Le Conseiller des femmes/06/03

SALON LYONNAIS.
(3e article.)

M. DIDAY.

Les tableaux de M. Diday ont fait une sensation peu commune à notre exposition : on les portait aux nues ; on les louait à outrance ; pas le moindre défaut ; on ne pouvait se permettre la plus légère observation sans s’exposer à la réprobation des sectaires de l’école genevoise, dont le premier dogme était l’admiration pleine et entière pour M. Diday. — Pour les uns il n’était pas de Lyon, c’était suffisant, ils admiraient ; pour les autres l’enthousiasme ne laissait point de place à la réflexion. — Cependant lorsque cette première impression fut un peu calmée, on se hasarda à dire qu’il se pourrait bien que M. Diday eut beaucoup sacrifié à l’effet ; que ses compositions manquassent de pittoresque, et ces reproches s’adressaient spécialement à son chalet. — Qu’un pauvre jeune homme qui ne connaît de la Suisse que les jolies vignettes dont les Anglais remplissent leurs albums, fasse des chalets polis au blaireau, dont pas un brin d’herbe ou de mousse ; pas un éclat de bois, pas une pierre ne viennent déranger la simétrique architecture, nous le lui pardonnons ; mais M. Diday, habitant la terre classique des chalets, nous faire une jolie chaumière à la règle et au compas, comme ces maisons-joujoux dont tous les compartimens numérotés se joignent et se rapportent, c’est presque un crime ! — Le mal de ce malheureux chalet est d’autant plus désespérant, que les derniers plans de ce tableau sont délicieux ; l’air humide qui passe sur cette montagne couverte de sapins m’apporte l’odeur résineuse qu’on respire dans ces régions élevées… ; cette verdure noire est bien locale ; ce ciel fortement tinté s’accuse bien à travers ce brouillard… ; mais ce maudit chalet !!!

La vue du lac de Brienne est d’un bon effet, d’une touche large et facile ; ses eaux ne sont peut-être pas d’une couleur parfaite, mais elles sont d’un excellent mouvement. Coloriste énergique et chaleureux, M. Diday s’est laissé aller à un peu de crudité dans les teintes violacées qui colorent ses montagnes ; un peu moins de glacis à la laque jaune, et le ton local serait irréprochable. Nous le blâmerons aussi du maniéré de son premier plan ; ce défaut se retrouve encore plus prononcé dans l’Orage sur le lac de Genève. Cette plage parsemée de débris a le fini d’une mosaïque. — Je n’aime pas sa barque, elle est mal gréée ; sa voile ne prend pas le vent de manière à la déchirer, et ses matelots sont sans mouvement ; pour qui a vu en réalité un orage sur le lac de Genève, il y a lieu de s’étonner de l’admirable sans froid de ces braves gens. Nous nous montrons exigeantes peut-être envers M. Diday, mais nous savons qu’il peut satisfaire ces exigeances ; on doit demander beaucoup à un artiste de son mérite.

Les imperfections que nous venons de signaler (si elles existent), sont rachetées par des beautés de premier ordre. Les vagues qui viennent se briser sur le premier plan, sont touchées d’une manière admirable. Pleines de transparence et de mouvement, elles sont d’une vérité de couleur parfaite ; je ne sais que Gudin, pour faire de l’eau comme celle-là.

M. FONVILLE.

Il est une partie matérielle de l’art, sans laquelle un tableau est bien peu de chose, c’est le dessin. Certes un coloris chaud et vrai, une brosse vigoureuse et facile ne sont point des dons médiocres ; mais combien de fois ne les voyons nous pas servir à cacher l’absence de toute science linéaire ? — Il est encore une qualité non moins importante chez un peintre : c’est ce tact qui harmonise tous les détails d’une composition, qui met ensemble arbres, ciel, eaux, terrains, etc., etc. Ceci me semble manquer totalement dans le dernier tableau de M. Fonville. Tout en reconnaissant le pas immense qu’il a fait depuis sa première vue de la Pape, nous regrettons de trouver dans la dernière, des arbres (charmans comme étude) mal enracinés et ne tenant pas à la terre, un joli ciel, de bons détails pris séparément font honneur à M. Fonville, mais l’ensemble ne présente pas du tout le grandiose du modèle. Qui reconnaîtra le Rhône dans cette eau honteuse et mesquine ? Et ce village, qu’on aperçoit aux arrières plans, est-ce là la vue magnifique de Lyon en arrivant par la route de Genève ? Le défaut que nous reprochons à M. Fonville, ne lui est pas habituel, et je lui sais des pages où il faudrait être bien adroit pour trouver à reprendre. Il est probable que le soin extrême qu’il a apporté dans les détails de sa composition, lui en a fait négliger l’effet général ; du reste, vrai dans sa couleur, correct dans ses accessoires, l’exécution de ce morceau contribuera beaucoup à la réputation de l’auteur, placé déjà d’une manière fort honorable parmi nos jeunes peintres.

Mlle J. D.