Le Comte d’Amboise/Au lecteur

chez Claude Barbin (1p. 9-14).

AU
LECTEUR.

ON a trouvé que dans ma premiere Nouvelle il y avoit des endroits où la Nature n’eſtoit pas aſſez bien copiée, & qui tenoient plus de la penſée que du ſentiment. Quoy que je ne ſois pas honteuſe de ce reproche, j’ay taſché cependant ſur les Remarques qu’on m’a faites, à porter mes veües juſqu’à faire la difference d’une veritable paſſion, d’avec ce qui n’en est qu’une idée trop raiſonnée. Et j’eſpere qu’on trouvera cette Hiſtoire plus naturelle que l’autre, par les ſentimens. Auſſi on la trouvera plus extraordinaire par l’action ; & je croy que ce n’eſt pas un deffaut, car quoy que les gens d’un goût mediocre ſoient accoûtumez à trouver ridicule tout ce qui n’eſt pas ordinaire, les gens de beaucoup d’eſprit, trouvent du dégoût aux choſes communes. Il leur ſemble qu’ils voyent toûjours le meſme Roman, parce qu’ils voyent toujours de ſemblables traits. Ie me flate que l’on n’a point encore vû ce trait-cy ; & meſme ſi j’ay quelque chose à craindre, c’est qu’il ne ſoit trop peu vray-ſemblable qu’un Amant ſoit genereux. La maniere dont on parle des Amans donne lieu à ce ſcrupule ; mais aprés tout ce n’est qu’un ſcrupule, ſur lequel je paſſe en ſaveur de ce qu’il y a de grand dans cette idée. Peut-eſtre ſe plaindra-t-on de ce que je ne recompenſe pas la vertu du Comte d’Amboise, mais je veux punir ſa paſſion, & j’ay déja declaré dans la Préface d’Eleonor d’Yvrée, que mon deſſein eſtoit de ne faire voir que des Amans malheureux, pour combatre autant qu’il m’eſt poſſible, le penchant qu’on a pour l’Amour.