Le Conseiller des femmes/03/06

Texte établi par Eugénie Niboyet (3p. 45-47).

Nous croyons faire plaisir à nos lectrices en plaçant après les vers si doux de Mme Valmore les vers si tendres qu’elle inspira à son mari long-temps après leur union. C’est un moyen de faire à la fois l’éloge des deux époux.

À MARCELINE.

Toi, que l’amour m’offrit pour désarmer le sort ;
Toi, qui me fis douter du pouvoir de la mort,
D’où tiens-tu le secret de tes accens magiques ?

Qui t’apprit à former ces philtres poétiques,
Dont le charme enivrant soumet tout à ta voix ?
Enseigne-moi ton art et ses divines lois,
Aimable enchanteresse, ange de poésie ;
Fais couler dans mes vers ta céleste ambroisie.
Messie harmonieux promis à mon amour,
Le bonheur par tes mains me compte chaque jour ;
Je voudrais l’exprimer, je voudrais le répandre,
Peindre ce que j’éprouve à te voir, à t’entendre,
Expliquer de mon cœur les doux étonnemens,
Cette ivresse des cieux, ces purs enchantemens.
Dans mon sein sommeillait mon ame détendue ;
Cette ame à ton aspect tressaillit, éperdue !
Je m’éveille, et j’existe. — Oh ! jamais, dans l’Éden,
L’homme, allumant sa vie au flambeau de l’hymen,
Ne sentit de plus douce et suave harmonie
Quand l’amour s’éveilla dans son ame endormie.
Voyageur sans amour, perdu sur le chemin,
Abandonné sans guide à mon triste destin,
Fatigué, jeune encore, on eût dit qu’à mon âge
J’achevais du malheur le long pèlerinage.
D’un cœur né pour aimer le funeste présent
Ralentissait mes pas sous son fardeau pesant ;
La tristesse étendait son voile sur ma route,
Et du ciel à mes yeux il dérobait la voûte.
La rive était sans fleurs ou les fleurs sans parfum ;
Tout était pour ma vue un objet importun.
Cependant, au milieu de cette solitude,
J’éprouvais du désir la vague inquiétude,
D’un bonheur éloigné le doux pressentiment,
Ce vague avant-coureur du plus cher sentiment.
Telle éveillée, aux feux d’une naissante flamme,
Marbre encor, Galathée a deviné son ame :
Tu m’apparus, la vie en moi se révéla ;
Je m’arrêtai, j’aimai, la douleur s’envola.
De tes traits adorés la tendre mélodie

Dissipa de mon cœur l’amère maladie,
Et sur ton frais chemin par mes vœux emporté,
Avec toi je commence un voyage enchanté.
Hier l’astre des nuits, sur le fleuve rapide,
De ses feux argentés enflammait l’eau limpide ;
Les flots, en s’écoulant, s’éteignaient dans leur cours ;
Fidèle au même lieu, l’astre brillait toujours.
Amour, telle est ma vie en son brûlant voyage ;
Mes jours en s’écoulant me laissent ton image.

Prosper VALMORE.
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