Le Conseil international des femmes/02
- International Council of Women. Report of transactions of the second quinquennial meeting. held in London, July 1899, with an introduction by the countess of Aberdeen. London, Fisher Unwin, 1900.
Nous avons résumé l’impression générale que produisait la lecture des Transactions du Congrès international de Londres, à mesure qu’on s’y plongeait davantage : le but de celle assemblée féminine universelle a été parfaitement rempli, s’il ne s’agissait, comme l’a dit lady Aberdeen, que de fournir le plus de renseignemens possible pour éclairer la situation, sans prétendre résoudre les problèmes, sans vouloir même tirer de conclusions trop précises. Nous avons là un admirable exposé des conditions et du développement du travail des femmes en général, dans le monde entier, à la fin du XIXe siècle. Mais d’une bien plus grande importance encore que les rapports du Congrès, — c’est lady Aberdeen qui parle, — sont les relations personnelles formées entre des travailleuses inconnues jusque-là les unes aux autres et qu’auront rapprochées des sympathies nouvelles, un sentiment nouveau de mutualité.
Cela est vrai surtout pour les femmes qui exercent des professions libérales, car les ouvrières ne se sont montrées qu’en très petit nombre, gardant le silence pour la plupart, et laissant leurs intérêts aux mains de ce que leurs collègues de Paris, sur tous les tons d’une haine plus ou moins contenue, appellent des « bourgeoises. » A notre Congrès des droits de la femme, les déléguées des syndicats figuraient en personne et leurs revendications ardentes, passionnées, souvent injustes, ne m’ont pas semblé devoir produire l’harmonie des partis ; à Londres, elles semblaient absentes, au point que les organisatrices du Congrès international ont dû expliquer que la besogne journalière des travailleuses ne leur permettait pas d’être assidues aux séances, ni de venir de loin, le voyage fût-il gratuit. En revanche, les avocates, professeurs, artistes, médecins, etc., ont pu fraterniser et s’entr’écouter, si bien que deux volumes suffisent tout juste à contenir l’abrégé de leurs discours.
Faute d’espace, nous ne considérerons que les professions nouvelles. Il serait en effet superflu d’envisager la femme dans les lettres et dans les arts, où depuis longtemps elle est admise à manifester sa valeur, sans que le public tienne compte du sexe de l’écrivain ou du peintre. On n’a pas marchandé la gloire aux George Sand, aux George Eliot, aux Elizabeth Browning, aux Ackermann, aux Rosa Bonheur. Bien avant elles, les Staël et les Austen, les Rosalba, les Vigée-Lebrun et les Angelica Kaufmann avaient pris rang parmi leurs contemporains les plus célèbres. En France, l’Ecole des Beaux-Arts vient de s’ouvrir aux femmes. Le jour où, en musique, elles pourront être mieux que virtuoses ou professeurs, elles n’auront pas plus de peine que les hommes à faire accepter et exécuter un opéra ; le très petit nombre d’entre elles qui montre quelque imagination créatrice n’est certes pas méconnu. Quant à la carrière dramatique, si encombrée qu’elle soit, elle n’est pas cruelle aux actrices de génie ou seulement de talent. Laissons donc de côté l’examen des rapports qui ont Irait à ces diverses professions, qu’il faudrait appeler plutôt des vocations et dont il serait plus qu’imprudent de faire des gagne-pain.
Le journalisme, séparé des lettres en général, paraît cependant nourrir une multitude de femmes. Nous savons gré à la duchesse de Sutherland, qui présida la séance dont il fut l’objet, d’avoir si bien parlé de la nécessité ; qu’il y aurait à lui conserver le ton de la littérature au lieu de le réduire, comme il arrive trop souvent, à n’être qu’un instrument, de scandale. Avec une honnête énergie, elle signale les méfaits d’une certaine presse ; mieux vaudrait mille fois balayer ou laver le plancher que se dégrader, dit-elle, à cette vile besogne.
Aux Etats-Unis, des légions de femmes s’intitulent journalistes ; on croit généralement là-bas a, la nécessité, pour ce métier comme pour tous les autres, d’une préparation technique, et plusieurs Universités lui consacrent un « département » spécial. Ceux qui estiment, nous dit-on en passant, que le journalisme est en quelque sorte la bohème de la littérature, se moquent un peu de ce stage universitaire ; et elles ne l’ont pas toutes subi, les dames journalistes qui gagnent à New York ou à Chicago de 20 000 à 40 000 francs par an. Ce sont des exceptions, il est vrai, et les mille reporters femelles que relève le dernier recensement se contentent de beaucoup moins. La plupart sont sténographes et, de premier jet, écrivent à la machine, — certains grands journaux n’acceptant de copie que sous cette forme. L’interview s’impose à elles, bien entendu ; elles en abusent avec une indiscrétion que connaissent seuls dans toute son horreur ceux qui en ont été victimes ; ce qu’elles pourchassent, c’est la nouveauté. Le public demande chaque jour un tableau dramatique et mouvementé de ce qui s’est passé depuis vingt-quatre heures. Pour faire moisson de nouvelles, la femme-reporter sort par tous les temps, voit toute sorte de gens et, comme le dit l’une d’elles, est tenue de posséder trois ou quatre qualités principales : le sens commun, du calme, ce qu’il en faut pour pouvoir au milieu d’un cyclone, sans broncher, prendre des notes, un bon caractère, et, cette absence de susceptibilité qui l’empêche de remarquer au bureau du journal que ses confrères gardent leur chapeau sur la tête ou mettent leurs pieds sur la table. Quelques-unes gagnent ainsi plus d’argent que les innombrables fournisseurs attitrés de romans, d’essais, et de poésies pour Magazines. Mais le gain d’un simple reporter dans les grandes villes n’est guère que de vingt à quarante dollars par semaine.
A travers toute la République circulent des journaux hebdomadaires sous une direction féminine ; il n’en est aucun cependant dont on puisse dire, comme chez nous de la Fronde, qu’il soit fondé, rédigé, administré entièrement par des femmes. L’Américaine s’entend autant que l’Américain à faire réussir les périodiques populaires et à les soutenir au moyen des annonces. Les syndicats qui ont transformé le journalisme du Nouveau Monde sortirent, à l’origine, d’une inspiration féminine, celle, dit-on, de Mrs Croly. En tous pays, d’ailleurs, il n’y a guère aujourd’hui de feuille politique ou autre qui ne compte des collaboratrices et des correspondantes.
L’Allemagne témoigne une faveur croissante aux femmes publicistes : la baronne de Suttner, au leur d’un roman célèbre sur l’arbitrage et la paix universelle, y dirige le périodique très répandu : Die Waffen nieder (A bas les armes). Mais on ne saurait se dissimuler qu’au point de vue économique, le petit journalisme, celui qui fournit des articles intitulés, par exemple, Ce que mangent les reines, soit plus rémunérateur que le journalisme littéraire et sérieux.
L’a médecine a aussi beaucoup d’adeptes : rapport très remarquable du docteur Sarah Hackett Stevenson, une éminente praticienne de Chicago. Elle part d’une idée générale, indique trois époques dans l’évolution de la race humaine et du sort de la femme. Quand l’homme chassait pour sa subsistance, la femme se confinait aux emplois élémentaires de l’agriculture et de l’industrie ; une seconde période fut caractérisée par la division du travail, devenu spécial pour l’homme, universel pour la femme ; puis surgirent les industries productives : la conquête de la nature par les machines commença, la femme cessa d’être tisserand, boulanger, etc.. Maintenant ce sont les idées qui se dressent au gouvernail, et les idées ne sont ni mâles ni femelles ; que la femme le veuille ou non, elle a un rôle à jouer dans l’évolution sociale qui s’est produite. Comment ne se tournerait-elle pas vers les sciences médicales, dont Descartes fut le premier à dire que, si le perfectionnement de l’espèce humaine est possible, c’est là qu’il faut en chercher le moyen ? Mais, bien loin de tirer vanité de la multitude de femmes médecins qui existent dans son pays, cette Américaine de Chicago qui cite notre vieux Descartes souhaite que le fléau des Facultés de fantaisie et des diplômes irréguliers cesse au plus vite, et qu’une hiérarchie médicale uniforme soit établie dans tous les pays pour empêcher le demi-savoir et les maux qui en découlent.
L’exemple de l’Amérique a porté des fruits. Une doctoresse allemande du nom de Tiburtins raconte que, lors de sa visite à New York, elle fut frappée de l’œuvre accomplie par les femmes dans les dispensaires et se proposa d’en faire autant à Berlin. Elle rencontra d’abord quelques difficultés, l’Allemagne étant lente à changer ses habitudes, mais maintenant Berlin possède un dispensaire où plus de 30 000 indigens reçoivent des secours.
Pareillement, en Hollande, le docteur Aletta Jacobs fut longtemps seule de son sexe. Aujourd’hui, dit-elle, l’impulsion est enfin donnée, du moins pour ce qui concerne le traitement des femmes et des ennuis. La Société de gynécologie a un secrétaire femme. L’un des trois médecins municipaux récemment nommés par le conseil de la ville d’Amsterdam est une femme, rémunérée comme ses confrères mules.
Deux dames russes, deux docteurs, rendent compte de la lutte intrépide que leurs compatriotes livrèrent à d’anciens préjugés pour arriver aux études supérieures et a. l’exercice de la médecine. La première qui s’y jeta fut la fille d’un serf, Nadeschda Susloff ; elle prit ses degrés à Zurich, en 1867. Ses très nombreuses imitatrices témoignèrent des dons merveilleux de ténacité et d’endurance qui forment le fond de l’âme russe. Nourries tout juste assez pour ne pas mourir de faim, pauvrement vêtues, tristement isolées à l’étranger, les étudiantes travaillaient pour la plupart avec l’idée mystique de mener une vie de sacrifices au milieu des paysans. C’est à Mlle Rodstwennaïa et à sa mère que l’on dut les fonds nécessaires à l’établissement des premiers cours qui, avec la permission de l’Empereur, furent créés à l’Académie de médecine et de chirurgie de Pétersbourg. Elles donnèrent pour cela tout l’argent qu’elles avaient laborieusement gagné en Sibérie. Le tsar Nicolas II s’est montré favorable aux femmes médecins et généreux envers l’Institut dont elles sortent. Dans les campagnes de l’intérieur surtout, elles font un bien inestimable ; leur courage n’a d’égal que leur désintéressement. A Pétersbourg, on les trouve au nombre de 55 dans 28 hôpitaux ; il y en a aussi dans les écoles, dans le service municipal des plus misérables quartiers ; le dispensaire se tient chez elles et doit être ouvert tous les jours. Plusieurs ont une assez vaste clientèle et des spécialités reconnues. Il y a près de dix ans qu’elles ont fondé une société d’aide morale et matérielle, où l’argent est prêté sans intérêts à celles qui traversent des difficultés temporaires. Cette société forme un centre où se discutent les questions professionnelles.
Les femmes représentant plus de la moitié de la race humaine, on peut dire que la moitié des malades sont des femmes. Il semble donc naturel que cette partie de l’humanité souffrante puisse se confier à d’autres femmes. En Norvège, en Danemark, en Finlande, leur accès à l’exercice de la médecine n’a rencontré aucune opposition ; et l’on sait qu’à Paris il y a aujourd’hui une vingtaine de praticiennes ; la femme, victoire sérieuse ! y a forcé les portes de l’internat.
Pourquoi, demande Mlle Maria Popelin, la Faculté de Droit serait-elle inabordable, quand la Faculté de Médecine ne l’est pas ? — Moins heureuse, que ne l’a été en France Mlle Jeanne Chauvin, Mlle Popelin, docteur en droit, se voit interdire le barreau dans son pays, la Belgique. Elle n’insiste pas sur ses griefs personnels, mais, dans l’intérêt même de la société, veut que la femme ait part aux fonctions sociales. Tout ce qui arrêtera, dit-elle, le progrès d’un des sexes empêchera celui de l’autre, La faiblesse de sa constitution, une réserve inhérente à sa nature, sa mission spéciale en ce monde défendent à la femme de certaines carrières, au dire de ceux qui paraissent craindre qu’elle n’empiète sur un terrain privilégié. Mais pourquoi n’est-il question ni de cette réserve, ni de cette faiblesse, lorsque la misère l’oblige d’accepter les emplois les plus bas, les plus fatigans et les plus mal rétribués, ou encore de tomber dans la galanterie ? Que les devoirs de la famille passent avant tout, soit, mais les femmes qui n’ont pas de famille, les isolées si nombreuses, pourquoi donc arrêterait-on leur élan, de quelque côté qu’il les porte ?
Les Etats-Unis viennent à la rescousse. Depuis vingt-cinq ans, les Facultés de droit accueillent les femmes, dans l’Ouest tout au moins. Les avocates autorisées à plaider se comptent par centaines ; de riches héritières éprouvent aussi le besoin d’acquérir les connaissances légales utiles pour administrer leur fortune. Et toutes celles qui étudient le droit s’accordent à reconnaître qu’il n’y a pas de meilleure discipline intellectuelle. La situation de la femme devant la loi, ce point si complexe, si important, ne pourra être décidé sans l’aide des femmes elles-mêmes. Aussi le mouvement féministe aux Etats-Unis a-t-il nécessairement fait éclore des femmes de loi savantes et expérimentées, capables de donner leur avis sur les questions tant débattues du mariage, du divorce, de la tutelle, des enfans, etc. Il importe à la famille que les épouses et les mères soient instruites, mieux qu’elles ne l’étaient autrefois, des lois qui gouvernent leur sexe. Grâce à elles, on considérera désormais le côté féminin de questions dont on ne voyait jusqu’ici que le côté masculin. C’est au fond le même principe qui, en Amérique, donne aux femmes le droit de prendre la parole partout, même en qualité de ministre de la religion. L’heure de la femme a sonné ; il est temps d’avoir l’opinion de la femme sur tous les sujets. Dieu veuille qu’elle la donne raisonnable et que ce ne soit pas une fausse note de plus dans la cacophonie générale !
Un pays sagement féministe me paraît être la Suède. La libre constitution, les traditions nationales y ont toujours assigné un très haut rang aux femmes ; elles ont accès à toutes les professions ; il n’y a de fermées devant elles que l’Eglise et l’armée ; 63 pour 100 des professeurs de l’instruction nationale sont des femmes ; les hommes leur font place avec une rare courtoisie, et cependant elles ne sortent qu’avec répugnance du cercle de la famille ; elles manquent d’ambition. Une seule, jusqu’ici, est devenue agrégée d’Université. Mais elles se sont distinguées dans les arts, dans la littérature d’imagination ; les sphères les plus élevées de la société tiennent le travail intellectuel en honneur. Au reste, comme partout, les carrières administratives ne leur réservent pas les meilleures places (il n’y a encore que la petite Suisse où l’administration des postes ait admis l’égalité du traitement pour les deux sexes). De même l’ouvrière reçoit un salaire inférieur à celui de l’ouvrier ; la raison en est peut-être qu’elle ne fréquente guère la fabrique après son mariage. L’absence de femmes, dans beaucoup de métiers, tient à ce que la Suédoise travaille beaucoup moins au dehors que ses sœurs des grands pays industriels. La lutte pour l’existence ne se fait pas encore sentir âprement en Suède. Heureux pays, où la vie est longue plus que dans toutes les autres contrées de l’Europe, où l’immoralité semble avoir pénétré moins qu’ailleurs, puisque le nombre des enfans naturels n’a pas augmenté depuis un demi-siècle, qu’il a même diminué à Stockholm. Des chiffres éloquens sont produits ; la criminalité décroît singulièrement chez les femmes. Faut-il conclure de tout cela que le meilleur moyen d’empêcher la femme d’abuser de ses droits est de lui en accorder beaucoup ?
Les professions nouvelles où les femmes se sont précipitées avec le plus d’engouement peut-être, tant en Amérique qu’en Angleterre (car la philanthropie peut, comme tout autre emploi de notre activité, devenir affaire de mode), est la profession de nurse ou d’infirmière. Il y a longtemps que Florence Nightingale, cette infirmière modèle qui joua un si grand rôle auprès des blessés dans la guerre de Crimée, a dit : « Soigner les malades est un art, c’est même un des beaux-arts, et il ne souffre pas la médiocrité ; on ne saurait soigner en amateur. » Certes elle ne pouvait désirer un enseignement plus complet que celui qui est donné aujourd’hui à ses émules. Aux Etats-Unis, les nurses ne font pas moins de trois années d’études à l’hôpital. Première année : la salle, avec leçons d’anatomie et de physiologie ; seconde année : la cuisine, rudimens de chimie, étude scientifique de l’effet et de la valeur des alimens ; troisième année : leçons aux débutantes, étude d’une langue étrangère, etc. Examen final au bout de trois ans. L’association des infirmières diplômées procure aussi des gardes à domicile ; elle est vraiment composée de femmes d’élite, ayant à cœur la dignité de leur profession. Dans les pays catholiques, tels que le Canada, les religieuses ont et auront probablement toujours la préférence ; mais, au Canada même, dans l’Ouest surtout, l’ordre des infirmières ambulantes, organisé par lady Aberdeen, a cependant trouvé place. En effet le Canada ne se borne pas à la vaste province française de Québec ; il s’étend sur d’immenses espaces qui n’ont en tout que cinq à six millions d’habitans. Le pionnier qui défriche des terres loin du moindre village ne peut guère appeler de médecin en cas de maladie ; il lui est même difficile de s’assurer les soins d’une servante. La nurse du district apparaît alors comme une providence. Les centres de l’ordre auxquels on peut la demander sont plantés de distance en distance, chacun d’eux ayant à sa tête une surintendante. Il faut, pour être admise au rang d’infirmière Victorienne, avoir d’abord le diplôme d’une école attachée à quelque hôpital en renom et ensuite avoir fait l’apprentissage de la carrière d’ambulance, tout en apprenant à soigner les pauvres et en se renseignant sur les mœurs et habitudes du pays. La bicyclette est d’un grand secours pour circuler pendant la saison d’été ; l’hiver, la neige oblige à d’autres moyens de locomotion. Dans deux localités les Victoriennes ont de petits hôpitaux où sont reçus les laboureurs des fermes et des ranches. Elles vont jusqu’au Klondyke. Leurs services n’ont pas été superflus durant une terrible épidémie de fièvre typhoïde. Ainsi, nous dit-on, les périls auxquels les hommes s’exposent pour l’amour de l’or sont bravés par les femmes pour l’amour du devoir.
Un véritable esprit de charité peut aussi élever singulièrement le rôle que joue, dans les grands centres manufacturiers d’Angleterre, du Canada, des États-Unis, l’inspectrice du travail. En Hollande, elle n’est encore qu’inspectrice adjointe ; on espère lui voir bientôt prendre la place de l’homme dans toutes les fabriques où sont employées des femmes. Mais il faut, pour bien exercer ces fonctions, être au courant des lois sur le travail en son propre pays, connaître les principales stipulations de ces lois à l’étranger, posséder les notions voulues d’hygiène, être pratiquement renseignée sur le mouvement des machines et des outils dans les diverses branches de l’industrie. Les sept inspectrices de fabriques déjà nommées en Angleterre, se transportent partout où il y a une enquête à faire sur le travail des femmes. Elles complètent le corps si utile des inspectrices de la salubrité publique, dont le nombre augmente toujours à Londres et dans les autres grandes villes. On sait quelles sont en France les attributions des inspectrices des écoles, des asiles, etc. Les différences du traitement, qui varie de quatre cents livres sterling par an à une livre par semaine, sont particulières à la Grande-Bretagne, où cette question relève tantôt de l’État, tantôt ; des autorités locales.
Une carrière qui n’atteint tout son développement qu’en Amérique est celle de bibliothécaire : elle n’est pas exclusivement féminine, mais le grand nombre des élèves de quatre écoles préparatoires, existantes aujourd’hui, se recrute parmi les femmes. L’explication en est simple : les hommes de même condition sont appelés de préférence par la vie industrielle.
Chaque année une centaine de diplômées sortent de ces écoles et sont aussitôt placées, car il n’y a guère de localité, si petite qu’elle soit, qui n’ait sa bibliothèque publique ; libre. Le mot de Carlyle a fait fortune : « Les bibliothèques sont les universités du peuple. » Leur effet sur le progrès intellectuel de la nation est reconnu. L’école, l’asile, le settlement, la prison, etc., ont pour annexe une bibliothèque ; des bibliothèques circulantes, représentées par de gros paquets de livres soigneusement choisis, sont expédiées jusqu’aux plus lointains défrichemens. La jeunesse, l’enfance elle-même, reçoivent leur abondante pâture littéraire, et les qualités maternelles de la femme, ses aptitudes d’éducatrice trouvent ici à s’employer ; son conseil est souvent demandé par des gens de culture très diverse. Elle doit avoir beaucoup de tact, outre les connaissances acquises en quatre années d’études spéciales couronnées par des examens qui portent sur l’histoire littéraire, le mécanisme de la typographie, la bibliographie appliquée, la lecture des manuscrits, les langues, etc. On constate le soin particulier que niellent les femmes à dresser les index, tables, répertoires, catalogues. Il y a des bibliothécaires femmes au Canada, en Australie, dans l’Afrique du Sud et jusqu’à Honolulu ; en Suède, les femmes sont surtout employées comme assistantes ; en Suisse, le musée cantonal de Fribourg a une directrice ; en France, Mlle Pellechet a dressé le catalogue des incunables. En Angleterre, les emplois de bibliothécaires féminins sont moins nombreux et moins bien rétribués qu’en Amérique ; mais, comme en Amérique, les femmes se poussent au premier rang pour les places de secrétaires, de sténographes, pour la tenue des livres, le travail de bureau, la correspondance commerciale. L’écriture à la machine fait vivre une armée de jeunes filles. Ce sont là, par excellence des professions nouvelles.
Il y en a aussi parmi les travaux manuels. L’influence de Ruskin et de Morris a produit en Angleterre le réveil des arts décoratifs, élevés souvent au niveau du grand art, par exemple la sculpture sur bois. L’école spéciale où on l’enseigne à Londres est dirigée par une femme. Au collège de Reading, une autre femme est à la tête de certaine section dont le but paraît être de développer l’imagination de l’élève autant que l’habileté de ses doigts, de la détourner surtout des imitations prétentieuses. La reliure prospère entre les mains d’une guilde féminine. Il n’y a guère plus de dix ans, ce métier était tout entier accaparé par les hommes ; quelques femmes de goût, qui avaient passé par les écoles d’art, découvrirent que les couvertures de livres offrent un champ illimité à la fantaisie, puisqu’on peut y exprimer symboliquement le contenu du livre lui-même. De courageuses ouvrières s’approprièrent le maniement assez dur des outils, et, bientôt réussirent à exceller dans une profession qui a le grand mérite de n’être pas précaire. Les commandes ne s’arrêtent jamais.
En photographie, les Anglaises s’efforcent de surpasser la simple photographie commerciale. L’exemple leur a été donné par une artiste profondément originale. Mrs Cameron.
La bijouterie d’art représente encore, malgré les difficultés et les lenteurs de l’apprentissage, un des nombreux débouchés qui se sont ouverts depuis peu ; on en a vu des échantillons à l’Exposition de 1900.
La peinture sur verre fleurit surtout aux Etats-Unis, où la renaissance du vitrail compte une femme, Mrs Sara à Whitman, parmi ses plus éminens promoteurs.
Les écoles professionnelles de France, bien loin d’avoir à envier celles de l’étranger, leur donnent l’exemple ; nous avons, nous aussi, nos professions nouvelles ; les femmes dessinateurs, graveurs, imprimeurs rivalisent avec leurs confrères de l’autre sexe, au grand dépit parfois de ceux-ci, qui les rendent injustement responsables de l’avilissement des salaires.
En Danemark, la femme s’adonne avec succès à l’ébénisterie. « Il n’existe pas encore de charpentières ni de maçonnes, dit un rapport venu de ce pays, mais, la maison une fois bâtie, les femmes sont parfaitement capables de la meubler tout entière. Grâce à l’école de dessin et d’arts appliqués qui prospère depuis vingt-cinq ans, un nombre considérable d’entre elles s’est mis à fabriquer des châssis, des serrures, des lampes électriques ; il y a des femmes vitriers, horlogers, céramistes, etc. Les deux plus grandes « artisanes » de Copenhague sont Mlles Horsböl et Christensen, toutes les deux menuisières, employant chacune une vingtaine d’ouvriers et gagnant chacune aussi environ 50 000 francs net. Il y a quatre ans qu’elles sont dans les affaires, et elles commencent à former des apprenties ; jusqu’ici, elles n’employaient que des hommes, mais l’honnêteté générale des mœurs empêche qu’il y ait inconvénient à rapprocher en un même travail les ouvriers des deux sexes. Et peu importe aux hommes d’avoir affaire à des patronnes, car, en Danemark, les patrons ont leur organisation, les ouvriers ont la leur, et tous les points en litige sont réglés entre ces deux puissances sans que l’on fasse intervenir les personnalités. Jamais les artisanes danoises n’ont abaissé leurs prix ; elles élèvent plutôt la valeur du travail. De sorte qu’au lieu de lutter contre les hommes en dépréciant l’ouvrage, elles établissent la rivalité sur le terrain de l’excellence et se font respecter ainsi.
Les carrières agricoles sont de celles auxquelles les femmes en tous pays doivent être encouragées. C’est l’agriculture qui peut donner à l’Angleterre la solution de deux grands problèmes, la dépopulation des campagnes et l’emploi d’un million de femmes en trop. Le premier de ces problèmes s’impose un peu partout ; on le résoudrait en inspirant aux femmes le goût de la terre, en leur apprenant à la cultiver et à en tirer, comme auxiliaires intelligentes de l’homme, ce qui est nécessaire à la vie. Les écoles ambulantes, avec accompagnement de conférences, font merveille en Belgique : leur organisation, leur fonctionnement ont été longuement expliqués au Congrès. Il faut que les femmes, pour quelque profession que ce soit, ne se bornent plus à des qualités purement instinctives, mais qu’elles s’y préparent, comme font les hommes. À cette fin, lady Warwick a fondé un home admirable. Le collège de Reading, avec son vaste département d’agriculture subventionné par le ministère, est tout près ; il fournit l’éducation scientifique et théorique aux étudiantes, sans préjudice des travaux pratiques dans deux groupes principaux entre lesquels l’enseignement est divisé : l’horticulture et la laiterie, plus la basse-cour et l’élevage des abeilles. A sa sortie du Lady Warwick’s hostel, l’étudiante, si elle a satisfait aux examens, reçoit un certificat délivré par les comités réunis d’Oxford et de Reading. Des filles bien élevées ont déjà choisi cette voie, qui n’a rien d’incompatible, tout au contraire, avec la vie de famille.
Dans certaines colonies anglaises les femmes prennent sur elles les travaux les moins lourds de l’agriculture ; celles de la Nouvelle-Galles forment une association industrielle pour l’élevage des vers à soie ; celles de la Nouvelle-Zélande contribuent à l’élevage si productif des autruches. Le collège de Swanley (Kent) a déjà répandu dans le Royaume-Uni des jardinières habiles, sans compter celles qui occupent le rang de professeurs dans diverses institutions, où l’on prélude aux besognes rustiques par la géométrie, la géologie, la chimie, la botanique, le dessin à main levée. L’art de jardinière-paysagiste surgit en Amérique, tandis que commencent à s’ouvrir aux hommes des écoles forestières dont l’absence était déplorable. En Californie, le pays du monde qui donne le plus de fruits, beaucoup de femmes exploitent les vergers immenses dont elles sont propriétaires ; le produit, par tonnes, de ces forêts d’arbres fruitiers, chargent des navires. Il va de soi que les jardinières, maraîchères, etc., n’ont aucune prétention à se passer de l’homme pour les travaux qui exigent des muscles. Là comme partout, les deux sexes peuvent travailler côte à côte.
Le jardinage pratiqué dans les asiles, dans les maisons de convalescence, paraît être doublement utile aux pensionnaires, dont il emploie les forces et améliore le régime. Et ceci se rattache aux observations de nombreuses sociétés féminines d’hygiène qui fonctionnent en Danemark, mieux encore peut-être qu’ailleurs, distribuant un enseignement indispensable aux femmes, qui partout sont appelées, sans exception, à être gardes-malades, ménagères, à soigner leurs vieux parens ou leurs jeunes enfans. On les initie à l’hygiène, à l’économie domestique, à l’étude de la coopération et de la subordination existantes dans la machine humaine ; de tout, cela elles tirent des lumières sur les lois de la vie, sur la relation sacrée, de l’individu et de la société, ou de la race, et d’abord elles se perfectionnent dans le plus indispensable de tous les arts, celui de bien diriger leur famille et leur maison.
Quant à l’utilité des professions en général pour les femmes, je crois qu’il faut méditer le discours si suggestif et si sensé d’une dame anglaise, Mrs Fenwick Miller, sur l’effet qu’elles produisent dans la vie domestique. Leurs avantages sont ceux-ci : offrir un aliment, précieux aux filles qui ne se marient pas et dont la vie manquée s’écoulait inutile et languissante auprès de parens qui, d’aventure, les laissaient sans ressources, désarmées contre la vie, à un âge où l’on ne peut plus rien commencer ; faciliter le mariage dans tel cas où le gain de la femme s’ajoute à celui du mari et produit l’aisance. La mère de famille devra nécessairement se faire aider pour les soins matériels, car une femme qui travaille ne saurait être une femme de foyer selon les anciennes formules, mais les enfans gagneront au développement de l’intelligence et des talens de leur mère. Le péril serait dans les habitudes de paresse que prend volontiers le mari en pareille occurrence. Mrs Fenwick Miller signale cette grave menace : très fréquemment il s’appuie sur sa femme aussitôt qu’il la voit se suffire à elle-même. En Allemagne et dans plusieurs des États de l’Union, on a prévu le cas par des mesures légales contre l’oisiveté de tout homme qui ne contribue pas ii nourrir sa famille. Le divorce peut s’ensuivre, entraînant de certaines obligations pécuniaires du père envers ses enfans. Un autre point délicat, franchement abordé dans le même rapport, c’est l’impossibilité pour la femme de concilier l’exercice d’une profession avec une progéniture nombreuse. La mère de beaucoup d’enfans suffit tout juste aux devoirs de la femme d’autrefois ; la femme nouvelle n’aura que peu d’enfans, — comme en France, ajoute, hélas ! Mrs Fenwick Miller ! La maternité quasi périodique serait une cause de grève : on ne peut bien faire deux choses à la fois.
Cette déclaration formelle, que personne ne contredit, est à, enregistrer, — et à méditer !
Ce qui précède montre assez quel vaste champ s’est ouvert depuis une dizaine d’années à l’activité de la femme, et nous n’avons pas abordé encore la sphère pour laquelle la nature semble l’avoir créée spécialement.
De tous les sujets discutés par le Congrès, le plus intéressant est peut-être celui de l’éducation, et d’abord la psychologie de l’enfance à propos de laquelle Anglaises et Américaines échangent leurs vues. L’éducation du petit enfant n’est pas une affaire de papier imprimé ; il s’agit de le prendre tel qu’il est tout entier, corps et âme, et de l’aider, sans le contraindre, à faire de ses facultés le meilleur usage possible durant le voyage de la vie. De ces quatre ou cinq premières années dépend en effet l’orientation de la sociologie et, en un certain sens, la direction du mouvement scientifique s’il ne saurait conduire à rien de plus haut que le développement de rame humaine. On en est persuadé aux Etats-Unis, si bien qu’il ne se trouve presque pas d’Etat qui ne possède une Child Study Society conviant ses membres à s’informer de tout ce qui regarde l’enfance.
En Angleterre, celle même étude est organisée ; un peu partout elle a donné naissance à une littérature spéciale, livres ou journaux, qui enregistre les résultats d’une minutieuse investigation de l’enfance. Et l’investigation a bien ses inconvéniens. — car elle provoque chez celui qui en est l’objet cette self-consciousness, cette conscience excessive de soi-même, beaucoup plus fréquente, on le sait, dans les pays anglo-saxons et protestans, qui pratiquent le perpétuel examen, que dans les pays latins. En revanche, l’attitude des maîtres y gagne ; ils deviennent en quelque sorte étudians attentifs devant le grave problème qui leur est posé ; la discipline entre leurs mains cesse d’être aveugle ; plus qu’autrefois ils se proposent comme objectif non pas seulement de meubler un jeune esprit, mais, avant tout, de former un caractère.
Une véritable révolution est en train de se produire dans les moyens pédagogiques : on écartera les méthodes trop sèches, on commencera, dès le premier âge, l’éducation de la volonté. C’est aussi l’éducation des parens qu’il faudra entreprendre, afin qu’ils conçoivent leurs responsabilités d’une façon plus large ; car ce qu’ils ont à faire n’est pas d’élever leurs enfans précisément comme ils ont été élevés eux-mêmes dans un temps qui n’est plus, mais en tenant compte des idées et des tendances qui seront inévitablement celles de la génération suivante, et en préparant par une intelligente culture l’avenir de cette génération. Ainsi le père de famille aurait tort désormais de se refuser à faire pour l’éducation de sa fille les mêmes sacrifices qu’il a faits pour celle de son fils, sous prétexte que les hommes ont seuls besoin de s’ouvrir une carrière. Le travail ennoblit la femme autant que l’homme et, faute du genre d’indépendance qu’il procure, la jeune fille court des risques plus grands que ceux qui peuvent menacer son frère.
Notre siècle est par excellence un siècle d’apprentissage ; les parens doivent coopérer étroitement avec les maîtres pour diriger l’enfant vers de certaines fins sans rien laisser au hasard. Cela ne veut pas dire qu’il convienne de le bourrer d’idées toutes faites ; au contraire, on le laissera digérer les idées présentées à son intelligence et se les assimiler lui-même.
Le point important, c’est que le tout petit enfant soit entouré de guides aussi compétons que pourront l’être par la suite ses autres professeurs. Les dévouemens aveugles, les tendresses doublées d’ignorance lui sont funestes. Une fois pour toutes on l’a reconnu ; et néanmoins les parens les plus éclairés détournent trop souvent de son véritable sens le mot de Frœbel : « Vivons pour nos enfans. » En exagérant l’aide extérieure qu’ils prêtent sans cesse à ceux-ci, ils gênent le développement général de leur nature. Le plus petit est tenu, d’aborder et de vaincre tout seul ses propres difficultés, de supporter la conséquence de ses propres erreurs ; en lui rendant le chemin trop facile, soif pour l’étude, soit dans la vie de tous les jours, on énerve chez lui des qualités précieuses d’énergie et de persévérance. L’enfant, environné d’une atmosphère de constante sollicitude, devient fatalement égoïste. Jamais il ne Ta été plus qu’aujourd’hui, bien que l’altruisme soit en principe la clef de voûte de l’éducation moderne. À qui la faute ? Aux parens qui s’occupent trop de lui ou plutôt qui s’en occupent mal. Ils peuvent éviter ce danger en allant jusqu’au bout du conseil de Frœbel : élever l’homme futur en harmonie avec Dieu, fortifier autant que possible l’impulsion religieuse chez ce jeune être humain. C’est la base même des vraies méthodes du Kindergarten, l’éducation fondée sur les actes. Cette idée du jardin de l’enfance est juste et charmante : le jardinier surveille les plantes sans doute, mais il les laisse croître selon les lois de la nature, et se garde d’arracher à tout moment l’arbuste pour voir où en sont les racines. De même le maître ne cherchera pas « à faire quelque chose de son élève, » mais simplement à protéger l’expansion du caractère original. Le Kindergarten, avec ses occupations variées, a ce mérite incomparable d’être fondé sur les lois mêmes de la nature de l’enfant, lois scrupuleusement observées dans l’organisation des jeux, qui sont des leçons, et des leçons qui représentent autant de jeux. Toutes les activités physiques et intellectuelles du polit être trouvent l’occasion de s’y manifester. Et Frœbel a remis cette culture première de la tendre plante humaine tout spécialement aux mains de la femme. Sans elle, dit-il, l’éducation ne peut avoir une base naturelle et saine. Le Kindergarten était donc à ses yeux l’éducation de la femme autant que celle de l’enfant ; leurs deux vies s’appartiennent l’une à l’autre, elles sont inséparables. En élevant l’enfant, ce pédagogue génial émancipa la mère, prenant à tache d’éclairer l’instinct sacré de la maternité, d’en faire une science. On sait les progrès merveilleux qu’a, depuis une trentaine d’années, accomplis l’éducation du peuple partout où prévaut la méthode de Frœbel ; il serait à souhaiter que cette méthode fût toujours et, pour toutes les classes un prélude aux études primaires proprement dites.
L’idée de Kindergarten gratuits où l’éducation des parens se poursuivrait en même temps que celle des enfans est suggérée par le Congrès ; les mères, qui peuvent manquer de lumières, venant assister au développement graduel de leurs enfans, se rendraient compte des moyens d’action employés sur eux. Les jeunes filles feraient, elles aussi, leur apprentissage maternel ; parens et maîtres entreraient dans la communion désirable. Elever les mères pour que les enfans soient bien élevés à leur four, n’est-ce pas le conseil de Napoléon répondant, dit-on, à qui demandait vers quel âge devait commencer l’éducation de l’enfant : « Vingt ans avant sa naissance, par la mère ? »
Les vues générales de Peslalozzi et de Frœbel au sujet des leçons objectives et concrètes sont hautement appréciées en Angleterre, où l’on proclame de plus en plus que la construction du caractère doit passer avant le savoir.
Une Allemande fait l’ingénieuse proposition suivante :
Dans son pays, où les droits des femmes sont encore très contestés, ou donne pour raison à la position inférieure du sexe réputé faible qu’il ne sert point la patrie, comme si ce n’était pas la servir que lui donner des citoyens ! Soit, le service militaire est une excellente discipline. Eh bien ! les femmes en réclament une autre pour leur part, l’obligation de servir elles aussi, toutes, sans exception, l’espace d’une année, non pas sous les armes, mais dans les Kindergarten.
À propos de l’école primaire, une déléguée des États-Unis s’élève contre la spécialisation du travail des petites filles. Assurément, dit-elle, le nouvel Evangile universellement admis veut que l’homme soit quelque chose de plus qu’une machine mentale d’une part et un manœuvre de l’autre, il veut que l’éducation bien entendue s’applique, dans toutes les classes, à la main comme au cerveau ; mais il ne s’ensuit pas que l’élève, dès l’enfance et la première jeunesse, se trouve bien d’être plié à la préparation définie de la carrière qu’il embrassera plus tard. Les spécialisations précoces diminuent l’individu dans le présent et pour l’avenir.
Cette crainte de la spécialisation peut sembler discutable quand il s’agit de l’enseignement de la couture ; elle mérite cependant d’être enregistrée ; elle explique comment la femme, en Amérique, croit contribuer au véritable progrès de l’humanité en marchant sur les traces de l’homme vers une plus large conception de la vie ; et nous ne refuserons pas d’admettre qu’il lui soit utile autant qu’à l’homme d’apprendre à regarder tout autour d’elle pour mieux embrasser l’ensemble des choses. Molière l’a dit avant Mrs Stanton Blatch :
Je consens qu’une femme ait des clartés de tout.
En Suède, le travail manuel est conduit à souhait, dans les écoles élémentaires, en évitant la spécialisation. Les garçons de sept à dix ans suivent avec les petites filles les classes de tricot, de couture et de raccommodage. Un système ingénieux, que l’on doit à Mlle Huelda Lundin, permet que la démonstration du point ou de la reprise puisse être faite par une seule maîtresse à un nombre considérable d’élèves. Ayant atteint leurs dix ans, les garçons passent à un autre genre de besogne, la fabrication des objets en bois et en carton, qu'ils mènent de front avec le travail intellectuel et qui, par la suite, constitue leur part du sloyd à domicile dont j'ai déjà parlé au chapitre sur l'industrie.
En Italie le sort des institutrices primaires mérite notre pitié. Leur nombre est de près du double de celui des instituteurs, il dépasse le chiffre de 36 000, elle salaire de chacune, qui devrait être de 500 à 600 lires par an, se réduit dans les districts éloignés à 250 ou 100 lires pour instruire de 80 à 120 enfans. Eloignées des ressources de la vie civilisée autant que de la surveillance des inspecteurs, elles périssent littéralement d'inanition physique et intellectuelle. Une loi récente a enfin décrété qu'une pièce de terre serait annexée à chaque école communale, et que les élèves, sous la direction du maître ou de la maîtresse, y acquerraient des connaissances d'agriculture pratique tout en contribuant ainsi à nourrir ces victimes du système actuel de l'instruction publique. L'exercice en lui-même est bon ; il se rattache indirectement à un programme d'éducation physique qui est en train de s'imposer dans le monde entier sous forme de gymnastique appropriée au sexe et à 1 âge, en évitant l'abus les jeux athlétiques dont on est plus ou moins revenu.
Excellens rapports sur les écoles secondaires. On se demande en Angleterre si certaines leçons de valeur morale données à l'ancienne mode n'étaient pas préférables au système d'aujourd'hui, qui veut que le fardeau du travail soit pour ainsi dire retiré à l'élève et pèse au contraire sur le maître.
L'enseignement est brillant et divers, la curiosité de celui qui apprend sera sans cesse excitée ; toute la tension d'esprit et d'énergie est pour celui qui enseigne. L'ancien système avait des défauts, mais il développait la volonté tenace ; quelques obstacles ne font que du bien ; on s'efforce trop de les écarter du chemin de toutes ces jeunes filles éprises de hautes études. Certes il n'y a pas à nier les bons résultats obtenus par l'instruction secondaire préparatoire à l'Université ; de nouvelles voies d'action se sont ouvertes aux jeunes filles en même temps que la science et les mathématiques. N'a-t-on pas exalté cependant un peu trop l’importance du succès ? Ils prouvent que ces demoiselles sont capables de profiter de la même éducation qui est donnée à leur frère : mais, la preuve étant faite, qu’est-ce qui s'ensuivra ? Après un quart de siècle d'expérience, pouvons-nous vraiment nous flatter d’avoir réalisé le développement parfait de la féminité ? Sinon, tout est à reprendre, car le but qu'on se propose n'est pas de faire de la jeune fille purement et simplement une rivale, même une rivale victorieuse de son frère. Elle n'est pas un homme incomplet ; elle est autre, elle est femme. Et les parties essentielles d'une éducation de femme ne se trouvent peut-être pas toutes dans le programme de ses études actuelles, si surchargé qu'il soit. L'idéal de l'avenir doit être une éducation physique, morale, intellectuelle, qui produise d'abord la meilleure des femmes et secondairement l'étudiante d'université. Le type actuel de la jeune fille n'est pas pour nous satisfaire sans réserve ; il semble que certains objets qui ne sont pas de premier ordre aient absorbé une somme excessive de son temps et de ses efforts. Mieux vaudrait en consacrer davantage aux études littéraires et historiques, entrer en rapports plus étroits avec les grands esprits du passé, se pénétrer enfin de tout ce qui peut, mieux encore que les sciences mathématiques, former des épouses et des mères.
En Allemagne, l'instruction secondaire des femmes est de fait fort contrariée. Les Universités ne les repoussent pas, à l'immatriculation près, pourvu qu'elles aient passé l'examen préalable appelé Abiturium, auquel prépare le gymnase. Or, les moindres villes possèdent des gymnases de garçons, mais on n'eût pas rencontré, il y a six ans, une seule école où les filles pussent apprendre le latin, le grec, les mathématiques exigés pour cet examen obligatoire. La société Verein Frauenbildung Frauenstudium, qui a ses branches dans douze villes et déjà 800 membres, travaille à modifier cet état de choses, prête à soutenir pécuniairement les gymnases qui naissent peu à peu. Il y en a quelques-uns dans le pays de Bade, en Wurtemberg, à Munich. Des Gymnasial-Kurse, qui préparent en quatre ans à l’abiturium, se sont ouverts aussi, depuis 1893, dans plusieurs villes, principalement en Prusse et en Saxe, où les gymnases de femmes sont interdits.
Jusqu'en Turquie, il existe maintenant pour les filles une instruction primaire, secondaire et supérieure, ce qui ne veut pas dire que ces deux derniers titres correspondent encore à de bien sérieuses réalités. Mais, depuis que la première école normale, fondée à Stamboul sous Abdul-Aziz, forme des filles pauvres à la carrière de l’enseignement, qu’elles vont ensuite exercer dans l’intérieur, un vif désir de culture intellectuelle s’est répandu parmi les dames turques. Plusieurs d’entre elles écrivent, et surtout elles se font professeurs, portant des leçons à domicile et remplissant un rôle de pionnier dans l’ordre des idées.
Ce n’est jamais qu’un nombre relativement petit de jeunes filles qui passe de l’instruction secondaire à l’Université. Des rapports très remarquables sont lus par des Allemandes, des Scandinaves, des Anglaises appartenant à cette élite. Intéressant entre tous, celui d’une des trois premières étudiantes de Girton College, miss Innes Lumsden, attachée aujourd’hui à l’Université de Saint Andrews en Écosse. Nous voyons qu’après tout la France accorde plus de privilèges aux étudiantes en médecine et en droit que n’en octroie la Grande-Bretagne, où hommes et femmes ne sont reçus sur un pied égal que dans les toutes nouvelles Universités du Nord et du pays de Galles ou bien en Écosse ; il n’en est pas de même à Oxford et à Cambridge ; pourtant, sans pouvoir être admises à recevoir le degré, elles passent tous les examens, et on sait quels succès éclatans elles ont remportés ces dernières années.
Mais chez nous seulement on peut dire que les femmes ont, par rapport à l’enseignement d’université, tous les mêmes droits que les hommes, presque sans exception. C’est une Allemande qui vient nous le prouver, le docteur Käthe Schirmacher, à qui l’on doit déjà une excellente monographie sur la condition des femmes dans les différens pays[2]. De 1875 à 1888, 362 femmes, dont 55 étrangères, ont pris en France leurs degrés universitaires. Les statistiques fixent le nombre de nos étudiantes à 817 contre 28 264 étudians. Dans la seule Université de Paris, il y a 245 femmes : 87 étudient la médecine, 53 la pharmacie, 37 suivent les cours de la Faculté des lettres, 18 ceux de la Faculté des sciences, et deux étudient le droit. Beaucoup de Françaises, se destinant à l’enseignement des langues étrangères, concourent ou allemand, anglais, italien, espagnol ou arabe pour le certificat d’aptitude ou pour l’agrégation.
Mlle Käthe Schirmacher fait ressortir la différence avec les étudiantes d’Allemagne, contre lesquelles le gouvernement soulève des obstacles de toute sorte. Depuis 1890, cependant, elles sont admises aux facultés de philosophie des deux Universités badoises : Heidelberg et Fribourg. On comptait 469 étudiantes en 1898, mais leurs privilèges sont de vingt ans en retard sur ceux des Françaises, outre qu’ils ont de beaucoup plus étroites limites, limites apparemment injustifiables dans un pays où 40 pour 100 des femmes doivent gagner leur vie en travaillant. On alléguera que depuis une dizaine d’années la situation s’améliore pratiquement de jour en jour ; mais, au point de vue légal, elle n’est nullement satisfaisante. Les Allemandes sont réduites aux faveurs et aux concessions, arrachées une à une ; elles n’ont pas de droits.
En Russie, l’initiative prise spontanément par Mme Conradi, Mlle Stassoff et quelques autres dames décida de l’admission des femmes à l’enseignement supérieur. L’idée d’une université de femmes réussit dans toute la société cultivée ; dès la première année, 900 personnes souscrivirent aux conférences qui, en 1870, commencèrent à Saint-Pétersbourg. Ce fut là le début d’un mouvement auquel s’intéressa ensuite le gouvernement lui-même. Afin d’empêcher l’exode de beaucoup de jeunes filles qui émigraient vers les universités étrangères, il consentit à autoriser l’instruction supérieure des femmes : mais celles-ci, arrivées à la fin des cours, que soutenaient uniquement des subventions particulières, n’avaient qu’une ressource : devenir maîtresses d’école primaire ou secondaire, ou bien encore : diriger des écoles professionnelles. En 1886, interdiction fut faite par le ministre de l’Instruction publique d’admettre aux cours aucune étudiante nouvelle sous prétexte que cette question devait être examinée à nouveau par une commission spéciale. Trois années s’écoulèrent avant que deux Facultés ne se rouvrissent officiellement aux femmes.
Dans les pays Scandinaves, où renseignement universitaire est commun aux deux sexes, avec un parfait consentement de l’Etat et de la société, il ne semble pas que cette liberté engendre le moindre abus. Elle forme un contraste frappant, avec les répressions russes et l’opposition brutale qui s’est manifestée en Allemagne, tant du côté des professeurs que de la part des étudians. L’Université est accessible aux femmes en Danemark depuis 1875, et cependant 156 étudiantes en tout ont reçu leurs diplômes. Elles ambitionnent généralement celui qui ouvre aux hommes la carrière de l’enseignement supérieur dans les écoles publiques ; ce n’est pour elles, au surplus, qu’une attestation de mérite, l’instruction supérieure des filles se poursuivant dans des écoles particulières. Le féminisme ne semble donc pas très avancé dans ce sage et paisible petit pays ; mais en revanche le sentiment de la liberté individuelle y est beaucoup plus développé que chez sa puissante voisine la Prusse, de sorte que ceux-là mêmes qui auraient peu de sympathie pour la question complexe des droits de la femme estiment qu’en tant qu’individu, celle-ci peut essayer tout ce qu’elle veut. En Autriche, l’éducation supérieure des femmes a la haute approbation de l’Empereur ; en Italie, l’éducation publique des filles ne diffère pas de celle des garçons ; c’est-à-dire qu’après avoir reçu la même éducation primaire, la jeune fille peut à son gré aborder l’école supérieure des filles, l’école professionnelle ou le gymnase, et ensuite les cours libres de l’université.
De cette revue des diverses universités européennes, il résulte, en somme, que les barrières seront renversées dans un délai plus ou moins long. Il n’y a qu’à prendre patience, selon l’admirable conseil de miss Lumsden, qui, reléguant à leur rang les diplômes et autres distinctions dont la seule valeur est d’aider pratiquement dans la bataille de la vie celle qui les possède, rappelle qu’au fond il s’agit pour les étudiantes d’apprendre, le savoir étant « premier et non second, » selon le mot de Tennyson ; apprendre et se montrer fidèle aux antiques traditions de dévouement désintéressé envers la science, à la simplicité de la vie, à la pureté des intentions, à la poursuite constante d’un but moral. Voilà l’essentiel ; jeter le poids de l’influence féminine dans le bon plateau de la balance, protester contre les côtés méprisables d’une prétendue civilisation : vanité, amour-propre, ambitions vulgaires de toute sorte. Ce sera là vraiment aider les universités à accomplir leur lâche la plus noble. Pour le reste on peut attendre.
Lecture est encore faite de rapports curieux sur les universités des colonies anglaises. Le Canada, si conservateur qu’il soit, compte depuis dix-sept ans des bachelières et des licenciées. En 1884 l’Université Mac Gill, à Montréal, celles de Toronto et de Dalhousie, ont ouvert leurs cours aux femmes en partie ou tout entiers. Les autres collèges ont suivi cet exemple, sauf les Universités catholiques. Jusque dans les colonies de l’Afrique du Sud, il en est de même.
J’ai gardé pour la fin les plus célèbres des universités de femmes, celles qui s’imposent entre toutes à l’attention du monde, les universités américaines. On en apprendra plus à leur endroit que par toutes les discussions du Congrès en lisant la monographie si judicieuse et si complète sur l’Education des Femmes que miss Carey Thomas, présidente de l’Université de Bryn Mawr, a envoyée à notre Exposition universelle[3]. Sur l’ensemble des Universités des différens États, 80 pour 100 d’entre elles admettent des femmes, exclusion faite des collèges catholiques. Les universités féminines indépendantes, issues entre 1870 et 1890 de donations particulières, forment trois groupes, distincts par rang d’importance : — en première ligne, les quatre grands collèges de Vassar, de Smith, de Wellesley et de Bryn Mawr ; auprès d’elles, une première université catholique pour les femmes, Trinity college, s’est récemment ouverte à Washington.
Il y a cinq universités de femmes affiliées aux universités masculines, un peu à l’exemple d’Oxford et de Cambridge ; les deux principales, Radcliffe et Barnard, s’appuient sur les Universités de Harvard et de Columbia.
Mais partout, excepté à l’Est et au Nord, la coéducation domine. Le dernier rapport de la commission d’éducation aux. États-Unis, 1896-97, établit que plus de 15 000 femmes étudient dans les universités mixtes ; elles sont au moins 37 000, si l’on compte les écoles professionnelles soumises au même régime. Ces chiffres, considérables prouvent d’abord, comme se hâtent de le dire les Américaines elles-mêmes, devançant adroitement la critique étrangère, qu’un nombre excessif d’institutions médiocres porte aux États-Unis le nom trop ambitieux d’Université, mais il n’en est pas moins évident que des milliers de jeunes gens des deux sexes travaillent côte à côte sans qu’on y ait trouvé d’inconvénient, puisque nulle part on n’est jamais revenu sur l’adoption de ce système. Toutes les universités d’État admettent maintenant les femmes. Il n’y a de différences que pour le genre de vie : tantôt les étudiantes demeurent en ville, comme à l’Université de Michigan, tantôt dans les bâtimens qui leur sont attribués par l’université, comme à Chicago ou à Cornell. De très bons juges affirment que la coéducation procure aux femmes une vie plus normale que ne le ferait l’isolement entre elles. C’est d’ailleurs, dans l’Ouest surtout, la simple continuation du régime de l’école. Mais, pour ce qui concerne la coéducation durant toutes les phases de cette école elle-même, la discussion devient très vive au Congrès international de Londres. Une dame déclare que l’être humain idéal n’est pas nécessairement homme ou femme. La part que les deux sexes ont en commun étant la plus noble, on doit précieusement la maintenir. Est-ce-que dans chaque famille filles et garçons ne sont pas mêlés ; pourquoi contrarier l’ordre de la nature ?
— Mais, reprend une autre, la nature elle-même suscite une réserve instinctive entre enfans de différens sexes à mesure qu’ils grandissent, réserve à laquelle s’ajoute chez les garçons un dédain habituel pour ce qui est du domaine des filles. Ceci peut servir d’argument en sens contraire.
Une considération en faveur des écoles mixtes, c’est le besoin, urgent à notre époque, de créer entre garçons et filles cette camaraderie harmonieuse et fraternelle qui exclut généralement des émotions plus tendres. A cela on répond que, quoique égaux en dignité, en importance, même en valeur intellectuelle, l’homme et la femme diffèrent en leurs modes d’activité mentale, chacun des sexes ayant des caractéristiques qui doivent être préservées par une éducation différente.
La Suisse est pour la coéducation ; elle admet que l’imitation d’un sexe par l’autre serait fort regrettable, mais il n’y a pas à craindre que les jeunes filles persistent dans l’affectation passagère d’allures masculines. C’est là un travers dont se gardera la femme nouvelle, lorsqu’elle aura dépouillé le préjugé, tenace encore, de l’enviable prééminence de l’homme. La question est celle-ci : comment l’intelligence féminine peut-elle être le mieux cultivée ? Faut-il la reléguer dans un temple, même brillamment éclairé, ou bien ramener à la lumière du jour pour jouir librement du soleil ? Une éducation séparée place l’enfant dans un monde factice, composé de ses pareils seulement, et ne le prépare que théoriquement aux associations futures.
La Norvège est de l’avis de la Suisse, parce qu’avec la coéducation l’école rappelle mieux la vie de famille ; parce que les écoles séparées ont une tendance à développer les défauts particuliers à chaque sexe ; enfin parce qu’elle veut que l’enfance soit joyeuse, et qu’une maison sans mère ne l’est jamais. Mais tout dépend de l’esprit de l’école, du choix des professeurs appartenant aux deux sexes. L’impulsion donnée est tout : l’excellence ou l’infériorité de l’école en résulte.
La Suède et la Finlande veulent aussi que l’école ne se propose plus de former, comme elle faisait autrefois, des hommes d’un côté, des femmes de l’autre, mais de développer un type d’humanité aussi élevé que possible. Les seules réserves qu’imposeraient de bons juges en ces matières sont pour les adolescens, de treize à dix-huit ans. Jusqu’à leur douzième année, les petits garçons et les petites filles gagnent à être réunis ; la rencontre des jeunes gens à l’Université ne paraît offrir aucun inconvénient, mais il y a un âge de transition où le rapprochement des sexes doit être évité. On est de cet avis dans les parties de l’Amérique qui ressemblent le plus à notre vieille France ; et celle-ci fera bien de se rappeler que le fonctionnement admirable de la coéducation dans l’Ouest des États-Unis ne convertit pas à ces méthodes les États moins neufs de l’Est.
Il semble cependant, à entendre discourir chez nous les partisans de l’école mixte, que ce soit là une panacée souveraine. Les Anglais, qui en ont de prudens essais, leur diraient qu’il ne suffit pas toujours d’élever ensemble des garçons et des filles pour réformer les mœurs. Nous ne sommes ni des Américains, ni des Scandinaves, ni des Suisses, et, seules, quelques-unes de nos écoles primaires de village, dans les régions lointaines et primitives où elles existent encore, peuvent affronter impunément ce régime contraire à nos préjugés, à nos usages et à notre tempérament.
Laissons l’Amérique se vanter, en attendant qu’elle vieillisse à son tour, d’être le champ le plus favorable à tous les genres d’expérimentations, et bornons-nous à suivre du regard ces tentatives dont le péril même nous intéresse, dont la naïveté nous fait quelquefois sourire. D’ailleurs l’Amérique elle-même ne se hâte pas de détruire ce qu’elle possède sous prétexte de le perfectionner. C’est à très juste titre que ses écoles publiques sont considérées comme l’un des plus puissans instrumens de la démocratie ; aussi les méthodes nouvelles sont-elles essayées à côté, de manière à ne rien ébranler avant l’heure. Par exemple, l’école dite de l’Ouvrier, fondée à New York en 1878, se charge de pousser vers des spécialités appropriées à leur goût les enfans, de quelque situation sociale qu’ils soient, qui ne montrent pas de dispositions scientifiques ou littéraires. Chez chacun existe un filon précieux qu’il peut réussir à exploiter, pourvu qu’on l’aide d’abord à le découvrir.
Autre invention toute neuve : les écoles de vacances, qui procurent des occupations récréatives aux enfans pauvres pendant le temps qu’ils passeraient à vagabonder en oubliant ce que leur enseigne l’école le reste de l’année. On les fait jardiner, on leur apprend au moyen d’excursions dans la campagne la géographie locale, les rudimens de la géologie et de la botanique, on les habitue à se fabriquer des jouets, à devenir adroits de leurs mains.
Ce qui est intéressant, c’est la part prise par la femme aux réformes proposées tant en Angleterre qu’en Amérique. Les congressistes ne se lassent pas de le répéter : le monde en général a été partout, jusqu’ici, un monde d’hommes où dominaient les méthodes masculines, les qualités masculines bonnes et mauvaises, un idéal masculin : la femme est appelée enfin à dire son mot, et ce ne sera certainement pas en pure perte. Dans les écoles professionnelles, pour commencer, son assistance est sans prix. La Grande-Bretagne doit à ces écoles d’avoir, depuis vingt-huit ans, réhabilité chez elle la science domestique trop longtemps tenue en discrédit. L’Allemagne a, elle aussi, ajouté l’enseignement technique aux aptitudes naturelles de ses filles pour tous les travaux de l’intérieur. En Belgique, ce même enseignement prospère, créé par l’initiative privée, puis encouragé par le gouvernement ; en 1883, il n’existait que deux écoles ménagères avec 90 élèves ; en 1898, leur nombre s’était élevé à 545, fréquentées par plus de 9 000 jeunes filles.
Je parlais tout à l’heure de l’éducation universitaire au Canada ; mais 7 pour 100 tout au plus des élèves de l’école publique montent jusqu’aux études supérieures, Restent 93 pour 100 qui, sagement, se tournent vers l’éducation manuelle.
La Suède se glorifie de ses Arbetsstugor. Le premier fut fondé (1887) par fru Hirta Reytius, qui explique son fonctionnement au Congrès. À présent toutes les paroisses en ont un. C’est l’œuvre de prédilection des dames suédoises. Les enfans y apprennent divers métiers simples.
Deux fois l’an, les objets fabriqués sont vendus dans une espèce de bazar, grâce aux dons volontaires, aux contributions de la paroisse ou de la municipalité, quinze cents élèves sont, après douze ans d’expérience, éduqués et nourris dans les Arbetsstugor de Stockholm. La Suède oppose avec fierté cette année d’enfans pauvres disciplinés aux jeunes criminels des autres pays. L’assistance à la classe n’est pas obligatoire, mais ils viennent assidûment et de bon cœur, l’amour du travail se développant chez eux de plus en plus.
L’école, en ce cas, supplée souvent à la famille ; elle est la collaboratrice de l’Eglise ; elle se propose surtout de préparer à la lutte pour l’existence des âmes saines dans des corps sains.
Peut-être devrait-on, en revanche, reprocher parfois leurs programmes trop ambitieux à des écoles qu’il est impossible de passer ici sous silence, tant est important le rôle que les femmes y ont joué comme éducatrices : les écoles fondées aux États-Unis pour la classe de couleur. Après de longs siècles de barbarie et deux cent cinquante ans d’esclavage en Amérique, la race noire, au lendemain de la guerre civile, reçut le bienfait de l’instruction. Alors il n’y avait pas une négresse sur 4 500 000 qui fût capable de signer son nom. Une loi défendait à l’esclave de s’instruire. Côte à côte avec les hommes et les enfans, les femmes apprirent à lire, et aujourd’hui 2 500 000 élèves de couleur fréquentent les écoles du Sud, 35 000 professeurs sont sortis des diverses Universités à leur usage.
Sur ce chapitre de l’éducation, il me faut à regret laisser de côté plus d’un passage intéressant, par exemple « les avantages et les inconvéniens des examens, » « les bienfaits de l’éducation physique, » dont le souci a fait surgir en Suède un système de gymnastique universellement, répandu et professé avec succès par les femmes.
Je suis heureuse de pouvoir citer, à propos de la discussion sur l’éducation du personnel enseignant dans les différens pays, l’excellent rapport de Mme Marion, directrice de notre école de Sèvres. Elle a relevé comme il convenait le mot de training, qui est revenu plus que tous les autres, revenu jusqu’à satiété, dans les différens discours. Ce mot, qui s’applique à la fois en Angleterre à la préparation d’un professeur, au dressage d’un cheval et à rentrai ne ment d’un jockey, est intraduisible en français, parce qu’il ne représente rien de ce que nous avons en France. Pour nous, dit Mme Marion, ce training du futur professeur m ; se compose pas des différens procédés par lesquels les élèves s’instruisent sur des points techniques… Ce que nous appelons ainsi, c’est le but supérieur de toute étude, le pli donné à l’esprit, non pas pour le plaisir d’apprendre en lui-même ou la seule recherche de la science, mais avec la pensée constante de guider et de former un jeune esprit, le dressage moral, si vous voulez, opposé au dressage technique.
Avec beaucoup de tact, Mme Marion a démontré, sans comparaison désobligeante, que le système de l’éducation des filles en France repose surtout sur la nécessité de les laisser dans l’atmosphère de la famille où elles sont initiées tout naturellement aux devoirs et aux occupations de la vie, d’une vie de femme sérieuse et utile. Elle a donné de l’Ecole de Sèvres, sur laquelle son influence doit certes être des meilleures, une idée très haute en exposant combien y est développé avant tout le sentiment de la responsabilité, l’habitude de penser d’une façon personnelle et indépendante. L’éducation de ces jeunes filles qui se destinent à renseignement ne s’accomplit pas par des leçons, mais dans tous les actes de la vie, conversations et amusemens compris. En repoussant avec énergie le préjugé trop répandu sur l’indifférence ou même l’hostilité que rencontrent dans nos écoles les questions religieuses, Mme Marion a non seulement édifié les étrangères sur un point capital, mais rassuré beaucoup d’entre nous qui avions besoin d’entendre ses affirmations formelles sur l’esprit de tolérance régnant à l’Ecole de Sèvres, tolérance étroitement liée à une fermeté de principes qui n’exclut pas d’ailleurs le respect de l’opinion d’autrui.
Mais les droits de la femme proprement dits, droits civils, droits politiques ?… Eh bien ! il résulte des rapports du Congrès que les incapacités civiles qui, la plupart du temps, faisaient d’elle une mineure sont en train de disparaître. Avant que la loi de 1870 lui assurât ses gains professionnels, la femme anglaise avait les mains liées autant qu’aucune autre, et déjà elle est arrivée à s’affranchir sur tous les points essentiels. De même en Russie, les femmes, longtemps soumises à un esclavage quasi oriental, possèdent aujourd’hui des privilèges supérieurs à ceux de leurs pareilles d’Occident ; elles ont sur la propriété commune les mêmes droits que leur mari et sont généralement favorisées en cas de séparation. La législation civile en Allemagne vient de subir de grands changemens : jusqu’en 1900, il y avait non seulement des lois spéciales pour chaque partie de l’Empire, mais des lois locales pour les divers districts, pour les différentes villes. Le nouveau Code assure aux femmes quelques-uns des droits qu’elles, réclamaient, particulièrement en ce qui concerne la tutelle des enfans et des incapables, qui, ne fussent-ils pas de leur famille, peuvent leur être confiés par les parens et par les tribunaux.
Aux Etats-Unis, en Angleterre, en Hongrie, en Russie, en Scandinavie, dans quelques parties de l’Autriche, la complète séparation de biens est admise comme loi de la propriété des femmes mariées. En France, la femme majeure et célibataire est légalement, sinon de fait, aussi bien partagée que l’homme adulte. Il est vrai que, mariée, sa situation est beaucoup moins avantageuse. Mais une loi récente l’autorise à figurer comme témoin dans les actes civils ; une autre loi, ébauchée tout au moins, et cela grâce à l’active intervention d’une femme. Mme Schmahl, va lui permettre de toucher le produit de son travail personnel et d’en être seule maîtresse. On voit poindre le temps où la femme, sans révolution appareille, jouira de ses droits civils, pourvu qu’elle sache attendre, se borner aux réformes qui sont dans l’air, selon la très juste expression de Mme d’Abbadie d’Arrast, membre du comité de notre Congrès des œuvres et institutions féminines, qui n’inscrivit dans son programme rien de chimérique ni même de trop ambitieux, se tenant, sauf exception rare, à des questions que déjà l’opinion est bien près d’accepter et qui, en tout cas, ne sont en opposition ni avec les usages ni avec les mœurs. C’est dire qu’il a laissé de côté les droits politiques. Au Congrès international de 1899, comme au Congrès de la condition et des droits de la femme qui vient de se clore à Paris, les droits politiques, au contraire, furent énergiquement revendiqués. La présence à Londres d’une des grandes agitatrices qui, depuis près d’un demi-siècle, plaident en Amérique la cause du suffrage vraiment universel, la vénérable Susan Anthony, contribuait à exalter les esprits.
L’exemple de l’Amérique est en effet de nature à justifier toutes les espérances les plus hardies. Lorsqu’en 1848 les femmes y prirent la parole dans la fameuse conférence de Seneca Falls, la foule les traita d’insensées ; du liant de la chaire, les prédicateurs tonnèrent contre elles ; et pourtant, aujourd’hui, dans vingt-cinq États les femmes ont voix délibérative aux conseils de l’instruction publique ; dans quatre, aux conseils locaux ; dans un État, elles ont le suffrage municipal, et dans plusieurs, un vote en matière d’impôts ; dans quatre États enfin, elles ont le suffrage complet.
Rien de tout cela n’a provoqué de tremblement de terre ni troublé la paix de la famille. Pourquoi n’en serait-il pas de même dans le reste du monde ?
Parce que tous les pays du monde ne se ressemblent pas entre eux ; parce que les lois doivent suivre les mœurs. Dans la Nouvelle-Zélande, les électeurs en jupes ne font pas plus mal leur métier que les électeurs barbus, soit. Reste à savoir si la France, l’Allemagne et l’Italie sont organisées sur le patron de la Nouvelle-Zélande. L’Angleterre elle-même ne se croit pas obligée d’imiter ses colonies australiennes, bien que leur population blanche ressemble beaucoup à celle de la mère patrie ; non, elle est placée dans des conditions différentes et en tient compte. L’Angleterre, cependant, accorde aux femmes le droit de voler sur le même pied que les hommes dans les conseils de paroisse, sortis, au point de vue séculier, des anciens conseils de fabrique, dans les conseils de districts, les conseils scolaires, etc. Et non seulement les femmes votent, mais elles peuvent être candidates à l’occasion et même présider. En Écosse, elles ont cinq voix dans les conseils municipaux et une voix dans le conseil de l’instruction publique. Mais tout cela est un héritage de l’antique loi commune, si profondément anglo-saxonne ; tout cela, tient au passé par des racines solides ; et il ne semble pas que ces droits soient près de s’accroître.
En Amérique même, il ne faudrait pas croire que le scrutin fût réellement réclamé, par la majorité des femmes. La preuve, c’est qu’au Congrès international de Londres, au milieu d’une très vive désapprobation, il est vrai, lecture a été donnée de la protestation du parti anti-suffragiste. Cette protestation venait des États-Unis mêmes ; depuis 1895, nue majorité, silencieuse jusque-là, a jugé bon de manifester contre le groupe très éloquent et très zélé qui se portait garant des revendications de toutes les femmes. L’opposition est fondée sur les différences physiologiques entre les deux sexes. Les anti-suffragistes aspirent au développement aussi complet que possible de la femme en tant que femme ; elles veulent le partage égal de tous les privilèges, mais le scrutin n’est pas un privilège ; c’est une obligation qui entraîne certains services rendus à l’Etat, lesquels exigent la force physique qu’elles n’ont point. En méconnaissant ces lois de la nature, les femmes compromettraient gravement d’autres devoirs qui leur incombent et qui, dans la vie économique de l’Etat, ont une importance égale à celle des devoirs différens de l’homme.
Et la mère du mouvement féministe allemand, Louise Otto, tout en proclamant la nécessité du suffrage, faute duquel, à l’en croire, la femme n’arrivera que bien lentement, si elle y arrive jamais, à faire reconnaître ses droits, a insisté jusqu’à sa mort, récemment survenue, pour qu’une revendication prématurée ne fût pas soumise au Parlement. Elle y voyait un double péril : déchaîner la violence chez des hommes rompus depuis tant de siècles à l’absolutisme, et augmenter encore la timidité des femmes résignées à l’effacement depuis des siècles aussi.
Par bon sens d’une part, par prudence de l’autre, le mouvement est donc contenu des deux côtés de l’Atlantique. Ceci posé, il n’y a aucun inconvénient à souhaiter avec lady Henry Somerset qu’on fasse chez la femme l’éducation de la responsabilité. Elle en appelle aux grandes souveraines : Elisabeth, Marie-Thérèse, Catherine II, Marguerite d’Autriche, la reine Victoria. Elle en appelle surtout au Christ, qui fut le premier à placer hommes et femmes sur un terrain égal. Et elle s’écrie : « L’influence de la femme est en proportion de son attachement au christianisme, qui fut le vrai mouvement féministe. »
Qu’en disent telles lumières du parti, qui refusent même au christianisme d’avoir été un fait historique grandiose et bienfaisant ?
La dernière séance du Congrès de Londres finit sur cet élan de ferveur religieuse. On se souvient malgré soi d’un passage de Taine dans ses Notes sur l’Angleterre, justes aujourd’hui comme elles l’étaient alors. Parlant des ouvriers envoyés par les trade-unions aux élections pour haranguer le peuple, il les montre parfaitement libres de tout dire, pourvu qu’ils respectent l’Eglise, le clergé, le pasteur, pourvu qu’ils respectent la Reine, la constitution, la hiérarchie. — Il est très vrai que ceux-là mêmes qui n’ont d’autre religion que la religion de l’humanité sont encore respectueux dans leur agnosticisme, qui n’est pas une négation, bien moins une attaque aux croyances d’autrui. Voilà pourquoi nous souhaiterions que nos divers congrès de femmes envoyassent le plus de déléguées possible au prochain congrès international. Elles y acquerraient peut-être, par le contact et l’exemple des étrangères, les qualités essentielles dont on manque chez nous dans toutes les assemblées où se glisse la politique, — ces assemblées fussent-elles masculines.
La femme glorifiée de l’avenir nous apparaît sous les traits de la comtesse d’Aberdeen, présidant la grande réunion publique de l’arbitrage international dans un vaisseau immense, étincelant de lumières et paré de fleurs, au milieu des principales déléguées du Conseil et de tout ce que les amis de la paix comptent de plus éminent parmi les membres de la Chambre des communes et du clergé. Les chœurs religieux de Hændel et de Mendelssohn alternent avec un admirable discours de l’archevêque Ireland ; avec la lecture d’une éloquente adhésion envoyée au nom de l’Eglise catholique par l’archevêque de Westminster, le primat d’Irlande et le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore ; avec un message de la baronne de Suttner, celle avocate inspirée de la paix universelle ; avec un discours de Mrs May Wright Sewall, qui signale la protestation faite au président Mac Kinley par les femmes d’Amérique contre la guerre de Cuba, l’envoi d’une lettre de gratitude au tsar signée par 75 000 citoyennes des Etats-Unis, et enfin la sympathie exprimée à la Conférence de la Haye par 175 000 femmes du même pays. L’Amérique n’est pas seule à prendre la parole : l’Allemagne, la Norvège, la Hollande, ont chargé de leurs vœux Mmes Seleuka, Krog et de Waszkiewitz von Schilfgaarde ; des Italiennes de tout rang ont envoyé leurs « résolutions ; » Mme Cheliga se fait l’interprète des 600 000 membres de la Ligue des femmes pour le désarmement international, dont le centre est à Paris.
Et des lettres sont lues, chaleureuses, innombrables, et la musique des anges s’en mêle. Une jeune cantatrice canadienne chante à ravir le Jour sans Fin, la vision d’une cité céleste où le mal sera vaincu.
Voilà la femme dans son rôle de tous les temps, dans son rôle idéal, celui que Gœthe attribue à l’éternel féminin. Rien n’y manque, pas même un reste de l’inconséquence traditionnelle, car, avant toutes choses, la constitution du Conseil international lui défend la propagande, de quelque nature qu’elle soit. Mais lady Aberdeen, appuyée sur le consentement unanime des conseils nationaux fédérés, juge que le mouvement de la paix a dépassé l’ère de la controverse. Elle déclare qu’un nouveau genre de patriotisme a commencé pour la femme ; celle-ci enseignera désormais à ses fils soldats qu’ils existent pour maintenir la paix, jusqu’au jour béni où nous n’aurons plus besoin d’armées. Hélas ! la touchante et poétique réunion de Queen’s Hall, comme l’imposante Conférence de la Haye, devait aboutir à la guerre que l’on sait, à quelque chose de pis que la guerre, l’anéantissement d’une nationalité ; et, sans doute, pas plus que les Anglais, les Anglaises n’ont pardonné à la France l’indignation qu’elle en a témoignée, puisque, aux congrès tenus à Paris, elles se sont fait remarquer par leur absence. Ce sont là des inconséquences, je le répète, mais le bon grain est jeté néanmoins ; il lèvera dans une certaine mesure. Nous croyons, nous savons qu’aucune aspiration vraiment noble n’est perdue.
TH. BENTZON.