Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/02

E. Arrault et cie (1p. 19-96).


CHAPITRE II

LE CORRECTEUR À TRAVERS LES ÂGES



§ 1. — LES MANUSCRITS ET LES CORRECTEURS


Grâce aux indications de nombreux auteurs grecs et latins, la plupart des détails de la technique du livre ancien nous sont connus[1].

I. Chez les Grecs, une même personne, tour à tour copiste (βιϐλιογράφος, bibliographus), relieur (βιϐλιοπηγός, bibliopegus) et marchand (βιϐλιοπώλης, bibliopola), assumait la confection ainsi que la vente des manuscrits.

Les Romains, qui sur nombre de points furent les imitateurs et les héritiers des Grecs, eurent sans doute la même organisation. On sait qu’à Rome nombre de copistes tenaient en même temps boutique de libraires ; ils étaient désignés sous le nom de librarii, à l’exclusion de celui de leur occupation première. La plupart d’entre eux étaient des affranchis ou des étrangers ; ils vendaient pour leur compte personnel les travaux qu’ils avaient minutieusement et longuement transcrits. Peut-être étaient-ils réunis en corporation, à l’exemple des scribes avec lesquels on les confond parfois à tort[2].

Les copistes qui se livraient à la transcription des ouvrages anciens étaient désignés du nom particulier d’antiquarii ; on exigeait d’eux les connaissances spéciales nécessaires pour déchiffrer les vieilles écritures.

D’après une inscription latine, des femmes auraient également exercé la profession de copistes.

Le prix des manuscrits, qui atteignit maintes fois un chiffre élevé, fut l’objet de plaintes nombreuses, et à plusieurs reprises des édits en réglementèrent la vente : à l’époque de Dioclétien, un édit fixa le salaire que les copistes étaient en droit d’exiger, en l’évaluant aux cent lignes. Cependant nombre de ces artisans, réalisant des gains considérables, jouissaient d’une fortune importante et possédaient une grande réputation.

Parmi ces libraires de l’ancienne Rome l’histoire a surtout conservé le souvenir des frères Socio, qui furent les éditeurs d’Horace (65-8 av. J.-C.), et de Pomponius Atticus, l’ami de Cicéron (106-43 av. J.-C.), et le plus grand libraire de l’époque. D’après Cornelius Nepos, ces marchands avaient à leur service un nombre élevé de lecteurs, d’écrivains, de correcteurs, de relieurs, véritable état-major d’artistes avec lesquels ils pouvaient, en un temps relativement court, reproduire un manuscrit à plusieurs milliers d’exemplaires.

Les miniatures du moyen âge permettent de reconstituer l’intérieur des ateliers calligraphiques romains dont, sans doute, le scriptorium conventuel conserva fidèlement nombre de détails caractéristiques : des bancs, quelques tables ou pupitres, un certain nombre d’outils et de rouleaux de parchemin ou de papyrus. Au milieu d’un profond silence, le lecteur dictait le texte aux copistes : esclaves de condition, souvent élevés et instruits à grands frais, ceux-ci étaient d’habiles écrivains qui, pour toute rémunération, recevaient la nourriture, le logement et l’entretien ; désignés généralement sous le nom de servi litterarii, ils étaient aussi, mais abusivement, appelés librarii à l’instar des copistes libraires. Chaque calligraphe s’empressait de reproduire soigneusement les mots ou la phrase dont il écoutait attentivement la lecture. Le travail se continuait de la sorte jusqu’à achèvement. Le parchemin était alors confié au correcteur, grammairien ou éditeur de profession, chargé de reviser le texte, de rectifier les interprétations erronées du lecteur et de corriger les fautes du copiste.

Encore, ne parvenait-on point de la sorte à éviter les erreurs. Cicéron manifeste à maintes reprises dans ses écrits le mécontentement qu’il éprouvait des inexactitudes imputables à la main des copistes et à la négligence des correcteurs. Strabon, qui vint au monde vers l’an 60 avant Jésus-Christ et qui vivait encore sous le règne de Tibère (42 av. J.-C. — 37 ap. J.-C.) exprime des plaintes analogues au sujet des scribes d’Alexandrie. — Au reste, le mal n’était pas nouveau : il avait pour ainsi dire toujours existé. Lycurgue, un orateur athénien (396 — 323 av. J.-C), outré des multiples défauts qui déshonoraient les manuscrits de son époque, avait fait relever les diverses variantes des plus anciens drames et exécuter un exemplaire modèle déposé dans l’Acropole d’Athènes.

Le correcteur n’est donc point — comme on serait porté à le croire — un de ces artisans auxquels la technique de l’art de Gutenberg a donné naissance, comme elle devait le faire dès ses débuts pour le fondeur, le compositeur, l’imprimeur et, plus tard, pour le clicheur.

Boutmy paraît ainsi avoir commis une méprise singulière en écrivant : « … Pourtant le jour même où le compositeur est né, le correcteur a paru[3] … » Bien avant « le jour où le compositeur est né », le correcteur existait. « Le jour même où le copiste était né, le correcteur avait paru ; sitôt qu’une ligne, qu’une page avait été écrite, elle avait dû être lue. » Ainsi, lorsque l’imprimerie naquit, depuis de longs siècles le correcteur exerçait ces mêmes fonctions qui devaient, au déclin du xve siècle et au début de la Renaissance, jeter un si vif éclat sur son nom.

II. Les documents ne permettent point de démêler jusque dans leurs détails les progrès plus ou moins réels, les améliorations plus ou moins appréciables apportés à la technique du livre par les générations successives. Sans doute on perfectionna ; mais les principes, les éléments essentiels n’avaient point subi de profondes modifications lorsqu’en l’an 41 après la naissance du Christ Pierre et Paul, apôtres d’une nouvelle doctrine, se rendirent en la capitale des Césars.

Dès les premiers temps de sa prédication le christianisme vit le nombre de ses adeptes augmenter rapidement. Autour des « disciples » se trouvèrent réunis des gens de toutes conditions patriciens, chevaliers, plébéiens, esclaves — et de toutes corporations.

Pour la propagation de la foi nouvelle, pour porter aux églises lointaines les enseignements du Christ, les copistes furent d’une aide indispensable. Les Catacombes offraient aux librarii chrétiens un asile qui fut longtemps inviolé et à l’abri duquel — avec un soin pieux qui n’excluait point, toutefois, de nombreuses erreurs — ceux-ci fixaient sur le papyrus la Bible, les récits des Évangélistes, les lettres des Apôtres, les instructions de l’évêque. Les persécutions n’arrêtèrent point le développement du culte nouveau, non plus que celui de la calligraphie chrétienne. Bientôt aux ouvrages d’Horace, de Cicéron, de Virgile, de Suétone et d’autres non moins illustres, le librarius converti substitua les écrits des docteurs et des Pères. À côté de la littérature païenne une littérature nouvelle surgit.

Parmi les manuscrits du iie et du iiie siècle de l’ère chrétienne qui nous sont parvenus, les exemplaires de l’Ancien et du Nouveau Testament sont fort nombreux : transcrits en grand nombre, ces livres sacrés furent sans doute l’objet de soins particuliers, comme ils devaient l’être aux âges suivants. En l’année 231, lorsque Origène entreprit la revision de l’Ancien Testament, saint Ambroise lui envoya des diacres et des vierges exercés dans l’art de la calligraphie.

Au ive et au ve siècle, alors que l’Empire romain s’affaiblit sous les coups répétés des Barbares, les basiliques et les églises sont parfois déjà — comme elles le furent en notre pays presque jusqu’à la fin du moyen âge — les seuls remparts de la civilisation. Sous les cloîtres, asiles inviolables — mais non point inviolés ! — vinrent se réfugier, compagnes infortunées, la foi, les lettres et les sciences. Et c’est à cette époque que, pour la première fois peut-être en notre pays, nous trouvons dans l’histoire de l’art calligraphique la mention de religieuses copistes : aux dernières années du ve siècle, saint Césaire (470-542), évêque d’Arles, établit un couvent de femmes et leur prescrit de s’occuper, à des heures déterminées, à la transcription des livres saints.

Derrière les hautes et épaisses murailles qui les protègent contre les violences et les séparent du monde, moines et religieux continuent le travail des librarii païens et assurent la conservation des chefs-d’œuvre transmis par les âges précédents. Durant toute la période romane, une certaine activité littéraire se conserva ainsi pour le plus grand bien des siècles à venir.

Dans le scriptorium conventuel, la confection des manuscrits est entourée de soins attentifs. Ceux qui assument la lourde tâche de conduire le travail à bonne fin n’ont qu’un souci : faire œuvre bonne et correcte.

Dans chaque monastère, une salle particulière est réservée aux copistes : c’est le scriptorium, où seuls ont le droit de pénétrer l’abbé, le prieur et les religieux calligraphes. Le scriptorium est non seulement un de ces locaux conventuels où le silence est de rigueur, bien plus c’est un sanctuaire dont Du Cange, en son Glossaire, rapporte la formule de bénédiction : « Daignez, Seigneur, bénir le scriptorium de vos serviteurs et ceux qui habitent en ce lieu, afin que les passages des divines Écritures qui seront par eux lus et transcrits soient bien compris et d’un travail achevé. »

Parmi les écrivains une sorte de hiérarchie s’est établie : le copiste ordinaire s’adonne à l’écriture courante et à la transcription des ouvrages classiques ; au bout d’un certain temps, s’il se distingue autant par son savoir et ses aptitudes que par son habileté de main, il subit un examen devant le corps professoral et devient maître calligraphie. Il copie alors les manuscrits de luxe, dessine les lettres ornées, trace les rubriques ou titres et enseigne avec un dévouement paternel aux jeunes disciples l’art de la miniature :

Instruat in studiis juvenum bona tempora doctor[4]

Alcuin (735-804), l’illustre éducateur des temps carolingiens, ne dédaigne point d’enseigner lui-même l’art de la calligraphie ; fondateur du remarquable scriptorium de Saint-Martin de Tours, il trace ainsi les principaux devoirs des copistes : « Ils veilleront à ne pas mêler au texte leurs pensées profanes. Leur main ne s’abandonnera pas aux distractions d’une écriture trop rapide. Ils auront des livres corrigés avec soin, et leur plume exercée suivra régulièrement le tracé des lignes[5]… » Aux conseils Alcuin avait soin de joindre l’exemple : retiré en l’abbaye de Saint-Martin, où il mourut aux premières années du ixe siècle, il employa les derniers temps de sa vie, dit une pieuse tradition, à écrire de sa main une copie correcte des Écritures, qu’il offrit à Charlemagne à l’instar d’un présent inestimable, et qui fut, depuis, d’un grand secours aux éditeurs de la Bible[6].

Les moines que n’inquiète point la brièveté de la vie produisent lentement des œuvres de longue haleine : traités d’astronomie, de chimie, de mathématiques, de médecine, livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, missels, eucologes, antiphonaires… Mais il ne faut point croire que l’activité des copistes conventuels se limite strictement aux manuels liturgiques, aux traités patristiques et aux œuvres de connaissances générales. Les ouvrages des Anciens occupent une place honorable parmi les productions calligraphiques du scriptorium, et les exemplaires les plus précieux de classiques que possèdent nos bibliothèques publiques sortent de la main des religieux. Ces travaux sont remarquables non seulement au point de vue matériel, mais aussi littéraire : la calligraphie est souvent d’une perfection merveilleuse ; et, pour un grand nombre, la correction du texte ne souffre que des négligences et des inexactitudes inévitables même de la part des copistes les plus consciencieux et les plus instruits.

Nombre de monastères, d’ailleurs, ne négligèrent rien pour assurer cette pureté de correction et la maintenir à la hauteur à laquelle ils étaient parvenus à la porter. Les événements devaient sur ce point seconder la tâche des moines, en leur permettant de conserver de longs siècles la haute main sur la production des livres : durant presque tout le cours du moyen âge cette production fut en effet spécialisée aux mains des religieux ou groupée autour du scriptorium conventuel dont elle dépendait au moins théoriquement.

III. Mais tous les travaux des copistes ne devaient point continuer à posséder cette égale valeur et non plus rester aussi parfaits à tous égards.

Après les terreurs de l’an 1000 un renouveau a surgi dans le monde : les mœurs farouches et guerrières de la féodalité se sont légèrement adoucies ; des Lieux saints les croisés ont rapporté le goût des voyages, du luxe et des sciences : c’est le temps des jongleurs, des ménestrels, des cours d’amour et des tournois. Entre chaque combat, après chaque randonnée, nobles et chevaliers écoutent volontiers les exploits de Roland, de Charlemagne ou des Chevaliers de la Table Ronde ; entre chaque siège de leur cité, bourgeois et manants s’amusent des sotties, des fabliaux et des mystères. Déjà le peuple frondeur chansonne les rois et les grands, et les clercs l’instruisent à leur façon. Peu à peu la science émerge des cloîtres et des monastères où la Barbarie l’avait comme enfermée. La création de l’Université allait favoriser ce mouvement dont devaient profiter calligraphes, enlumineurs et miniaturistes laïques.

« Malgré les encouragements donnés par les rois depuis Charlemagne pour développer le goût des lettres et des manuscrits, il faut en effet attendre jusqu’au xiiie siècle pour rencontrer le métier de copiste fonctionnant en dehors des communautés religieuses. » En l’an 1200, le pape Innocent III avait formé, sous le nom d’Université, la « corporation des maîtres qui enseignent et des élèves qui étudient à Paris ». Tout aussitôt cette nouvelle institution, le centre, l’inspiratrice du mouvement littéraire et scientifique, en était devenue, aux termes de ses lettres de fondation, la gardienne vigilante et le chef incontesté. En 1275, comprenant combien le développement de la profession de copiste était nécessaire à la propagation des sciences et favorable aux études de toutes sortes, l’Université avait élevé à la dignité de membres de son organisation les artisans du livre, depuis le copiste et le libraire jusqu’au parcheminier et au relieur ; puis, elle avait groupé, en les sécularisant, les nombreux scribes chargés de pourvoir aux besoins tant des maîtres que des étudiants, et leur avait donné une organisation.

Les libraires jurés de l’Université — il en existait près de 6.000 non jurés, nous dit-on — qui reçurent le titre de « clercs libraires », étaient pour la plupart des savants fort instruits, qui maintes fois furent auteurs ; ils donnaient aux copistes les textes à transcrire, faisaient orner les livres de riches enluminures, puis les mettaient en vente après les avoir reçus du relieur.

« Ces clercs en librairie, jurés de l’Université », auxquels il était donné d’user des nombreux privilèges et des prérogatives attachés au titre de « suppôts », c’est-à-dire de subordonnés de l’Université, furent assujettis à nombre de règlements : fort zélée, maintes fois peut-être trop zélée, l’Université ne néglige aucune occasion de faire usage de la juridiction qu’elle possède sur les copistes et les libraires ; et des prescriptions fort sévères sont édictées dans le but de réglementer le commerce des livres et de conserver la pureté des textes.

Les lettres du recteur de l’Université de 1275 portent que tous ceux qui veulent se livrer au commerce du livre sont tenus de prêter serment à toute occasion ; ils doivent justifier de leur moralité (vir bonæ famæ), remplir des conditions de capacité non strictement définies, mais constatées par un examen et que l’on devine assez importantes, tant au point de vue littéraire que commercial (vir sufficientis litteraturæ, quod librorum notitiam in valore) ; il leur faut, enfin, ainsi que le rappelle le règlement de 1323, fournir, à titre de garantie, une caution de 100 livres et payer des droits de réception élevés.

À l’instar de Dioclétien, l’Université limite le gain des libraires, qu’elle fixe à 4 deniers par livre, afin d’empêcher l’élévation croissante des prix de vente au public ; elle fait, en outre, défense de cacher les manuscrits dans l’espoir d’en faire hausser la valeur ; plus tard, en 1323, elle renforce ces premières prescriptions en interdisant « aux libraires de refuser la location des manuscrits ou même l’autorisation d’en prendre copie lorsqu’une bonne et solvable caution est fournie ».

Mais, préoccupée aussi de veiller à la nature et à l’exactitude des livres, elle prohibe la vente et la location de toutes les œuvres qui, auparavant, n’ont pas été lues et corrigées par elle. « Les libraires jurés devaient apporter les copies aux députés des facultés de la science desquels les livres traitaient, pour les revoir avant d’en afficher la vente ; ces livres, après avoir subi toutes espèces de formalités, étaient encore exposés dans la salle des Frères Prêcheurs où chaque universitaire possédait un dernier droit de censure. Des corrections étaient fréquemment exigées, et, parfois même, cet ultime examen entraînait l’emprisonnement de l’auteur dont le livre était porté au bûcher. »

Au cours des temps, la sévérité de ces premières dispositions fut accentuée ; et le règlement du 26 septembre 1323 institua un comité composé de quatre membres, choisis, par l’Université, au nombre des principaux libraires, et chargé de veiller à l’application stricte et rigoureuse des statuts. Le règlement du 6 octobre 1342 et les lettres patentes données par Charles VI le 20 juin 1411 reproduisirent la plupart des prescriptions antérieures.

En échange des obligations qui leur étaient ainsi imposées, libraires et écrivains, à l’exemple des maîtres et des écoliers, jouissaient des privilèges, des franchises et des immunités concédés aux membres de l’Université : les lettres patentes du roi Charles V, du 5 novembre 1368, les veulent exempts « de faire guet et garde de nostre dicte ville, de jour et de nuict » ; celles de Charles VIII, d’avril 1487, les déclarent « perpétuellement et à tousjours eulx et leurs successeurs francz, quictes et exemptz de toutes tailles, impositions de tous biens et fruicts de leur creu… ».

On comprend combien, grâce à ces faveurs[7], la situation de libraire était recherchée et enviée ; mais volontairement les libraires eux-mêmes limitèrent le recrutement des membres de leur corporation. L’Université, d’ailleurs, encourageait cette attitude. En 1275, la protection de l’Université s’étendait « à tous ceux qui concouraient à la production du livre » ; cette protection se restreignit dans la suite à certains privilégiés dont les statuts de l’Université ou les lettres patentes des rois fixèrent le nombre. En 1292, on comptait 24 écrivains et 8 libraires ; en 1342, 28 libraires ; en 1368, 14 libraires, 11 écrivains et 15 enlumineurs ; en 1488, 24 libraires, 2 enlumineurs, 2 écrivains. La masse des simples copistes resta dans l’ombre et forma une classe de salariés sans autres droits et sans autres prérogatives que ceux des artisans des autres métiers. Quelques-uns, en petite quantité, travaillaient, isolés, pour leur profit personnel. Le plus grand nombre écrivaient pour le compte et sous l’autorité des maîtres. Dans l’atelier organisé sur le modèle du scriptorium conventuel et de l’officina romaine, se rencontraient le lecteur, le scribe ou calligraphe, le correcteur, puis l’enlumineur.

À l’exemple des autres corporations, les maîtres libraires et les copistes formaient une confrérie, placée sous la protection de saint Jean devant la Porte latine (comme nous l’apprennent les lettres patentes du 1er juin 1401). Une charte de juin 1467 fit à tous les artisans du livre une obligation d’adhérer à la confrérie, en ordonnant « que aulcun maistre ne ait ou tiengne varlet guignant argent qu’il ne soit de ladicte confrairie et paye… audict maistre » le denier de cotisation mensuelle[8] obligatoire.

D’après Louis Radiguer[9], « cette réunion dans le même groupement des maîtres et des ouvriers, en permettant aux uns et aux autres de faire entendre leurs plaintes et de les discuter, maintint dans la profession une harmonie que rien ne troubla, du moins en apparence ».

Ainsi, sur un sujet tout au moins, l’Université et le Pouvoir royal eurent satisfaction d’une législation étroite et formaliste. Il n’en fut pas de même pour un autre point auquel cependant l’Université attachait une bien plus grande importance.

Si le copiste religieux se soumit volontiers ou, au moins, accepta tacitement de se soumettre à certaines des prescriptions à observer avant la mise en vente des manuscrits, le scribe laïque ne prit aucun souci de suivre cet exemple. Ce dernier, aux prises avec les nécessités de l’existence, subit les exigences de la clientèle : pour vivre, il faut produire ; et, pour produire, il est nécessaire d’aller vite ; les copistes, d’ailleurs, sont incapables de satisfaire aux demandes sans cesse plus nombreuses d’une clientèle toujours accrue ; bientôt les règlements de l’Université et de la Corporation seront impuissants à remédier à une situation qui s’aggravera de jour en jour.

Depuis longtemps déjà les manuscrits à l’usage des écoliers, manuscrits dont la vente est assurée et qui, par suite, doivent être produits en grande quantité et à meilleur compte, sont faits sans grands soins ; souvent ils fourmillent de fautes et d’erreurs ; parfois même ils sont à peine lisibles pour les profanes, ainsi que le prouvent ceux qui nous sont parvenus.

Pour fixer la parole au courant de l’improvisation, pour recueillir intégralement les leçons ou les discours d’un Abélard ou d’un Thomas d’Aquin, les étudiants avaient pris l’habitude de l’écriture abréviative (sorte de sténographie rudimentaire). Des cahiers de classes l’usage des abréviations s’était étendu aux volumes scolaires, aux manuscrits destinés au commerce, puis aux livres ordinaires. L’usage des ligatures, d’un aspect fort décoratif pour l’écriture cursive, mais difficile à débrouiller — chaque auteur ayant sa ligature particulière — vint bientôt se joindre à celui des abréviations. Vers la fin du xive siècle, l’écriture tend à se resserrer, à s’amincir ; les caractères sont plus fins et, sauf dans les livres de luxe, l’usage de l’onciale est à peu près abandonné.

Tous les hommes instruits se plaignent alors de l’illisibilité des caractères, du nombre inusité des abréviations et de leurs variations incessantes, de l’écriture hâtive qui confond les lettres, les mots et les lignes, ainsi que des fautes et des erreurs qui déparent les manuscrits. C’est le déclin d’un âge, c’est le crépuscule d’une époque qui court, qui se précipite vers sa fin. Cependant, malgré sa hâte de disparaître, ce temps assistera à la naissance de l’invention la plus merveilleuse peut-être de l’esprit humain ; et cette invention, poussée par un intense désir de vie et de gloire, emportera, démodée et impuissante, la corporation des copistes et des enlumineurs.





§ 2. — INTRODUCTION DE L’IMPRIMERIE EN FRANCE


I. — Nicolas Jenson.


En 1457, paraissait à Mayence, en texte latin et lettres gothiques, un Psautier, le premier livre imprimé en caractères mobiles de fonte auquel on puisse assigner une date certaine.

La nouvelle de cette étonnante production est à peine parvenue à Paris que le Pouvoir royal comprend toute l’importance de la découverte de Gutenberg. Dès l’année suivante, Charles VII décide d’envoyer à Mayence un émissaire chargé de « s’informer secrètement de l’art et en enlever subtilement l’invention ». Voici, d’ailleurs, en quels termes s’exprime à ce sujet une note marginale relevée sur un manuscrit, relatif aux Monnaies, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal[10] : « Le troiziesme jour du mois d’octobre de l’annee 1458, le Roy ayant sceu que Messire Guthemberg, chevalier, demourant a Mayence au païs d’Alemaigne, avait mis en lumiere l’invencion d’imprimer par poinçons et caracteres ; curieux de tel tresor, le Roi [Charles VII] avait mande aux Generaux de ses Monnoies, lui nommer personnes bien entendues a la dicte taille pour envoïer au dict lieu secretement soy informer de la dicte forme et invencion, entendre, concevoir et apprendre l’art d’icelles ; a quoy fut satisfaict au desir du Roy et par Nicolas Jenson fut entreprins tant ledict voïage que semblablement de parvenir a l’intelligence dudict art et execucion dicelui audict Roïaulme, dont premier a faict debvoir dudict art d’impression dudict Royaulme de France. » À l’encontre de cette mention, certains auteurs prétendent que l’envoi, à Mayence, de Nicolas Jenson, graveur de la Monnaie de Tours, eut lieu en 1462 seulement, et d’après les ordres du roi Louis XI ; mais les graves événements qui, nous le verrons quelques lignes plus loin, se déroulèrent, en cette dernière année sur les bords du Rhin, ne permettent pas d’adopter cette manière de voir.

« Après avoir passé près de trois années », dans l’atelier même de Gutenberg, « à apprendre le métier dans tous ses détails, Jenson s’apprêtait à rentrer en France lorsqu’il connut coup sur coup la maladie et la mort du roi son maître, survenue le 21 juin 1461 ». Apprenant que « Louis XI congédiait tous les conseillers du feu roi » et n’avait que « trop de penchant à détruire tout ce qui était l’œuvre de son père », l’envoyé de Charles VII jugea prudent de rester à Mayence. Une année plus tard, le 28 octobre 1462, la ville était emportée d’assaut et mise au pillage par les troupes du prince Adolphe de Nassau ; l’atelier de Gutenberg était détruit, et les ouvriers dispersés allaient chercher fortune à travers l’Europe. Nicolas Jenson, oubliant sa patrie, se dirigeait, on ne sait exactement à la suite de quelles circonstances[11], vers l’Italie.

Certains auteurs — au nombre desquels il faut mentionner le savant Maittaire et, surtout, Sardini, un Italien auteur d’une vie de Nicolas Jenson — affirment que Jenson, après un long voyage et avant de s’expatrier définitivement, serait revenu presque secrètement à Tours passer quelque temps au milieu de sa famille[12]. Au cours de ce séjour, en 1467, il aurait fait paraître le volume prétendu le premier imprimé en France : Francisci Florii Florentini De Amore Camilli et Æmiliæ Aretinorum liber expletus est Turonis. — Editus in domo Guillermi Archiepiscopi Turonensis, anno Domini millesimo quadringentesimo sexagesimo septimo pridie kalendis januarii. — Les savants se sont divisés en deux camps au sujet de l’interprétation exacte, de la traduction correcte, à donner à ce texte latin. Aux mots expletus et editus nombre d’écrivains ont imposé ici, respectivement, le sens de composé, écrit, et de donné ou envoyé, au lieu de la signification terminé, imprimé, acceptée fréquemment : editum hoc opus, liber editus. D’autre part, certains lettrés ont pensé devoir écrire : « Guillaume, archevêque de Tours », et les adversaires de Maittaire font observer qu’en 1467 l’archevêque de Tours s’appelait « Gérard de Crussol » ; mais d’autres bibliophiles ont donné la version : « Guillaume Archevêque, de Tours », et, de fait, à cette époque on rencontre à Tours une famille Archevêque (ou mieux Larchevêque) dont le chef était maître maçon, architecte plutôt. Maittaire et ses partisans sont d’accord avec les dernières lignes de la note marginale du manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal : « dont premier a faict devoir dudict art d’impression audict Royaulme de France ». — Mais, d’après A. Claudin[13], l’opuscule de Francesco Florio, « terminé (expletus) et mis au jour (editus) à Tours, dans la maison de maître Guillaume Larchevesque », aurait été imprimé à Paris, peut-être vers 1474, dans l’atelier de Pierre César et Jean Stoll établis, en 1473, rue Saint-Jacques.

Quelle que soit l’opinion que l’on adopte, il faut remarquer qu’il ne s’agit ici que d’un fait passager, d’un acte qui ne devait point se répéter ; l’on ne saurait dès lors dater de 1467 l’introduction de l’imprimerie en France. D’ailleurs, aux premières années du règne, l’attention de Louis XI avait été absorbée tout entière par des difficultés politiques fort graves ; entraîné dans une lutte sans merci contre Charles le Téméraire, le fils de Charles VII n’avait pas eu le loisir d’étudier et de reprendre les projets du feu roi son père. Enfin, s’il faut en croire certain racontar (?), l’aventure de Fust, l’un des compagnons de Gutenberg, n’était rien moins qu’encourageante. Venu à Paris vers 1465, pour y vendre ses livres — et peut-être avec le secret désir d’y créer un atelier — Fust eut la douleur de voir ses marchandises saisies ; devant le soulèvement et la colère de la corporation des copistes, il fut obligé de retourner précipitamment en Allemagne[14]. Quelques années devaient s’écouler encore avant l’établissement définitif, en France, du procédé nouveau de production des livres à l’aide de caractères de métal.


II. — L’Imprimerie de la Sorbonne.


En 1470, Jean de La Pierre[15], un Allemand du nom de Jean Heynlin, originaire de Stein[16] (au diocèse de Spire), était prieur de la Sorbonne. Ancien recteur de l’Université de Paris, La Pierre avait déjà, en 1467, rempli à la Sorbonne ces mêmes fonctions de prieur. C’était un des meilleurs esprits du xve siècle, ouvert à toutes les initiatives, fort curieux de toutes les découvertes et très amoureux du progrès. Il avait pu se procurer quelques-unes des productions de Gutenberg et apprécier vivement cette découverte qui « permettait de multiplier à l’infini les livres d’études et de mettre à la portée des maîtres et des élèves des textes corrects au lieu des copies défectueuses que livraient depuis quelques années les copistes ignorants et négligents ».

La Pierre résolut de faire profiter Paris des bienfaits de la nouvelle invention. Il s’ouvrit de son projet à l’un de ses amis et confidents, Guillaume Fichet, né en 1433, à Petit-Bornand (Savoie), professeur de rhétorique et de belles-lettres à la Sorbonne, qui, en 1469, avait été recteur de l’Université.

« Dédaignant par avance les clameurs de la puissante corporation des écrivains et des copistes[17] dont la nouvelle invention ruinerait sûrement le crédit, Jean de La Pierre et Guillaume Fichet décidèrent, de leur initiative privée, de faire venir, de la région où l’imprimerie avait pris naissance, des élèves de Gutenberg. » Ce furent Michel Friburger, de Colmar (Alsace), maître ès arts, avec lequel La Pierre s’était lié d’amitié alors qu’il étudiait à l’Université de Bâle, Ulrich Gering et Martin Crantz, de Munster, tous deux ouvriers.

Les trois compagnons arrivèrent à Paris dès les premiers mois de l’année 1470. Le local propre à l’installation du matériel faisait défaut ; mais, généreusement, le prieur offrit quelques (trois) modestes chambres (humiles casas) de son appartement, et l’atelier fut établi dans les locaux de la Sorbonne même (in ædibus Sorbonæ).

Aussitôt Jean de La Pierre, Guillaume Fichet, les maîtres de l’Université, les professeurs jurés dont la parole et la science attirent autour de leur chaire les disciples de l’Europe entière se souviennent que la charte de leur corporation les constitue gardiens des belles-lettres et des doctrines religieuses. Ils s’intéressent au développement de l’art nouveau ; ils en suivent avec un soin jaloux les progrès ; et, s’ils ne peuvent encore prêter leur concours à la technique manuelle, ils apportent une aide — matérielle par leur désintéressement, intellectuelle par leurs connaissances — qui est des plus précieuses.

Outre les ouvrages courants, satires, fabliaux, contes, dissertations scientifiques, philosophiques ou littéraires, écrits en beau « langaje françois », dans le « doux parler de France[18] », il faudra, dès les débuts de l’art de Gutenberg, imprimer constamment, couramment aussi, le latin, le grec et encore l’hébreu.

Nombre de manuscrits détériorés par le temps sont peu lisibles. Malgré les soins les plus attentifs, les calligraphes conventuels du moyen âge ont parfois, en le transcrivant, défiguré le texte ; et du xiiie au xve siècle nombre de copistes laïques fort ignorants ne se sont point fait faute de les imiter. Il est indispensable de déchiffrer les textes obscurs, de les comprendre en interprétant les erreurs des copistes, de comparer les manuscrits, de choisir la version correcte, et même, à défaut de l’original, de restituer les textes tronqués ou altérés : rôle ingrat, mais méritoire, que les plus illustres et les plus réputés des linguistes et des philologues vont assumer sans défaillance.

Ainsi, pour la mise au point définitive, littérairement parlant, des travaux qui leur sont confiés, ou dont ils sont les éditeurs, les premiers maîtres imprimeurs, lorsqu’ils n’eurent point les moyens ou le loisir de le faire eux-mêmes, eurent recours à des érudits de premier ordre, qui ne crurent point déchoir en s’attelant à la fastidieuse besogne de la revision des « planches » qui leur étaient soumises.

Le développement rapide de l’imprimerie apporte alors un lustre nouveau aux fonctions de correcteur et à l’homme qui en assume les responsabilités. L’organisation de l’antique scriptorium subit en effet une modification profonde : le lecteur ne dicte plus le texte, mais — tâche bien plus importante ! — il le « met au point » ; le typographe, copiste d’un nouveau genre, assemble les lettres et forme les lignes ; le correcteur revise la composition, compulse une dernière fois les manuscrits, indique les variantes, signale les fautes en rétablissant la pureté du texte et surveille jusqu’au tirage. Sans doute, l’organisation n’est pas la même dans tous les ateliers ; mais dès les débuts, presque partout, techniciens et lettrés collaborent intimement : l’auteur, le traducteur sont souvent leur propre correcteur, tels Guillaume Fichet, Henri Estienne le médecin, Juste Lipse, Érasme ; l’imprimeur, le maître imprimeur plutôt, corrige et revise lui-même les épreuves de ses travaux, tels Robert Estienne et Jean Oponis ; d’autres fois, un lettré cumule en même temps la charge de prote et celle de correcteur, tel Kiliaan chez Plantin ; mais, fréquemment aussi, cet érudit se borne aux fonctions de correcteur : ce fut, tout au moins, semble-t-il, ce qui se passa, dès 1470, à l’imprimerie de la Sorbonne où Jean de La Pierre assuma la charge de la revision des manuscrits et des épreuves.

Sans dépasser les limites de ce modeste travail, on peut rappeler « les noms de quelques-uns des savants qui ont exercé les fonctions de correcteur dans les imprimeries les plus célèbres » du xve et du xvie siècle.



§ 3. — LES CORRECTEURS À PARIS DE 1470 À 1600


Le premier livre imprimé à Paris par Friburger, Gering[19] et Crantz, parut vers le milieu de l’année 1470 ; il avait pour titre Recueil des Lettres de Gasparino Barzizi de Bergame[20]. Ce volume fut exécuté sous la direction de La Pierre, qui revit lui-même soigneusement les textes et reçut « les grands remerciements de l’auteur pour avoir rendu son livre parfait de corrompu qu’il était auparavant ». « Tu fais, au reste, la plus grande attention à ce qu’ils n’impriment rien sans que le texte ait été confronté avec tous les manuscrits que tu réunis et corriges plusieurs fois. »

Le deuxième ouvrage sorti des presses de la Sorbonne fut terminé aux derniers jours de l’année 1470 : c’était un Traité de Gasparino sur l’Orthographe latine. D’après Guillaume Fichet, ce volume fut, comme le premier, revu et corrigé par le prieur La Pierre qui y ajouta un chapitre de Guarini de Vérone sur les Diphtongues : … « Les [Friburger, Gering et Crantz] voilà qui se hâtent de terminer l’Orthographe du même Gasparino, soigneusement corrigée par le même Jean de La Pierre, ouvrage excellent à mon avis[21]… »

Dès les premiers mois de l’année suivante, Friburger et ses compagnons avaient achevé l’impression d’une, édition latine de Salluste. La Pierre avait assumé également la correction de ce travail, dont, s’il faut en croire une lettre de Guillaume Fichet, il était occupé, dès 1470, à réviser le texte.

Guillaume Fichet fut à la Sorbonne, on l’a vu, non seulement un des collègues les plus éminents de La Pierre, mais encore son confident et son collaborateur. En 1471, Fichet fit imprimer sous ses yeux dans le modeste atelier de Friburger un volume intitulé Rhétorique, résumé des conférences publiques qu’il avait faites : ce fut peut-être le quatrième livre publié à Paris. Guillaume Fichet corrigea lui-même et modifia plusieurs fois son texte ; après le tirage, des cartons furent réimprimés et vinrent remplacer les pages défectueuses. Bien plus, le souci de l’exactitude et de la pureté du texte fut poussé si loin que plusieurs corrections ajoutées à la plume se voient dans presque tous les exemplaires que l’on possède encore[22].

Cette même année 1471, parut le livre de Lorenzo Valla, les Élégances de la Langue latine ; Pierre-Paul Vieillot, secrétaire du Roi, avait corrigé le volume ; Jean de La Pierre lui écrit à cette occasion : « Je n’ai pas trouvé une seule correction oubliée dans le texte que tu m’avais donné à revoir, malgré une revision minutieuse que mon faible jugement — dont, par flatterie pour ton ami, tu avais exagéré la finesse — n’a pu découvrir. Tu as non seulement défriché le champ de notre auteur, que tu as sarclé et cultivé — comme tu l’as écrit — en le débarrassant de ronces, de pierres et des mauvaises herbes, mais tu l’as grandement amélioré — ce que tu aurais voulu me laisser à faire, mais en vain — en l’embellissant de fleurs et de plantes de divers genres. »

À la prière de son ami Fichet, dont la lettre est datée, à Tours[23], du 7 mars 1472, La Pierre « améliore, en les corrigeant et en les divisant », les Offices (De Officiis) de Cicéron que les imprimeurs de Paris vont mettre sous presse.

La Pierre, vieilli et fatigué, dut bientôt se faire suppléer dans sa lourde tâche de correcteur à l’imprimerie de la Sorbonne. Il s’adjoignit, on ne sait exactement à dater de quelle époque, un nommé Erhard[24], allemand d’origine, dont le nom de famille était Windsberg. Erhard qui étudiait la médecine à l’Université de Paris, non seulement aidait à la revision des éditions nouvelles, mais « il y mettoit quelquefois des épigrammes » suivies de commentaires. Parmi les pièces de vers dont il est ainsi l’auteur, il faut signaler surtout celle ajoutée à l’édition du Juvénal, accompagné des Satires de Perse, qui vit le jour en 1472. Erhard semble avoir définitivement remplacé La Pierre dans ses fonctions de correcteur à partir de 1472 ; tout au moins, à lui seul est attribuée la correction des Tusculanes qui parurent, cette même année, après le De Officiis.

« Depuis quelque temps, les princes, les grands de la Cour, les officiers de la Couronne s’intéressent aux imprimeurs de la Sorbonne. Le prévôt de Paris, Robert d’Estouteville, chambellan de Louis XI, les a pris sous sa protection. »

Louis XI lui-même, enfin délivré des soucis qui avaient assombri le début de son règne, leur accorde sa faveur et sa protection. En 1472, Friburger et ses compagnons présentent collectivement au roi l’une de leurs dernières œuvres, le Miroir de la Vie ; deux ans plus tard, Louis XI récompense les imprimeurs en leur accordant des lettres de naturalisation.

Forts de l’appui du Pouvoir royal, désormais à l’abri, peuvent-ils croire, des attaques qui n’avaient point manqué de se faire jour dès leur arrivée à Paris, Friburger, Gering et Crantz continuent inlassablement la production d’œuvres nouvelles : de 1470 à 1473, malgré les moyens fort restreints dont ils disposent, ils ne produisent pas moins de vingt-trois volumes.

Mais, en septembre 1472, le voyage à Rome de Guillaume Fichet prive les imprimeurs de l’un de leurs protecteurs et de leurs conseils les plus dévoués et les plus expérimentés. À cette même époque, quelques-uns des élèves de Friburger, venus également d’Allemagne, s’éloignent, eux aussi, et vont s’établir rue Saint-Jacques à l’enseigne du Chevalier au Cygne[25].

L’atelier de la Sorbonne n’est pas alors sans ressentir les conséquences de ces départs : l’exécution manuelle des livres sortis à cette date de ses presses est fort inférieure à celle des productions antérieures : des fautes grossières de technique s’y rencontrent, la poésie est imprimée comme la prose ; le travail intellectuel est plus inférieur encore : des lignes entières sont oubliées, des vers sont omis, des erreurs nombreuses déparent le texte, et des corrections à la plume rétablissent le sens de la phrase. Erhard avait-il, à cette date, abandonné, lui aussi, ses compatriotes ; et ceux-ci, laissés à leurs propres ressources, s’étaient-ils, au point de vue littéraire, trouvés inférieurs à leur tâche ?

Bientôt Friburger et ses compagnons quittent la Sorbonne et transportent leurs presses, non loin de celles de leurs anciens ouvriers devenus leurs concurrents, rue Saint-Jacques, à l’enseigne du Soleil d’Or. La date exacte de ce transfert n’est point connue[26], mais une Bible — la première édition de ce travail imprimée en France — datée de 1475, porte à l’achevé d’imprimer ces vers latins :

Jam tribus undecimus lustris Francos Ludovicus
Rexerat, Utricus, Martinus itemque Michael,
Orti Teutonia, hanc mihi composuere figuram
Parisiis arte sua. Me correctam vigilanter
Venalem in vico Jacobi Sol aureus offert.


« Ulrich, Martin et Michel, originaires d’Allemagne, par leur art m’ont mise en cette figure, à Paris, après une vigilante correction. Le Soleil d’Or en la rue Saint-Jacques m’offre en vente. » Vigilanter correctam ! Les artisans du Soleil d’Or ont-ils compris qu’ils devaient faire oublier les erreurs et les défauts de leurs dernières éditions de la Sorbonne ? La chose est possible. Mais d’autres raisons pouvaient également inciter les prototypographes parisiens à donner plus de soins à leurs impressions. Une concurrence très vive existait entre les deux ateliers de la rue Saint-Jacques. À peine le Soleil d’Or avait-il fait paraître un ouvrage qu’aussitôt le Chevalier au Cygne le reproduisait, encore expurgé et amélioré.

En 1484, de la rue Saint-Jacques, Gering transporte l’atelier du Soleil d’Or rue de la Sorbonne, où Higman[27] travaille jusqu’en 1489. Les correcteurs de cet atelier furent Gilles de Delft, docteur de Sorbonne, et Pierre Le Secourable (Succurribilis), originaire, de Saint-Lô, docteur régent à Paris en la Faculté de Théologie, grand archidiacre de Rouen, régent au collège d’Harcourt de 1486 à 1509.

En 1477, des ouvriers français ouvrent enfin, à Paris, un atelier « coopératif[28] » d’imprimerie : situé également rue Saint-Jacques, près du couvent des Jacobins, il était à l’enseigne du Soufflet-Vert. Un professeur éminent du Collège de Navarre, Guillaume Tardif, prit en mains la direction littéraire de l’atelier et, à l’exemple des Sorbonnistes Jean de La Pierre et Guillaume Fichet, remplit les fonctions de correcteur.

À l’occasion de l’apparition de la Grammaire de Guillaume Tardif, Louis de Rochechouart, évêque de Saintes, dans un quatrain adressé à l’auteur, donne au public ce conseil qui ne pouvait manquer de plaire aux imprimeurs et au correcteur : « On les [les livres] vend peu de chose, et il n’y manque ni un point ni une lettre. Tardif en a revu exactement le texte. Prends et lis[29] ! »

Ce Guillaume Tardif, né au Puy, vers 1440, fut l’auteur d’une Rhétorique, imitée de Cicéron et de Quintilien, et d’un Art de la fauconnerie, ainsi que le traducteur de plusieurs ouvrages latins. Il devint, en 1483, lecteur du roi Charles VIII. Ce fut, sans doute, à lui qu’échut la lourde tâche de mettre au point le texte des livres d’heures commandés par son royal maître, à Antoine Vérard. On sait que Vérard, qui exerça à Paris de 1485 à 1513, eut, le premier, l’idée de faire des livres de prières imprimés, avec sujets et bordures illustrées, enluminés à l’exemple des miniatures des manuscrits.

André Bocard, ou Boucard, originaire du Poitou, fut libraire et imprimeur à Paris de 1491 à 1500. Parmi les ouvrages sortis de ses presses, on mentionne les Lettres et Opuscules de Robert Gaguin[30], terminés le 22 novembre 1498 pour le compte de Durand Gerlier. Déjà, à cette époque, où la concurrence entre maîtres imprimeurs se fait sentir — la rivalité du Soleil d’Or et du Chevalier au Cygne le prouve suffisamment — la réclame ne perd point ses droits et ne néglige aucune occasion de s’exercer. Ainsi Bocard peut « se qualifier de typographe très habile et solliciter les suffrages du public pour avoir imprimé ce volume aussi nettement, après l’avoir corrigé avec une exactitude mathématique » (qui tam terse atque ad amussim castigata compressit). Il nomme en même temps Cyprien Benet (Cyprianus Beneti) comme ayant été son correcteur (qui castigatrices manus apposuit).

En 1483, « Guy ou Guyot Marchant, prêtre, maître ès arts et imprimeur, originaire de Bourgogne, exerce simultanément au Champ-Gaillard, derrière le collège de Navarre, et à l’hôtel de Beauregard, rue Clopin (ce dernier atelier fut commandité par le libraire Jean Petit). Guy Jouveneau (Guido Juvenalis) ou Jouenneaux était son correcteur.

En 1491, Antoine Caillaut — qui exerça à Paris, en association avec Louis Martineau, originaire de Touraine, et avec quelques autres, de 1482 à 1500 — imprimait pour Antoine Baquelier, citoyen de Grenoble, un Dialogue du savant Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, sur les Sept Sacrements (« Dyalogus doctissimi viri Guillermi, episcopi Parisiensis, de septem Sacramentis », noviter emendatus ac impressus). Baquelier, qui fit imprimer, dès 1491, des livres à l’usage des écoliers de sa province venus à Paris pour étudier, était, suppose-t-on, prêtre. Un autre Baquelier, nommé Pierre, qui fut également prêtre et qui sans doute était le neveu du précédent, continua l’œuvre commencée par celui-ci. Voici comment un érudit bibliophile dauphinois apprécie leur œuvre[31] : « Ces éditions sont pour la plupart trop soigneusement, trop élégamment imprimées pour avoir été des œuvres de spéculation faites pour réaliser des bénéfices. En un mot, il me semble, jusqu’à preuve du contraire, que les deux Baquelier, citoyens de Grenoble, étaient des hommes instruits, pieux (leurs devises et leurs dédicaces en témoignent) et préoccupés de rendre les études supérieures plus abordables et plus faciles à leurs contemporains, et surtout à leurs compatriotes. »

Au nombre des compagnons instruits par Friburger et Gering après leur départ de la Sorbonne, on cite un nommé Higman, originaire des Flandres ou des Pays-Bas. Travaillant de 1484 à 1489 avec Gering, au Soleil d’Or de la rue de la Sorbonne, on le voit établi de cette dernière date à 1499, au clos Bruneau, près des « Écoles de Décret », à l’enseigne des Lions. Higman imprime à ses frais, en 1492, le Commentaire latin de Jacques Le Fevre sur les huit livres de la Physique d’Aristote. À la fin du volume figurent quelques vers de Josse Clichtone (de Nieuport), dans lesquels l’imprimeur et le correcteur sont nommés : « Vous devez maintenant des remerciements à l’Allemand Jean Higman qui a exécuté cet ouvrage à ses propres frais. J’ai fait la correction avec l’aide de mon fidèle Bohemus[32], en enlevant comme j’ai pu les fautes qui étaient restées sur le plomb. » — Josse Clichtone fut également l’un des correcteurs de cet atelier.

En 1496, Higman s’associe avec Wolfgang Hopyl (d’Utrecht), établi rue Saint-Jacques, près Saint-Benoît à l’image Sainte-Barbe, puis à l’enseigne Saint-Georges ; mais tous deux conservent leurs ateliers respectifs, tout en travaillant parfois l’un chez l’autre.

Wolfgang exerça de 1489 à 1500. Un des plus remarquables travaux qu’il ait produits fut le Missel de l’église d’Utrecht, qu’il fit exécuter par son associé Jean Higman et qui fut terminé le 30 novembre 1497. L’achevé d’imprimer mentionne « les soins apportés à la correction du texte, qui a été établi avec toute la diligence possible et débarrassé des fautes de l’original grâce à la libéralité d’Hopyl » (curavit libenter qua valuit diligentia Wolfgangus Hopilius ex viciato exemplari hoc opus reddere castigatum). Wolfgang n’imprima aucun livre en langue française.

En 1496-1497, un Écossais, David Laux d’Édimbourg, assumait chez Wolfgang Hopyl la charge de correcteur ; son nom figure à la fin de deux livres sortis alors des presses de cet imprimeur. Précédemment, Lucas Vautier de Conti, Guillaume Gontier, Jean Grietan et Pierre Grisel avaient rempli les mêmes fonctions chez le célèbre Hollandais dont l’atelier devait, sous ses successeurs, devenir l’un des plus réputés et des plus importants de Paris.

L’association de Wolfgang Hopyl et d’Higman ne devait guère s’étendre au delà de 1499, époque à laquelle ce dernier décéda ; sa veuve Guyonne Viart épousa, en secondes noces, Henri Estienne (1470-1520), qui prit la direction de l’imprimerie dont il faisait peut-être déjà partie et qui fut le fondateur de la dynastie des Estienne. Parmi les œuvres éditées par Estienne on cite en première ligne Cosmographia Pii papæ, qui parut en 1509, et la première édition de l’Itinéraire d’Antonin imprimée en 1512.

L’un des correcteurs de Henri Estienne — le plus remarquable sans doute — fut Geoffroy Tory de Bourges (1485-1533). Après un séjour de quelques années en Italie, Geoffroy Tory professa la littérature et la philosophie dans divers collèges de Paris. En 1509, alors qu’il était régent au collège du Plessis, il entre chez Henri Estienne où, jusqu’en 1512, date de son retour en Italie, il corrige les épreuves de maints ouvrages et annote plusieurs éditions d’auteurs latins. S’étant fait recevoir au nombre des membres de la Confrérie des Libraires-Imprimeurs, Tory s’établit libraire à Paris, en 1518, à l’enseigne du Pot Cassé et, quelques mois plus tard, fonde une imprimerie. Tory fut l’un des imprimeurs les plus remarquables du xvie siècle. Sans vouloir faire de lui un rénovateur de la typographie, on peut dire qu’il fut presque l’égal de Robert Estienne qu’il dépasse parfois. Tory a fixé les règles de l’orthographe ; on lui doit une ponctuation plus correcte avec l’emploi de l’apostrophe, de la virgule et de la cédille. « Dans un ouvrage resté célèbre, qu’il appelle Champ-Fleury et qu’il publia en 1529[33], Tory traite, comme dessinateur et comme graveur, de la vraie proportion des lettres. Sous l’impulsion nouvelle de notre imprimeur-libraire — qui reprenait sur ce point les idées de son devancier Josse Bade[34], un érudit devenu aussi correcteur, puis libraire-imprimeur — les types gothiques furent délaissés et remplacés par des caractères romains d’une disposition nouvelle, empruntée aux monuments de l’antiquité que Tory, qui revenait d’Italie[35], avait visités et étudiés sur place et qui avaient fait germer chez lui des idées nouvelles[36]. »

Un autre collaborateur de Henri Estienne fut Simon de Colines, né aux environs de Paris (Gentilly ou Pont-de-Colines), vers l’an 1470 ou 1480. En 1521, il épousait en troisièmes noces Guyonne Viart, déjà successivement mariée à Jean Higman et à Henri Estienne, et prenait la direction de l’imprimerie fondée, en 1489, par Higman, à l’enseigne des Lions.

Colines était un érudit remarquable ; sa maison fut le rendez-vous des savants dont il imprimait les œuvres et dont il surveillait lui-même la correction. En relations constantes avec Geoffroy Tory, et certainement sous son inspiration, de Colines proscrivit de ses éditions le caractère gothique, améliora les types romains en usage et, le premier à Paris[37], utilisa l’italique comme « caractère de texte ». Ses éditions grecques, pour lesquelles il fit, au début, graver un type spécial, sont d’une beauté et d’une correction admirables. Nombre des livres sortis de ses presses sont du format in-16 dont il contribua à vulgariser l’emploi.

D’après Gabriel Naudé[38], « ce fut un nommé Gilles Gormont[39] qui, le premier, établit à Paris, environ l’an 1507, une imprimerie pour les autheurs grecs[40], commençant par la Grammaire de Chrysoloras, la Batrachomyomachie d’Homère, le poème d’Hésiode intitulé Opera et Dies, et quelques autres petits traittés, qui finissent tous par ce dicton latin : Operoso huic opusculo extremam imposuit manum Ægidius Gourmontius, integerrimus ac fidelissimus primus, duce Francisco Tissardo Ambacæo, græcarum litterarum Parisiis impressor, anno Domini M. CCCCC. VII. »

Quel était ce François Tissard, d’Amboise (Ambacæo), dont l’érudition était assez forte pour assumer la direction (duce) des impressions grecques de l’atelier de Gourmont : préparation du manuscrit, correction du texte et revision des épreuves ? Malgré nos recherches, il ne nous a pas été donné de le savoir.

Au cours des années 1516-1517, Jacques Musurus de Rhodes surveillait la correction des ouvrages grecs sortis des presses de ce même Gilles Gourmont, ainsi que le correcteur prend soin de nous l’apprendre lui-même dans l’épître dédicatoire qu’il adressait à Jean Olivier, qui fut abbé de Saint-Médard de Soissons en 1510 et évêque d’Angers de 1532 à 1540 : « Sententiæ sive Apophthegmata septem Sapientium grecanica utilissima sane ac ethica, una cum Pythagorico symbolo » ; unumquemque admonentes quod in hoc mortali labyrintho sese dirigere oporteat : nuperrime castigata ac aucta ab Jacobo Musuro Rhodio.

Jérôme Gourmont et son frère Benoît, que l’on suppose être les fils de Robert Gourmont, frère aîné de Gilles, continuèrent les traditions de leur oncle. Établi dès l’année 1524, Jérôme[41] était en 1529 l’associé de Guillaume Rolant ; en 1543, d’après un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, il tenait boutique d’imprimeur en la rue Saint-Jacques, à l’enseigne des Trois Brochetz[42] ; il mourut, croyons-nous, en l’année 1553, alors que son frère Benoît poursuivit sa carrière jusqu’en 1559. — Jean Chéradame, qui fut le premier professeur de langue grecque au Collège de France, avait accepté de veiller à la pureté du texte des productions typographiques qui sortaient de l’officine des Gourmont, comme nous l’apprend la dédicace du premier livre de la Syntaxe d’Apollonius Dyscole (Ὰπολλώνιου Ὰλεξανδρέως περί Σύνταξεως), dont Nicolas de Lorraine, évêque de Metz, avait, en 1536, accepté l’hommage.

Robert Estienne, deuxième fils de Henri Estienne, naquit à Paris en 1503 et mourut à Genève en 1559. Il étudia les humanités sous la direction du célèbre Jean Lascaris venu à Paris, et la typographie dans l’atelier de son beau-père Simon de Colines qui, nous l’avons vu, avait, à la mort de Henri Estienne, assumé la direction de l’imprimerie du clos Bruneau. En 1526, Robert Estienne établissait son atelier rue Saint-Jean-de-Beauvais, en face de l’École de Droit. De cette maison devaient sortir les travaux les plus remarquables et les plus savants de cette époque : bibles en grec, en latin, en hébreu, psautiers, auteurs anciens, Thesaurus, Dictionnaire français-latin, etc. — Ses éditions « sont celles de toute l’Europe, où l’on voit le moins de fautes d’impression. Mill assure que, dans son Nouveau Testament grec des éditions de 1546, 1549 et 1551, ainsi que dans l’édition in-16 de 1549, il ne se trouve pas une seule faute typographique, et qu’il n’y en a qu’une dans la préface latine, savoir pulres pour plures. On sait par quel moyen il parvint à cette exactitude » : il revisait lui-même les textes et corrigeait ses épreuves avec l’aide de collaborateurs non moins lettrés ; puis « il exposait à sa boutique et affichait à la porte des collèges ses dernières épreuves en promettant un sol aux écoliers pour chaque faute qu’ils découvriraient, et il leur tenait exactement parole[43]. Il entretenait chez lui dix à douze savants de nations diverses, et, comme ils ne pouvaient s’entendre les uns les autres qu’en parlant latin, cette langue devint si familière dans la maison que sa femme, ses enfants et les anciens domestiques vinrent à la parler avec facilité ». — On connaît le sort misérable que de regrettables querelles religieuses et un formalisme intransigeant devaient réserver à cet homme honoré de la faveur d’un roi[44] et d’une reine, mais suspect au clergé : ses démêlés avec la Sorbonne, sa fuite à Genève et, sous la direction de son frère, la ruine de sa maison.

Comparant les éditions de Robert Estienne et d’Alde Manuce au point de vue de la correction du texte, M. Firmin-Didot, dans ses Observations littéraires et typographiques sur Robert et Henri Estienne, exprime une idée singulière : « … Ce n’est certainement pas sous le rapport de la correction des textes qu’Alde doit être comparé à Robert Estienne et à son fils[45]. Il faut le dire, avant Robert Estienne on n’avait aucune idée de ce que devait être la correction d’un livre… » Songer à discuter les idées de M. Firmin-Didot serait pure outrecuidance : trop de distance en toutes choses nous fait inférieur à ce savant et illustre imprimeur ; il faut avouer, cependant, qu’une telle affirmation : « on n’avait aucune idée… » rabaisse singulièrement le rôle et la valeur de tous les devanciers de Robert Estienne. Point n’était besoin, pour combattre la thèse, peut-être exagérée, de M. Renouard, d’élever à son encontre une thèse non moins outrée qui aurait pu rencontrer contradicteur aussi qualifié.

Il semble, d’ailleurs, que certains écrivains ont dénié presque systématiquement aux lettrés qui présidèrent aux premières productions de l’imprimerie les qualités et les capacités qu’ils accordent avec une libéralité fort partiale aux érudits de leur époque ou à leurs écrivains favoris. Ainsi, déjà au xviiie siècle, un autre auteur Prosper Marchand[46] soutenait une thèse qui par maints côtés se rapproche de celle de Firmin-Didot : « … Mais c’est une erreur grossière que plusieurs habiles gens ont parfaitement bien démontrée, en prouvant que beaucoup d’entre elles [les éditions anciennes] ont été non seulement faites sur de mauvais manuscrits par des imprimeurs tout-à-fait incapables d’en juger, mais encore fort corrompues par l’ignorance et la témérité de divers éditeurs et correcteurs, gens alors plus titrez qu’habiles et bien instruits. Comme c’est là une espèce de blasphème littéraire contre lequel ne manqueront point de se récrier fortement, et les vendeurs, et les curieux d’anciennes éditions, il est absolument nécessaire de le prouver par des autoritez respectables… Bien loin donc que ces éditions anciennes soient légitimement dignes de cette préférence, « Je ne crains point de dire, au contraire, affirme, Richard Simon[47], « que, généralement parlant, plus les éditions des Peres sont anciennes, moins elles sont exactes ; et qu’il en est de même de celles de tous les autres écrivains, en quelque genre que ce soit. » Et c’est ce que Mrs. Heumann[48], Seclenius[49], et Schelhorn[50] reconnoissent de même en ces termes : Falluntur, qui sibi persuadent, primis exortæ Typographiæ temporibus, libros exscriptos fuisse accuratissimæ, cum inspectio eorum doceat contrarium… Orti sunt… errores tam multi… ex defectu peritorum industriorumque correctorum, quos primis Typographiæ temporibus raros fuisse, imo rarissimos ;… permulti libri, quibus Tirocinia posuerunt primi Typographi, Tirones potius quam magistri… dicendi demonstrant. »

Il est sans doute aisé, la besogne, achevée, de reprocher au jardinier qui a péniblement défriché un inculte terrain les quelques mauvaises herbes que de multiples travaux ultérieurs ont fait apparaître ; il est moins facile certes d’exécuter soi-même une tâche plus ingrate et plus laborieuse que celle d’une critique dont le seul mérite parfois est d’examiner le champ cultivé.

Non point qu’il faille admettre aveuglément et comme article de foi… typographique l’impeccable correction de toutes les productions de l’imprimerie. Trop d’exemples sont là qui infirmeraient semblable suggestion. L’Université, l’autorité royale non plus que personne autre n’avaient la possibilité ou les moyens d’imposer en cette matière, comme autrefois pour les manuscrits, l’obligation de la perfection ; d’ailleurs, des édits, des règlements, des décisions appliqués scrupuleusement ici sont outrageusement violés en telle autre ville. Si la juridiction de l’Université pouvait, à Paris même, établir quelque limite, elle était impuissante à Lyon et ailleurs. Lorsque, pour enrayer la production des « livres corrompus et incorrects », les maîtres lyonnais « prirent à cœur de ne livrer que des éditions correctes[51] », l’histoire ne rapporte point que ceux de Marseille, de Bordeaux, de Toulouse et autres lieux s’engagèrent à imiter ce louable exemple. Il ne servirait en rien, au reste, de nier un mal qui exista de tout temps, mal qui ne provient point du fait seul du correcteur et auquel on peut appliquer cette pensée de Pope :

Whosoever thinks a faultless pièce yo see,
Thinks what ne’er was, not is, not e’er shall be[52] ;


mais, au dire de la plupart des savants de toutes les époques, la correction des ouvrages mis au jour dès les premiers temps de l’imprimerie est généralement digne d’exciter l’admiration. La plupart des imprimeurs qui précédèrent Robert Estienne et leurs collaborateurs furent de véritables savants ayant des connaissances vraiment encyclopédiques ; ils étaient capables, non moins que celui-ci, d’interpréter des manuscrits grecs, latins, hébreux, avec une sécurité remarquable et d’en assurer la reproduction avec une exactitude digne de tous éloges.

Conrad Néobar, originaire d’Allemagne, s’établit libraire à Paris, en 1537, après un examen qui lui valut les éloges de l’Université. En 1538, François Ier le nommait son « imprimeur pour le grec » et le chargeait spécialement de la publication des manuscrits en cette langue. L’ordonnance royale, datée du 17 janvier, fixait les gages annuels de l’imprimeur à la somme de 100 écus d’or sol ; Conrad Néobar jouissait, en outre, de l’exemption d’impôts et de tous les privilèges et immunités accordés au clergé et aux membres de l’Université. Il mourut dans les premiers mois de 1540.

Turnèbe naquit, en 1512, aux Andelys en Normandie, de parents nobles, mais peu fortunés. Son père, gentilhomme écossais, portait, dit-on, le nom de Turnbull, remplacé par le nom français Tournebœuf ou Tournebou, en latin Turnebus. Amené à Paris, vers l’âge de onze ans, le jeune Turnèbe montra pour l’étude de telles dispositions qu’il devait égaler, et même surpasser, ses maîtres : il étudia tout spécialement les écrits des Anciens qui ne lui présentèrent bientôt plus aucune difficulté qu’il ne pût résoudre. Grâce à la protection du cardinal de Châtillon, Turnèbe était nommé professeur d’humanités à Toulouse ; mais, en 1547, il était appelé à Paris, pour remplacer le célèbre Toussain, au Collège Royal où il occupa d’abord la chaire de littérature grecque, puis celle de philosophie grecque et latine ; parmi les élèves dont il dirigea particulièrement les études on peut citer Henri Estienne, Génebrard et Scaliger. En 1552, Turnèbe, guidé par son enthousiasme pour les lettres, acceptait la charge d’imprimeur royal pour les livres grecs, qu’il devait garder jusqu’en 1555. Turnèbe est un des humanistes auxquels la France doit le plus pour la renaissance des lettres ; ses ouvrages personnels, ses traductions d’Aristote, de Théophraste, de Plutarque, ses commentaires sur Cicéron, Varron, Horace le placent incontestablement au premier rang des lettrés du xvie siècle. Il mourut le 12 juin 1565.

Guillaume Morel, né en 1505, au Tilleul (Normandie), d’une famille pauvre, réussit à acquérir une instruction remarquable. Professeur de langue grecque à Paris, il abandonna sa chaire pour devenir correcteur chez l’imprimeur Jean Loys surnommé Titelan. Plus tard, il devait lui-même exercer la maîtrise d’imprimeur de 1550 à 1564, associé au célèbre Turnèbe qui, en 1555, se démettait en sa faveur de sa charge d’imprimeur royal pour le grec. Les éditions de Guillaume Morel rivalisent avec celles de Robert Estienne non seulement par la beauté de l’exécution typographique, mais aussi par la pureté et la correction du texte. En 1544, il avait publié, seul, un Commentaire sur le traité « De Finibus » de Cicéron, puis, en 1558, avec Jacques Bogard, une édition des Institutions oratoires de Quintilien.

Scaliger, né à Agen le 4 août 1540, fut pour la langue grecque l’un des meilleurs élèves de Turnèbe ; il étudia l’arabe, l’hébreu, le syriaque, le persan et la plupart des langues de l’Europe. Il devint l’un des philologues les plus réputés de notre pays qui cependant en compta beaucoup au xvie siècle ; il fut, en outre, fort versé dans l’histoire, la chronologie et les antiquités. Après avoir visité les principales universités d’Allemagne et s’être lié d’amitié avec Cujas et de Thou, il se fixa à Lausanne où il habitait lors du massacre de la Saint-Barthélémy, puis à Genève où on lui offrit une chaire à l’Université de cette ville. Il mourut, le 21 janvier 1609, à Leyde où il avait été appelé pour succéder à Juste Lipse. Ses traductions latines et grecques sont considérables et justement réputées.

Isaac de Casaubon est né à Genève le 18 février 1559. Son père se chargea du soin de son instruction et avec tant de souci que, dès l’âge de neuf ans, il parlait latin avec correction et facilité. Casaubon étudia à Genève la jurisprudence, la théologie et les langues orientales ; ses progrès furent si rapides qu’en 1582, à l’âge de vingt-trois ans, il pouvait remplacer son professeur dans la chaire de littérature grecque. Ayant épousé la fille de Henri Estienne, Florence, il publia dès lors, presque chaque année, des éditions, des traductions d’auteurs grecs et latins, avec des notes et des commentaires remplis d’érudition. En 1596, Casaubon est désigné pour occuper à Montpellier une chaire de grec et de belles-lettres. Mais Henri IV l’appelle bientôt à Paris, où il lui confie une situation analogue et lui accorde la charge, très enviée alors, de bibliothécaire du roi, aux gages annuels de 400 livres, somme fort élevée. À la mort de Henri IV, Casaubon quittait la France, à la suite de l’ambassadeur de Jacques Ier, roi d’Angleterre ; il mourut à Londres le 1er juillet 1614. Casaubon fut un savant de premier ordre, un bon traducteur et un excellent critique ; sans doute ses ouvrages ne sont pas exempts de fautes, mais on y rencontre une sagacité merveilleuse et un jugement exquis ; il interprète ou rétablit les passages des Anciens avec un rare bonheur. Son Commentaire sur Strabon est le meilleur qui existe ; et ses travaux sur Théocrite et Athénée sont encore fort estimés des lettrés.

Pour terminer, citons rapidement les noms de Muret, né à Muret près Limoges en 1526, mort à Rome en 1585, philologue et poète, qui professa à Auch, à Bordeaux, au collège du Cardinal-Lemoine à Paris et à Toulouse ; appelé à Rome par le cardinal d’Este, il y donna des leçons fort suivies sur l’Éthique d’Aristote et sur le droit civil ; — Postel, dont les malheurs égalèrent la science, né en 1510 à La Dolerie près Barenton, mort à Paris en 1581 ; en 1538, il était professeur au Collège Royal de Paris ; de sa disgrâce date le début de sa vie errante en Allemagne, en Suisse, en Italie et en Turquie ; son application à l’étude des sciences grecques, latines et orientales devait lui troubler quelque peu la raison ; — Lambin, né à Montreuil-sur-Mer en 1516, mort à Paris en 1572 : en 1560, il était professeur de rhétorique, et, en 1561, de langue grecque au Collège Royal de Paris ; il travaillait, dit-on, avec un soin méticuleux, lentement, à des œuvres qui furent nombreuses et fort estimées : une édition d’Horace en 1561, de Lucrèce en 1561 également, de Cicéron en 1565-1566, de Plaule parue seulement en 1577, etc.

Ainsi, au xve et au xvie siècle, le correcteur possède dans la hiérarchie littéraire une situation élevée : tantôt il est recteur de l’Université, prieur de la Sorbonne ; tantôt il occupe une chaire dans un collège en renom ; d’autres fois, abandonnant les lettres pour les arts, il s’est acquis par ses travaux une réputation enviable ; ou encore, ses mérites lui ont valu la faveur et les grâces des rois, des princes et des grands de ce monde.

Aussi l’usage s’est établi de donner à ce travailleur intellectuel une place d’honneur parmi les collaborateurs qui contribuent à la production de ces œuvres que tous les temps ont jugées remarquables. Non seulement ils ont l’honneur insigne — comme Augustin-Vincent Caminade et Cyprien Benet — de voir leur nom et leurs fonctions figurer à côté de ceux de l’auteur et du maître imprimeur, mais encore d’être l’objet de flatteuses mentions qui exaltent leur savoir et leurs capacités.



§ 4. — LES CORRECTEURS EN PROVINCE DE 1473 À 1600


Ce n’est point seulement Paris qui rend aux correcteurs un tel hommage. Les villes de province elles-mêmes qui ont le rare privilège de voir s’établir en leurs murs un des disciples de Gutenberg apprennent à connaître et le titre et le nom de ces collaborateurs.


I. — Lyon.


Dès son apparition à Lyon, en 1473, et au cours du xvie siècle, l’imprimerie prit dans cette ville un rapide essor ; son développement fut tel que la réputation des travaux sortis des officines lyonnaises faillit un moment éclipser celle des ouvrages exécutés par les presses parisiennes.

Les traités de droit les plus érudits, les auteurs classiques latins et grecs, les livres de médecine, les sciences mathématiques et algébriques, maintes Bibles savantes ou populaires, les missels constituent les principales productions qui portent au loin la renommée de « la ville située entre Saône et Rhône ». Mais ce qui peut-être contribua non moins à établir le renom typographique dont Lyon devait jouir à cette époque est un fait d’ordre tout particulier : « On y imprimait en pleine liberté, loin de la férule de l’Université et de la censure de la Sorbonne, toute notre littérature populaire, des histoires de chevalerie, des pièces de poésie, des facéties, des gauloiseries et des joyeusetés… » Lyon fut aussi, il est utile de le dire, un centre, non loin de Genève, où la doctrine de Luther et de Calvin trouva dès ses débuts un terrain d’élection, sur lequel devait germer rapidement, pour la Réforme, une importante floraison de protagonistes, d’adeptes et de défenseurs dévoués.

Cet ensemble de circonstances ne pouvait certes qu’être un stimulant de plus pour les typographes lyonnais, et, de fait, nous voyons les libraires et les imprimeurs rivaliser de zèle, d’instruction et d’initiative : ils ne craignent pas d’engager des capitaux importants dans des œuvres de longue haleine ; ils s’adressent pour l’illustration de leurs livres à des maîtres renommés tels que Holbein ; après maints avatars dont nous donnerons ultérieurement un court aperçu[53], ils prennent la résolution de ne livrer au public que des éditions correctes, et à cet effet ils s’entourent de lettrés remarquables, de savants de premier ordre qu’ils rémunèrent largement ; ils vantent à l’envi la pureté littéraire de leurs œuvres : tel volume sorti en 1512 des presses de Simon Bevilaque porte cette mention[54] : maxima cum diligentia opus hoc castigavit ; tel autre, paru en 1516, cette appréciation : secundum veram orthographiam scribitur ; sur le titre d’un missel édité en 1530, par le libraire Michel Despreaux[55], est écrit : quod ab omnibus retro impressoribus evasit incastigatum : maxima lucubratione emendatum atque ornatum ; sur celui-ci, mis au jour en la même année, on lit : in quo ultra castigatissimam diligentissimamque emendationem… comperiet lector.

Ces exemples ne sont point exceptionnels, comme on pourrait le supposer : la plupart des volumes imprimés en latin, un très grand nombre d’ouvrages écrits en français comportent des expressions, différentes il est vrai, mais qui toutes ont le même but : persuader le lecteur qu’un soin scrupuleux a été apporté à la correction ; vanter, en même temps que les capacités et le désintéressement des libraires ou des imprimeurs, le mérite et les connaissances littéraires ou scientifiques remarquables des correcteurs qui, en fait, sont recrutés parmi les hommes les plus éminents de la Renaissance.

Suivant Claudin, Pierre Hongre, qui soit seul, soit en association avec Mathieu Husz et Antoine Doulcet ou Doulzet, exerça à Lyon à plusieurs reprises, commença à imprimer dans cette ville en 1482.

En 1498, Pierre Hongre publiait un petit Bréviaire lyonnais, Liber valde requisitus ad ministrandum sacramenta… Dans l’achevé d’imprimer, notre maître ès art typographique insiste sur le soin qui a été apporté à la correction de ce livre et fait l’éloge du correcteur et aussi, bien entendu, celui de… l’imprimeur : « Si jamais des livres qui ont été produits par l’art de l’imprimerie ont eu besoin de correction, celui-ci en est un, comme il est facile de s’en apercevoir en comparant les exemplaires imprimés auparavant du Bréviaire à l’usage de Lyon. Il est étonnant qu’on ait pu supporter jusqu’ici des livres aussi incorrects et corrompus. Maintenant ils ont été corrigés avec un soin rigoureux par vénérable homme maître Jean de Gradibus, licencié en chacun droit, et ont été imprimés par honorable homme maître Pierre le Hongrois, très habile dans l’art d’impression. »

La réputation de Jean Gradi, ou plutôt Jean de Gradibus, égale presque celle du fameux Pic de la Mirandole. Ce professeur en droit civil et canonique (utriusque juris professor) florissait de la fin du xve siècle au commencement du xvie. Quelques écrivains le font naître ou, plutôt, enseigner tout d’abord à Milan. Mais Prosper Marchand, auteur d’une Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’Imprimerie, pense qu’il était français. Nous ne connaissons de manière précise aucun détail de son existence ; il semble qu’à l’époque où il vécut Jean de Gradibus possédait une notoriété telle que ses contemporains considérèrent comme inutile de transmettre à la postérité le moindre renseignement à son sujet. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il habita Lyon : à cette époque, cette ville offrait d’innombrables ressources aux savants qui aimaient à multiplier les livres, et Jean de Gradibus fut l’auteur de nombreux ouvrages de droit et de savants commentaires sur le Digeste et les Institutions romaines. L’explicit qui termine le volume de Pierre Hongre nous apprend que Jean Gradi fut correcteur d’imprimerie ; le libraire Hugues Fatot[56] nous dit qu’il remplit ces mêmes fonctions chez Thomas le Champenois (Thomam de Campanis) : Doctrinale florum artis notarie sive formularium instrumentorum novissime diligenti opera egregii viri magistri Johannis de Gradibus utriusque juris professori correctum ac emendatum. Au verso du dernier feuillet de la table : ( Impression habes candidissime lector doctrinale florum sine formularium instrumentorum nec non ars notariatus de novo addictus cum tabulis subjunctis nuperrime vero erroribus plurimis emendatum omnique solertia correctum quod facile cognoverit quicunque istam impressionem aliis prioribus comparavit hoc aut apud tanta castigatum diligentia. Impressum per Thomam de Campanis expensis vero Hugonis Falot bibliopolæ Lugdunensis anno Domini Mcccccx.

Jehan Trechsell s’établit à Lyon en 1488. Au nombre des correcteurs qui furent chargés par cet imprimeur du soin de veiller à la pureté du texte des éditions publiées par lui, il faut citer en première ligne le fameux Josse Bade. Né à Aasche, en Belgique, en l’année 1462, Josse Bade professa d’abord à Valence ; puis, il enseigna le grec à Lyon. C’est au cours de son séjour dans cette dernière ville qu’il épousa Hostelye Trechsell[57], fille de l’imprimeur dont il était devenu le correcteur. Mais, s’il faut en croire les textes, Josse Bade ne travailla point exclusivement pour son beau-père Jehan Trechsell. E. Gueynard dit Pinet, qui fut libraire à Lyon de 1485 à 1530, était un érudit des plus avisés ; il se lia avec Josse Bade dès l’arrivée à Lyon de cet humaniste et l’employa comme correcteur en 1498, si nous en croyons mainte indication ; Josse Bade travailla également pour Jacques Ier Huguetan, qui fut libraire à Lyon de 1492 à 1523. En 1499[58], notre correcteur, sur les instances de Robert Gaguin, dit-on, se rendait à Paris où nous le voyons cité comme libraire dès l’année 1503 ; vers 1512, il fondait une imprimerie d’où sortirent des éditions de classiques fort estimées. Il fut peut-être le premier imprimeur qui encouragea et pratiqua à Paris la substitution, dans la typographie, de la lettre romaine au caractère gothique jusque-là employé en France[59]. Il mourut en 1535.

« Sébastien Gryphius[60] (1493-7 septembre 1556), qui s’établit à Lyon vers 1522 ou 1523, fut au xvie siècle l’un des imprimeurs les plus réputés de cette ville. S. Gryphius était un véritable érudit et un excellent latiniste : les louanges dont l’honorent Scaliger, Gesner, Macrin et tant d’autres savants le prouvent assez, comme les nombreuses préfaces et épîtres dédicatoires dans lesquelles, aussi bien pour le fond que pour la forme, il rivalise avec les meilleurs humanistes, ses contemporains, ses correspondants, ses clients et ses amis, auprès desquels son savoir et sa compétence jouissaient d’une honorable et légitime influence.

« En deux lignes condensées et précises, Gesner lui décerne le plus juste éloge : Innumeris, optimis libris, optima fide summaque diligentia, elegantiaque procusis maximam tibi gloriam peperisti, marquant ainsi les qualités essentielles d’un excellent imprimeur, le choix des livres, leur multiplicité, l’élégance des caractères et la correction du texte. Sous ce rapport, les éditions données par Gryphius méritent une entière approbation. La parfaite correction de ses impressions et l’habileté de son art sont prouvées par le premier volume in-folio des Commentaires de Dolet (1536), contenant 1708 colonnes, dont l’erratum signale seulement huit fautes. Dans la splendide Bible latine qu’il mit au jour en 1550, Gryphius, fier à juste titre de son exactitude, place son erratum, au verso du titre, en tête de son chef-d’œuvre typographique.

« Il serait injuste d’attribuer à Gryphius seul tous les mérites de ces soins attentifs et de la scrupuleuse correction de ses éditions : une bonne part, la plus grande part en revient aux savants collaborateurs et


correcteurs dont il savait s’entourer, tels que Rabelais, André Alciat, Sadolet, Hubert Sussanneau, Claude Baduel, François Hotmann, François Baudoin, Antoine de Gouvea, Claude Guillaud, Émile Ferret, Étienne Dolet, Hector Forest, Gilbert Ducher, etc., ses commensaux à l’ordinaire, lors de leur passage à Lyon, où, non contents de revoir et corriger les épreuves de leurs livres, ils se prêtaient volontiers à la réformation des œuvres d’autrui. Clément Marot, Jean Faciot alias Visagier, Nicolas Bourbon, Benoît Lecourt, Jean de Boysson, Jean Pellisson, Ortensio Landi, Jean de Vauzelles, Maurice et Guillaume Sceve, Salmon Macrin, Barthélemy Aneau, Émile Perrot et bien d’autres fréquentèrent cette maison hospitalière dont le maître, Mécène bienveillant et ami fidèle, ne se faisait point trop prier pour venir, à l’occasion, en aide aux lettrés en délicatesse avec la fortune. »

Florent Wilson, nommé Volusan dans les actes consulaires lyonnais, naquit en Écosse, dans le canton de Murray en 1500. Venu à Lyon, il fut en relations suivies avec la plupart des lettrés de son époque : en 1538, Gilbert Ducher, dont nous nous occuperons ultérieurement, lui dédie une pièce de vers latins[61] ; en 1540, Conrad Gesner lui rend visite et lui consacre ces lignes vraiment élogieuses : Nos hominem (Volusenum) Lugduni vidimus, anno 1540, juvenili adhuc ætate ; et magnam ab ejus eruditione perventuram ad studiosos utilitatem expectamus. Florent Wilson fut correcteur dans plusieurs ateliers d’imprimerie de Lyon, et notamment chez Sébastien Gryphius chez lequel il faisait imprimer en 1539 un volume intitulé : Commentatio quædam theologica, quæ eadem precatio est, de industria tanquam in aphorismos dissecta : Lectori, præsertim erudito et pio, multum sane placitura. En 1551, le Consulat de Lyon, n’ayant pu trouver aucun orateur lyonnais pour prononcer l’Oraison doctorale, s’adressa à Florent Wilson et lui fit verser la somme de 20 livres tournois pour le discours prononcé à cette solennité. Wilson mourut à Lyon, comme le révèle l’épitaphe que lui fit George Buchanan, son compatriote[62].

Comme Clément Marot, un autre familier de Sébastien Gryphius devait remplir le xvie siècle du bruit de ses misères, de l’éclat de ses aventures et de la gloire de sa renommée. En 1532, Rabelais — pour la vie duquel même, une courte esquisse biographique paraît inutile — était à Lyon où, dès son arrivée, il se liait d’amitié avec le malheureux Étienne Dolet ; puis il se mettait en rapports avec Sébastien Gryphius et François Juste, également imprimeur. À cette époque, Rabelais est tour à tour auteur, prélecteur ou collationneur et correcteur d’imprimerie : en cette année 1532 en effet, le terrible satirique Tourangeau fait paraître chez Gryphius le tome second des Épîtres de Manardi et la première édition des Aphorismes d’Hippocrate et de Galien dont il revise la traduction latine, et qui furent réimprimés en 1543 et 1545 ; en même temps il livre à François Juste le manuscrit de l’Histoire de Gargantua dont il assume la correction. Après un voyage à Rome, avec son ami et protecteur le cardinal du Bellay, Rabelais est de nouveau à Lyon en 1534 : il signe l’épître dédicatoire de la Topographia antiquæ Romæ de J. Marlianus et fait imprimer chez Juste le Pantagruel ; en 1535, c’est le tour de la Vie du Grand Gargantua que précède une édition d’Almanach ; de cette date à 1545, il retourne successivement à Rome, puis à Montpellier (où, ayant choisi comme sujet de thèse les Pronostics d’Hippocrate qu’il explique en grec, il est reçu docteur), et enfin à Lyon où il est nommé médecin du grand hôpital. En 1546, il donne à Paris une édition du Pantagruel chez Chrestien Vecchel, rue Saint-Jacques (À l’écu de Basle) ; en 1547, on le sait à Metz ; en 1549, il fait paraître sa Sciomachie et festins faicts à Rome ; en 1550, il est nommé curé de Meudon ; et, en 1553, qui fut, croit-on, l’année de sa mort, il donne le quatrième livre de Pantagruel.

Jacques Frachet, de Saligny-en-Bourbonnais, fut, en 1552, directeur du collège de la Trinité à Lyon où, dit le bail passé à cet effet, il « ne sera parlé aulcune langue que grecque et latine ». Parmi les travaux publiés par cet érudit, il faut signaler : en 1552, une traduction française de la République de Xénophon et Dix Dialogues sur la grammaire latine, en latin, chez Michel du Bois ; puis, en 1553, une nouvelle édition du Donat. Comme tous les lettrés de l’époque, Frachet fut correcteur dans plusieurs ateliers d’imprimerie, et principalement dans celui de Michel du Bois. Ce correcteur, sans doute, ne s’efforça point d’amender sa vie autant qu’il s’essaya de corriger les travaux qui lui furent confiés : il finit mal ; pour payer ses dettes, il vendit les meubles du collège qui ne lui appartenaient point et disparut[63].

Guillaume Ier Rouillé, originaire, de Dolus, au pays lochois (Touraine), serait né vers 1518. Possesseur d’une fortune assez élevée, il séjourna, jeune encore, pendant plusieurs années en Italie où il fit son apprentissage de libraire. Arrivé à Lyon vers 1542-1543, il épousa Madeleine fille de Dominique de Portonariis, libraire en cette ville, où il s’établit lui-même en 1544, peut-on croire.

G. Rouillé était un érudit, connaissant parfaitement sa langue, parlant et écrivant également l’italien et le latin, comme le prouvent incontestablement son Promptuaire des Médailles, imprimé en ces trois langues en 1553, sa traduction des œuvres de Cicéron, les épîtres-dédicaces des volumes qu’il édita, et la nombreuse correspondance qu’il entretenait avec ses clients, ses amis et la plupart des lettrés qui habitaient alors Lyon. Au nombre de ces derniers, il faut compter Charles Fontaine[64], correcteur d’imprimerie, qui travailla pour notre Tourangeau et lui dédia quelques vers dans ses Ruisseaux de Fontaine. Guillaume Rouillé mourut à Lyon, dans les derniers jours de juin 1589 : à la tête d’un commerce florissant, il avait acquis en sa ville une situation de tout premier ordre ; échevin, administrateur de la Grande Aumône, il fut « piteux » à tous, envers les membres déshérités de sa famille, comme à l’égard des pauvres de sa patrie d’adoption[65].

Nous avons déjà signalé les critiques qui maintes fois s’élevèrent sur la qualité littéraire des productions lyonnaises. En voici un exemple typique qui rappelle par quelque côté et la concurrence peu courtoise des ateliers parisiens du Soleil d’Or et du Chevalier au Cygne, et les efforts, plus méritoires certes, tentés pour donner satisfaction à des plaintes amplement justifiées.

« Alde l’Ancien employa pour la première fois les caractères italiques dans son Virgile, de format in-8o, daté d’avril 1501. Ces caractères, imités, dit-on, de l’écriture de Pétrarque, furent gravés par l’habile orfèvre François de Bologne ; longtemps appelés testo d’Aldo ou Aldino, ils eurent, de même que le format des ouvrages auxquels ils étaient destinés, une vogue considérable ; mais, par deux privilèges, l’un du Sénat de Venise en date du 13 novembre 1502, l’autre du pape Alexandre IV du 17 décembre de la même année, Alde s’en assura l’emploi exclusif. Aussi, en Italie, quelques imprimeurs seulement, parmi lesquels, en 1503, Philippo de Giunta, de Florence, se risquèrent à courir les chances de la contrefaçon. En France, loin des foudres de la justice vénitienne, Balthazard de Gabiano, installé comme libraire à Lyon depuis 1493 et renseigné par Jean Barthélémy de Gabiano, de Venise, reproduisait avant la fin de 1502 les éditions aldines de Virgile, Horace, Juvénal et Perse, Martial, Lucain. Ces premières contrefaçons lyonnaises sont fort inférieures aux éditions aldines pour la correction du texte ; par contre, l’italique de Gabiano, plus nourri que celui d’Alde, lui est supérieur et se lit beaucoup plus facilement. Le texte d’Alde Manuce est reproduit page pour page par Gabiano ; la marque et la suscription de l’imprimeur vénitien sont supprimées, et aucune indication ne figure sur les contrefaçons lyonnaises ; en 1510, toutefois, certaines de ces dernières comportent une fleur de lys florentine imprimée en rouge.

« Dans son Monitoire du 16 mars 1503, Alde se plaint amèrement des contrefaçons dont on lui a signalé l’existence, mais dont il paraît ignorer encore les auteurs. Ces éditions véritablement frauduleuses, remplies de fautes et mal imprimées, nuisent à sa réputation et à ses intérêts, car on s’efforce de les lui attribuer, mais elles ne sont nullement siennes, dit-il : Ad hæc hisce : quæ inibi visuntur : incorrectionibus : non esse meos, facile est cognoscere ; puis, relevant les erreurs les plus grossières commises par les correcteurs de Gabiano, Alde indique avec minutie le moyen de distinguer les ouvrages édités à Lyon de ceux imprimés à Venise.

« Les plaintes d’Alde n’étaient que trop justifiées. Cherchant le bon marché et la rapidité de production, les Gabiano et les imprimeurs à leurs gages produisirent, tout d’abord, des œuvres en général médiocres, tant au point de vue du texte que de l’impression. Mais, prenant à cœur les reproches mérités d’Alde, ils donnèrent aussitôt une nouvelle édition des ouvrages aldins bien supérieure à la première ; puis, par la suite, ils s’efforcèrent de ne plus donner prise à semblables remarques. C’est ainsi que, au cours des années ultérieures, on peut citer d’eux quelques excellentes impressions, entre autres le Pétrarque et le Dante, sans date, le Suétone et le César de 1508, dont l’exécution est supérieure, et de beaucoup, aux meilleures éditions aldines[66]. »

Cette courte digression terminée, rappelons rapidement les mérites littéraires de quelques autres correcteurs qui, au xvie siècle, contribuèrent si vivement à la réputation de la typographie lyonnaise.

L’un des meilleurs amis et des confidents de Josse Bade, à Lyon, fut Hervé Bésine, « libraire, imprimeur, correcteur d’imprimerie et jurisconsulte ». D’après M. Baudrier[67], « en 1493, Hervé Bésine, correcteur de livres, tient à louage au prix de 10 livres tournois par an partie d’une maison en rue Bourgneuf, appartenant à Jean Thibaud, docteur en médecine ». Dans ce logis habitait aussi Jean Syber, maître imprimeur, dont Bésine était, suppose-t-on, le correcteur. D’une érudition remarquable, jurisconsulte réputé, Hervé Bésine est maintes fois cité par ses contemporains et ses collègues qui lui dédient nombre de leurs productions littéraires. Ce correcteur s’établit, vers 1479, d’abord rue de Bourgneuf, puis, à l’exemple des autres imprimeurs et libraires lyonnais, ses collègues, en la rue Mercière en 1494 ; il décéda en 1506.

Antoine de Gouvea, né à Béjà (Portugal), vers 1505, est connu aussi sous le nom de Gouveau. Après avoir fait ses études à Paris et à Avignon, il s’adonna à la littérature, puis professa le droit à Toulouse, à Cahors, à Valence, à Grenoble, à Lyon. Pendant son séjour en cette dernière ville, il fut un des familiers de Sébastien Gryphius, logea chez lui et participa à la correction de plusieurs publications. Lui-même, en 1540, faisait paraître chez cet imprimeur un travail dont il était l’auteur : Antonii Goveani epigrammata, Ejusdem epistolæ quatuor. Antoine de Gouvea était lié d’une amitié toute particulière avec Émile Ferret, professeur de droit à Avignon ; il était en même temps en relations avec les lettrés de son temps auxquels il adressa ou dont il reçut de nombreuses pièces de vers latins et plusieurs épîtres intéressantes pour l’histoire de sa vie. Sur la fin de sa carrière, de Gouvea se retira en Piémont, où il devint conseiller du Conseil secret et maître des requêtes de Philibert, duc de Savoie ; il mourut en 1565[68].

Bourbon Nicolas dit l’Ancien[69] naquit à Vendeuvre, près de Bar-sur-Aube, en 1503. Fils d’un maître de forges, il se rendit si habile dans les belles-lettres et surtout dans la langue grecque que Marguerite, reine de Navarre, lui confia l’éducation de sa fille Jeanne d’Albret, mère de Henri IV. En 1536, Bourbon était peut-être correcteur aux gages de Philippe Rhoman[70] (alias Romain), chez lequel il faisait imprimer son travail Nicolai Borbonii Vandoperani Lingonensis ΙΙαιδαγωγεἲον. Il était d’ailleurs en relations avec tous les lettrés de son temps, Érasme, Macrin, Clément Marot, François de Thou, et particulièrement avec Sébastien Gryphius, l’imprimeur lyonnais, chez lequel il travailla et qui lui imprima, en 1538, Nugarum libri octo. Ce travail fut diversement apprécié, si l’on en juge par le quatrain suivant de Joachim du Bellay, qui eut quelques rapports d’amitié avec l’auteur :

Bourbon dans ses œuvres nouvelles
Ne montre pas un grand talent,
Mais, en les nommant Bagatelles,
Il fait preuve de jugement.

Après quelques années de séjour à la cour de Navarre, Nicolas Bourbon se retira à Candes, en Touraine, où il mourut en 1550.

Gilbert Ducher, né à Aigueperse, en Auvergne, étudia le droit à Toulouse. En 1522, alors qu’il était correcteur à Paris chez Pierre Vidoue, Ducher fut chargé de diriger l’édition des Commentaires de César. Ce travail, annoté par Pierre Danès, professeur au Collège de France, était publié par Pierre Petit, de Fontenay-aux-Roses ; c’est ce dernier qui, dans sa dédicace à Georges Cognet de Lyon, professeur au Collège des Bourguignons, nous révèle le nom du correcteur et fait le plus grand éloge de son savoir. En 1526, Ducher revise une édition de Martial qui lui vaut les félicitations de Nicolas Bourbon, lequel lui adresse à ce sujet deux pièces de vers fort élogieuses[71]. Secrétaire du Parisien François Lombard, le lieutenant du Roi en Bugey, doté en cette circonstance d’un traitement fort honorable « dont il n’avait point lieu de se plaindre » (stipendiis haud quaquam pœnitendis), Ducher resta à Belley, avec son maître, pendant près de dix-huit mois. En cette ville existait alors une société de lettrés fort instruits dont Ducher, pendant son séjour, goûta vivement le charme et les qualités. Notre correcteur-secrétaire était encore très lié avec Jean Renier (Rænerius), originaire d’Angers, auteur de l’Oraison doctorale publiée en 1532, à Lyon, chez Trechsell, où sans doute il était correcteur. Ducher dédia à Jean Renier de nombreuses pièces de vers ; dans l’une il le remercie de l’avoir mis en relations avec Claude Bigotier, de Bresse, et Claude Roux, de Trévoux, deux érudits fort remarquables. Professeur au Collège de la Trinité à Lyon, Ducher fut, en même temps, correcteur à l’imprimerie de Sébastien Gryphius, chez lequel il fit paraître, en 1538, Gilberli Ducherii Vultonis Aquapersani Epigrammaton libri duo[72].

Sur la chaude recommandation de son ami Jean de Boysson, Sébastien Gryphius accueillit avec sa bienveillance habituelle Étienne Dolet. Né à Orléans en 1509, Étienne Dolet se rendait à Paris vers sa douzième année, pour y continuer ses études ; puis, après un long voyage en Italie, il revenait étudier le droit à Toulouse. Doué d’un caractère agressif, aussi violent dans ses ripostes qu’il était prompt à la critique, adepte des idées nouvelles, il dut s’enfuir de Toulouse, à cause de ses attaques contre le Parlement et le « fanatisme » des étudiants ; il se réfugia à Lyon, où, nous l’avons déjà dit, les doctrines de Luther et de Calvin avaient rencontré un accueil favorable. Dès son arrivée en cette ville, il faisait imprimer chez Gryphius, qui toutefois refusait d’imposer sur ces éditions et son nom et sa marque, Orationes duæ in Tholosam habitæ, violente diatribe contre Toulouse et les Toulousains que l’imprimeur ne voulut pas réimprimer dans la suite. Étienne Dolet, que ses œuvres placent au premier rang des humanistes de la Renaissance, à côté de Robert Estienne et de Guillaume Budé, fut un des correcteurs de Sébastien Gryphius, ainsi que nous l’apprend une pièce de Faciot à son livre Epigrammatum libri IIII :

Ioannes Vulteius[73] ad librum
I, juge Lugdunum sine me, liber, i, fuge in urbem ;
Excipiel prompta Gryphius ille manu.
Te castigandum docto dabit inde Dolcto,
Cujus censuram sit libi dulce pati ;
Postluce nasutos contemnes denique nasos,
Alque canum rabiem, Zoïleasque notas
.

Dolet semble avoir été employé à plusieurs reprises par Gryphius qui, en 1535, imprimait de son correcteur le dialogue De Imitatione Ciceroniana adversus Erasmum et, en 1536, le premier tome des Commentaires de la Langue latine. En reconnaissance des services qu’il lui avait rendus, Dolet, en 1538, dédia à son imprimeur le quatrième livre de ses poésies : Id tu etiam mecum tua arte laudabiliter conaris, dum Autorum antiquorum et æqualium nostrorum libros (quibus eorum vivit jama) typis tam pulchris in omnem posteritatem transmittis. Eam ob rem quartum hunc, librum tibi dicatum volo, utriusque tam honesti conatus documentum : et amicitiæ, quæ tibi mecum jamdudum intercedit, pignus æternum, atque perpetuum. Vale. Entre Dolet et Gryphius, les relations restèrent, comme le souhaitait le premier, toujours bonnes — grâce surtout à l’excellent et bienveillant caractère du second, — même après que Dolet se fut établi imprimeur[74].

Jean Faciot, dit aussi Visagier ou encore Voulté (Vulteius), naquit en 1510, à Vandy, près Vouziers (Ardennes) ; il fut professeur et correcteur d’imprimerie à Lyon et à Toulouse, et mourut assassiné le 30 décembre 1542. Protégé par Robert de Lenoncourt, archevêque de Reims, et le cardinal Jean de Lorraine, successeur de celui-ci, Visagier connut tous les lettrés qui, à son époque, habitaient Lyon, et fut en relations littéraires avec la plupart des humanistes de son temps. Comme nombre d’érudits, Faciot aurait été correcteur chez Sébastien Gryphius ; il aurait travaillé également pour Michel Parmentier (libraire vers 1523 à 1558 environ), chez lequel, en 1537, il faisait paraître la seconde édition des Epigrammatum libri IIII, dont S. Gryphius en 1536 avait imprimé la première. En 1538, Simon de Colines, imprimeur à Paris, mettait au jour un travail dont l’auteur était Jean Faciot.

Bien que spécialement attaché à l’officine de Payen, éditeur moins lettré que ses savants confrères et incapable de corriger lui-même toutes ses productions, Charles Fontaine[75] travailla en même temps pour plusieurs ateliers. S. Gryphius, Th. Payen, Pierre de Tours, Jean de Tournes restent muets sur ses bons offices dont cependant ils profitèrent largement. Les cordiales relations qui s’étaient établies dès 1547 entre Payen et Rouillé amenèrent ce dernier, en 1549, à faire appel aux talents de Fontaine, sans doute alors aux gages de son confrère, pour reviser sa nouvelle édition des Œuvres de Clément Marot. Publiée en 1550, cette édition, précédée d’un huitain signé « Hante le Françoys », anagramme du correcteur reviseur, fut plusieurs fois réimprimée dans la suite par le même libraire. Rouillé, plus équitable que ses confrères qui s’en tenaient à une honnête rémunération, s’empressa, dans un avis préliminaire, de rendre justice à Charles Fontaine en signalant les améliorations apportées au travail par ce dernier. Cette façon d’agir, malheureusement rare, était, il faut en convenir, tout à l’honneur du caractère de l’éditeur et du savoir du correcteur[76].

Dans son ouvrage Ruisseaux de Fontaine[77], paru en 1555, Charles Fontaine[78] nous fait connaître le cercle de ses relations : Sébastien Gryphius, l’imprimeur ; Benoist Montaudoyn, batteur d’or et bailleur ordinaire de fonds de maints libraires et imprimeurs lyonnais ; Thibaud Payen, le libraire qui vendait son livre ; Jean de Tournes, l’imprimeur lyonnais le plus réputé du xvie siècle ; Philibert Rollet, son imprimeur. En qualité d’excellent confrère, Fontaine n’eut garde d’oublier Guillaume Phylledier, le compagnon typographe prote de l’atelier chargé de reviser la correction de son travail, et il lui dédia ce quatrain flatteur :

En ton estat et en ta charge
Si tu as eu peine et affaire
Aussi ta patience large
S’y est monstree necessaire[79].

D’après le célèbre La Croix du Maine, Barthélémy Aneau, dont nous avons déjà à plusieurs reprises prononcé le nom, fut poète latin et français, auteur grec, historien, jurisconsulte, orateur. Né à Bourges au début du xvie siècle, Aneau devint, vers 1530, professeur de rhétorique au Collège de la Trinité à Lyon ; ses mérites lui firent, en 1542, obtenir la charge de « principal » de ce même établissement. En relations avec tous les lettrés qui vivaient alors à Lyon, surtout lié, semble-t-il, avec Clément Marot, Aneau, lui-même auteur de plusieurs ouvrages, fut, à l’exemple de ses amis, correcteur d’imprimerie : il travailla particulièrement pour Sébastien Gryphius, l’un des maîtres les plus réputés parmi ceux qui « œuvraient art d’imprimerie audict Lyon ». La carrière remarquable de ce correcteur devait avoir une fin lamentable : le 21 juin 1565, au cours d’une procession du Saint-Sacrement, le prêtre qui portait l’ostensoir fut atteint à la tête d’une pierre lancée par un inconnu. Barthélémy Aneau, suspect de protestantisme, fut accusé de cet acte et massacré par le peuple ameuté.

Guillaume Ramese[80], originaire de la ville épiscopale de Sées, devint successivement professeur et directeur du Collège Saint-Jean à Lyon. Cet érudit, qui en raison de sa situation devait jouer un rôle important dans la vie littéraire de sa cité d’adoption, accepta la revision et la correction de nombreux ouvrages classiques dont les éditions sont devenues fort rares à notre époque : il travailla pour Simon Vincent, libraire à Lyon, Pierre Maréchal et Barnabé Chaussard, imprimeurs et libraires, associés de 1492 à 1515, et, enfin, pour Louis Lanchart, libraire « en face l’enseigne À la Magdeleine[81] », puis sans doute près de Saint-Antoine[82], vers 1499 à 1515 environ.

Enfin, nous pouvons supposer qu’après Rabelais et Clément Marot[83] le célèbre Mélanchton lui-même ne dédaigna point de travailler pour maint imprimeur lyonnais son coreligionnaire. En 1556, François Gaillard[84] terminait un ouvrage intitulé Pub. Terentii Aphri comœdiæ sex, qu’il déclarait revu avec un soin extrême sur les toutes dernières éditions[85]. Avec une réelle humilité le reviseur déclarait : Ego vero tametsi non salis instructus essem veteribus exemplis, quibus in tali re opus erat ; et il ajoutait : tamen homini amico, in sanctissimo negotio nolui deesse. Il est plaisant de connaître le nom du correcteur qui, s’abaissant de la sorte, présentait non moins simplement son travail : Pedagogis Philippus Mélanchton S. P. D. Un tel aveu d’humble science de la part d’un tel homme, quelle leçon pour un correcteur ! Comme nous voici loin de ces épithètes louangeuses qui émaillent toutes les productions du xvie siècle, loin de ces compliments hyperboliques que se prodiguent à l’envi libraires, imprimeurs, auteurs et correcteurs : vir ingeniosus, inclytum virum, eximium virum, fidelissimi calcographi, calcographus fuit probus et humanus vir, doctorem utriusque juris, famosissimus unpressor !

Quelques contemporains de Mélanchton avaient cependant de la valeur de ce savant une opinion fort différente de celle qu’il possédait lui-même à son égard. Sur une édition des Dialogues de Lucien de Samosate, parue en 1535, l’imprimeur Sébastien Gryphius se contente d’écrire, peut-être à la sollicitation du traducteur : D. Erasmo Rot. et Thoma Moro interpretibus : His accessit ex Philippi Melancht. versione Oratio Luciani. Érasme, Thomas Morus, ces deux noms possédaient au xvie siècle une réputation mondiale ; ce fut, sans doute, un honneur jugé par Mélanchton suffisamment précieux de voir son nom accompagner ceux de ses émules en science. Mais Gryphius devait faire plus : au titre du Salluste édité la même année il ajoutait : His accesserunt Philippi Melanchtonis doctæ simul ac perbreves annotationes. Doctæ, dans ce simple mot quelle récompense pour la modestie du correcteur !

Michel Servet, médecin et théologien, fut au xvie siècle un adepte fervent et passionné de la doctrine protestante, en même temps qu’un écrivain d’une rare vigueur. Né, vers 1509, à Villeneuve, en Aragon (d’où le surnom qu’il prit de Villanovanus), il étudia la théologie à Toulouse en 1525. Après de longs voyages, qui d’Allemagne le conduisirent en Italie, il revint en France, à Paris, où il professa un cours de médecine. Ses opinions religieuses lui avaient attiré de nombreux ennemis, et vers 1535 il dut se réfugier à Charlieu, près de Lyon, puis à Vienne en Dauphiné. En cette dernière ville, sous son nouveau nom Michel de Villeneuve, il sut tromper sur ses sentiments la vigilance de l’archevêque Pierre Palmier et du lieutenant général du roi au gouvernement de Dauphiné, qui lui accordèrent leur protection et leur confiance. Depuis son arrivée à Charlieu, Michel Servet avait occupé le temps qu’il ne consacrait point à la médecine à l’exercice de la profession de correcteur, tour à tour chez les Trechsell, chez les Frellon et autres imprimeurs lyonnais enclins aux nouvelles doctrines. La liste est nombreuse des ouvrages sortis, après 1535, des presses lyonnaises dans lesquels on rencontre le nom de Villanovanus. Pour le compte du libraire lyonnais Balthazar Arnoullet[86], du 25 septembre 1552 au 3 janvier 1553, Michel Servet assuma à Vienne en Dauphiné la correction de son ouvrage Christianismi Restitutio dont, pour des raisons particulières, il avait pris l’engagement et la responsabilité de revoir seul les épreuves. Le lecteur verra plus loin les déboires dont cette publication devait être la cause pour ses auteurs[87].


II. — Quelques autres villes.


Le souci de la pureté et de la correction des textes que le lecteur vient de constater à Paris et à Lyon se rencontre non moins vif dans toutes les villes du royaume au fur et à mesure que l’imprimerie se développe. Ici et là ce sont des membres du clergé, des lettrés, qui attirent et retiennent les typographes ; ici et là ce sont des abbés, des chanoines, des érudits qui revisent toujours avec un soin méticuleux les productions nouvelles ; ici et là l’imprimeur fier de son œuvre, heureux des concours qu’elle lui a valus, remercie ses collaborateurs, comme le firent les imprimeurs de Paris et de Lyon. Nous nous bornerons à quelques exemples.

En 1491, Pierre Alain et André Chauvin, installés à Angoulême, impriment en cette ville le traité classique des Huit Auteurs (Auctores octo), qu’ils signent ainsi : Correctorum impressorumque Engolisme die XVII mensis Maii, anno Domini MCCCCLXXXXI.

Le célèbre monastère de Cîteaux commande, en 1491, à Pierre Metlinger qui vient d’arriver à Dijon, la Collectio privilegiorum Ordinis Cisterciensis. L’imprimeur termine de la manière suivante ce livre, un in-4o gothique de 196 feuillets : Emendatissime et integerrime impressum Divione per magistrum Petrum Mellinger…

En 1494, Wensler exécute à Mâcon un Diurnal dont la suscription est conçue en ces termes : Magna cum diligentia revisum, fideliterque emendatum et impressum in civitate Matiscontnsi…

Simon Pourcelet, qui, suivant nombre d’auteurs, fut le prototypographe établi à demeure à Tours[88], imprime, de 1491 à 1494, un Bréviaire à l’usage de la basilique Saint-Martin de Tours, qu’il signe ainsi : Exaratum elaboratumque est perpulchre et artificiose Turonis, per Symonem Pourcelet…

Le colophon de ce Bréviaire — dont l’exécution fort coûteuse aurait, paraît-il, ruiné Pourcelet — ne nous donne point le nom des correcteurs qui assumèrent le soin de veiller à la pureté du texte. Le Cartulaire de l’abbaye de Saint-Martin comble cette lacune : Ad communicandum cum eodem domino confessore et reperiendum exemplar correctum juxta cujus litteram hujusmodi breviaria imprimantur, venerabilem dominum cantorem, dum redierit a sua commissione, nec non præfatos dominos, subdecanum, granicurium, camerarium vocatis ex dominis canonicis semiprebendatis et vicariis quos viderint in hujus modi esse peritos et doctos commiserunt. Le nom du « confesseur » dont il est question ici est donné par le même acte : Eadem die (5 julii 1491) dicti domini mei gratias referentes præfatos magistro Johanni de Rely, confessori Regis de et super devotione quam habet ad cultum divinum ecclesiæ hujus, ac modo aperuit ad imprimendum breviaria ad usum ejusdem ecclesiæ, ut unusquisque suppositorum ipsius eo melius deserviat ecclesiæ. Jehan de Rély, docteur en Sorbonne, ancien recteur de l’Université de Paris, député du Clergé aux États généraux tenus à Tours en 1484, était confesseur de Charles VIII. En cette dernière qualité, il accompagnait fréquemment le roi au château de Plessis-lès-Tours. Il accepta de fournir la copie corrigée du Bréviaire ; mais, doyen de la basilique de Saint-Martin le 16 juillet 1491, il était en février 1492 nommé évêque d’Angers : de ce fait, l’impression subit un retard considérable.

En 1509, un autre imprimeur tourangeau du nom de Latheron termine un Missel à l’usage du monastère de Marmoutier près Tours : il est intéressant de faire remarquer les soins exceptionnels dont la correction de ce travail fut l’objet et que l’explicit énumère longuement : Ingenio cura solertisque studio venerabilis religiosi viri litteralissimi Valenlini de Lodieriis ejusdem monasterii Elemosinarii, magno cum labore variis ex codicibus excerptum et per venerabiles et religiosos viros Joannem Jauffre priorem claustri, Symonem de la Fosse senescalum, Petrum de Planis cantorem, Anthonium Chauvin infirmarium et Jacobum Joen armarium dicti monasterii, auctoritate et speciali commissione totius capituli ejusdem cenobii occulatim inspectum, visitatum et secundum sui omnimodam formam laudatum, approbatum et conclusum in civilate Metropoli Turonensi.

De ce même Latheron nous citerons un autre Bréviaire à l’usage de l’église de Saint-Martin qu’il nous a été donné d’examiner attentivement. Ce petit in-8o gothique, à deux colonnes, de 35 lignes à la page, nous a surtout paru précieux, pour notre travail, à cause des renseignements que contient l’explicit placé au cours du texte, avant le Commun des Apôtres : Ad laudem Dei omnipotentis ejusque intemerate Dei Pare. Necnon beatissimi Martini totiusque curie celestis. Exaratum elaboratumque est hoc presens Semibreviarium pro hyemali tempore. Per Magistrum Matheum Latheron impressorie artis expertum. In Martinopoli urbe commorantem e regione Fratrum Minorum. Expensis fabrice ecclesie ejusdem Beatissimi Martini correctum per Io. Brunet canonicum semiprebendatum et Benignum Allot vicarium ejusdem ecclesie, Anno a partu virgineo quingentesimo decimo nono supra millesimum.

En 1501, l’évoque de Toul confie à Martin Mourot, prêtre, curé de Longeville, le soin d’établir dans sa résidence une imprimerie. Martin Mourot prend lui-même la direction de l’atelier et imprime un Missale Tullense, puis d’autres ouvrages de liturgie.

D’après Dominique Fertel[89], « dans la ville de Bordeaux, un imprimeur très-sçavant, nommé Simon Milange,… après avoir régi des Collèges et des Universités dans cette partie d’Aquitaine, que l’on nomme communément la Guienne, et après avoir parfaitement instruit la jeunesse, dans toutes sortes d’arts et de sciences », avait « enfin été privé de son emploi à cause de la religion. Il pratiqua continuellement dans son exil l’Imprimerie, qu’il avoit appris dans sa jeunesse, et par là, il gagna de quoi s’entretenir, lui et les siens, en mettant au jour, de têms en têms un grand nombre de livres. Il n’est jamais sorti de son imprimerie aucun livre qu’il ne l’ait soigneusement revû et corrigé lui-même… »

Mais il ne servirait de rien d’allonger encore ces exemples : la preuve paraît amplement administrée de l’importance qu’en notre pays l’on attacha à la correction dès les débuts de l’imprimerie et de la valeur des travailleurs intellectuels auxquels fut confié le soin d’apurer le texte des manuscrits et l’œuvre du typographe.


§ 5. — LES CORRECTEURS À L’ÉTRANGER
AU XVe ET AU XVIe SIÈCLE


Il faut bien reconnaître, au reste, que les exemples de la considération accordée aux correcteurs et les mérites dont ils faisaient preuve ne furent point exclusivement l’apanage de la France. D’Italie, de Suisse, d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, d’Angleterre, d’Espagne maints témoignages sont demeurés de la valeur scientifique de ces lettrés qui, soit volontairement, soit pour d’autres motifs, se firent les collaborateurs des maîtres de l’art nouveau.

Il est un point de l’histoire de la correction typographique que nous eussions aimé connaître : quel fut le littérateur, initié aux recherches de Gutenberg et de ses associés, qui, le premier, eut l’insigne honneur d’amender, de corriger en même temps que le texte le travail des artistes de Mayence ? La tradition a-t-elle conservé ce précieux détail ?

Peut-être notre Bibliothèque Nationale[90], si riche en documents, où parfois les recherches sont fertiles en surprises heureuses, nous aurait-elle livré ce renseignement que d’autres sans doute connaissent ; mais nos loisirs ne nous ont pas permis de satisfaire notre curiosité. Tout au moins pouvons-nous rappeler ici, grâce à un article fort documenté d’un journal technique[91] qui, en son temps, eut quelque célébrité et quelque influence, le souvenir de l’un des correcteurs de l’atelier de Fust et de Pierre Schœffer, les associés de Gutenberg avant novembre 1455.

Johann Brunnen (en latin Johannes Fons, en français Jean Fontaine) fut, suppose-t-on, un profès, un moine fort instruit, de quelque couvent de Mayence. « Heureux et fier de prêter son concours aux travaux typographiques de Schœffer », il eut, comme nombre de ses contemporains — et aussi des nôtres ! — le désir fort humain de transmettre à la postérité le nom à lui légué par ses ancêtres ; mais, ses vœux l’obligeant, sans doute, à l’observance de l’une des principales vertus chrétiennes, la modestie, il tissa autour de sa personnalité un voile qui lui permit de libérer sa conscience du péché d’orgueil. Cette pratique fut, d’ailleurs, à l’époque de la Renaissance, comme elle est de nos jours, on le sait, une coutume fort courante ; toutefois le « pseudonyme » était alors d’autre sorte. Mais citons ici notre informateur :

« Il existe une grammaire latine[92] en vers d’une rareté singulière ; elle se compose de onze feuillets seulement. À la première page est imprimé, en guise de titre, le distique suivant :

O patris æternis fons derivate scalebris,
O Fontis ab internis nunc rutila tenebris.

« Voici le sens qu’une étude attentive nous autorise à lui donner :

Ô fontaine, dont les eaux s’élancent d’une source éternelle et divine, te voilà dégagée des ténèbres qui t’enveloppaient et tu vas couler au grand jour.

« Voici le colophon également en vers :

Actis terdeni jubilaminis octo bis annis
Moguntia Rheni me condit et imprimit annis.
Hinc Nazareni sonet oda per ora Johannis
Namque sereni luminis est scaturigo perennis.

Seize années viennent de s’écouler depuis le milieu du siècle[93] ; je parais imprimée à Mayence, sur le Rhin. Que ta voix, ô Jean, fasse donc retentir un chant de joie en l’honneur du Dieu de Nazareth ; n’est-il pas, en effet, la source vive de la pure lumière. »

La voix de Jean était, très vraisemblablement, celle de l’auteur, dont le prénom, le nom de baptême, nous est ainsi révélé. Nous verrons dans un instant quel pouvait être le nom patronymique de cet écrivain, moine, poète et grammairien.

« De la grammaire dont nous venons de parler existe une seconde édition, dont nous donnons ici — texte et traduction — six distiques, imprimés à la fin du feuillet 17, verso :

  Quis ?   Codiculum, qui me fundis, fons es rationum ;
Cannam qui fontis (fons bonæ) nosse velis
Quid ? Si non de Concha sed Fonte est nomen et omen
Me fontis mactam lingile grammaticam
Cui ? Atque, Maturino, tibi dedicor, inclyte magni
Nunc logothecarum patris in arce comes.
Cur ? Me fieri cogunt redeuntia famina Joseph
Conchæ ; fors læva sæva que fata simul,
Ubi ? At Moguntina sum fusus in urbe libellus,
Meque domus genuit unde charagma venit
Quando ? Terseno sed in anno terdeni jubilæi
Mundi post columen qui est benedictus. Amen.

Humble livret, la source qui m’a donné naissance est la source pure de la raison ; crois-moi, lecteur, curieux de connaître mon origine,

Le renom et la vertu d’une onde lui viennent, non de la coquille qui la verse, mais de la source elle-même. Appelle-moi donc la grammaire de la bonne Fontaine.

C’est à toi, Maturin, que je suis dédié, à toi aujourd’hui l’illustre compagnon des logothètes dans le palais de ton noble père.

Je reparais encore pour obéir à la voix de Joseph Coquille, sort heureux et triste à la fois.

C’est Mayence qui me vit renaître et sortir de la maison de l’inventeur de l’imprimerie ;

Et c’est dans la dix-huitième année de la trentième cinquantaine d’années à compter de la naissance du Sauveur béni de ce monde. Ainsi soit-il ! »

En ces douze lignes nous rencontrons ainsi les renseignements condensés de nos jours en une page entière à laquelle auteur, éditeur et typographe accordent tous leurs soins : le format, humble, modeste ; le titre, une grammaire ; le nom de l’auteur, Fontaine ; le noble seigneur sous la protection duquel est placé le livret, Maturin ; le savant, peut-être le procureur monacal ou encore le libraire qui encouragea Fontaine à la rédaction de l’œuvre, Joseph Coquille ; l’édition, la deuxième ; la ville où elle vit le jour, Mayence ; l’officine où elle s’imprima, la maison de l’inventeur de l’imprimerie ; la date à laquelle elle parut, 1468.

Johannes Fons ne borna point ses productions littéraires à la rédaction de la modeste grammaire dont il vantait si agréablement l’excellence : il composa, nous dit-on, nombre « d’autres vers qui intéressent plus directement l’imprimerie et qui furent publiés à la fin du volume des Décrétales de Grégoire IX, ouvrage paru en 1473 ».

Notre auteur paraît avoir été un collaborateur assidu de l’atelier de Fust et de Schœffer. Nous avons dit, quelques lignes plus haut, sa modestie pour un point particulier ; nous ne pensons pas, toutefois, qu’en toutes choses notre moine « supposé » ait éprouvé les mêmes sentiments, ait eu la même manière d’agir.

Dans un prospectus[94], le plus ancien sans doute de ceux que nous connaissons, Pierre Schœffer annonçait, en 1470, l’apparition, pour le 29 septembre, d’une édition des Lettres de saint Jérôme[95]. Nous écrivons « Pierre Schœffer » ; peut-être cependant le rédacteur du prospectus était-il, plus exactement, Johann Brunnen qui ne manqua point de décerner quelque compliment intéressé à l’imprimeur — vir famatus, homme réputé, de renommée — et de s’accorder à lui-même une louange discrète, mais un peu osée.

Le rédacteur « affirme la prééminence de la future édition sur toutes celles qui l’ont précédée ou qui peut-être s’impriment en même temps qu’elle : cette supériorité résulte de la réunion fort difficile de tant d’épîtres, de la table commode qui la recommande et de la correction du texte :

Nous connaissons les travaux de Jean André, évêque d’Aléria, et de Guy le Chartreux sur les Lettres de saint Jérôme ; mais, comme nous savons par expérience que dans les œuvres de l’homme il n’est rien de parfait, ce sera du moins notre mérite et notre consolation qu’on ne pourra guère trouver d’édition supérieure à la nôtre quant à la correction… Le troisième mérite de notre ouvrage sera celui de toute la correction désirable ; il suffira de dire qu’on y a consacré beaucoup de travail. Si ce texte est sans faute, les vœux du correcteur seront comblés… »

Et dans l’Introduction, Johann Brunnen, revenant sur le même sujet, dit encore :

Ne vous hâtez pas, lecteur, de toucher au texte de cet ouvrage avant de l’avoir étudié avec soin et en détail, car nous avons consacré à sa correction tout le zèle et tout le travail dont nous sommes capables…

Hélas ! en dépit du zèle du correcteur de Pierre Schœffer, en dépit de son travail, à l’encontre de ses vœux, le texte des Lettres de saint Jérôme est loin d’être sans faute : « Dans les œuvres de l’homme, il n’est rien de parfait ! »

Johann Brunnen connut-il Gutenberg ou, plutôt, eut-il avec le « père de la typographie » quelques relations littéraires et techniques ? De ce que la grammaire dont nous avons parlé plus haut « sortit de la maison de l’inventeur de l’imprimerie » certains ont cru pouvoir conclure que Johannes Fons avait été le correcteur, le premier correcteur, de l’atelier où notre art vit le jour. On nous permettra de ne point nous arrêter sur ce sujet. En 1455, à la suite de dissentiments sur la nature desquels une pleine lumière ne sera sans doute jamais projetée, Gutenberg dut abandonner, à ses associés Fust et Pierre Schœffer, en même temps que l’immeuble ou il avait passé de si nombreuses veilles, ses presses et le matériel, objets de tant de peines et de soucis. Si, en 1466, après la terrible tourmente de 1462, des mains ou pieuses ou intéressées avaient pu reconstituer « dans la maison de l’inventeur de l’imprimerie » l’atelier primitif, Gutenberg, hélas ! n’animait plus de sa présence une officine qu’il avait dû quitter onze années plus tôt.

Après leur départ de Mayence, les compagnons Conrad Sweynheym et Arnold Pannartz vinrent, en 1465, s’installer en Italie au couvent de Subiaco, où les moines bénédictins furent pour eux de précieux collaborateurs ; ils imprimèrent un Donat, dont aucun exemplaire ne nous est parvenu, puis une édition in-folio des Œuvres de Lactance terminée en octobre 1465 et qui est le premier livre imprimé en Italie dont on connaisse la date. En 1467, le pape Paul II les faisait venir à Rome, où ils établissaient leurs presses dans le palais des frères Pierre et François de Maximis, gentilshommes romains. Le premier volume qui sortit de leurs presses en 1467 fut les Épîtres de Cicéron.

En 1468, l’évêque d’Aléria Jean André écrivait au même pape, dans une dédicace placée en tête d’une édition des Épîtres et des Traités de saint Jérôme : « Que d’actions de grâces ne vous rendra pas le monde littéraire et chrétien ! N’est-ce pas une grande gloire pour Votre Sainteté d’avoir procuré aux plus pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu de frais et d’acheter pour vingt écus des volumes corrects que dans les temps antérieurs on pouvait avoir pour cent, quoique remplis de fautes des copistes ? »

Presque à la même époque, un nommé Uldaricus Gallus, un Allemand dont le nom d’origine était Han (en français coq, d’où gallus), s’établissait également à Rome. Son correcteur aurait été l’évêque Joannes Antonius Campanus : à la louange de l’imprimeur, le correcteur composa une épigramme qui fut insérée à la fin des Philippiques de Cicéron, éditées « par Uldaricus Gallus sans date de l’année, mais néanmoins, comme il est à croire, auparavant l’an 1470 ».

Alde Manuce naquit, en 1449, à Sermonetta près de Velletri, province de Rome ; il mourut à Venise le 6 février 1514. Après avoir enseigné le grec et le latin, il fonda à Venise, en 1490, une imprimerie, où ses héritiers allaient exercer de longues années, faisant de lui, sous le nom d’Alde l’Ancien, le chef d’une dynastie d’imprimeurs qui devait devenir célèbre. Alde Manuce, nous l’avons déjà dit, fit graver par l’orfèvre Francia un type de caractères nouveaux : ce modèle qui rappelait, affirme-t-on, l’écriture remarquable de Pétrarque, reçut d’abord le nom de « caractère aldin », puis plus tard celui d’italique[96].

Alde Manuce avait réuni autour de lui nombre de lettrés et d’artistes. Il faut surtout lui savoir gré d’avoir accueilli les savants hellènes que la chute de l’empire grec avait chassés de leur patrie. Pour échapper à la barbarie des Turcs, Lascaris, Calliergi, Musurus, sauvant de précieux manuscrits, se réfugièrent à Venise et secondèrent Alde Manuce dans ses grands travaux. À leur usage, l’imprimeur fit encore graver, par le fameux François de Bologne, les types grecs, avec lesquels il imprima, en 1497, la Grammaire grecque de Fr. Urbain Boliziano.

Nombre d’ailleurs ont loué non seulement la beauté des types employés par Alde Manuce, mais aussi la pureté du texte. Dans une longue étude, M. Firmin-Didot s’inscrit vivement contre cette dernière idée : « J’ai fait voir… que l’édition du Théocrite d’Alde était remplie de fautes de toute espèce, qui ne pouvaient être réellement attribuées qu’à l’extrême négligence de l’imprimeur. J’ai dit que la collection intitulée Poetæ græci principes, de Henri Estienne, ne présentait pas autant de fautes, ni surtout de fautes aussi grandes qu’il s’en trouve dans trois ou quatre pages prises au hasard du Théocrite d’Alde… J’ai cherché quelle était l’excuse qu’on pourrait alléguer en faveur d’Alde au sujet de la négligence qui a été mise dans la correction au texte des livres qu’il a imprimés, et c’est lui-même qui me l’a donnée : il dit qu’il était tellement occupé qu’il trouvait à peine le temps de lire une fois, légèrement et à la course, les épreuves des éditions qu’il publiait : Vix credas quam sim occupatus ! Non habeo certe tempus, non modo corrigendis, ut cuperem, diligentius qui excusi emittuntur libris cura nostra, sed ne perlegendis quidem cursis. »

La critique est un peu acerbe ; le reproche n’est pas moins vif que rigoureuse la conclusion : « Ce fameux imprimeur, qui fait honneur à l’Italie, ne mérite pas la place à laquelle une admiration indiscrète tend à l’élever[97]. » Mais, tout à l’encontre même de l’affirmation de M. Firmin-Didot, certains peuvent tirer de l’aveu d’Alde Manuce la déduction qu’à son époque (1490-1514) — conséquemment bien avant Robert Estienne (1524-1559)[98] — on attachait une réelle importance à une irréprochable « correction des textes ». La preuve en est manifeste, puisque Alde Manuce se croit obligé de s’excuser d’une lecture hâtive, insuffisante ; et M. Firmin-Didot lui-même le reconnaît en soulignant comme un fait exceptionnel — souci dont il n’aurait pas eu occasion de se préoccuper si le manque de soins avait été de pratique courante — « la négligence qui a été mise dans la correction au texte des livres ». Il ne semble pas, d’ailleurs, que toutes les productions d’Alde Manuce aient été susceptibles des mêmes reproches : en 1503, en effet, l’imprimeur vénitien exprimait le chagrin[99] qu’il éprouvait des contrefaçons de ses éditions, contrefaçons « mal imprimées et remplies de fautes », qui, dit-il, « nuisent à sa réputation… et à ses intérêts ».

On connaît l’étrange carrière d’Érasme (1467-1536) et sa vie fertile en incidents. Né à Rotterdam, cet orphelin dont les tuteurs avaient dissipé la modeste fortune est, contre son gré, engagé dans un ordre religieux alors qu’il est à peine âgé de dix-sept ans. Ne se sentant nulle vocation, à la solitude monacale il préfère les fonctions de précepteur dans plusieurs familles nobles. Philosophe, adepte de la morale égoïste et facile des Épicuriens, auteur d’un Éloge de la Folie (1501), Érasme est, en 1506, docteur ès arts ; il se lie d’amitié avec Jean de Médicis, futur pape sous le nom de Léon X, et devient plus tard conseiller de Charles-Quint. Esprit pétillant et vif, ce littérateur exerça, au xvie siècle, une influence considérable par sa latinité exquise, son goût sûr et l’élan qu’il donna à la culture des chefs-d’œuvre grecs et romains.

Voyageur infatigable que l’amour du sol natal ramène parfois au pays néerlandais, Érasme parcourt la moitié de l’Europe. Aux dernières années du xve siècle, il séjourne quelque temps à Paris. À cette époque, l’Allemand Jean-Philippe de Kreuznach, qui exerça de 1494 à 1519, imprimait le volume des Adages. Augustin-Vincent Caminade, alors correcteur chez Kreuznach, revoit les épreuves avec un soin tout particulier ; et, pour le récompenser de ses éminents services, imprimeur et auteur décident de mentionner son nom à l’achevé d’imprimer : Augustino Vincentio Caminado a mendis vindicatore, Anno MVc.

Après un séjour en Angleterre où s’efforce, mais en vain, de le retenir le roi Henri VIII, Érasme travaille, comme correcteur, à Venise, chez Alde Manuce l’Ancien qui imprime plusieurs de ses ouvrages. Plus tard, en 1521, Érasme se fixe à Bâle et corrige, dans l’atelier de son ami Fröben, quelques éditions de ses œuvres personnelles. — On connaît l’emblème d’Érasme, « le dieu Terme » avec la devise Nulli cedo (« Je ne suis inférieur à aucun »).

Fröben (1460-1527), un élève d’Amerbach, fut tour à tour typographe, correcteur, imprimeur. En 1491, il fonde à Bâle une imprimerie dans laquelle il travaille d’abord en association avec Amerbach, puis seul. Cet érudit, qui édita plus de trois cents ouvrages d’auteurs anciens et modernes, acquit une grande réputation non seulement par la beauté de ses impressions, mais aussi par la pureté et la correction de ses textes. Outre Érasme, il fut aidé dans ses travaux par Wolfgang, Lachner, Œcolampade, des lettrés de premier ordre qui justifièrent la triple devise de Fröben (devise en hébreu, grec et latin). Fröben mourut en 1527, laissant à son fils Jérôme et à son gendre le soin de la réputation de son imprimerie. Nous devons à ceux-ci, aidés de Sigismond Gélénius pour la correction et la revision des épreuves, l’édition des Pères grecs qu’ils commencèrent par les ouvrages de saint Basile.

Au xvie siècle, les Wechels exercèrent à Francfort et à Paris. Les érudits reconnaissent volontiers que les éditions sorties des presses de ces imprimeurs ont une valeur particulière. Il faut dire, toutefois, que celui qui contribua le plus à rendre leurs éditions précieuses fut le correcteur « Frédéric Sylburge, un des premiers grecs et des meilleurs critiques d’Allemagne. L’erratum d’un in-folio qu’il avait corrigé ne contenait quelquefois pas plus de deux fautes ». Sylburge travailla également chez Henri Estienne.

Nous savons que, de manière générale, le Clergé séculier et régulier non seulement fut accueillant pour la découverte de Gutenberg, mais aussi en favorisa grandement les progrès. Les évêques, les abbés, les moines, les prêtres ne dédaignent point de mettre leurs connaissances intellectuelles au service de l’art nouveau ; bien plus, ils acceptent parfois d’être eux-mêmes, nous l’avons vu, des collaborateurs manuels. Ainsi dans nombre de monastères le scriptorium conventuel fait place sans transition aucune à l’officine typographique : l’abbé est le maître qui ordonne et encourage ; le prieur claustral, à l’exemple de Balthazard de Thuerd, est le directeur, le prote ; les moines sont les compagnons instruits et soumis qui patiemment mettent au jour l’œuvre entreprise.

Ainsi en fut-il pour ce merveilleux in-folio gothique dont le titre malheureusement est disparu, mais dont la page du début : Incipit Ordo Missalis secundum consuetudinem Romanæ curiæ nous renseigne amplement, ainsi que l’explicit : Finit feliciter opus egregium susceptum ad laudem Dei pro fratrum Heremitarum divi Augustini de Observantiaj ussu et hospitio Reverendi Patris Andreæ Ples (Perles ?) vicarii generalis per Alemaniam fratrum Reformatorum Ordinis sancti Augustini, Consummatum atque perfectum solerti studio et diligentia operaque et impensis Fratrum Heremitarum Religionem praedictam in imperiali civitate Nurembergensi observantium anno salutis MCCCCLXXXXj. Pontifice Maximo Innocentio. Les Frères Hermites furent non seulement les éditeurs, mais aussi les auteurs, les correcteurs, les compagnons typographes, imprimeurs et « relieulx » qui exécutèrent cette œuvre remarquable. Nous disons « remarquable », car le vélin de ce Missel est encore d’une blancheur immaculée ; on dirait un ouvrage de luxe imprimé à l’aide d’une presse mécanique : le tirage, rouge et noir, est d’une régularité impeccable, ainsi que le registre ; le canon, exécuté sur peau de vélin, donne l’illusion d’un merveilleux manuscrit, illusion que contribuent à compléter deux miniatures d’une délicatesse et d’un réalisme extraordinaires ; enfin, la correction de cet incunable, un des plus précieux que nous ayons pu examiner, est d’une pureté que seuls peuvent expliquer la patience et l’érudition des moines, ainsi que le temps dont ils disposaient. De cette œuvre nos bons Frères Hermites pouvaient s’enorgueillir, malgré leur humilité ; il semble qu’ils n’y manquèrent point, car, l’explicit à peine terminé, ils ajoutent :

Quod opus hic cernis fratres fecere Heremitæ
Nurinberg quos alit urbs fertilis ingeniis
.

Plantin[100] était d’une famille pauvre, originaire de la Touraine[101]. Après avoir vécu et, sans doute, travaillé à Lyon, à Orléans, il étudia quelque peu à Paris, où peut-être il apprit le latin ; puis, il se rendit à Caen : il y fit son apprentissage dans l’art de la reliure et de la typographie et revint ensuite à Paris. Pour se perfectionner, il visita les principaux ateliers des villes les plus importantes.

Arrivé à Anvers en 1549, Plantin y exerça d’abord la profession de relieur et de maroquinier. À la suite, dit-on, d’un accident qui lui survint quelques années après, il acquit les moyens de fonder une imprimerie qui prit une certaine importance, vers 1555, après l’apparition du premier livre imprimé par ses presses, l’Institution d’une Fille noble.

« Plantin, écrit M. Renouard, fut typographe habile, diligent dans les labeurs de son officine, très soucieux de la correction de ses livres, ainsi que de leur bonne exécution[102]… » « Cette dernière constitue véritablement son titre de gloire : choix et variété des caractères, composition irréprochable par l’espacement régulier des mots, heureuse disposition des blancs dans les chapitres et les alinéas ; emploi judicieux et plein de goût des frontispices et culs-de-lampe, etc., qualité excellente du papier ; tout fut par lui mis en œuvre pour produire, des éditions belles, correctes et durables[103]. » — « L’imprimeur d’Anvers ne fut pas un lettré, un érudit au sens complet du mot, comme on l’entendait à cette époque de Juste Lipse, d’Arias Montanus, de Raphelengien, de Kiliaan ; mais il connaissait le latin, le parlait et l’écrivait couramment : la correspondance conservée avec un soin religieux dans les archives du Musée Plantin, à Anvers, le prouve surabondamment ; il lisait le grec, et, s’il ne l’entendait ou le comprenait suffisamment pour indiquer dans ses productions la variante qui convenait, tout au moins eut-il le grand, l’énorme mérite, le talent même, après avoir accueilli et choisi les collaborateurs qui convenaient, de savoir faire faire ce qui convenait. » Grâce à l’aide que lui apportèrent ces lettrés, la valeur des productions de Plantin devint telle qu’il marcha bientôt de pair avec les plus grands imprimeurs, les Estienne et les Alde.

Au milieu d’autres ouvrages — livres saints, missels, bréviaires, travaux de littérature hébraïque, grecque et latine — la Bibliothèque Plantin conserve soigneusement l’exemplaire de la fameuse Bible polyglotte, qui porte les notes et les corrections d’Arias Montanus[104]. Confesseur de Philippe II roi d’Espagne, Arias Montanus avait été spécialement envoyé à Anvers par son maître, pour « diriger l’impression de la Bible et en corriger les épreuves ».

Un autre ouvrage de non moindre valeur, qui suffirait, à lui seul, à la réputation d’un homme, est le Thésaurus linguæ teutonicæ, auquel Plantin collabora activement ; telle était la valeur de ce dictionnaire que, malgré le temps, il est resté, aux pays où le néerlandais se parle plus particulièrement, le manuel de tous ceux qui étudient la langue et surtout celle du xvie siècle. — L’artisan principal de ce travail fut Cornelis van Kiel[105], ou Kiliaan, qui, de longues années, devait rester au service de l’imprimerie Plantin. Kiliaan était déjà, semble-t-il, correcteur dans une officine de Louvain lorsqu’en 1558, sur la demande de Plantin, il vint à Anvers ; il fut, d’abord, compositeur, puis contremaître. Les comptes de l’imprimerie signalent, seulement à la date du 24 juin 1565, l’accord aux termes duquel il lui sera payé « 4 florins pour chaque mois qu’il vaquerait à la correction pour certaines presses et compositeurs ». Kiliaan fut l’un des meilleurs parmi les lettrés qui travaillèrent à l’imprimerie ; son œuvre est considérable ; mais, il faut le dire, elle ne fut appréciée ni de Plantin lui-même ni de ses successeurs ; il fallut attendre jusqu’au xixe siècle pour que la plupart de ses travaux, et non des moins estimables, fussent mis au jour. Plus fidèle à la maison qui l’avait accueilli que nombre de ses collègues, Kiliaan corrigea jusqu’en 1607 chez Jean Morel, gendre et successeur de Plantin, des éditions qui furent aussi belles et aussi exactes que celles imprimées par Plantin lui-même.

Outre Arias Montanus et Kiliaan qui furent pour Plantin d’une aide si précieuse, il faut citer encore, au nombre des correcteurs qui travaillèrent à l’imprimerie d’Anvers François de Ravelinghien, dit aussi van Ravelinghen ou encore Raphelengien. Né à Lannoy, près de Lille, le 27 février 1539, Raphelengien abandonna le commerce pour étudier les langues anciennes et l’hébreu. Il enseignait déjà depuis plusieurs années le grec à l’Université de Cambridge lorsqu’il vint un jour, par hasard, visiter la maison de Plantin ; se croyant quelques dispositions pour les fonctions de correcteur, l’érudit aurait à ce moment offert ses services au maître imprimeur. Les raisons qui incitèrent Raphelengien à cette détermination étaient, sans doute, d’ordre matériel et moral ; plus tard, aux raisons qui lui avaient fait préférer cette situation se joignirent des motifs d’un ordre tout intime. Accueilli avec la plus grande bienveillance, même avec une faveur toute particulière, par Plantin, Raphelengien épousait, en 1565, une des filles du maître et dirigeait quelque temps l’imprimerie d’Anvers, avant de posséder celle de Leyde qu’il acquit de son beau-père par héritage. Un moment professeur d’arabe et d’hébreu à Leipzig, il mourut à Leyde en 1597.

D. Bomberg (d’Anvers) fut imprimeur à Venise où il mourut en 1549. Il se spécialisa surtout dans la publication d’éditions hébraïques. Soucieux constamment de porter son art à la perfection, il se ruina par ses dépenses ; on rapporte que le Talmud de Babylone, la plus belle de ses publications, lui coûta 300.000 écus.

Platina (1421-1481), qui avait été, en représailles de certains de ses écrits, emprisonné sur les ordres du pape Paul II, reçut, à titre de dédommagement, de son successeur Sixte IV la charge de bibliothécaire à la Vaticane. À cette époque il était déjà, dit son biographe le P. Laire, correcteur depuis quelque temps à l’imprimerie de Georges Laver. Malgré ses fonctions de bibliothécaire, Platina accepta encore de remplir les fonctions de correcteur dans l’atelier d’Arnold Pannartz, chez lequel il aurait fait paraître, en 1475, une traduction latine de l’Histoire de Josèphe. L’un des hommes les plus instruits et les plus laborieux de son temps, Platina est l’auteur de nombreux ouvrages où il fait preuve d’un jugement éclairé et d’une saine critique.

Egnazio (1473-1553), condisciple du pape Léon X et professeur d’éloquence à Venise, fit paraître, avec de nombreuses annotations, de bonnes éditions d’Ovide, de Suétone, de Cicéron, outre ses nombreux travaux personnels.

Bembo, un humaniste dont la vieillesse fut illustrée par l’honneur suprême du cardinalat, naquit à Venise en 1470 et mourut à Florence en 1547. Il étudia tour à tour à Padoue, à Messine en 1492 ; Constantin Lascaris, venu de Constantinople enseigner en Italie, aurait été son maître dans la langue grecque ; après avoir achevé ses études philosophiques à Ferrare, il se rendit à Venise. Une savante académie s’était formée en cette dernière ville dans la maison d’Alde Manuce l’imprimeur. Bembo en devint rapidement l’un des membres les plus remarqués et se fit un plaisir de corriger les belles éditions qui sortaient alors de l’officine la plus réputée d’Italie. Les d’Este, Julien de Médicis le prirent sous leur protection ; il put ainsi, à l’abri du besoin et des jalousies, se livrer à des travaux d’érudition qui firent de lui un des meilleurs écrivains de son époque.

Démétrius Chalcondyle naquit à Athènes vers 1424 et mourut à Milan en 1510. Réfugié en Italie après la chute de Constantinople, il contribua puissamment à la renaissance des études grecques en sa patrie d’adoption. Honoré de la protection et de la faveur des princes italiens, il habita tour à tour Florence où, sur l’invitation de Laurent de Médicis, il professa le grec vers l’année 1479 ; puis Milan, où l’appela Louis Sforza ; et aussi Venise, où ses travaux le retinrent. Alors qu’il était à Florence, il avait déjà été correcteur chez Merlius, imprimeur en cette ville ; à Venise, Alde l’employa pour corriger les épreuves de ses éditions. Dans la dédicace de son édition d’Euripide, le maître dit de son correcteur qu’il est « le premier des Grecs de cette époque et le seul dont la doctrine rappelle l’ancienne Athènes ». Le premier peut-être, Démétrius Chalcondyle fit paraître les éditions grecques des Anciens : Homère, deux volumes in-folio, à Florence, en 1488 ; Isocrate, un volume in-folio, à Milan, en 1493 ; Suidas, un volume in-folio, à Milan, en 1499. Son principal ouvrage serait une grammaire grecque, intitulée Ἐρὥτηματα, publiée à Milan, en 1493.

J. Commelin, né à Douai, s’établit imprimeur à Heidelberg où il mourut en 1597. Sa science de la langue grecque était extraordinaire, et ses éditions des classiques grecs et latins ne le cèdent que de peu à celles des Alde et des Estienne.

J. Crespin naquit à Arras. S’étant lié d’amitié avec Théodore de Bèze, il le suivit à Genève où il fonda une imprimerie en 1548 ; il publia quelques ouvrages personnels, et, notamment, un excellent lexicon grec et latin.

À ces noms il serait facile d’ajouter une longue liste d’érudits non moins renommés. Ceux que nous avons cités prouvent à l’évidence que, dès les débuts de l’imprimerie, la corporation des correcteurs comptait parmi ses membres les hommes les plus savants de l’époque. Ils illustrèrent la profession non moins qu’ils se tinrent pour honorés de la charge qu’ils avaient assumée et que les travaux remarquables qu’il leur fut ainsi donné d’accomplir les rendirent célèbres.




§ 6. — LE CORRECTEUR À L’ÉPOQUE MODERNE


La pléiade de linguistes et de philologues qui entourèrent le berceau de l’imprimerie rivalisa de zèle avec les typographes pour atteindre dans les productions de l’art nouveau à une véritable perfection ; cette activité, cette érudition donnèrent du même coup aux fonctions de correcteur un lustre à nul autre pareil. Aussi une considération certaine devait, de longues années, s’attacher au titre de correcteur.

En 1620, fut créé au Louvre un modeste atelier typographique, qui, en 1640, devait, sous l’inspiration de Richelieu, devenir l’Imprimerie Royale ; avec l’assentiment du roi Louis XIII lui-même, un érudit fut choisi pour remplir les fonctions de correcteur et eut l’honneur insigne de diriger, au point de vue littéraire, les premiers pas de notre établissement national.

Trichet de Fresne — alias Dufresne — était-il déjà à cette époque en même temps érudit et typographe ? Avait-il, en d’autres ateliers de la Capitale ou, à l’instar de certains de ses devanciers, dans les boutiques de mainte autre grande ville, fait un court apprentissage de la casse et donné la preuve de ses capacités ? Nos recherches nous ont appris simplement que Trichet, né à Bordeaux en avril 1611, fut entouré par les savants de son temps d’une réelle considération et qu’il contribua puissamment, en collaboration avec Tanneguy le Fèvre et le Poussin, à la production des œuvres remarquables qui illustrèrent les deux premières années d’existence de l’Imprimerie Royale. Trichet fut, en outre, le successeur du célèbre Naudé, dans la charge de bibliothécaire de la reine Christine de Suède. Il mourut, à l’âge de cinquante ans, le 4 juin 1661, auteur de plusieurs ouvrages estimés, parmi lesquels il faut surtout signaler une Vie de Léonard de Vinci, Briefve Histoire de l’institution de toutes les religions, et quelques travaux de numismatique.

Suivant le témoignage de Saint-Simon, même au risque de mécontenter « le roi et Mme de Maintenon », M. de Chevreuse ne dédaigna point « de faire le personnage de correcteur d’imprimerie ».

Voltaire corrigeait et revisait, avec le soin le plus méticuleux, dit-on, toutes les épreuves de ses travaux.

Les auteurs de l’Encyclopédie, aidés du prote de l’imprimerie Le Breton, furent pour eux-mêmes leurs meilleurs correcteurs.

Un exemple de l’importance que l’on attachait, au xviiie siècle, à une bonne correction nous est donné dans la vie de Benjamin Franklin : « Bradford, un concurrent, dit Franklin lui-même, était encore chargé de l’impression des votes, des lois et de tout ce qui avait rapport à l’administration. Il avait imprimé, un jour, une Adresse de la Chambre au Gouverneur de la manière la plus négligente : elle était pleine de fautes. Nous la réimprimâmes avec élégance et correction, et nous en envoyâmes un exemplaire à chaque membre. On vit la différence. Nos amis, dans la Chambre, se sentirent plus forts pour parler en notre faveur ; et, l’année suivante, nous fûmes nommés imprimeurs de l’Assemblée. » Presque à la même époque, P. Marchant écrivait dans l’Avertissement de son Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’Imprimerie[106] : « Je dois encore avertir que l’un d’eux [les libraires], savoir M. Jacques le Vier, jeune homme d’intelligence et d’acquit, et capable de quelque chose de plus que sa profession, vu la simple routine à laquelle elle est maintenant réduite[107], m’a parfaitement bien secondé dans le besoin que j’ai eu de lui, tant pour la copie de cet ouvrage, que pour la correction de son impression ; et que, si le public le trouve exactement imprimé, il lui en devra en partie l’obligation. »

Plus près de nous, il ne serait point difficile de rencontrer nombre de faits relatifs à la valeur attribuée aux fonctions de correcteur.

En 1799, Bertrand-Quinquet, dans son Traité de l’Imprimerie[108], écrivait, à propos de la correction, ces lignes suggestives : « De toutes les parties de l’art typographique nous sommes arrivés à la plus essentielle, à la plus difficile, à celle enfin qui assure davantage la gloire et la réputation de l’imprimeur. Peu de personnes savent apprécier combien il en coûte de peines et de soins pour donner au public un ouvrage correct ; il existe si peu de livres sans faute que l’on peut les compter ; et encore, parmi ceux-là doit-on cet hommage à la vérité que, pour pouvoir annoncer au frontispice la plus exacte correction, pour pouvoir y placer, comme Didot l’a fait à son Virgile, sine menda, il a fallu mettre au pilon plus d’une feuille imprimée et la recommencer de nouveau… L’Émulation est fille de la concurrence,… et celui-là seul qui saura bien imprimer, aura de l’ouvrage, comme la foule se portera chez le libraire jaloux de ne donner que de belles et de correctes éditions. »

« On ne saurait, dès lors, s’étonner de voir figurer au livre d’or de cette profession » nombre de lettrés « qui préludèrent, par la lecture des épreuves, aux chefs-d’œuvre dont ils devaient, dans la suite, enrichir la littérature et la science. Des romanciers, des poètes, des philosophes, des journalistes remarquables se sont rencontrés parmi ces hommes qu’un labeur continu met en contact perpétuel avec les écrivains de tout genre. »

Il est d’ailleurs un fait avéré, qui n’a point manqué parfois d’exciter la verve et les railleries : « De tout temps l’imprimerie a été l’asile des talents méconnus ou éprouvés par la fortune, qui sont venus prendre rang parmi les correcteurs d’épreuves aussi bien que parmi les typographes. » On peut rappeler le souvenir de M. Dubner, qui fut l’ami et le collaborateur de M. Ambroise Firmin-Didot. Avec le concours d’un autre savant helléniste, Ch. Muller, M. Dubner consacra tous ses moments, toute sa science à la publication et à la correction du Thesaurus græcæ linguæ et de la Bibliothèque des auteurs grecs.

Firmin-Didot, dans une lettre datée du 1er novembre 1866, ajoute à ces noms d’autres noms non moins illustres : « Pour ne parler que de ceux que j’ai connus, le souvenir de Rœderer et de Béranger se présente à ma mémoire ; et ma famille se rappelle encore l’abbé de Bernis qui lisait des épreuves chez mon bisaïeul François Didot. »

Béranger fut non seulement correcteur, mais aussi compositeur. Lui-même en fait l’aveu dans une lettre écrite, le 22 décembre 1849, à M. Anatole Savé, un jeune apprenti typographe qui lui demandait conseil sur des vers de sa façon : « … Tout ce que je puis vous dire à ce sujet, c’est que bien longtemps encore après avoir quitté le composteur, il m’est souvent arrivé de le regretter ; et, quant aux vers, je ne sais trop encore si je dois me féliciter de ce que j’ai fait, tant cette pauvre profession laisse d’incertitude sur la valeur réelle des œuvres, quelques succès qu’elles obtiennent. »

« Cette liste serait incomplète si à tous ces noms nous négligions d’ajouter celui de l’homme réputé le plus profond penseur de notre époque : P.-J. Proudhon, qui a exercé, lui aussi, pendant longtemps les fonctions de correcteur à Besançon et à Paris. »

Encore faut-il cependant y joindre bien d’autres noms aussi fameux : François Buloz (1803-1877), le créateur de la Revue des Deux Mondes, qui fut prote-correcteur à l’imprimerie Everat, à Paris ; Michelet, Hégésippe Moreau, le Dr Peters, Pierre Leroux, Joseph Boulmier, Armand Marrast ; Auguste Bernard, qui devait devenir inspecteur général de l’Instruction publique.

Aussi ne faut-il point s’étonner de l’appréciation que porte sur ces collaborateurs un maître qui devait s’y connaître. Balzac fut imprimeur à Paris ; de regrettables circonstances firent que l’illustre romancier supporta toute sa vie les conséquences d’une entreprise malheureuse. Il n’eut garde cependant de mésestimer les artisans qu’il avait vus à l’œuvre, et son opinion n’en est certes que plus précieuse : « À Paris, il se rencontre des savants parmi les correcteurs. » Pour qui connaît les inextricables difficultés qu’offraient au correcteur les manuscrits et les épreuves de Balzac, l’éloge est de valeur considérable.

Sans doute, il n’y a pas lieu de s’inscrire à l’encontre de considérations qui souvent ne sont que l’expression exacte de la vérité : « Force est bien au maître imprimeur de se contenter, la plupart du temps, d’hommes chez qui le soin, l’attention, une connaissance profonde des règles et des difficultés typographiques, une longue habitude de la profession, le tout joint à un fonds d’instruction solide, sont des garanties suffisantes pour la pureté du texte des livres qui sortent de leurs mains. » Mais l’on ne saurait non plus repousser cette conclusion qui nous paraît devoir s’imposer sans conteste possible : « Quand des savants et des lettrés de cet ordre n’ont pas dédaigné de corriger des épreuves, qui ne tremblerait de leur succéder ? Car on aurait mauvaise grâce à nous objecter que le temps de l’imprimerie savante est passé, et que plus n’est besoin pour le correcteur de ces aptitudes qu’il lui était indispensable de posséder autrefois. Si les ouvrages de littérature grecque ou latine, si les éditions curieuses d’auteurs anciens, si les traductions à glose savante sont passés de mode, la tâche du correcteur n’a pas cessé pour cela d’être ardue et délicate : la grande variété des livres qui s’exécutent dans une imprimerie semble exiger, pour la correction des épreuves, des encyclopédistes, c’est-à-dire des hommes possédant l’universalité des connaissances humaines. »

Cependant nombre d’auteurs sont loin d’avoir sur cette question une opinion analogue. À bon droit, le lecteur s’étonnera de rencontrer parmi ces écrivains les rédacteurs de la Grande Encyclopédie Ladmirault : «… Le rôle des correcteurs contemporains ne saurait atteindre le degré d’importance de leurs prédécesseurs ; ils ne sauraient faire revivre les anciennes traditions ; il faudrait pour cela que la nature des ouvrages comportât la correction dans son acception la plus large, et tel n’est pas le cas. »

Autres temps, autres mœurs, autres pensées ! Diderot et d’Alembert, pour la rédaction de tous les articles de l’Encyclopédie relatifs à l’imprimerie[109], firent appel au concours et aux connaissances du prote-correcteur de l’imprimerie Le Breton, nommé Brullé. À plus de cent cinquante ans de distance, le texte de Brullé n’a rien perdu de sa valeur et de son importance. Pour la technique du livre, il constitue une mine où puiser avec assurance des renseignements de valeur. — La Grande Encyclopédie Ladmirault aurait pu imiter l’exemple de son prédécesseur : elle n’aurait pu qu’y gagner en documentation, en précision ; la valeur qui se serait attachée, sur ce point particulier, à de trop courts articles, n’aurait point souffert de discussion.

Pierre Larousse, qui avait pour ses correcteurs une considération particulière, suivit, semble-t-il, dans le Grand Dictionnaire Universel du xixe siècle les errements de Diderot et d’Alembert ; et nulle comparaison ne saurait s’établir entre le mérite du texte relatif à l’art typographique du Grand Dictionnaire et celui de la Grande Encyclopédie. Sans doute, les auteurs de ce dernier ouvrage ne surent pas, sur ce point, discerner où était leur véritable intérêt.

Cependant, à la même époque, les éditeurs du Dictionnaire des Dictionnaires, à l’exemple de Robert Estienne, exposaient leurs épreuves, et Gauthier-Villars promettait une récompense aux personnes qui relèveraient une erreur dans les fastidieux calculs d’une table de logarithmes.

Les preuves manifestes de l’erreur des rédacteurs de la Grande Encyclopédie ne manquent d’ailleurs pas : à elles seules elles rempliraient aisément ce volume entier ; deux, toutefois, suffiront pour l’esprit le moins prévenu.

La première est tirée du Procès-verbal de l’Assemblée générale de la Société des Correcteurs de Londres (fondée en 1854), qui fut tenue le 17 septembre 1867, sous la présidence du romancier populaire anglais Ch. Dickens, pour examiner la situation précaire faite au correcteur dans l’imprimerie moderne, au double point de vue des salaires et de la considération :

« Dickens. — … Je sais par mon expérience personnelle quelles sont les fonctions des correcteurs d’imprimerie. Je puis témoigner de la manière dont ces fonctions sont ordinairement remplies ; je déclare qu’elles ne demandent pas simplement un œil exercé, mais qu’elles exigent une grande intelligence naturelle, beaucoup de connaissances acquises, un esprit vif à saisir les rapports des choses, le tout joint à une excellente mémoire et à un jugement sain.

« Je reconnais avec un véritable sentiment de reconnaissance que je n’ai jamais fait imprimer un volume sans que les correcteurs n’y aient signalé tantôt un oubli, tantôt une inconséquence, tantôt une bévue ; sans qu’ils m’aient mis sous les yeux, sous une forme palpable, quelque indication me démontrant jusqu’à l’évidence qu’un regard patient et exercé avait porté à travers tout mon ouvrage sa savante investigation. Je ne doute pas que tous les membres de la grande famille littéraire ne donnent leur assentiment à cette attestation qui n’est qu’un acte de justice… »

La seconde est non moins probante : la Société des Correcteurs de Paris, approuvée le 26 juillet 1866 par le Ministre de l’Intérieur, écrivait, le 24 juin 1868, dans le journal l’Imprimerie, « dans un très bon style et avec beaucoup de clarté », dit une annotation : « La Société, nous avons la satisfaction de le dire en terminant, ne reste pas tout à fait inactive : elle a voté, dans cette même séance, le projet d’une lettre, rédigée par M. Polguere, son vice-président, lettre adressée à l’Académie française pour attirer son attention sur les nombreuses réformes à opérer dans l’orthographe : « L’Académie a l’intention pour la prochaine édition de son Dictionnaire de se conformer à l’orthographe d’usage. La Société fait observer que cela n’est plus possible aujourd’hui. En effet, les correcteurs autrefois s’abandonnaient à leurs inspirations : les uns suivaient Boiste ou Lavaux, les autres continuaient les errements adoptés dans les imprimeries où ils se trouvaient. Cette anarchie a cessé depuis l’édition du Dictionnaire de l’Académie de 1835. On s’y est rallié partout, et, depuis cette époque, livres et journaux sont corrigés d’après l’orthographe de l’Académie. Qu’est devenu l’usage avec cette discipline ? Il a totalement disparu, et l’Académie, pour en retrouver des traces, dans les publications, serait obligée de remonter au delà de son édition de 1835. Telle n’est pas son intention sans doute. Elle voudra continuer son œuvre de 1835 en l’améliorant, en tenant compte des critiques des grammairiens et des observations toutes récentes de M. Didot. » « Puis, sans entrer dans la discussion de ces critiques, souvent contradictoires, les correcteurs signalent à l’Académie les irrégularités de son Dictionnaire qui rendent le travail de la correction très pénible. Comment, disent-ils, se rappeler à point nommé que les mots assonance, consonnance, dissonance et résonnance doivent être écrits les uns par un seul n, les autres par le double n ? Pourquoi fève prend-il l’accent grave, et séve l’accent aigu ? Pourquoi sangloter s’écrit-il par un seul t, et ballotter par deux ? Souffler avec un double f, et boursoufler avec un seul ? — Pourquoi des différences dans la conjugaison des verbes en eler et en eter ? — Nous pourrions multiplier ces exemples ; mais nous croyons qu’ils suffisent pour démontrer que la pratique la plus longue et la mémoire la plus heureuse sont impuissantes à fixer dans l’esprit ces formes contradictoires. »

« En terminant, les correcteurs se contentent de former un vœu : C’est que, disent-ils à l’Académie, la nouvelle édition de votre Dictionnaire soit uniforme et conséquente dans toutes ses parties. » Enfin, ils expriment le désir que quelques-uns d’entre eux soient entendus par la Commission académique.

« Le 3 juillet, M. Bernier, président de la Société, recevait de M. Villemain, secrétaire perpétuel, une lettre des plus bienveillantes, et, le 10 du même mois, il était reçu par la Commission. Après un échange d’observations sur l’orthographe d’usage, M. Villemain, le prince A. de Broglie et M. Prévost-Paradol ont conclu en invitant M. Bernier « à faire dresser une liste des modifications que croira devoir proposer la Société des Correcteurs et à communiquer cette liste à la Commission ». Et le compte rendu ajoute : « Le vœu des correcteurs était si modéré, si manifestement raisonnable que l’Académie ne pouvait faire autrement que de l’accueillir, et l’on doit reconnaître qu’ils ont fait preuve ici de beaucoup de tact. »

Les correcteurs de 1868 firent certes alors « revivre les anciennes traditions » ; la nature du travail dont ils avaient assumé la tâche « comportait bien la correction dans son acception la plus large ».

On nous pardonnera de rappeler ici le souvenir d’un correcteur qui, à la même époque, honorait de son nom et les lettres et la typographie[110].

« En plein rêve de jeunesse, alors que son esprit et son cœur débordaient des plus nobles ambitions, André Lemoyne[111], au milieu des événements de 1848, vit disparaître toute la fortune paternelle dans une catastrophe imprévue. Jeune et instruit, il eût pu se tourner vers la politique ou le journalisme, où, grâce à son talent d’avocat et à l’ardeur de ses convictions, il se fût taillé une brillante situation. André Lemoyne préféra devenir un simple artisan et ne devoir qu’au travail de ses mains le pain et la sécurité de ses jours : stoïquement, sans amertume, ni regret, il s’enrôla dans la phalange des travailleurs du Livre. Entré comme apprenti typographe dans l’imprimerie Firmin-Didot, André Lemoyne, que ses connaissances étendues et variées désignaient à l’attention de ses chefs, devint bientôt correcteur. Son érudition et son caractère lui conquirent, dans ce poste, des amitiés solides et l’estime d’auteurs illustres qui jugeaient à sa valeur la précieuse collaboration de ce travailleur discret. C’est dans ces fonctions que Lemoyne vit un jour, pour la première fois, la gloire venir vers lui : un académicien, M. de Pongerville, « en habit bleu à boutons d’or, pantalon gris perle à sous-pieds, chapeau blanc à longues soies », venait, au nom de l’Académie française, apporter ses félicitations et serrer la main au modeste correcteur qui se révélait un poète de premier ordre. »

André Lemoyne fut en effet un vrai poète : « dans la pratique de son métier de correcteur il avait découvert toutes les nuances, toutes les somptuosités du « verbe » ; nourri aux meilleures sources classiques, il avait sucé jusqu’à la moelle l’os savoureux de notre vieille littérature ; il en connaissait l’harmonieuse beauté et les ressources infinies ; il en comprenait la souplesse et la logique ; il l’aimait avec un respect, avec une admiration sincères. S’il concédait parfois qu’il est des difficultés, des contradictions, des illogismes qu’on peut sans dommage élaguer de la luxuriante frondaison de la grammaire et de l’orthographe, jamais il ne voulut admettre qu’on pût toucher aux règles ou aux formes grammaticales. Avec quelle amertume, lui d’ordinaire si doux, ne dénonce-t-il pas les infiltrations de mots étrangers :

… Je pense à toi, pauvre langue française,
Quand tu disparaîtras sous les nombreux afflux
De source germanique et d’origine anglaise :
Nos arrière-neveux ne te connaîtront plus !

« Travailleur d’élite probe et fidèle, Lemoyne ne pouvait oublier que pendant près de trente années il avait été du nombre de ces humbles et précieux auxiliaires de l’imprimerie, du nombre de ces érudits anonymes qui veillent au respect des belles traditions, du nombre de ces correcteurs qui éclairent les expressions obscures, redressent les phrases boiteuses et sont, suivant Monselet, les « orthopédistes » et les oculistes de la langue. Alors qu’il avait depuis longues années abandonné l’atelier pour remplir les fonctions de bibliothécaire archiviste à l’École des Arts décoratifs, n’avait-il point cet orgueil de montrer à ses intimes la blouse noire qu’il avait endossée au temps de sa jeunesse et de son âge mûr. N’est-ce point encore sur cette blouse qu’il épingla fièrement la croix, alors qu’il fut fait chevalier de la Légion d’honneur ? Au reste, ne proclamait-il point avec une ostentation de bon aloi : « Je connais mon dictionnaire. Songez que pendant trente ans j’ai été ouvrier typographe et correcteur chez Didot… »

Mais c’est assez s’étendre sur ce sujet ; il suffira d’affirmer que maint autre exemple prouverait à l’évidence que les correcteurs contemporains ne sont point inférieurs à leurs aînés.



  1. Certaines parties de ce chapitre, nous a-t-on objecté, sont comme une sorte de hors-d’œuvre au sujet traité et constituent plutôt une longueur qu’il y aurait sans doute profit à abréger ou même à supprimer.

    Nous convenons aisément que, si l’ouvrage s’adressait exclusivement à des correcteurs « blanchis sous le harnais », certains détails auraient pu être éliminés ; mais il nous a été donné souvent de constater que nombre de jeunes correcteurs — et c’est à ceux-là surtout que ce travail est destiné — ignoraient tout des faits et des événements qui ont précédé ou entouré la découverte de l’imprimerie ; aussi, à l’encontre des critiques qui nous ont été adressées, avons-nous cru pouvoir conserver en entier le texte primitif.

  2. Les scribes, chez les Anciens, étaient des officiers subalternes de justice : ils enregistraient les arrêts, les lois, les sentences, les actes, et en donnaient copie ; parfois ils enseignaient le droit à la jeunesse. Suivant les peuples, ils eurent plus ou moins d’influence ou de notoriété et une situation plus ou moins élevée ; ils étaient réunis en corporation, subdivisée en plusieurs catégories. Sous l’empire romain ils sont appelés notarii ; nous les nommons, à notre époque, notaires, huissiers, avocats, agréés, greffiers, avoués, etc.
  3. Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 41.
  4. Alcuini opera, carmen XLVI.
  5. Alcuini op., éd. Migne, carm. VI, t. II, p. 745.
  6. D’après le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de P. Larousse, t. I.
  7. Certaines de ces faveurs étaient plus escomptées que réelles ; en fait, nombre d’impositions accablaient les libraires comme maints autres taillables.
  8. D’après Louis Radiguer. — Paul Mellottée (Histoire économique de l’Imprimerie : t. I, l’Imprimerie sous l’ancien Régime, p. 147 et 156) dit : « un denier par semaine »
  9. Louis Radiguer, Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes, p. xii et xiii.
  10. Rapporté d’après A. Bernard, De l’origine de l’Imprimerie, t. II, p. 272.
  11. On sait que Gutenberg, Fust et Schœffer se séparèrent en novembre 1455 ; à dater de cette époque « deux imprimeries existèrent à Mayence ». La tradition dit que Nicolas Jenson travailla aux côtés et sous la direction de Gutenberg auquel il offrit sans doute ses services d’habile graveur. — Un auteur, dont nous regrettons d’ignorer le nom, affirme « qu’en 1462 Ulrich Zell, employé à l’atelier de Fust et Schœffer, ayant été obligé d’abandonner Mayence, se réfugia à Cologne et fonda en 1463, au couvent de Weidenbach, une imprimerie, où il forma de nombreux ouvriers qui répandirent ensuite par l’Europe l’art naissant : Nicolas Jenson, William Caxton, Théodore Rod… » Nous nous étonnons d’une telle affirmation : Nicolas Jenson, élève de l’atelier de Mayence depuis les derniers mois de 1458, n’avait, pensons-nous, nul besoin, en 1462, des conseils d’Ulrich Zell ; peut-être, ne pouvant rentrer en France, Jenson s’était-il décidé à suivre à Cologne Zell, élève de Fust et de Schœffer, mais ce fut assurément en qualité de compagnon ; en 1461, en effet, Nicolas Jenson estimait suffisante sa connaissance de l’art nouveau, puisqu’il songeait à venir rendre compte de sa mission au roi son maître.
  12. Jenson revint peut-être en France ; mais l’opinion de Maittaire et de Sardini doit être considérée comme inexacte, en ce sens que, d’après son testament, écrit à Venise en 1480, Nicolas Jenson serait originaire de Sommevoire, en Champagne, où vivaient encore, à cette date, sa mère, son frère et ses cousins germains. — Ni l’histoire ni la tradition ne disent que, pendant le séjour en Allemagne de Nicolas Jenson, sa femme et son fils, encore mineur (c’est-à-dire âgé de moins de vingt-six ans) en 1480 — au fait, Jenson était-il marié en 1458 ? — soient demeurés à Tours.
  13. Histoire de l’Imprimerie en France au xve et au xvie siècle, t. I, p. 122.
  14. Un autre disciple de Gutenberg, venu lui aussi d’Allemagne, devait, quelque dix années plus tard, subir les conséquences d’une aventure dont, heureusement pour ses commettants, les résultats furent tout différents : En 1474-1475 décédait, à Paris, « un nommé Herman de Stathoen, natif du diocèze de Munster en Allemagne », auquel « Conrart Hanequis et Pierre Scheffre, marchands bourgeois de la cité de Mayence en Allemagne », avaient « baillé et envoyé certaine quantité de livres pour iceulx vendre là où il trouverait », au profit desdits bailleurs. En vertu du droit d’aubaine, tous les biens d’Herman de Stathoen, étranger « sans lettre de naturalité et habitation », furent saisis et vendus au profit du roi. Pierre Scheffre et Conrart Hanequis, après avoir « exposé qu’ils ont occupé grant partie de leur temps à l’industrie, art et usage de l’impression d’écriture », remontrèrent et donnèrent les preuves que « les dicts livres combien qu’ils fussent en la possession dudict Stathoen à l’heure de sondict trespas, toutesfois ils ne luy apartenoient point, mais veritablement appartenoient et apartiennent auxdits exposans ». Louis XI, « ayant consideration de la peine et labeur que lesdits exposans ont prins pour ledit art et industrie de l’impression », consentit, sur les sollicitations de « ses tres-chers et tres-amés cousins et alliés » le roi des Romains et l’archevêque de Mayence, à « faire restituer ausdits Conrart Hancquis et Pierre Scheffre ladite somme de deux mille quatre cens vingt-cinq écus d’or et trois sols tournois » pour la valeur des livres saisis. (Lettres données à Paris, le 21 avril 1475. — Isambert, Recueil général des anciennes Lois françaises, 5e livr., p. 710.)
  15. Quelques auteurs écrivent Jean La Pierre ; nous préférons Jean de La Pierre, traduction littérale du latin Joannes Lapidarius ou de Lapide.
  16. Stein (dans le grand-duché de Bade), en latin Lapis, d’où le surnom du prieur : Magister Johannes Heynlin de Lapide.
  17. Un auteur contemporain, M. P. Cuchet, émet cette singulière idée : « Les moines copistes étaient réfractaires au nouvel art ; ils firent tout leur possible pour l’enrayer. Les moines voyaient leurs moyens d’existence compromis, ruinés, et ils s’employèrent activement à arrêter l’imprimerie dans son essor… À ce moment, les monastères entièrement peuplés de moines scribes, dont c’était la profession et le seul moyen de vivre, s’émurent… » (Bulletin officiel des Maîtres imprimeurs de France, mai 1923, p. 202). — Ni Egger, ni Claudin, encore moins P. Mellottée et L. Badiguer ne laissent même supposer pareille attitude de la part des moines copistes. Tout au contraire, il faut remarquer que, dès l’apparition de l’imprimerie la plupart des abbayes et des monastères s’empressèrent de faire exécuter à l’aide du « nouvel art » leurs bréviaires ou missels particuliers. L’influence des copistes religieux était, d’ailleurs, nulle en égard à celle des copistes laïques suppôts de l’Université.
  18. Le premier livre imprimé en français fut les Chroniques de France, dites aussi Chroniques de Saint-Denis, comprenant trois volumes in-folio ; il sortit, en 1476, des presses de Pasquier Bonhomme, imprimeur à Paris, à l’enseigne de Saint-Christophe, de 1475 à 1490.
  19. Bien que Gering ait tenu, par la suite, une place prépondérante dans les divers ateliers dont il assuma la direction technique (alors que ses deux compagnons avaient repris le chemin de l’Allemagne), nous ne ferons dans ce court historique aucune différence entre les trois prototypographes parisiens.
  20. Gasparini Bergamensis Epistolarum opus, per Joannem Lapidarium, Sorbonensis scholæ priorem, multis vigiliis ex corrupto integrum effectum.
  21. D’après une lettre de G. Fichet (voir A. Claudin, Histoire de l’Imprimerie en France au xve et au xvie siècle, t. I, p. 26).
  22. Pour bien connaître toute cette période des débuts de l’imprimerie en France, il faut lire Claudin, Histoire de l’Imprimerie en France. Ce travail, sorti des presses de l’Imprimerie Nationale, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, est, peut-on dire, un chef-d’œuvre d’art typographique. Outre un texte fortement documenté, il comprend un nombre considérable de reproductions merveilleuses des livres imprimés à la fin du xve et au début du xvie siècle, reproductions en noir et en couleurs avec enluminures. Des trois volumes que nous avons consultés et auxquels nous avons emprunté maints détails reproduits ici, deux sont relatifs aux imprimeurs parisiens ; le troisième concerne l’imprimerie lyonnaise.
  23. Guillaume Fichet attendait en cette ville la fin d’une mission dont il avait été chargé auprès du roi Louis XI, alors au château de Plessis-lès-Tours.
  24. Erhard était originaire du diocèse de Bâle ; reçu bachelier en 1463, licencié en 1466, il devint procureur pour la « nation germanique » en 1468.
  25. Dans l’ancien temps chaque demeure avait sa dénomination, son enseigne particulière qui servait à la distinguer des maisons voisines (les numéros n’étaient point alors en usage). Nombre d’imprimeurs acceptèrent comme marque personnelle de leurs productions l’enseigne de leurs maisons, en y ajoutant une devise ; mais un non moins grand nombre se créèrent pour leur atelier un écu différent de l’enseigne de leur habitation. — La marque personnelle à chaque imprimerie fut rendue obligatoire par l’article 15 de l’édit de Villers-Cotterets du 31 août 1539 : « Item ne pourront prendre les maîtres imprimeurs et libraires les marques les uns des aultres, ains chacun en aura une à part soy différente les unes des aultres, en manière que les acheteurs des livres puissent facilement connoître en quelle officine les livres auront été imprimés et lesquels livres se vendront auxdictes officines et non ailleurs. » — D’après Claudin, Pierre Vagener ou Wagner, dit César (Cesaris) (de Schwiebus en Silésie), et Jean Stoll auraient été associés, sous l’enseigne du Chevalier au Cygne, de 1474 à 1478.
  26. M. Claudin indique pour l’imprimerie de la Sorbonne les dates extrêmes 1470-1472 ; pour l’atelier du Soleil d’Or de la rue Saint-Jacques, 1473-1483.
  27. Sur Higman, voir page 42.
  28. D’après A. Claudin : « Gaspar et Russangis, Louis Simonel ou Simonet de Bourges, Richard Blandin d’Évreux, Jean Simon et autres. »
  29. Venduntur parvo, nec punctum nec littera deficit.
    Vera recognovit Tardivus. Ecce, lege !

    Voir Claudin, ibid., t. I, p. 153.
  30. Celui-là même auquel, le 1er janvier 1471, G. Fichet écrivait la lettre fameuse dans laquelle on rencontre ce passage : « Les ouvriers typographes racontent ici à qui veut les entendre que c’est un nommé Jean dit Gutenberg qui le premier a inventé aux environs de Mayence l’art de l’imprimerie… »
  31. Notice historique sur Antoine et Pierre Baquelier, citoyens de Grenoble, et les ouvrages qu’ils ont publiés au xve et au xvie siècle, par un Vieux Bibliophile Dauphinois ; Grenoble, Imp. F. Allier Père et Fils, 1885, in-8o (d’après A. Claudin).
  32. Claudin ne sait exactement quel personnage désigne ce nom ou ce surnom.
  33. Le privilège du Roi est daté de 1526, mais l’achevé d’imprimer est du 28 avril 1529 : imprimé par « nostre cher et bien amé maistre Geofroy Tory de Bourges, libraire demourant à Paris », le livre était « à vendre à Paris sus Petit Pont à Lenseigne du Pot Cassé ».
  34. Voir, sur Josse Bade, page 56.
  35. En 1516-1517.
  36. Voir note I, p. 435-436.
  37. Nous disons à Paris, car, ainsi qu’on le verra plus loin (p. 60 et suiv.), dès les derniers mois de 1502, Balthazard de Gabiano avait imprimé à Lyon, en caractères « aldins » (italiques), une contrefaçon des éditions des auteurs classiques d’Alde Manuce.
  38. Gabriel Naudé, Addition à « l’Histoire de Louis XI », chap. vii, 1630, Paris (chez François Targa).
  39. G. Naudé écrit « Gormont », alors que le texte latin rapporté plus loin donne Gourmontius.
  40. En Italie, la typographie, sous la direction des Hellènes réfugiés de Constantinople, avait déjà mis au jour de nombreuses éditions grecques.
  41. Lottin, Catalogue chronologique des Libraires.
  42. Bib. Nat., F. Réserve, n° 2085.
  43. Dans son volume la Science pratique de l’Imprimerie, paru à Saint-Omer, en 1723, Dominique Fortel assure, d’après un auteur ancien, que Plantin (d’Anvers) agissait, à cet égard, comme Robert Estienne.
  44. « Ce fut une heureuse pensée que celle du premier roi de France qui choisit, entre les imprimeurs parisiens, le plus capable d’exécuter sous son patronage des éditions assez parfaites pour servir de modèles. Il n’y avait pas encore d’Imprimerie Royale proprement dite ; mais il y eut toujours, depuis Robert Estienne jusqu’à Sébastien Cramoisy (1640), des imprimeurs royaux. » (Egger, Histoire du Livre, p. 237.)
  45. Firmin-Didot combat ici une opinion de M. Renouard : « À tous égards, Alde Manuce occupe et occupera longtemps et sans aucune exception le premier rang parmi les imprimeurs anciens et modernes. »
  46. Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie, p. 103 et suiv. (La Haye, 1740).
  47. Biblioth. critique, t. I, p. 256.
  48. Conspectus Reipublicæ litterariæ, p. 291.
  49. Selecta litteraria, p. 585.
  50. Amœnitates litterariæ, t. I, p. 12.
  51. Voir pages 61 et 456.
  52. Croire qu’on verra une œuvre exempte de fautes, c’est croire ce qui n’a jamais été, ce qui n’existe pas, ce qui ne sera jamais.
  53. Voir pages 61, 442 et 456.
  54. Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 12. — Bevilaque s’établit libraire à Lyon en 1515.
  55. Libraire à Lyon de 1492 (?) à 1553 (?) (Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 40).
  56. Libraire à Lyon (Bibliographie lyonnaise, 1re série, p. 150).
  57. Parmi les gendres de Josse Bade, il faut citer : Jean de Roigny, libraire à Paris (1529-1565) ; Robert Estienne, dont nous avons antérieurement parlé ; et Michel Vascosan, imprimeur (né à Amiens en 1500, mort à Paris en 1576), qui compte parmi ses descendants Frédéric Ier Morel (voir page 441).
  58. Nous disons 1499 ; mais, suivant certains auteurs, Josse Bade s’était rendu à Paris dès 1495 ; cette dernière date nous paraît erronée, puisque, d’après quelques documents, en 14988, nous l’avons dit, Josse Bade était encore, à Lyon, correcteur chez le libraire Pinet. — Voir aussi p. 187. note 1.
  59. Voir encore, sur cette question, page 44 (Geoffroy Tory) et page 435, note 1.
  60. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 17-18.
  61. Epigrammaton libri duo, p. 50.
  62. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 124.
  63. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 243.
  64. Voir, sur Charles Fontaine, page 66.
  65. Bibliographie lyonnaise, 9e série, p. 13.
  66. Bibliographie lyonnaise, 7e série, p. 2-3.
  67. Ibid., 10e série, p. 172.
  68. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 131.
  69. Ibid., 5e série, p. 6, et 8e série, p. 98 et 118.
  70. « Philippe Rhoman, dont la véritable profession était celle de correcteur d’imprimerie, a aussi travaillé comme compagnon imprimeur, et n’a été qu’accidentellement éditeur. » (Bibliographie lyonnaise, 10e série, p. 388.)
  71. Nugaram libri octo, p. 364-365.
  72. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 114.
  73. Jean Faciot, Epigrammatum libri IIII (voir ci-après, même page).
  74. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 24-25. — On sait que Dolet, en relations d’amitié avec Rabelais, fut l’un des imprimeurs de notre grand satirique de la Renaissance.
  75. Bibliographie lyonnaise, 3e série, p. 93.
  76. Ibid., 9e série, p. 30.
  77. Ibid., 4e série, p. 263.
  78. Jean Citoys, qui exerçait à Lyon, en 1557, imprima en cette même année quatre volumes des œuvres de « Charles Fontaine Parisien ». (Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 25.)
  79. Bibliographie lyonnaise, 9e série, p. 30.
  80. Ibid., 2e série, p 147.
  81. Le Lapidaire en françoys…, vers 1515 : Commorantis ante intersignium Magdalene.
  82. Carmen Egregii Pylade Scolasticum…, sans date : … Commorantis prope divum Anthonium.
  83. Voir page 58.
  84. Lugduni excudebat Franciscus Gaillardus, 1556.
  85. Post omnes omnium editiones summa denuo vigilantia recognitæ.
  86. Imprimeur, puis libraire à Lyon ; né vers 1517, mort en 1556.
  87. Voir page 459.
  88. Nous avons vu (p. 31) que Maittaire, le savant auteur des Annales typographiques, émet l’opinion que Tours aurait été, en France, la première ville ayant eu connaissance (en 1467) de l’art de Gutenberg. Cette opinion a été ardemment combattue ; les adversaires de l’opinion de Maittaire ont reculé jusqu’à l’année 1493 la date à laquelle l’imprimerie fit son apparition dans la capitale de la Touraine. Mais, à l’encontre de cette prétention, il paraît certain qu’en 1485 — par conséquent bien avant Simon Pourcelet — des typographes étrangers à la ville imprimèrent à Tours, à l’aide du matériel qu’ils transportaient dans leurs pérégrinations, un Missel déjà publié par eux, à Chartres, deux années plus tôt.
  89. La Science pratique de l’Imprimerie. — Nullum unquam ex officina sua codicem emisit, quem non ipsemet recensendo accuratissime correrisset…
  90. Sur les correcteurs, la bibliothèque Nationale possède un volume dont nous n’avons pu, à notre grand regret, faute de loisirs, prendre connaissance : Correctorum de typographiis eruditorum centuria, par Conrad Zeltner, 1716, in-8. — Ce même ouvrage a été ultérieurement réimprimé avec un nouveau frontispice, sous le titre : Theatrum virorum eruditorum qui specialim typographiis laudabilem operam præstilerunt, Nurenberg, 1720, in-8.
  91. La Typologie Tucker, juin 1874, n° 14 (articles sur l’Origine de l’Imprimerie, par Maddeu). — Nous adressons nos meilleurs remerciements à notre ami M. G. Né, un curieux du passé typographique, qui nous a communiqué les renseignements qui suivent.
  92. Nous aurions aimé savoir qu’un exemplaire au moins de cette Grammaire latine se trouve parmi les collections de notre Bibliothèque Nationale.
  93. Soit 1466.
  94. Cet exemplaire, imprimé sur papier et comportant quarante-six lignes de texte, a été, en 1872, payé 100 thalers (375 francs) à la vente du libraire T.-O. Weigel, de Leipzig. — Le lecteur curieux de lire ce prospectus en trouvera le texte dans le Serapeum, année 1856, p. 338 et 339.
  95. La Bibliothèque Nationale possède deux exemplaires des Lettres de saint Jérôme.
  96. Voir page 60.
  97. Voir page 47.
  98. Années durant lesquelles Alde Manuce et Robert Estienne exercèrent respectivement la maîtrise d’imprimeur.
  99. Voir page 61.
  100. Christophe Plantin, imprimeur anversois, par Max Rooses, conservateur du Musée Plantin-Moretus.
  101. Plantin serait né à Saint-Avertin, près Tours, en l’année 1514. Sa pierre tombale dit en effet : « Il vécut 75 ans et mourut le 1er juillet 1589. »
  102. Annales de l’imprimerie Estienne, 1843, p. 122, col. 1.
  103. L. Degeorge, la Maison Plantin à Anvers, 3e éd., 1886, p. 128.
  104. Bencdict Arias Montanus (1527-1598) doit son surnom aux montagnes au milieu desquelles il vit le jour, Frexénal de la Sierra en Estramadure. Après avoir étudié à Séville et à Alcala, il se retira à l’âge de vingt-cinq ans environ au milieu des monts de Aracena pour se consacrer entièrement à l’acquisition d’une érudition remarquable. En 1560, il s’enrôle dans l’Ordre de Santiago, l’une de ces congrégations militaires auxquelles l’Espagne doit d’avoir pu secouer le joug des Maures infidèles. En 1563, sur les instances de l’évêque de Ségovie, Arias Montanus assiste aux délibérations dernières du Concile de Trente ; et, en 1568, Philippe II, qui récemment l’avait nommé son chapelain, l’envoie à Anvers — où il devait séjourner sept années — pour surveiller chez Plantin l’impression de la Bible.
  105. Né vers 1528, à Duffel, petit village à trois lieues environ au sud d’Anvers. Son père s’appelait Abts ; on suppose que le nom de Kiel était celui de la paroisse à laquelle il appartenait et qui était voisine d’Anvers. En 1882, un monument élevé par la commune de Duffel à la mémoire de Kiel (Kiliaan) rappelait le souvenir du célèbre philologue, qui fut le premier correcteur de l’imprimerie Plantin. Les Allemands ayant renversé le modeste monument au cours de la guerre 1914-1918, une nouvelle statue fut inaugurée le 29 août 1920. — Au cours de cette étude, le lecteur rencontrera le nom de ce correcteur donné sous les différentes formes employées par les auteurs : Cornelis van Kiel, Kilien (Max Rooses et les références qu’il cite), Kiliaan (M. Sabbe).
  106. Avertissemens, p. xii. — À La Haye, chès la Veuve Le Vier et Pierre Paupie. MDCCXL.
  107. Voir encore, page 535, les lignes écrites à ce sujet par Marchant, qui nous paraît être d’un pessimisme un peu outré.
  108. Traité de l’Imprimerie, p. 108-109. — Voir, plus haut, note 7, p. 12.
  109. Voir le mot Imprimerie, t. XVIII de l’Encyclopédie de Diderot, p. 458.
  110. D’après J. Saulnier (Circulaire des Protes, novembre 1909, n° 165 ; décembre 1922, n° 268, p. 207).
  111. André Lemoyne naquit à Saint-Jean-d’Angély le 22 novembre 1822. Son père était banquier. En 1847, après avoir suivi les cours de l’École de Droit, Lemoyne s’était fait inscrire au barreau de Paris comme avocat. Lorsque survinrent les événements de 1848, il entra à l’imprimerie Didot où, après son apprentissage, il fut quelque temps ouvrier, puis correcteur, et, enfin, en raison de son état de santé, employé à la publicité. En 1877, il devint bibliothécaire archiviste à l’École des Arts décoratifs, où il resta jusqu’à l’année 1906. Il mourut le 28 février 1907 en sa ville natale, qui a donné son nom à une place publique. Ses amis, ses admirateurs lui ont élevé, par une souscription publique à laquelle la Société amicale des Protes et Correcteurs d’imprimerie de France a pris très largement part, un modeste monument qui fut inauguré le 31 octobre 1909, au Jardin public de Saint-Jean-d’Angély. Il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1870.