical de renvoi qui ne figure pas dans le texte :
xxxx Texte :


marge :

38. Si la modification porte sur une ou plusieurs lettres, sur un mot au plus, les lettres ou le mot sont —  on l’a vu par certains exemples donnés ici —  comme pour les lettres à changer ou coquilles, barrés d’un trait vertical ou d’un trait horizontal terminé à chacune de ses extrémités par un trait vertical :

Les lettres, le mot sont alors reportés dans la marge accompagnés du trait convenable de renvoi ; pour l’indication du caractère à employer, ils sont soulignés des traits conventionnels particuliers à chaque type de caractères, auxquels on ajoute fréquemment la désignation elle-même :


plus rare est l’abréviation :


encore mieux abrégé :


ou autres désignations nécessaires, toujours entourées d’un trait.

a) Les lettres ou mots à mettre en sont soulignés de deux traits :

b) Les sont indiquées par trois traits :

c) Les lettres ou mots à mettre en italique bas de casse sont soulignés d’un trait simple :

d) Les , dont l’emploi est assez rare, parce que peu d’imprimeries les possèdent dans tous les corps et dans tous les types de caractères, seront indiquées par les mots  » soulignés de deux traits et le mot ital. entouré ou non :

e) Les sont marquées de quatre traits :

— Dans l’Instruction pour la lecture des épreuves (extrait du Guide pratique du Compositeur, chap. VIII), Th. Lefevre indique (p. 8, note 2):

Dans aucun autre auteur ne se rencontre semblable indication, particulièrement pour « la minuscule à mettre en majuscule », — D’autre part, on peut estimer que les termes « bas de casse », grandes capitales », essentiellement techniques, auraient avantageusement suppléé dans cet ouvrage… typographique les expressions littéraires « minuscule » et « majuscule ».

Jean Dumont indique la correction d’une « grande capitale italique » d’une manière qui lui est particulière : pour remplacer, dans le prénom Eugène (ligne 13, p. 124), l’e initial, qui dans le texte est un bas de casse, par un e grande capitale, cet auteur emploie la figure suivante :

Il est certain qu’en France cette méthode est peu ou pas suivie. Il semble qu’une confusion fréquente doive se produire entre ce signe et celui de la « lettre d’un autre œil », pour la figuration duquel nombre d’auteurs, on l’a vu (n° 36), utilisent un rectangle.

f) Les mots ou lettres à composer en etc.) sont soulignés d’un trait tremblé et accompagnés, suivant les cas, du mot norm., ég. ou égypt., ou autre convenable, entouré :

g) Les sont indiquées par deux traits, dont le premier est un trait tremblé[9], avec la mention ég., égypt., norm., etc., suivant le caractère à employer :

h) Les seront soulignées de trois traits, dont le premier tremblé, avec la mention convenable, ég., norm. ou autre :

— Cependant D. Greffier souligne de la manière suivante les grandes capitales de caractères gras :


soit : un filet tremblé, caractère gras, et trois traits, grandes capitales. Sans doute, cet auteur est parti de ce principe : le filet tremblé est le signe spécial de l’indication du caractère gras ; à ce titre, il doit obligatoirement figurer dans toutes les indications de caractères gras. Le raisonnement est plutôt spécieux ; ce qui semble vrai pour les caractères gras ne le paraît pas moins pour l’italique, dont le filet simple est la caractéristique par excellence, et qui à ce titre devrait figurer dans toutes les indications d’italiques. Les petites capitales italiques seraient alors indiquées par trois traits simples : un pour l’italique, deux pour les petites capitales. — Il est superflu d’insister sur les confusions multiples qui en résulteraient entre grandes capitales et petites capitales .

Suivant ce même ordre d’idées, comment devront être soulignées les grandes capitales grasses italiques, les petites capitales grasses italiques, les italiques grasses bas de casse, etc. ? — Autant de points que D. Greffier n’a point cherché ou peut-être même songé à résoudre, car avec son système la solution eût été plutôt embarrassante ou compliquée.

Aucun écrivain typographique n’a d’ailleurs jamais pensé, que nous sachions, aborder semblable problème tous, sans vouloir innover sur ce sujet, se sont simplement conformés aux usages courants. Il suffisait, dans ces conditions, de rappeler des règles universellement connues et admises.



  1. Interprétant le mot coquille dans son sens le plus large, un dictionnaire définit ainsi ce terme :
    ---- « Coquille. — On donne ce nom à l’omission, à l’addition, à l’interversion ou à la substitution, dans les ouvrages imprimés, d’un ou de plusieurs caractères typographiques. » — Cette interprétation parait légèrement erronée : en effet, l’omission s’appelle plus proprement bourdon (n° 28) ; l’addition, ou plutôt la répétition, est désignée du nom de doublon (n" 24) ; et, si l’interversion est comprise dans le cadre générique des coquilles, ce n’est assurément que grâce à une extension abusive de ce terme.
    ---- L’Anglais H. Johnson publia, en 1783, une notice relative à un procédé qu’il avait découvert, procédé qui devait inévitablement faire paraître toute erreur typographique contenue dans une composition ; mais la notice elle-même contenait, une coquille : on y lisait Najesty pour Majesty.
  2. Le terme vertical est surtout théorique ; dans la pratique il exprime mal la position donnée obligatoirement par l’écriture au trait de renvoi : celui-ci en effet est plutôt légèrement incliné de la droite vers la gauche.
  3. L’expression indique suffisamment par elle-même le caractère de la faute commise par le compositeur ; il est dès lors inutile, croyons-nous, de nous arrêter à faire remarquer le bien-fondé et le symbolisme de son emploi.
  4. Voir plus loin, page 317, la note 1 relative à la forme traditionnelle () ou primitive du signe indiquant le bourdon.
  5. Sic, dans le texte de Didot qui évidemment fait allusion à une seule phrase « passée ».
  6. Cette forme spéciale est précisément la « représentation graphique du bâton des pèlerins » dont parlent Momoro et E. Leclerc (voir texte, p. 313). — Le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle (P. Larousse) définit le bourdon « un long bâton de pèlerin, orné à sa partie supérieure d’une gourde ou d’une pièce tournée on forme de pomme ».
  7. « Le correcteur doit éliminer les lettres écrasées ou défectueuses » : telle est la règle. Il n’entre point dans le cadre de ce travail de décider à qui incombe la correction de ces lettres « sur le plomb », lorsque leur nombre est élevé. Au compositeur, au metteur en pages, au chef de matériel, au prote même est après examen réservée la décision à prendre. — Il en est de même lorsque le typographe a composé dans une « boîte » qui n’a pas été « mastiquée » par lui. Le correcteur signale au crayon bleu, à l’encre rouge ou de toute autre manière, suivant les conventions — les lettres d’œil différent. Au besoin, dès qu’il rencontre un « mastic », il prévient, le cas échéant, le correcteur chef, le metteur ou le chef de matériel. Mais à cela se borne son rôle. Son devoir est de corriger ; son droit n’est point d’imposer, arbitrairement ou non, une décision ici, et une autre là : le correcteur ne peut qu’exiger l’exécution de sa correction.
  8. Larousse, dans le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, donne la figuration suivante : partie inférieure de la circonférence).
  9. Il est bon de remarquer que, par suite d’une erreur d’écriture, la correction de l’exemple n’est pas conforme à l’énoncé de la règle : le premier trait qui souligne l’e n’est pas un trait tremblé, comme il eût été nécessaire.