Le Conseiller des femmes/04/03

CONSIDÉRATIONS SUR L’ÉDUCATION.
2me article.

Il y a dans nos mœurs quelque chose de directement contraire à ce qui serait raisonnable.

Mad. de Remusat.

Rien de plus commun que d’entendre parler de l’éducation à donner aux femmes. Rien de plus rare que d’en voir déduire les moyens. On sait bien ce qu’il faut éviter, on sent le mal, on le touche, mais le remède manque, et le monde va tâtonnant. Nos mœurs, comme le dit Mme de Remusat, ont quelque chose de contraire à ce qui serait raisonnable. Soit qu’on ignore ou qu’on n’ose dire, on n’a encore rien changé aux anciennes théories. L’habitude ou l’insouciance ont enraciné bien des erreurs et ceux qui les ont le mieux senties n’ont pas en force ou puissance pour les détruire. C’est ainsi qu’avec de nombreux matériaux pour réformer, sur un plan nouveau, l’éducation si arriérée des femmes, on n’en a pas moins conservé les usages reçus. Quelques femmes, il est vrai, ont essayé de faire partager à toutes, les trésors de leur intelligence, mais les unes n’ont pu y puiser, les autres ne l’ont pas voulu et la masse est encore ignorante. Pour nous, nourries des leçons de Mesdames Necker, de Staël, Roland, Guizot, de Rémusat, Hamilton, etc., et éclairées par l’expérience que le temps nous a apportée, nous regardons comme un devoir de vulgariser les idées qui nous préoccupent, sur une matière qui se lie à de bien grands intérêts.

L’éducation doit, ce nous semble, être graduée selon l’âge, les facultés, le sexe. Appelés à se rencontrer à un moment donné de leur vie, l’homme et la femme doivent être élevés selon la différence de leur nature par des moyens particuliers ; tous deux concourent au même but, mais par des voies diverses qui leur sont propres. Chaque sexe doit avoir les vertus de son sexe, y renoncer serait mal comprendre les intérêts qui s’y rattachent.

L’éducation peut être envisagée sous deux aspects, savoir : dans son ensemble et dans ses détails, générale ou particulière.

L’éducation particulière bornée au cercle intime de la famille, semble réservée en propre à la classe privilégiée. Elle permet à la mère d’élever elle-même sa fille, ou de lui procurer, sans dérangement, les maîtres qui lui sont nécessaires ; mais d’abord, cette éducation est peu en rapport avec les goûts de l’enfance et ne donne en résultat aucune idée des relations sociales ; elle n’apprend pas à comparer les différences ou ressemblances de caractères et de penchans ; avec elle, les deux plus grands leviers de progrès, l’émulation et l’amour-propre ne peuvent avoir d’action. Seule au travail, la jeune fille n’a à craindre aucune rivalité, aucun terme de comparaison. Le devoir peut pousser un être de raison à l’étude, mais peut-on attendre de la raison d’un enfant et n’est-il pas à craindre que le dégoût ne se montre chez lui plus fort que le devoir ?

L’éducation générale tend à inspirer au contraire de mutuelles affections ; le besoin que les enfans ont de vivre ensemble fait qu’ils cherchent à se faire aimer. Pour être tolérés ils se montrent tolérans, parce qu’ils sentent instinctivement que la vie est un échange de concessions et de sacrifices. Ainsi, en se mesurant à d’autres tailles on trouve la sienne petite ; et l’orgueil, cet ennemi du bien, cède alors sa place au besoin d’acquérir qui sous le nom d’émulation porte à l’étude tous les âges.

L’émulation est particulièrement excitée dans les institutions mutuelles où chacun peut, à son tour, d’élève devenir professeur. Réunis en groupes, les enfans trouvent l’étude plus agréable. D’ailleurs, et ceci n’est pas la moindre considération que nous devions faire valoir dans l’intérêt des femmes, quelle est la mère qui se possède assez pour répondre toujours d’elle-même et pour affirmer qu’elle pourra en toutes choses servir de guide à sa fille ? Quelle est, surtout, la femme du peuple qui en aura le temps et les moyens ? il serait donc à désirer que sans égard aux distinctions de rang, toutes les jeunes filles fussent élevées ensemble afin que le langage pur et les douces manières de celles à qui la fortune a donné des avantages puissent être présentées comme exemples à celles que le sort place au dernier rang de l’échelle sociale. Rien de plus salutaire que de bons exemples, rien de plus doux à copier que de bons modèles ? Les jeunes filles qui n’entendent qu’un langage vulgaire, qui ne voient que de laids tableaux, ne peuvent avoir l’idée du beau. Pour désirer un bien il faut l’avoir apprécié, pour aimer la vertu il faut l’avoir sentie, l’avoir vue face-à-face. La jeune prolétaire initiée aux manières de la fille bien élevée imiterait son ton, son geste, son langage dès qu’elle aurait cru lui reconnaître quelque supériorité. Nous savons qu’on trouve plus convenable d’élever en deux classes des enfans que le destin n’appelle pas à fournir la même carrière, mais nous le demandons, y a t-il plus de prudence à les diviser ? Il nous semble au contraire qu’une fusion générale ne pourrait offrir aucun danger lorsque les enseignantes feraient comprendre aux enseignées les avantages de leur condition respective. Quand à présent ce qu’il y a de plus pressant à faire pour la fille de l’honnête travailleur, ce n’est pas de l’élever jusqu’à la classe riche ou de faire descendre celle-ci jusqu’à elle, l’essentiel est de lui donner d’abord l’éducation primaire, base de tout enseignement.

L’éducation primaire doit être fondée sur le sentiment religieux, il faut que, dégagée du caractère mystique qu’un fanatique clergé a voulu lui donner, la religion soit bien plus inspirée qu’imposée : « Partout, dit Rousseau, où la leçon n’est pas soutenue par l’autorité et le précepte par l’exemple, l’instruction demeure sans fruit et la vertu même perd son crédit dans la bouche de celui qui ne la pratique pas. » La religion ne peut jouer un rôle secondaire dans l’éducation de la femme surtout. Être d’affection elle doit, avant tout, honorer et bénir celui dont elle tient la vie, le sentiment et la pensée ! La morale qui est une pour tous les cultes, a sa place dans tous les cœurs, celui qui veut l’y chercher l’y trouve ! Aimer et croire sont les besoins de tout être que le vice n’a pas flétri. La femme qui ne croit rien, ne respecte bientôt plus rien…

Quoique l’éducation se soit généralement répandue et que toutes les classes de la société puissent en quelque sorte jouir de ses bienfaits, cependant un grand nombre d’enfans restent encore dans l’ignorance, soit que la nécessité fasse aux parens une loi de les occuper à des travaux productifs, soit que leur insouciante ignorance ne leur fasse pas assez sentir les avantages de l’éducation ; dans l’un ou l’autre cas un grand nombre d’enfans sont élevés sans discernement et le plus souvent livrés à eux-mêmes, certes, il y a là des torts bien graves, pourtant. On nous objecte les difficultés d’un ordre meilleur, comme si toutes choses ne portaient pas en elles des difficultés.

Par leur impressionabilité, par la mobilité de leurs sensations, les enfans passent successivement à divers travaux, de là, vient leur dégoût pour la méthode routinière qui les attache des jours, des mois, des ans aux mêmes choses. Il faudrait que pour eux les études fussent combinées de telle sorte, qu’ils puissent faire ce qui leur déplaît avec plaisir, soutenus par l’espérance d’un dédommagement immédiat. Ainsi, le calcul et la musique, la géographie et la danse feraient successivement tendre et détendre leur esprit, de manière à ne le fatiguer jamais. Nous ne devons pas attendre de l’enfant plus d’aptitude que nous ne saurions en avoir nous-mêmes, les études variées et par courtes séances, sont du goût de tout le monde, surtout des enfans, elles les attrayent et les maintiennent, dans un état normal qui donne essor à l’émulation et à toutes les petites passions qui tendent à développer l’intelligence.

Les enfans font bien ce qu’ils aiment à faire et rarement ceux-là sont punis qui travaillent selon leur goût ; heureux alors de leurs études, leur confiance est au maître qui les garde ; jamais le mensonge ne souille leurs lèvres rieuses, et le temps passe pour eux avec rapidité ; d’ailleurs, comme le dit Mme Hamilton, « le devoir de l’obéissance est le seul que comprennent bien les enfans. L’important est donc de se faire obéir. Que le maître soit toujours juste, l’enfant sera toujours docile ; qu’il s’attache à mériter son affection et ne lui parle jamais avec l’autorité d’un pédant, mais avec la gravité d’un sage ; que pour lui les châtimens ou les récompenses soient objets de méditation, afin qu’il n’impose les uns et n’accorde les autres qu’avec justice. Le monde en général tient peu compte de ces devoirs et l’argent est seul le prix des soins de l’enseignant. Qu’on ne s’étonne donc pas s’il fait métier de science, puisqu’on veut la lui acheter. Que la société l’élève, et il tiendra à honneur de ne pas descendre ; qu’elle l’honore, et il se rendra digne d’être honoré !

Une partie qui nous semble devoir être un objet constant de sollicitude de la part des personnes chargées de l’éducation, c’est l’étude du cœur des jeunes élèves. Quelle délicatesse dans son essence, quelle diversité dans ses sensations, et que de tact il faut pour les modérer ! C’est là que la femme intervient utilement et que dans son ingénieuse souplesse elle redresse, sans la casser, la jeune plante mal dirigée. Il nous semble qu’on doit régulariser les passions affectives dans un but d’intérêt particulier pour l’enfant, et dans un but d’intérêt général pour l’humanité. Après ces soins viendront ceux à donner à l’esprit et au jugement, deux sens de l’intelligence qui concourent si puissamment à l’harmonie de l’ensemble social. Enfin, simultanément avec le développement moral, devra naître le développement physique. C’est là que la gymnastique devient une véritable puissance, mais la gymnastique à son tour devra être modifiée quant à la femme, qui ne peut pas plus ressembler à l’homme par les manières que par le visage. Quand on aura su combiner par un heureux accord les forces physiques et les forces morales, quand on aura gradué l’enseignement dans un ordre varié, on aura, nous le pensons, trouvé la loi d’attraction émulative la vie qui pousse tous les êtres au progrès dans son ordre successif et continu. Nous reviendrons encore sur ce sujet dans un prochain numéro.

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