chez Claude Barbin (1p. 1-198).

LE
COMTE
D’AMBOISE


NOUVELLE.
Livre Premier.

LE Regne de François ſecond ſembloit dans ſes commencemens devoir eſtre agréable & heureux. La Reine ſa femme eſtoit une des plus belles & des plus ſpirituelles perſonnes du monde ; ſa Cour eſtoit compoſée d’une partie de ces Hommes illuſtres qui avoient formé celle de Henry ſecond, & les Dames avoient autant d’agrément, que les Hommes avoient de valeur : Le Comte d’Amboiſe, & le Marquis de Sanſac s’y faiſoient diſtinguer ; leurs Familles avoient toûjours eſté oppoſées d’intereſt, & quoy qu’ils ne fuſſent pas ennemis declarez, ils avoient une certaine émulation qui ſembloit devoir avoir quelque ſuite. Ils eſtoient tous deux également bien faits, rien ne pouvoit eſtre diſputé à l’un que par l’autre ; auſſi ſembloit-il qu’ils dûſſent ſe diſputer toutes choſes.

La Comteſſe de Roye eſtant veuve, s’eſtoit retirée à deux lieuës de Paris à une maiſon de campagne, où elle ne recevoit de viſites que de quelques amis particuliers. Elle avoit une fille parfaitement belle, qui n’avoit point encore parû. Elle vouloit la marier avant que de la mener à la Cour, & elle choiſit le Comte d’Amboiſe entre tous ceux qu’on luy propoſa. Ce mariage qui eſtoit également avãtageux pour luy & pour Mademoiſelle de Roye, fut arreſté avant meſme qu’ils ſe fuſſent vûs ; mais comme elle avoit la reputation d’eſtre fort belle, Monſieur d’Amboiſe ſe fit un grand plaiſir de penſer qu’elle ſeroit à luy ; & l’on peut dire que le deſir & l’eſperance formoient déja dans ſon cœur un commencement de paſſion, avant qu’il en eût vû l’objet.

Bien que Mademoiſelle de Roye dût avoir pris cette eſpece d’indolẽce que la ſolitude dóne ordinairement, la vivacité de ſon eſprit luy faiſoit ſaiſir aisément les premieres impreſſions qui luy eſtoient données, & ce qu’elle entendoit dire à ſa mere, de la bonne mine, de l’eſprit & de la generoſité du Comte, la rempliſſoit d’une eſtime qui la diſpoſoit à quelque choſe de plus.

Le jour qu’il devoit luy faire ſa premiere viſite, elle s’eſtoit parée avec plus de ſoin qu’à l’ordinaire, & elle eſtoit d’une beauté à charmer tous ceux qui la voyoient. C’eſtoit un de ces agreables jours d’Eſté qui invitent à ſe promener. Le Soleil qui n’avoit point parû, laiſſoit une fraîcheur delicieuſe ; & Mademoiſelle de Roye ſe promenoit dans une des avenuës de la maiſon, avec deux Dames des amies de ſa mere, qui eſtoient venuës dîner avec elles. Comme il eſtoit aſſez bonne heure pour n’attendre pas encore le Comte d’Amboiſe, & que Madame de Roye eltoit occupée de quelques affaires, elle fut bien aiſe que la promenade les amuſât durant le temps qu’elle ſeroit obligée d’y donner. Elles avoient déja atteint le bout d’une allée où eſtoit un cabinet ouvert de tous coſtez, fort agreable, & dans lequel elles alloient entrer pour s’aſſeoir, lors qu’elles apperçeurent un Cavalier qui mettant pied à terre, laiſſa ſes gens derriere luy, & s’avança vers elles. À meſure qu’il s’aprochoit, elle remarquoit ſa taille & ſon air, qui luy parurent dignes de toute l’attention qu’elle leur donnoit. Elle ne douta point que ce ne ſût Monſieur d’Amboiſe ; il venoit au jour marqué, ſon empreſſement ne pouvoit luy déplaire. La bonne mine de celuy qu’elle voyoit, répondoit à l’idée qu’elle s’eſtoit faite du Comte. Ces Dames qui eſtoient avec elle, ne le connoiſſoient point, parce qu’elles n’eſtoient pas de la Cour. Elles avoient apris qu’on l’attendoit ce jour là, & elles crurent auſſi que c’eſtoit luy. Elles luy dõnerent des loüanges qui aiderent encore à la prevenir en ſa faveur.

Mademoiſelle de Roye trouva ſon devoir bien doux, elle ſe haſta peut-eſtre un peu trop de le ſuivre ; c’eſtoit Monſieur d’Amboiſe qui luy devoit inſpirer cette joye que donne la premiere rencontre de ce qui doit plaire ; & c’eſtoit pour le Marquis de Sanſac qu’elle la ſentoit. Le hazard l’avoit conduit en ce lieu, il venoit de chez une Dame de ſes parentes, & s’eſtant trouvé proche de la maiſon de Madame de Roye comme il avoit entendu parler de la beauté de ſa fille, il prit l’occaſion de leur faire une viſite. Il n’avoit point vû Madame de Roye depuis la mort de ſon mary ; Elle vivoit dans une ſi grande retraite, qu’on n’avoit encore oſé la troubler ; cependant aprés un an de veuvage, il crût qu’elle ne feroit pas de difficulté de le recevoir.

Il s’approcha de ces Dames, & quoy qu’il n’en connût aucune, il leur dit tout ce que la politeſſe & la galanterie luy inſpirèrent en cette rencontre, mais il diſtingua d’abord Mademoiſelle de Roye des autres. Auſſi quoi que l’une d’elles eût de la jeuneſſe, & meſme de la beauté, celle de Madamoiſelle de Roye eſtoit ſi parfaite qu’on ne pouvoit regarder qu’elle en un lieu où elle eſtoit ; Elle trouva je ne ſçay quoy d’agreable dans cette avanture qui luy donna envie de la faire durer. Elle pria ces Dames de ne point dire ſon nom, & ſçachant que les affaires qui retenoient ſa mere, ne ſeroient pas ſi-tôt finies, elle propoſa à la compagnie d’aller s’aſſeoir dans le Cabinet.

Le chemin que le Marquis de Sanſac avoit tenu, ne permettoit pas de douter qu’il n’allaſt chez Madame de Roye ; il ne ſe deffendit point d’avoir eu ce deſſein, & ces Dames ſe confirmant dans la penſée qu’il fût Monſieur d’Amboiſe, luy firent pluſieurs queſtions fines ſur Mademoiſelle de Roye, qui luy firent juger qu’elles le prenoient pour ce Comte, qu’il ſçavoit eſtre ſur le point de l’épouſer. Elles luy demanderent s’il n’avoit rien à ſe reprocher, de s’amuſer avec elles lors qu’il eſtoit ſur le point de voir une ſi belle perſonne. Elle rougit malgré elle, d’une maniere qui aida à le perſuader qu’il ne s’eſtoit pas trompé quand il avoit penſé qu’elle eſtoit Mademoiſelle de Roye.

Le lieu où il la rencontroit, & ſon extraordinaire beauté, luy en avoient déja donné de grands ſoupçons ; il n’en douta plus, il jugea meſme par ce qu’on luy diſoit, qu’elle n’avoit point encore vû le Comte d’Amboiſe, & qu’on l’attendoit. L’avanture luy parut agreable à ſon tour, cette erreur le faiſoit regarder favorablement d’une belle perſonne, il prit le party de ne pas répondre poſitivement pour ne les deſabuſer point, & pour pouvoir auſſi ſe tirer de ce pas lors qu’elles viendroient à le connoître. On ne ſçauroit, dit-il, avoir une plus grande idée de la beauté de Mademoiſelle de Roye, que j’en ay, cependant j’ay peine à croire qu’elle ſoit au deſſus de ce que je vois icy, ajouſta-t’il en la regardant d’une maniere qui la perſuadoit qu’il en eſtoit touché. Elle prenoit un plaiſir tres-ſenſible à ce qui ſe paſſoit, & elle eſtoit flatée de ce prompt effet de ſes charmes, d’une maniere qui aidoit encore à la rendre favorable à celuy qui luy en faiſoit connoître le pouvoir. Ils avoient déja eſté une heure dans ce Cabinet, lors qu’une groſſe pluye les y tint aſſiegez. Perſonne n’en fut fâché, la converſation eſtoit ſi brillante, qu’il ne leur étoit pas poſſible de ſonger au temps qu’ils y demeuroient. Monſieur de Sanſac avoit un agrément infiny dans ſa perſonne, & dans tout ce qu’il diſoit, & ſa vivacité naturelle étoit encore augmentée parce qu’il y avoit de piquant dans cette rencontre.

Mademoiſelle de Roye étoit charmée de le trouver ſi digne de luy plaire, leurs yeux ſe rencontrerent plus d’une fois d’une maniere qui la fit rougir, & qui luy fit enſuite éviter ceux de Monſieur de Sanſac. En effet bien qu’elle crût qu’il eſtoit le Comte d’Amboiſe, & qu’elle devoit l’épouſer, elle ſentoit ſans le démeſler, je ne ſçay quoy d’indépendant de ſon devoir. Elle eut tout le loiſir de s’abandonner à une erreur qui luy devoit eſtre ſi fatale dans la ſuite : car l’orage ne ceſſoit point, & ils ne pouvoient ſortir du Cabinet. Enfin Monſieur d’Amboiſe arriva, & comme il vit des Dames dans le Cabinet, il y entra, penſant que ce fût Madame & Mademoiſelle de Roye.

Il n’y trouva point cette Comteſſe qu’il avoit veuë à la Cour ; mais il reconnut auſſi-toſt ſa fille au portrait qu’on luy en avoit fait, & ſur les meſmes apparences qui avoient déja fait croire au Marquis de Sanſac, que c’eſtoit elle ; de ſorte qu’il luy adreſſa ſes complimens. Cependant comme il pouvoit ſe tromper, & que la preſence de tant de perſonnes le retenoit, il ne luy dit rien qui marquaſt préciſément qu’il eſtoit celui qu’elles attendoient.

Il ne meritoit pas moins que le Marquis de Sanſac d’occuper cette Compagnie. Une taille agréable & au deſſus de la mediocre, un air noble, je ne ſçay quoy de fin & de paſſionné, le rendoient trés capable de plaire. Ces Dames luy rendirent toute la juſtice qui luy eſtoit deuë ; mais Mademoiſelle de Roye fut fâchée d’eſtre déja contrainte de douter qui des deux eſtoit ſon Amant : Elle les regarda l’un & l’autre, comme pour leur demander lequel elle eſtoit obligée d’aimer ; mais c’eſtoit avec une certaine difference qui ſembloit marquer qu’elle eût bien voulu que c’eût eſté Monſieur de Sanſac.

La plus âgée de ces Dames, qui voyoit l’embarras de cette jeune perſonne, jugea qu’il falloit le faire ceſſer. Comme les Femmes de Mademoiſelle de Roye avoient eſté contraintes de ſe retirer dans le Cabinet, à cauſe de la pluye, elle envoya l’une d’elles demander le nom de Monſieur d’Amboiſe à ſes Gens, & l’ayant ſçu, elle le fit connoiſtre à Mademoiſelle de Roye.

Cette jeune perſonne ne pût s’empeſcher de le regarder avec plus de froideur que naturellement elle ne devoit en avoir. La vivacité de la converſation avoit animé ſon viſage, & augmentoit encore ſa beauté ; Monſieur d’Amboiſe la conſideroit avec l’intereſt d’un homme à qui elle eſtoit deſtinée, & malgré l’idée qu’il avoit conceuë d’elle, il trouvoit lieu d’eſtre ſurpris ; mais la maniere dont elle le receut, ne luy permit pas de goûter ce charme qu’excite dans le cœur la naiſſance d’une paſſion, & l’amour luy dénia juſqu’à ſon premier plaiſir.

Elle regarda, ſans s’en appercevoir, Monſieur de Sanſac avec moins de précaution qu’auparavant, comme ſi elle luy eût dit adieu par ce regard, & qu’elle fût devenuë plus hardie lorſqu’il luy falloit ôter l’eſperance, qu’elle ne l’avoit eſté un moment plûtoſt, lors qu’elle avoit crû pouvoir luy en donner.

Monſieur d’Amboiſe avoit les yeux trop attachez ſur Mademoiſelle de Roye, pour ne pas ſuivre les ſiens ; peut-étre auſſi que l’oppoſition naturelle de Sanſac & de luy, avança ſes craintes, enfin il ſoupçonna une partie de la verité.

L’orage continüoit toûjours, & Madame de Roye qui avoit achevé les affaires qui l’avoient retenuë, les vint reprendre dans ſon Carroſſe. Elle ne s’attendoit point de trouver le Marquis de Sanſac dans ce lieu. Cependant elle ne manqua pas de luy faire beaucoup de civilités. Cette Comteſſe marqua à Monſieur d’Amboiſe toute l’eſtime qu’elle avoit pour ſon merite, & la joye où elle eſtoit de le voir ; mais ces honneſtetez ne luy ôtoient pas l’idée deſagreable qu’il avoit priſe malgré luy.

Madame de Roye les mena dans ſon appartement, & les divers mouvemens qui partageoient cette compagnie, y firent naître quelque ſorte d’ennuy. Le Comte d’Amboiſe qui nacurellement n’aimoit pas Sanſac, trouvoit la viſite de ce Marquis trop longue. Peu s’en faloit que Monſieur de Sanſac ne trouvaſt la même choſe de celle du Comte d’Amboiſe, quoiqu’il n’ignoraſt pas le deſſein qui l’amenoit, cependant il falut qu’il luy cedaſt la place.

Les Dames s’en allerent auſſi, de ſorte que le Comte d’Amboiſe demeura le dernier. Il marqua à Mademoiſelle de Roye combien l’avantage de luy eſtre deſtiné le charmoit, mais il luy dit en même temps que s’il n’eſtoit pas aſſez heureux pour toucher ſon cœur, il ſe trouvoit fort à plaindre. Mademoiſelle de Roye luy repondit qu’elle n’avoit point de cœur à donner, mais ſeulement un devoir à ſuivre. L’air dont elle prononça ces paroles n’eſtoit pas propre à donner des eſperances à un Amant. Elle prit peu de ſoin de ſoûtenir la converſation, mais elle laiſſa voir aſſez d’eſprit pour achever ce que ſa beauté avoit commencé, & aſſez de difficultez à la poſſeſſion de ſon cœur, pour rendre la paſſion du Comte d’Amboiſe trés-vive dés ce jour-là.

Lors que Mademoiſelle de Roye fut ſeule, elle demeura dans une profonde rêverie, & quoiqu’elle ne démêlaſt pas encore ſes ſentimens, à l’égard de Monſieur d’Amboiſe & de Monſieur de Sanſac, il luy ſembloit neanmoins que ce dernier eſtoit le plus aimable.

De ſon côté il avoit eſté frapé de la beauté de Mademoiſelle de Roye. Il avoit remarqué que ſa converſation ne luy déplaiſoit pas, & qu’elle avoit reçû le Comte d’Amboiſe avec aſſez de froideur, de ſorte qu’il ne remportoit que des idées agreables.

Il parla d’elle à la Cour avec de ſi grands éloges, que la Reine eut de l’impatience de la voir, & comme il avoit fceu de Madame de Roye, qu’elles ne reviendroient pas fi-tôt de la campagne, il le dit à la Reine qui témoigna en eſtre fâchée.

Sanſac qui ne cherchoit qu’un pretexte pour retourner chez Madame de Roye, ſe fit un plaiſir de luy aller apprendre les fentimens de la Reine ; il vit Mademoiſelle de Roye une ſeconde fois, il crut démêler quelque joye dans ſes yeux, il luy dit mille choſes, que les diſpoſitions où elle eſtoit pour luy, luy faiſoient entendre facilement, & qui ne pouvoient cependant déplaire à Madame de Roye. Le Comte d’Amboiſe qui eſtoit en droit de les aller voir ſouvent, arriva dans le temps que Monſieur de Sanſac en ſortoit. Une ſeconde viſite de ce Marquis le chagrina. Son inquiétude qui parut malgré luy à Mademoiſelle de Roye, le luy fit trouver biſarre, & acheva de le perdre auprés d’elle.

Elle ſentit ſon éloignement pour luy avant que de connoiſtre que Sanſac en eſtoit la cauſe. Les ſoins que le Comte luy rendoit luy devinrent incommodes, & luy donnerent d’abord une repugnance pour luy qu’elle combatoit en vain. Un Amant pour qui l’on eſt obligée d’avoir des égards, ſe fait toûjours beaucoup haïr, quand il ne ſe fait pas aimer.

Le Comte d’Amboiſe s’appercevoit bien que Mademoiſelle de Roye ne l’aimoit pas, il en ſoupçonnoit la cauſe, & ſuivant la coûtume des Amans malheureux, il cherchoit à s’éclaircir plus particulierement de ce qu’il ne ſçavoit pas aſſez pour eſtre tout à fait miſerable.

Un jour que le Roy étoit à la promenade, & que toute la Cour le ſuivoit, ce Comte voyant que Sanſac eſtoit à quelques pas de la foule, s’approcha de luy pour parler de Mademoiſelle de Roye. Mais quoiqu’ils euſſent également envie de parler d’elle, aucun d’eux ne pouvoit ſe reſoudre à commencer. Enfin d’Amboiſe ſuivit ſon deſſein, il la loüa beaucoup, mais Sanſac la loüa peu, autant peut eſtre pour n’eſtre pas d’accord avec ſon Rival, que de peur de ſe découvrir. Cependant le Comte d’Amboiſe n’eſtoit pas en eſtat de ſe raſſurer, il auroit eſté inquiet ſi le Marquis de Sanſac avoit trop admiré Mademoiſelle de Roye, & il le fut encore de ce qu’il ne vouloit pas l’admirer aſſez.

Peu d’heures aprés, ſa jalouſie fut entierement confirmée. Le ſoir chez le Roy, la converſation s’étant tournée ſur la beauté de quelques femmes de la Cour, le Marquis de Sanſac qui n’étoit plus alors retenu par la preſence de Monſieur d’Amboiſe, ne put s’empêcher de loüer extrêmement Madamoiſelle de Roye, & il en parloit même avec beaucoup de vivacité, lorſque le Comte arriva. Le Roy l’appercevant de loin, voila Sanſac, luy dit-il, en élevant la voix, qui dit plus de merveilles de la beauté de Mademoiſelle de Roye, que vous ne nous en avez jamais dit. Ces deux Rivaux rougirent à ce mot ; cette rougeur fut remarquée ; on leur en fit la guerre le reſte du ſoir, & ils eurent beſoin de tout leur eſprit pour la ſoûtenir. Ils connurent plus particulierement dans cette occaſion tout ce qu’ils en avoient l’un & l’autre, & ils ne s’eſtimerent que pour ſe haïr davantage.

Le Comte de Sanſac pere du Marquis, ſouhaitoit de marier ſon fils à Mademoiſelle d’Anebault, de qui la beauté pouvoit rendre heureux un homme qui n’auroit pas aimé Madamoiſelle de Roye ; il n’oſoit s’oppoſer ouvertement aux volontez de ſon pere, mais il reculoit ce mariage, & il y avoit beaucoup de repugnance. Madame de Roye mena dans ce temps-là ſa fille à la Cour, où elle receut tous les applaudiſſemens qu’elle meritoit.

Elle fit des Amans & des Ennemies. La Comteſſe de Tournon fut de celles à qui ſa beauté donna le plus de chagrin, & qui le diſſimula le mieux. Le Comte de Sancerre la trouva parfaitement aimable, & n’oſa dire qu’il l’aimoit, parce qu’il ne ſoupçonna pas que Monſieur d’Amboiſe pût eſtre haï. Il fit un voyage peu de temps aprés qui luy ſervit à cacher ſa paſſion, mais qui ne l’en guerit pas.

Mademoiſelle de Roye ne tarda guere à apprendre qu’on marioit le Marquis de Sanſac à Mademoiſelle d’Annebault ; elle fut ſurpriſe de cette nouvelle, & encore plus de s’y trouver ſi ſenſible. Malgré elle, elle s’attachoit à la railler, & à luy trouver des défauts.

Le mariage de Monſieur d’Amboiſe eſtoit ſur le point de ſe conclure, lors qu’il y ſurvint des difficultez qu’on n’avoit pas preveuës. Le Roy eut quelque connoiſſance d’un ſoulevement que le Prince de Condé vouloir exciter dans le Royaume, & parce que ce Comte étoit particulierement attaché à luy, on crut qu’il y avoit quelque part, bien qu’on n’eût aucune preuve contre luy, il ſuffiſoit qu’on eût des ſoupçons pour devoir veiller de prés ſur ſes démarches. Il n’étoit point de la politique de luy laiſſer épouſer une parente de la Princeſſe de Condé, avant que ſa conduite fût éclaircie.

Il ſe paſſa beaucoup de choſes durant ce retardement. Madame de Roye ne ſçachant point les ſentimens que Sanſac avoit pour ſa fille, le recevoit comme les autres Gens de la Cour. Cette jeune perſonne s’informoit avec trop de ſoin de ce qui regardoit le mariage de Mademoiſelle d’Annebault, pour ignorer la reſiſtance qu’il y apportoit, & il ne luy eſtoit pas même difficile de comprendre qu’elle y avoit part. L’application qu’elle avoit pour toutes les actions de ce Marquis, la confirmoit à tous momens dans la pensée qu’elle l’avoit touché. Elle ſuivoit ſon penchant avec ſcrupule, mais elle le ſuivoit.

Sanſac remarquoit tous les jours de petits effets de la paſſion de Mademoiſelle de Roye, qui le charmoient ; cependant dans les termes où elle étoit avec Monſieur d’Amboiſe, il n’oſoit luy parler ouvertement de peur de perdre ces marques de ſa tendreſſe s’il la forçoit de les démêler ; mais il fit confidence à Mademoiſelle de Sanſac ſa ſœur, des ſentimens qu’il avoit pour Mademoiſelle de Roye, & il la pria de faire, s’il ſe pouvoit, une étroite liaiſon avec elle, & de tâcher à détruire Monſieur d’Amboiſe dans ſon eſprit, afin que le mariage de ce Comte eſtant déja reculé par des raiſons de politique, le fût encore par l’éloignement qu’elle auroit pour luy.

Mademoiſelle de Sanſac eut d’abord quelque peine à rendre de méchans offices à un homme pour qui elle avoit une eſtime ſinguliere ; mais cette même eſtime la porta inſenſiblement à agir contre ſon mariage. Comme elle avoit beaucoup d’eſprit, & qu’elle étoit ſœur de Sanſac, il ne luy fut pas difficile d’entrer dans un commerce d’amitié trés-étroit avec Mademoiſelle de Roye, qui ne luy cacha point le chagrin où elle étoit, de ſe voir deſtinée à un mary pour qui elle avoit ſi peu d’inclination. Elle rendoit juſtice à ſes bonnes qualitez, mais c’etoit avec une eſpece de dépit. Son mérite luy étoit un reproche ſecret de l’indifference qu’elle avoit pour luy ; Elle le haiſſoit de ce qu’il l’aimoit, & de ce qu’il eſtoit aimable.

Mademoiſelle de Sanſac qui eſtoit fille de la Reine, & celle qui en eſtoit la mieux traitée, luy offrit toute ſa faveur auprés de cette Princeſſe, pour faire en ſorte qu’elle parlaſt à Madame de Roye, afin qu’on rompît ce mariage. Mademoiſelle de Roye qui craignoit de déplaire à ſa mere, s’y oppoſa d’abord avec aſſez de vivacité ; neanmoins elle laiſſa entrevoir que ſi la choſe avoit pû ſe faire ſans ſa participation, elle en auroit eu de la joye.

Il n’en falloit pas davantage pour obliger Mademoiſelle de Sanſac à la ſervir. Elle avoit beſoin d’aller aux Eaux de Spa pour ſa ſanté, & elle vouloit avant que de partir, en parler à la Reine, afin de ne pas manquer le temps d’obliger ſon amie. Quoique Mademoiſelle de Roye fût bien éloignée de luy avoüer l’inclination qu’elle avoit pour ſon frere, c’eſtoit beaucoup qu’elle évitaſt de parler de luy.

La haine du Comte d’Amboiſe pour Sanſac augmentoit extraordinairement. Mademoiſelle de Roye ſans s’en appercevoir donnoit à ce dernier des marques d’une eſtime toute particuliere, qui ne pouvoiẽt échaper à la penetration d’un Amant ; auſſi balançoit-il quelque fois ſur le party qu’il devoit prendre. Il luy eſtoit déſagreable d’épouſer une perſonne prevenuë d’une autre inclination ; la raiſon s’oppoſoit à ce deſſein, mais il eſtoit amoureux. Comment perdre l’eſperance de la voir à luy ? Aprés bien des incertitudes, il voyoit qu’il ne luy étoit pas poſſible de prendre aucune reſolution.

Le Marquis de Sanſac témoigna tant de froideur pour Mademoiselle d’Annebault, qu’elle travailla de ſon côté à éviter de l’épouſer, de ſorte que ce mariage fut rompu. Mademoiſelle de Roye en eut une joye ſi grande, qu’il ne luy fût pas poſſible de la cacher à Mademoiſelle de Sanſac, à qui tous ces mouvemens n’étoient pas indifferens. Elle voyoit ſouvent le Comte d’Amboiſe chez cette amie. Elle l’avoit trouvé auſſi aimable que malheureux & inſenſiblement la pitié l’avoit menée à d’autres ſentimens. Elle entroit toûjours plus fortement dans les intereſts de ſon frere, & même elle croïoit ſervir Monſieur d’Amboiſe, en l’empêchant d’épouſer une perſonne qui le haïſſoit.

Le Comte de Sanſac ſon pere, fut pouſſé par elle à ſouhaiter que ſon fils épouſaſt Mademoiſelle de Roye ; ce qui pouvoit n’étre pas difficile dans la conjoncture preſente. La Maiſon d’Amboiſe n’avoit jamais ménagé les Sanſacs dans aucune occaſion. Les Sanſacs que la faveur rendoit hardis, avoient ſouvent cherché à leur déplaire, de ſorte que rien ne les retint, & Mademoiſelle de Roye eſtoit un party ſi conſiderable, qu’ils entreprirent de faire parler à Madame de Roye ; cependant ils ne voulurent d’abord demander qu’une preference, ſi le mariage de Monſieur d’Amboiſe ne s’achevoit pas. Mademoiſelle de Sanſac pria la Reine de vouloir bien entrer dans cette affaire. Cette Princeſſe le luy promit, & Mademoiſelle de Sanſac partit pour les Eaux de Spa. Aprés cette promeſſe, la Reine luy tint bien tôt parolle ; elle fit des propoſitions à Madame de Roye. Elle luy laiſſa comprendre que l’attachement de Monſieur d’Amboiſe pour le Prince de Condé, le rendoit toûjours ſuſpect, & qu’il eſtoit des partis plus avantageux par la faveur & par l’amitié du Roy ; mais Madame de Roye eſtoit de ces femmes exactes à ce qu’elles ont promis. Les bonnes qualitez du Comte luy avoient donné pour luy une amitié que ſon malheur augmentoit encore. Elle ſupplia la Reine de ſouffrir d’elle tinſt parole à Monſieur d’Amboiſe, & qu’elle eſperaſt que le Roy le reconnoîtroit innocent, & luy rendroit ſa bien veillance.

La Reine qui cherchoit à obliger Mademoiſelle de Sanſac, preſſa Madame de Roye encore plus fortement, & n’oublia rien de ce qui pouvoit favoriſer les Sanſacs. Enfin elle luy demanda ſa parole pour le Marquis, ſi elle rompoit avec le Comte d’Amboiſe. Madame de Roye fut bleſſée des propoſitions qu’ils luy faiſoient faire dans le temps qu’elle étoit engagée avec un homme qu’ils n’aimoient pas, & de ce qu’ils ſaiſiſſoient ſi promptement une occaſion d’inſulter à ſa diſgrace. Elle dit à la Reine qu’elle étoit au deſeſpoir de ne pouvoir luy rien promettre là deſſus, parce que ſa fille avoit de l’antipathie pour le Marquis de Sanſac ; ce n’eſtoit pas qu’elle le crût, mais elle ſe tiroit par là d’un pas embaraſſant.

— Ce méchant ſuccés mit Sanſac dans un chagrin & dans une confuſion étrange ; quoique les regards de Mademoiſelle de Roye l’euſſent ſouvent aſſuré qu’il n’eſtoit point haï, il n’oſoit plus les en croire. Enfin il eſtoit ſeur de la haine de Madame de Roye, s’il doutoit encore de celle de ſa fille, & il perdoit l’eſperance d’eſtre jamais heureux.

Madame de Roye ne voulut point inſtruire cette jeune perſonne de ce qui s’étoit paſſé, pour ne la détourner des ſentimens qu’elle devoit avoir pour le Comte d’Amboiſe. Elle jugea auſſi qu’il falloit qu’il l’ignoraſt luy-même, de peur que malgré les diſpoſitions où l’on eſtoit contre luy à la Cour, il n’en vinſt à des extremitez fâcheuſes avec un homme que le Roy aimoit. Elle remena le lendemain ſa Fille à la campagne, à une maiſon plus éloignée que celle où elle eſtoit d’abord, en attendant quelque changement aux affaires du Comte, auquel elle témoigna que l’air de diſgrace où il eſtoit, n’apporteroit aucune alteration aux ſentimens qu’elle avoit pour luy.

Mais que ſervoient ces ſentimens au Comte d’Amboiſe ? Il eſtoit preſque ſeur que ceux de ſa Maîtreſſe luy eſtoient contraires. Il reſolut de s’en éclaircir, & de faire en ſorte que Mademoiſelle de Roye ſe trouvaſt engagée par les prieres qu’il luy feroit, ou par ſon propre intereſt, de luy avouër une choſe dont le ſoupçon luy eſtoit déja ſi funeſte, que la certitude ne pouvoit l’eſtre davantage. Si Mademoiſelle de Roye eſtoit prevenuë d’une autre inclination, il valoit mieux qu’il en fuſt une fois perſuadé, que de le craindre toujours. Cependant il eut des occaſions de s’en inſtruire, mais il n’avoit pas la force d’en profiter ; & quand il eſtoit ſur le point de l’apprendre, il ne vouloit plus le ſçavoir.

Mademoiſelle de Roye étoit partie ſi promptement pour la campagne, que Sanſac n’avoit pû trouver l’occaſion de luy parler. Les difficultez qu’il trouvoit à s’expliquer avec elle, ne le rebutoient point ; il étoit piqué des paroles que Madame de Roye avoit dites à la Reine, & l’amour joint au dépit, luy faiſoit chercher tous les moyens de s’éclaircir. Mademoiſelle de Sanſac étoit trop éloignée pour pouvoir le ſervir auprés de Mademoiſelle de Roye. Il jetta les yeux ſur Madame de Tournon ; c’eſtoit la plus adroite & la plus inſinuante de toutes les femmes. Elle avoit trouvé le ſecret de s’attirer l’eſtime & l’amitié de Madame de Roye, & elles avoient toûjours eſté dans une grande liaiſon enſemble. Monſieur de Sanſac penſa qu’il pourroit aller chez Madame de Roye avec elle, & qu’il trouveroit les moyens de parler à Mademoiſelle de Roye. Il rendit à Madame de Tournon des viſites qu’elle receut avec plaiſir. Quoiqu’elle ne fuſt pas dans la premiere jeuneſſe, elle étoit encore aſſez aimable pour pouvoir ſe flatter aiſement d’eſtre aimée ; & le Comte de Tournon dont elle eſtoit veuve, luy avoit laiſſé des biens ſi conſiderables, que la pensée de pouvoir faire une fortune éclatante à ce Marquis, aida encore à la ſeduire pour luy.

Bien qu’elle dûſt connoître que les ſoins qu’il luy rendoit, n’avoient pas le caractere de l’amour, on ſe trompe aiſement ſur une matiere ſi delicate. L’application qu’on apporte à l’examiner, eſt un moyen preſque ſeur de s’y méprendre. Ainſi Madame de Tournon donnoit à toutes les actions de Sanſac, le ſens qui convenoit le mieux aux ſentimens qu’elle avoit pour luy.

Mais elle ne put jouïr longtemps de ſon erreur. Il luy laiſſa le triſte loiſir de faire des reflections diſtinctes ; elle vit la difference du procedé qu’il tenoit au ſien. Enfin, comme il avoit peu d’application aux actions de la Comteſſe, & qu’il croyoit qu’elles ne partoient que de l’amitié, parce qu’il ne ſentoit rien de plus pour elle, il luy propoſa lorſque quelques jours furent paſſez, d’aller avec elle chez Madame de Roye. Cette propoſition fit ouvrir les yeux à Madame de Tournon, & elle demeura perſuadée qu’il eſtoit amoureux de Mademoiſelle de Roye, lorſqu’elle luy eut parlé de cette belle perſonne. La honte de s’être trompée, la douleur d’aimer en vain, & le dépit de voir triompher Mademoiſelle de Roye qu’elle haiſſoit, ne pouvoient demeurer ſans effet dans le cœur de Madame de Tournon ; cependant ſa diſſimulation naturelle l’empêcha d’êclater. Elle luy promit de faire la partie qu’il luy propoſoit, mais elle s’eſtoit déja apperçûë que Madame de Roye avoit quelque chagrin contre les Sanſacs. Elle luy écrivit que le Marquis l’avoit priée de le mener chez elle. Madame de Roye qui aprés les propoſitions qui s’eſtoient faites, & ce qu’elle avoit dit à la Reine, ſentit qu’elle ſeroit aſſez embaraſſée de cette viſite, répondit promptement à Madame de Tournon, pour l’engager à détourner Sanſac de ce deſſein. Madame de Tournon qui en écrivant à Madame de Roye, n’avoit cherché qu’à s’attirer cette réponſe, montra la Lettre à Sanſac, comme à un amy pour qui elle n’avoit rien de caché.

Sanſac, que ce méchant ſuccés chagrina, ne conſulta plus la Comteſſe ſur une choſe dont il n’étoit pas temps de lui découvrir le motif ; il voulut aller chez Madame de Roye, mais il ne vit point ſa fille, quoiqu’il l’eût demandée. On lui dit qu’elle ſe portoit mal ; il y retourna une ſeconde fois, & on refuſa encore de la lui laiſſer voir, ſur des pretextes qui luy parurent peu vrayſemblables. Il ſçeut que Monſieur d’Amboiſe étoit avec elle, de ſorte que honteux du peu de ſuccés de ſes viſites, & deſeſperé d’avoir un Rival plus heureux que luy, il prit la reſolution de quitter Paris, & il alla à une de ſes Terres qui en étoit fort éloignée.

Mademoiſelle de Roye que la precipitation avec laquelle on l’avoit remenée à la campagne, avoit toûjours inquietée, & qui voyoit avec chagrin qu’on l’empêchoit de recevoir les viſites de Sanſac, penſa que peut-eſtre Madame de Roye avoit découvert ſes ſentimens pour luy, & elle en étoit dans une honte & dans un accablement extrêmes.

Monſieur d’Amboiſe lui marquoit combien il étoit affligé de luy voir cette mélancolie, ſans toutefois s’en plaindre, & ſans luy marquer qu’il pouvoit en partie la penetrer. Une conduite ſi reſpectueuſe toucha Mademoiſelle de Roye, & la pitié ſucceda à ſa haine, mais l’amour ne ſucceda point à la pitié.

Il eſtoit trop innocent de la conſpiration du Prince de Condé, pour en eſtre accusé longtemps, & il en eſtoit alors preſque juſtifié. Mademoiſelle de Roye vit qu’elle alloit l’épouſer, il en uſoit d’une maniere qui meritoit quelque douceur de ſa part, & il luy ſembla que le devoir ſuppléroit aux mouvemens de ſon cœur.

Un jour que la triſteſſe du Comte d’Amboiſe étoit extraordinaire, elle luy dit plus de choſes obligeantes qu’elle ne luy en avoit jamais dit, mais elles ne firent que redoubler le chagrin de cét Amant. Eh ! Mademoiſelle, lui dit-il, ne vous contraignez point ; ces dehors étudiez ne me rendent pas moins à plaindre, vous affectez de me marquer de la bonté, & que je ſerois heureux, ſi vous en aviez aſſez pour chercher à me la cacher ! Ce diſcours embaraſſa Mademoiſelle de Roye, il étoit aſſez fondé pour luy cauſer un peu de deſordre, elle fut longtemps ſans répondre, & Monſieur d’Amboiſe s’enhardiſſant par ce ſilence, ou plutôt ſe confirmant dans ſes ſoupçons, n’eut plus la force de les empêcher de paroiſtre. Mademoiſelle, luy dit-il, je ne vois que trop que je vous ſuis indifferent, pourquoi ne voulez-vous pas que je le voye ? Ayez du moins de la ſincerité, ſi vous n’avez pas de tendreſſe. Je ſuis reduit au point de vous étre obligé, ſi vous m’avouëz que vous ne m’aimez pas. Il accompagnoit ces paroles de larmes : Mademoiſelle de Roye en fut vivement penetrée. Pourquoy cette contrainte éternelle ? Elle n’eſtoit point encore ſa femme. Une pareille confidence ne pouvoit ſervir qu’à la dégager & à la mettre dans la liberté de ſuivre ſes ſentimens.

Si la plus grande eſtime qui fut jamais, lui dit-elle… Non Mademoiſelle, interrompit-il, toute voſtre eſtime ne ſçauroit me conſoler de vôtre indifference, mais ajoûta-t-il, preſſé par ſa jalouſie, ſi quelque choſe pouvoit l’adoucir, ce ſeroit une confiance ſans reſerve, elle m’eſt bien deuë pour me recompenſer de tout ce que vous ne me donnez pas. Quelle eſt cette confiance que vous demandez encore, luy dit Mademoiſelle de Roye ? Il me ſemble que je vous en marque beaucoup. Ah ! Mademoiſelle, lui dit-il, ce n’eſt point aſſez, marquez m’en davantage, c’eſt me punir de ma curioſité, que de la ſatisſaire, & toute la grace que je vous demande, c’eſt que vous m’appreniez mon malheur tout entier. N’ai-je point de Rival ? Avoüez-le moy. Devez-vous douter que je ne ſois indifferente, lui dit Mademoiſelle de Roye, puiſque vous ne m’avez pas renduë ſenſible, vous qui m’eſtiez deſtiné ? Helas, Mademoiſelle, lui dit-il, voſtre cœur pouvoit eſtre prevenu… Prevenu, luy dit Mademoiſelle de Roye ? connoiſſois-je quelqu’un avant que d’eſtre engagée avec vous ? Eh ! Mademoiſelle, interrompit-il, emporté par ſa jalouſie, n’aviez vous vû perſonne avant moy ? Il ne faut qu’un moment pour faire naître l’amour.

À ce mot qui marquoit ſi preciſement ce qui s’étoit paſſé dans le cœur de Mademoiſelle de Roye, une ſi grande rougeur lui couvrir le viſage, que Monſieur d’Amboiſe ne douta plus de ſa diſgrace ; il s’appuya ſur un ſiége, ne pouvant ſupporter ſa douleur. Que me faites-vous enviſager, Mademoiſelle, lui dit-il ? Eh ! qu’il faut vous reſpecter pour vous marquer de la moderation, en découvrant que vous avez pour un autre les ſentimens qui m’étoient dûs par la violente paſſion que j’ay pour vous ! Mademoiſelle de Roye que ces paroles penetrerent juſqu’au fonds de l’ame, ne pût retenir ſes larmes, & elle marquoit une ſi vive douleur, que Monſieur d’Amboiſe, malgré ſon deſeſpoir, fut touché de l’eſtat où il l’avoit miſe. Il la regarda avec toute la timidité que lui donnoit la pensée de lui avoir déplû, & il ſembloit par ſon ſilence, lui faire reparation d’avoir trop parlé. Enfin il lui demanda pardon de ce qu’il avoit dit, ou pluſtoſt de ce qu’il avoit vû. Mademoiſelle de Roye eſtoit dans un deſordre extraordinaire. Son trouble & ſa rougeur l’avoient trahie ſi cruellement, qu’elle n’oſoit regarder Monſieur d’Amboiſe ſans la derniere confuſion, de ſorte que ne ſçachant que lui répondre, & ayant du chagrin contre lui, elle ſe retira dans ſon cabinet en le priant de la laiſſer en paix & de l’oublier.

Quels reſſentimens n’eut point Monſieur d’Amboiſe contre celui qui lui enlevoit le cœur de ſa Maîtreſſe, & que s’il en avoit ſuivy l’impetuoſité, il ſe ſeroit porté à de crüelles extrêmitez contre lui ! mais il penſa que dans cette occaſion un éclat lui attireroit toute la haine de Mademoiſelle de Roye, & qu’il ne falloit point abuſer d’un ſecret dont elle lui avoit découvert une partie, & qu’elle lui avoit laiſſé penetrer tout entier. Il ſe repreſentoit les larmes qu’il lui avoit vû répandre, & cette idée arrêtoit ſa vengeance, quoiqu’elle augmentaſt ſon chagrin.

Ils furent quelque temps ſans ſe voir ; le Comte d’Amboiſe eſtant ſeur de ne pas plaire à Mademoiſelle de Roye, & l’ayant en quelque ſorte offencée, n’oſoit ſe montrer à ſes yeux ; Mademoiſelle de Roye n’apprehendoit pas moins de recevoir de ſes viſites. Il n’eſt point d’homme plus fâcheux qu’un Amant jaloux, quand il a raiſon de l’être, & droit de le témoigner.

Comme Madame de Roye s’apperçut que Monſieur d’Amboiſe ne venoit plus chez elle ! Elle en demanda la raiſon à ſa fille, & ſoupçonnant par l’embarras de cette jeune perſonne, qu’il y avoit eu quelque démêlé entr’eux, elle lui dit qu’elle vouloit qu’on le menageaſt, luy remit devant les yeux ce qu’aſſeurement il lui ſeroit un jour, & méme lui ordonna de faire dire au Comte, par un de leurs amis communs, qu’elle ſeroit bien aise de le voir. Il falut que Mademoiſelle de Roye obéît, mais elle en fut plus revoltée contre lui.

Monſieur d’Amboiſe ſentit bien qu’il ne devoit pas penetrer plus loin que l’apparence qui lui étoit favorable ; encore qu’il craignît de voir Mademoiſelle de Roye, il ne laiſſa pas d’aller chez elle le lendemain avec empreſſement. Il la trouva ſeule dans ſa chambre, la teſte appuyée ſur une de ſes mains, & dans une réverie ſi profonde, qu’à peine s’en tira-t-elle par le bruit qu’il fit en entrant. La pensée que le Marquis de Sanſac l’occupoit à ce point, renouvella la jalouſie du Comte d’Amboiſe. Mademoiſelle, lui dit-il, en ſoupirant, que ceux qui peuvent vous faire rêver, ſont heureux, & qu’on eſt à plaindre quand on eſt…

Mademoiſelle de Roye fut fachée qu’il commençaſt ce diſcours. Le commandement de Madame de Roye l’avoit miſe dans une diſpoſition chagrine, de ſorte que le regardant avec quelque dépit, je n’ay rien à vous répondre, lui dit-elle, tout ce que je dirois vous ſeroit ſuſpect, mais je prévois les malheurs que vôtre défiance me prepare. Vous preparer des malheurs, Mademoiſelle, lui dit-il, eſt-ce à moy que vous parlez ? Oüy, lui dit-elle, je ne dois point me flater, vous avez eu des commencemens de jalouſie, que j’ay peut-eſtre augmentée par ma faute, je ne puis plus penſer que vous ne me haïſſiez point.

Helas, Mademoiſelle, lui dit-il, ce n’eſt pas ma haine que vous craignez, vous ne craignez que mon amour ; mais enfin je ne me trouve plus digne de vous, puiſque je n’ay pû vous plaire ; c’eſt aſſez, je ne vous contraindray pas davantage, je vous fuiray, puiſque c’eſt la ſeule marque de paſſion qui vous puiſſe eſtre agreable de moy. Je vous aimeray toujours avec un amour violent, & je ne vous verray jamais.

Mademoiſelle de Roye ne lui en demandoit pas tant, mais le chagrin où elle l’avoit vû, & la diſpoſition où il lui paroiſſoit eſtre de ſe dégager, lui donna la hardieſſe de le lui propoſer. Elle lui repreſenta avec douceur, qu’il eſtoit deſormais impoſſible qu’il fût content en l’épouſant, que puiſqu’il avoit eu des ſoupçons une fois, il en auroit toujours, & qu’elle l’eſtimoit trop pour vouloir le rendre malheureux. Enfin, peu à peu elle eſſaya de le porter à retirer la parole qu’il avoit donnée à Madame de Roye. Il eſtoit dans un deſeſpoir qui ne lui permettoit pas de répondre. Ses yeux eſtoient attachez ſur Mademoiſelle de Roye. Il ne s’étoit point attendu qu’on ne le r’aſſureroit pas. Songez vous bien à ce que vous exigez de moy, Mademoiſelle, lui dit-il, ſongez vous bien que je vous aime, & le plus grand effort de mon amour, eſt-il dû à la plus cruelle preuve de vôtre indifference ? Vous pouvez me refuſer, luy dit triſtement Mademoiſelle de Roye. Eh ! Puis-je vous déſobéïr, lui dit-il en ſe levant, vôtre cœur ne conſent point à mon bonheur, en voudrois-je malgré lui ? Mais du moins, Mademoiſelle, jugez de l’excés de ma tendreſſe, par ce qu’elle me fait faire contre moy.

Il retourna à Paris, d’où il écrivit à Madame & à Mademoiſelle de Roye, pour leur dire un éternel adieu. Il prioit Madame de Roye de lui pardonner s’il partoit ſans la voir, & s’il répondoit ſi mal aux intentions qu’elle avoit bien voulu avoir en ſa faveur, mais que l’éloignement que Mademoiſelle de Roye avoit pour lui, y mettoit un obſtacle invincible, que le mariage ne pouvoit faire ſon bonheur, s’il ne faiſoit celui de la perſonne qu’il aimoit, & qu’il alloit porter ſa douleur dans des lieux éloignez pour ſe guerir, s’il ſe pouvoit, par l’abſence. En effet, peu de jours aprés, s’étant abſolument juſtifié d’eſtre entré dans la conſpiration du Prince de Condé, il paſſa en Angleterre avec la permiſſion du Roy.

Madame de Roye étoit fort mécontente de ce qu’un mariage qu’elle avoit ſi ardemment ſouhaité, trouvoit de pareils obſtacles. Elle avoit une ſi parfaite eſtime pour Monſieur d’Amboiſe, qu’il lui ſembloit qu’il n’y avoit que lui qui fût digne de ſon alliance. Elle parla à ſa fille avec reſſentiment, & lui dit, qu’elle ne meritoit pas d’étre aimée du Comte, & qu’elle ſeroit bien punie de ſa froideur pour lui, lors qu’elle épouſeroit quelqu’un, qui en auroit pour elle. Elle eſſuya l’indignation de ſa mere avec chagrin, mais ces menaces lui faiſoient peu de peur ; Elle ſongeoit que Sanſac alloit profiter de la liberté où d’Amboiſe l’avoit laiſſée, mais elle ne ſçavoit pas ce qui s’étoit deja paſſé à cette occaſion.

Madame de Roye la remena à Paris, & le bruit s’étant repandu de ſa rupture avec Monſieur d’Amboiſe, tous ceux qui pouvoient pretendre à elle ſongerent à l’obtenir.

Le Comte de Sancerre qui avoit eu de l’inclination pour elle, dés le méme inſtant qu’il l’avoit veuë, n’étoit point alors en France. Le Marquis de Sanſac qui ignoroit que Monſieur d’Amboiſe ſe fût degagé, eſtoit encore aux Terres de ſon pere, mais il ne fut pas longtemps ſans l’apprendre.

Entre tous ceux qui ſongerent à Mademoiſelle de Roye, le Vicomte de Tavanes fut le plus empreſſé, & il fit des propoſitions pour l’épouſer. Si toſt qu’elle fut à Paris, madame de Tournon l’appuya de tout ſon pouvoir. Il lui étoit d’une extrême importance que ce mariage fût arreſté avant que Sanſac eût ſceu que le Comte d’Amboiſe ne pretendoit plus à Mademoiſelle de Roye. Elle exagera à Madame de Roye tous les avantages de ce party. Le Vicomte de Tavanes poſſedoit de grands biens, & cherchoit encore à les augmenter, de ſorte qu’il regardoit plus Mademoiſelle de Roye par ceux qui lui étoient deſtinez, que par ſa beauté.

Madame de Roye qui n’avoit rien de caché pour Madame de Tournon, lui avoit confié toute la conduite du Comte d’Amboiſe, à l’égard de ſa fille, & l’avoit priée de découvrir ſi cette jeune perſonne n’avoit point quelque ſecrette inclination. Quoique ſes ſoupçons euſſent d’abord tombé ſur le Marquis de Sanſac, le refus qu’elle avoit fait de lui, la mettant hors d’état de renoüer avec bienséance, lui donnoit de l’éloignement pour ce mariage.

Madame de Tournon ne croyoit que trop que puiſqu’il aimoit Mademoiſelle de Roye, il en étoit aimé, & elle n’en cherchoit point d’autre certitude. Cependant elle dit à Madame de Roye qu’aprés l’avoir examinée, elle lui trouvoit de l’indifference pour tous les hommes, & méme beaucoup pour Sanſac en particulier ; qu’apparemment trop d’amour de la part du Comte d’Amboiſe, l’avoit empéché d’épouſer une perſonne incapable de ſentir jamais de paſſion, ny même de connoiſtre les ſentimens qu’on avoit pour elle. Enfin elle lui conſeilla fortement d’accepter le Vicomte de Tavanes pour gendre. L’affaire ſe traita avec un grand ſecret, elle auroit eſté promptement achevée, ſi la maladie du Roy n’euſt ſuſpendu toutes choſes.

Il fut ſaiſi à la Chaſſe, d’un mal de teſte ſi violent & ſi extraordinaire, que d’abord on en apprehenda les ſuites. Le péril où il eſtoit, r’appella à Paris tous ceux qui s’intereſſoient pour ſa vie. Le Marquis de Sanſac y revint avec empreſſement. Le Comte d’Amboiſe quoiqu’il fût à peine arrivé en Angleterre, retourna en France. Cette maladie fut auſſi funeſte que violente. Le Roy mourut en huit jours, & ſa mort fit prendre une nouvelle face à toutes choſes. La Reine Marie Stuart perdit toute l’autorité qu’elle s’étoit acquiſe. Catherine de Medicis fut declarée Regente durant la minorité de Charles IX & devint abſoluë. Le Prince de Condé qui avoit eſté arreſté pour la conſpiration dont on le croyoit le chef, fut mis en liberté ; il conſervoit toûjours beaucoup d’eſtime pour d’Amboiſe, & quoiqu’il n’euſt pû le faire entrer dans ſes deſſeins, il ne l’en avoit pas moins aimé.

Le Marquis de Sanſac parla à Mademoiſelle de Roye le lendemain qu’il fut à Paris ; elle eſtoit chez Madame de Tournon, où il y avoit beaucoup de monde, & elle étoit un peu écartée des autres, de ſorte qu’il trouva moyen de ſe placer auprés d’elle, ſans que Madame de Tournon pût s’y oppoſer.

Il demanda pardon à Mademoiſelle de Roye des propoſitions qu’il avoit fait faire à ſa mere, avant que de l’avoir conſultée ; il en accuſa la violence de ſa paſſion, & il lui dit que ce qu’il avoit appris de ſa haine pour lui, & le refus de Madame de Roye l’en puniſſoient aſſez. Mademoiſelle de Roye fut ſurpriſe de ce diſcours. Vous m’apprenez des choſes ſi nouvelles, lui dit-elle, que je ſuis embarraſſée à y répondre ; j’ignore la haine que j’ay pour vous, comme tout le reſte.

Madame de Tournon qui le vit attaché à parler à Mademoiſelle de Roye, feignant de ne s’en appercevoir pas, la fit approcher d’elle, lui diſant qu’elle eſtoit trop éloignée du reſte de la Compagnie.

Lors que Mademoiſelle de Roye fit reflexion ſur ce qu’il lui avoit dit, elle crut que ces propoſitions s’eſtoient faites ce meſme jour, & que des raiſons de haine ou d’intereſt, avoient déterminé ſa mere à un refus ; ainſi elle concluoit qu’elle n’épouſeroit point Sanſac, dans le temps qu’elle s’aſſuroit d’en eſtre tendrement aimée.

Ce Marquis cependant reprenoit des eſperances ; il voyoit qu’il n’eſtoit point haï. Il comprenoit meſme que peut-eſtre Madame de Roye en le refuſant ſi cruellement, n’avoit cherché qu’à tenir parole à Monſieur d’Amboiſe, & que les choſes ayant changé, une ſeconde tentative pourroit réuſſir. Il voulut engager ſon pere dés le lendemain à parler à Madame de Roye, mais il le trouva ſi penetré de la mort du Roy, dont il avoit eſté Gouverneur, qu’il n’en put meſme eſtre écouté.

Ce Marquis eſtoit trop amoureux pour ne pas craindre d’eſtre prévenu par ſes Rivaux. Il connoiſſoit le pouvoir que Madame de Tournon avoit ſur l’eſprit de Madame de Roye ; il lui déclara ſon amour, & il la conjura de parler en ſa faveur, en attendant que ſon pere pût entrer dans cet affaire. Madame de Tournon fut outrée de cette confidence, mais elle prit le party de diſſimuler, & elle ſçavoit bien qu’elle devoit peu craindre qu’il réuſſiſt. Elle l’aſſura qu’il ne tiendroit pas à elle qu’il ne fût heureux. Il la crut, & il alla cependant voir Madame de Roye dés ce meſme jour, mais bien des choſes s’eſtoient paſſées, qu’il ignoroit.

Si-tôt que Monſieur d’Amboiſe avoit eſté revenu d’Angleterre, il avoit eſté chez cette Comteſſe qui l’avoit receuë avec beaucoup d’amitié. Elle venoit d’apprendre à ſa fille qu’elle la deſtinoit au Vicomte de Tavanes, & cette nouvelle lui avoit donné une ſi vive douleur, qu’elle n’avoit eu que le temps de lui répondre, qu’elle lui obéïroit toûjours, & elle eſtoit ſortie de la chambre de ſa mere, pour donner un cours libre à ſes larmes.

Lors qu’elle vit qu’elle n’avoit évité d’épouſer le Comte d’Amboiſe, que pour eſtre au Vicomte de Tavannes, elle fut inconſolable. Sa perſonne lui avoit toûjours déplû, & ſon deſſein le lui rendoit odieux. Elle penſoit que la parfaite eſtime qu’elle avoit pour le Comte d’Amboiſe, lui pouvoit tenir lieu d’amour, & qu’il lui auroit eſté plus ſupportable d’eſtre à lui, puiſqu’elle ne croyoit plus épouſer Sanſac, que d’eſtre au Vicomte de Tavanes. Enfin, le mal paſſé ne lui paroiſſoit plus un mal, & elle ne donnoit ce nom qu’au preſent.

Madame de Roye voulant faire connoiſtre à d’Amboiſe qu’il n’avoit point perdu la confiance, ne lui fit point un ſecret du mariage de Monſieur de Tavanes avec ſa fille, & elle lui en parla comme d’une choſe qui ſeroit bien-tôt concluë. Mais que ne produiſit point cette nouvelle dans l’eſprit de Monſieur d’Amboiſe ? Mademoiſelle de Roye alloit épouſer un homme qu’il ſçavoit bien qu’elle n’aimoit pas. La pensée de la perdre ſans retour, & de la voir poſſeder par un mary qui l’avoit ſi peu meritée, excitoit en méme temps ſon déſeſpoir & ſon indignation.

Il demanda à Madame de Roye la permiſſion de voir ſa fille, & il alla la trouver à ſon appartement. Elle eſtoit dans un état ſi triſte, qu’il n’avoit pas beſoin de ſon amour pour en eſtre ſenſiblement touché. Son viſage eſtoit couvert de larmes qui ne diminuoient point ſa beauté. Vous eſtes témoin de ma douleur, lui dit-elle ſentant qu’elle ne pouvoit cacher ſes pleurs ; & vous ſçaurez bien-toſt ce qui l’a causé. Je ne le ſçais peut-eſtre déja que trop, lui dit-il, Mademoiſelle, & j’oſe dire que je ſens plus encore les maux que vous ſentez, que je n’ay jamais ſenty tous ceux que vous m’avez faits. Que vôtre honneſteté m’eſt cruëlle, lui dit Mademoiſelle de Roye, que ſon chagrin faiſoit parler ! Cachez-la moy par pitié, afin que je connoiſſe moins le prix de ce que j’ay perdu. Que me dites-vous Mademoiſelle, lui dit-il ? Je n’ay point acquis aſſez d’indifference ; pour pouvoir entendre tranquilement ces paroles de vôtre bouche. Je ne cherche point à vous flater, lui dit elle, mais il eſt vray que je me repentiray toute ma vie du procedé que j’ay eu avec vous, & que je me trouveray trés-malheureuſe d’épouſer le Vicomte de Tavanes. Ah ! Mademoiſelle, lui dit le Comte d’Amboiſe, je ne ſçaurois me plaindre de ma diſgrace, puis qu’elle m’attire des paroles ſi obligeantes. Eſt-il poſſible que vous me puiſſiez preferer à quelqu’un ? Je ne l’aurois jamais ſceu, ſi vous ne m’aviez forcé de renoncer à vous ; mais quelques obſtacles que j’aye mis à mon bonheur, peut-eſtre il ne me ſeroit pas impoſſible de les vaincre, ſi vous y conſentiez. Vous auriez mon conſentement avec bien de la facilité, s’il y faiſoit quelque choſe, lui dit mademoiſelle de Royce, qui ne voyoit encore que le ſuplice d’épouſer Tavanes. Monſieur d’Amboiſe fut ſi tranſporté de la joye que lui donnoient ces paroles, qu’il ne vit rien de ce qui pouvoit la troubler. Les ſoupcçons qu’il avoit eus de Sanſac, s’effacerent de ſon eſprit. Il trouva qu’il les avoit pris ſur des fondemens legers. Madame de Roye lui avoit parlé du mariage de Tavanes, comme d’une choſe avancée, mais non pas concluë abſolument. Il alla trouver le Prince de Condé, il le conjura de parler à Madame de Roye, parce qu’il eût eſté embaraſſé à lui parler lui-même, à cauſe de l’irregularité qui pouvoit paroiſtre dans ſon procedé. Ce Prince qui avoit bien voulu entrer dans les détails de ſa paſſion, dés qu’elle avoit commencé, ſaiſit cette occaſion de lui rendre un office. Il alla voir Madame de Roye, & il l’engagea aiſement à rentrer dans ſes premieres liaiſons avec le Comte d’Amboiſe, qu’elle avoit toûjours plus eſtimé que tous les autres hommes. Elle dit à ſa fille que s’il eſtoit vray qu’elle eût de l’éloignement pour le Vicomte de Tavanes, elle n’iroit pas plus avant avec lui, & qu’elle reprendroit ſes premiers engagemens, avec Monſieur d’Amboiſe.

Mademoiſelle de Roye qui n’avoit ſongé d’abord qu’à n’épouſer pas Tavanes, vit qu’elle avoit, ſeulement changé de malheur ; celui-cy eſtoit moindre à la verité, mais il eſtoit aſſez grand pour la mettre au déſeſpoir. Enfin elle ſe l’étoit attiré, il n’y avoit pas moyen qu’elle l’évitât, & elle dit à ſa mere, qu’elle lui obéïroit ſans répugnance.

Madame de Roye fit naître des dificultez ſur le mariage du Vicomte de Tavanes, & comme elle ne lui avoit point encore donné de parole, elle le rompit ſans qu’il parût qu’elle en eût eu le deſſein.

Madame de Tournon qui eſtoit trop avant dans ſa confidence, pour ignorer ce qui ſe paſſoit, lui fit les propoſitions de Sanſac, lors qu’elle vit qu’il n’y avoit plus rien à eſperer pour lui, de ſorte qu’il fut une ſeconde fois refusé. Cette Comteſſe le lui apprit avec toute la malice dont elle eſtoit capable. Elle lui fit confidence des deſſeins de Tavanes & de leur progrez, en lui diſant enſuite que Mademoiſelle de Roye n’avoit pû ſoûtenir la pensée d’étre à un autre qu’à d’Amboiſe ; qu’une legere cauſe les ayant brouillez, leur raccommodement avoit eſté aisé, & qu’elle avoit engagé elle-même ſon Amant à faire parler à ſa mere. La choſe eſtoit vraye en apparence. Elle la conta de la même maniere à quelques perſonnes, afin qu’on le redît encore à Sanſac. Il entra dans un violent dépit contre Mademoiſelle de Roye ; il l’accuſa de l’avoir trompé par ſa fauſſe douceur. Il s’accuſa de s’être voulu tromper ſoi même. Il examina combien les choſes qui l’avoient flaté, eſtoient foibles. Enfin, il s’abandonna au déſeſpoir auſſi facilement qu’il s’étoit abandonné à l’eſperance, & il ceſſa de voir mademoiſelle de Roye.

Elle avoit pris une reſolution qu’elle avoit de la peine à ſoûtenir, ſa triſteſſe eſtoit extraordinaire, & d’Amboiſe n’eſtoit pas aſſez heureux pour ne la point penetrer. Les ſoupçons qu’il avoit eus de Sanſac, lui rentroient dans l’eſprit ; cependant la preference qu’elle lui avoit donnée ſur le Vicomte de Tavanes, & les choſes flateuſes qu’elle lui avoit dites à cette occaſion, venoient le ſoûtenir contre ſes defiances ; & ſi ces reflexions troubloient le bonheur qu’il attendoit, elles ne l’empêchoient pas de l’attendre.

Tout ſe diſpoſoit pour ſon mariage, Mademoiſelle de Roye avoit beaucoup d’égards pour lui ; mais quand elle eſtoit ſeule, elle en dédommageoit Sanſac par un torrent de larmes. Elle ſe regardoit elle-même comme la cauſe de ſes malheurs. Jamais elle ne s’étoit veuë ſi preſte d’entrer dans un engagement, contre lequel tout ſon cœur ſe revoltoit. Elle ne put ſoûtenir ces diverſes agitations, & elle tomba malade.

Quel déſeſpoir pour Monſieur d’Amboiſe ! Il ne pouvoit douter que ſa maladie ne fût l’effet du chagrin qu’elle avoit de l’épouſer. Il ſe ſentoit neanmoins entraîné à la voir tous les jours, & il la voyoit pleine d’honnêteté pour lui. Malgré les maux qu’elle lui cauſoit, il l’eſtimoit davantage, & il ne l’aimoit pas moins ; au contraire l’admiration & la pitié ſe joignant à ſes autres ſentimens rendoient ſa paſſion plus forte, mais en méme temps plus capable de raiſon. Le moyen de contraindre une perſonne qui ſe contraignoit elle-méme pour l’amour de lui ? Il vit qu’il devoit ſe dégager une ſeconde fois, mais en rendant Mademoiſelle de Roye à elle, il la mettoit entre les mains de ſon Rival. Cette pensée le faiſoit trembler, & il ne reſolluoit rien.

Cependant la maladie de Mademoiſelle de Roye augmentoit. Il ſentit alors qu’il l’aimoit aſſez pour ne la diſputer pas davantage aux dépens de ſa vie. Il vit qu’il faloit la ceder à ſon Rival, qu’elle ne pouvoit eſtre que malheureuſe avec un autre. Il crut qu’il eſtoit capable de cet effort. Il ſe flata méme qu’une action extraordinaire produiroit peut-eſtre un effet extraordinaire, & que s’il ne ramenoit pas Mademoiſelle de Roye vers lui, en faiſant pour elle une choſe dont un autre ne pouvoit eſtre capable, il rendoit du moins tous les autres hommes indignes d’en étre aimés. Enfin il ſe formoit du debris de toutes ſes eſperances, une nouvelle ſorte d’eſpoir. Toûjours il penſa qu’il empoiſonneroit le bonheur de ſon Rival, en lui donnant luy-méme ſa maîtreſſe. Mais aprés tout, ce n’eſtoiẽt que des idées. Son cœur ne goûtoit point ſes raiſons, & il lui auroit encore eſté plus aisé de faire la choſe, que de la reſoudre.

Il alla voir Mademoiſelle de Roye le lendemain. Il remarqua qu’elle pleuroit, quoiqu’elle eſſayaſt de cacher ſes larmes, & de montrer un viſage ouvert & tranquile. Il eſt dificile de ſe repreſenter l’état où il ſe trouva. L’effort qu’on ſe faiſoit pour lui, le portoit à celui qu’il ſe devoit faire. L’amour, la pitié, le deſeſpoir formoient mille combats dans ſon ame. Il demeura longtemps ſans parler ; mais enfin regardant Mademoiſelle de Roye avec des yeux baignez de larmes, Mademoiſelle, lui-dit-il, vous avez eu juſqu’ici plus de force que moy. Je tremble de mon projet, mais peut-eſtre je l’executeray. Vous me donnez l’exemple de mourir, s’il le faut en ſe contraignant. Eh bien, c’en eſt fait, il faut m’arracher à moy-méme ; ne me cachez point vos ſentimens pour Sanſac. Je veux tout entreprendre pour luy faire obtenir un bonheur dont vous le jugez plus digne que moy, auſſi-bien puis-je eſtre plus malheureux que je le ſuis. Je vous plairay du moins en vous donnant à mon Rival. Il remarquoit pendant ce diſcours une impreſſion de joye ſur le viſage de Mademoiſelle de Roye, qu’il ne lui avoit jamais veüe. Il ſe déſeſperoit de ce qu’il alloit faire, ſans neanmoins s’en repentir. Il eſt des momens où l’on ſemble agir par une force ſuperieure ; ce qu’il faiſoit tenoit plus du Heros que de l’Amant, & le rendoit digne en même temps de pitié & d’envie. Je pars, lui dit-il, Mademoiſelle, pour un deſſein qui ne s’achevera pas s’il ſe retarde, & toute la grace que je vous demande, c’eſt de n’oublier point en me voyant, que je ſuis le plus malheureux de tous les hommes pour l’amour de vous. Mademoiſelle de Roye ne put reſiſter à ces divers mouvemens, la ſurpriſe, la crainte, la honte agitoient ſon cœur. Sa fiévre en un inſtant redoubla ſi conſiderablement, qu’on jugea que ſa vie alloit eſtre dans un trés-grand danger. Il n’en faloit pas tant pour déterminer Monſieur d’Amboiſe. Il courut à l’appartement de Madame de Roye, il lui apprit le péril où eſtoit ſa fille, & la paſſion qu’elle avoit dans le cœur. Il la conjura de n’avoir plus d’égards pour luy, & de ne ſonger qu’à Mademoiſelle de Roye. Cette mere aimoit veritablement ſa fille. La maladie de cette jeune perſonne la mettoit dans une cruelle inquietude, & tout ce qui pouvoit contribuer à ſa gueriſon, lui paroiſſoit agreable. Elle marqua à Monſieur d’Amboiſe combien elle eſtoit touchée de ſa generoſité, & lui donna des louanges auſquelles il eſtoit peu ſenſible. Il vit qu’il réüſſiſſoit trop aisément dans ce qu’il entreprenoit. Il quitta Madame de Roye, & il alla ſe renfermer chez lui, où il s’abandonna à tout ce que le déſeſpoir a de plus affreux. Quand il ne ſe vit plus rien à faire, il penſa à ce qu’il avoit fait ; il enviſagea à loiſir le mariage de Madlle de Roye & du Marquis de Sanſac, auquel il n’y avoit plus d’obſtacles. Il vit qu’il l’avoit lui-même livrée à celui qu’il devoit le plus craindre qui ne la poſſedaſt, & il fut mille fois ſur le point de le punir de ce qu’il venoit de faire pour lui, & de l’empécher par ſa mort d’obtenir un bien qu’il venoit de lui abandonner. Enſuite il ſe repreſentoit l’état où il avoit vû Mademoiſelle de Roye. Cette idée le retenoit, mais il voyoit à quel excés la pitié l’avoit porté. Il revenoit comme d’un ſonge, & il avoit peine à croire ce qu’il avoit eſté capable d’executer. Il ſongea que Mademoiſelle de Roye perdroit le ſouvenir de ce qu’il avoit fait pour elle, & de ce qu’il lui en coûtoit, dans la joye qu’elle auroit d’eſtre à un homme qu’elle aimoit tendrement. Cette réflection lui rendoit tout inſupportable ; il penſoit haïr Mademoiſelle de Roye autant que Sanſac, & il croyoit ne pouvoit jamais voir l’un non plus que l’autre.

Madame de Roye employa un de ſes amis qui l’étoit auſſi du Marquis de Sanſac, pour lui faire ſçavoir que Monſieur d’Amboiſe eſtoit abſolument dégagé d’avec Mademoiſelle de Roye, & que s’il faiſoit quelques démarches pour l’obtenir, il n’y trouveroit plus d’obſtacles. Ce Marquis eſtoit trop amoureux pour ſonger aux refus qu’il avoit déja deux fois eſſuyés. L’avance que Madame de Roye lui faiſoit en eſtoit la réparation, mais il vouloit ſçavoir les ſentimens de ſa fille. Il alla chez cette Comteſſe ; il vit Mademoiſelle de Roye, à qui la joye redonnoit la ſanté, que le chagrin lui avoit ôtée. Il ne lui fut pas dificile de connoître qu’il eſtoit aimé ; il le comprit en partie par les choſes qu’elle laiſſoit échaper, & plus encore par celles qu’elle évitoit de lui dire.

Le Marquis de Sanſac apprit à ſon pere le changement favorable pour lui qui s’étoit fait dans l’eſprit de Madame de Roye, mais il ne le trouva plus dans les mêmes diſpoſitions pour ſon alliance. Le refus qu’elle avoit fait de ſon fils, l’avoit irrité au point de ne pouvoir jamais revenir de ſa colere ; mais d’autres raiſons ſe joignoient encore à celle-là. Le Comte de Sanſac eſtoit haï de Catherine de Medicis, parce qu’il avoit eſté Gouverneur de François II qu’elle n’avoit jamais aimé. Elle ſe plaignoit que ce Gouverneur l’avoit élevé dans une grande indépendance à ſon égard, & elle en avoit pris de l’éloignement pour ſon fils méme. Elle eut lieu de voir lorſqu’il mourut, combien ſes ſentimens eſtoient reſpectez de toute la Cour, excepté des Sanſacs. Le Corps du feu Roy fut porté à ſaint Denis ſans aucune pompe. Meſſieurs de Guiſe oncles de la Reine ſa femme, ne le ſuivirent meſme pas, & le Comte de Sanſac ſeul & ſon Fils, l’accompagnerent.

La Regente ne fut pas longtemps ſans marquer ſes reſſentimens au Comte de Sanſac en pluſieurs rencontres. Il n’eſtoit plus appuyé de perſonne, il vit qu’il avoit beſoin d’étre ſoutenu.

Mademoiſelle de Roye & meſme Madame de Roye qui ne s’occupoit que de ce qui convenoit à ſa fille, ayant toûjours eſté de la Cour de Marie Stuart, plus que de celle de Catherine de Medicis, n’eſtoient pas propres à le remettre en bonne poſture auprés d’elle. Il avoit d’autres veuës, & il dit à ſon Fils, qu’aprés le refus déſobligeant que Madame de Roye avoit fait de le recevoir pour gendre, il devoit eſtre honteux de ſonger encore à le devenir, & il lui déclara qu’il ne conſentiroit jamais à ce mariage. Cét Amant ſe jetta aux pieds de ſon pere ; il lui dit que tout le bonheur de ſa vie dépendoit d’épouſer Mademoiſelle de Roye, mais il ne le fit pas changer de deſſein.

Le Marquis de Sanſac ſe revolta par cette dureté. Sa mere lui avoit laiſſé de grands biens, & quoique ceux de ſon pere fuſſent conſiderables, ils les ſacrifioit ſans peine à ſon amour. Il mit deux de ſes oncles dans ſon party, qui qui firent tous les pas qu’il falloit faire auprés de Madame de Roye, & dont les propoſitions furent receuës, mais à condition que le Marquis de Sanſac ſe raccommoderoit avec ſon pere, avant qu’on achevaſt le mariage, & que leur traité ſeroit ſecret juſque-là.

Ce Marquis eut cependant la permiſſion de voir ſouvent Madlle de Roye dont la ſanté ſe rétabliſſoit chaque jour, & dont la beauté augmentoit encore depuis que ſon cœur étoit content. Elle ſentoit vivement ce qu’elle devoit au Comte d’Amboiſe. Elle auroit voulu lui marquer combien elle en eſtoit touchée, & le dédommager s’il ſe pouvoit par ſa reconnoiſſance des ſentimens qu’elle n’avoit pas pris pour lui ; mais elle ne le voyoit plus, parce qu’il prenoit ſoin de l’éviter. Il ſçavoit cependant que ſon mariage avec Sanſac, n’eſtoit pas preſt à s’achever ; mais ſi cette pensée adouciſſoit ſa douleur, elle ne la lui ôtoit pas.

Mademoiſelle de Sanſac revint à Paris, elle apprit avec plaiſir l’action de d’Amboiſe, & elle en parloit ſans ceſſe à Mademoiſelle de Roye. Un jour qu’elles ſe promenoient enſemble dans les jardins du Louvre, elles le rencontrerent qui eſtoit ſeul, & qui révoit ſi profondément, qu’il étoit proche de Mademoiſelle de Roye, ſans s’en appercevoir. Il continuoit à marcher, mais elle l’arréta. Vous voulez-bien, lui dit-elle, que je profite des occaſions que le hazard me donne de vous marquer mes ſentimens ; il y a longtemps que je les cherche en vain. Hé, Mademoiſelle, lui dit-il, il y auroit de la cruauté à vouloir me voir encore, je vous ſuis inutile. Il lui fit une profonde reverence, & il ſe retira ſans regarder Mademoiſelle de Sanſac. Elles furent ſurpriſes de cette fuite. Mademoiſelle de Sanſac eut de la colere de ce qu’il ne l’avoit pas ſeulement remarquée. Mademoiſelle de Roye connut par la triſteſſe du Comte, & par ſa promte retraite, combien ſa paſſion eſtoit encore vive, & combien ſa generoſité avoit eſté extraordinaire. Elle eut une très-ſenſible douleur d’avoir rendu un ſi honneſte homme malheureux.

Il eſtoit au déſeſpoir de l’avoir quitée ſi bruſquement. Il craignit de l’avoir offencée, & qu’elle ne vint à le haïr. Enfin il avoit encore ſenty du plaiſir à la voir. Il s’en eſtoit privé de peur de s’y trop abandonner, mais qu’il trouvoit que ſa raiſon lui avoit eſté cruelle, & que pouvoit-il lui arriver de plus triſte, que d’eſtre haï de Mademoiſelle de Roye, & de ne la voir jamais ? Cependant il ne vouloit plus aller chez elle, mais il ſentoit que ce lui ſeroit une douceur que de la rencontrer.

Sanſac trouvoit le retardement de ſon bonheur ſi inſupportable, qu’il n’eſtoit guere moins affligé que lors qu’il eſtoit incertain d’eſtre aimé. C’étoit en vain qu’il preſſoit Madame de Roye de conſentir qu’il épouſaſt ſa fille, malgré le chagrin du Comte de Sanſac, elle ne vouloit point lui laiſſer perdre une partie de ſa fortune par trop de précipitation. L’eſtime que cette Comteſſe avoit pour d’Amboiſe, lui faiſoit ſouhaiter qu’il fût toûjours de ſes amis. Cependant quoiqu’elle fût fâchée de n’avoir plus aucun commerce avec lui, elle n’oſoit lui en faire des reproches, mais comme elle eut beſoin de lui dans une affaire conſiderable, elle le lui fit ſçavoir, & il ne put ſe diſpenſer d’aller chez elle. Il y retourna avec quelque peine & avec quelque plaiſir. Il trouva d’abord Mademoiſelle de Roye ſeule dans la chambre de ſa mere, & il fut ſi frapé de cette veuë qu’il demeura cõme immobile.

Madame de Roye eſtoit dans ſon cabinet avec une perſonne de conſideration, lorſqu’il entra. Comme elles eſtoient occupées d’une affaire particuliere, elle vint au devant de lui le ſupplier de vouloir bien demeurer un momẽt dans ſa chambre avec ſa fille. Mademoiſelle de Roye fut d’abord embarraſſée de la preſence d’un homme à qui elle avoit des obligations infinies, & qu’elle jugeoit par ce qui s’étoit paſſé de puis peu, que ſa reconnoiſſance méme pouvoit chagriner. Le déſordre de Monſieur d’Amboiſe eſtoit extraordinaire, il ſe retrouvoit auprés d’une perſonne qu’il avoit eſté contraint d’abandonner, qu’il adoroit toûjours, à qui il ne vouloit plus le dire, encore qu’il ſouhaitaſt qu’elle le ſçeuſt, enfin avec une perſonne qui lui donnoit une cruelle jalouſie, & qui lui inſpiroit un reſpect extrême. Ils garderent quelque temps le ſilence l’un & l’autre, elle le rompit neanmoins la premiere. Je ne ſçaurois m’empêcher de me réjouir de vous voir, lui dit-elle, quoiqu’il me paroiſſe que vous ne ſoyez pas content d’eſtre ici. Mademoiſelle, lui dit-il, eſt-il poſſible que la preſence d’un malheureux que vous avez forcé de renoncer à vous, puiſſe ne vous pas eſtre deſagreable ? Je ne vous y ay point contraint, lui dit Mademoiſelle de Roye, vous m’avez fait un ſacrifice volontairement. Hé, reprit-il, Mademoiſelle, vous mouriez ſi je ne vous l’euſſe fait. Vous ne pouviez ſoûtenir la pensée d’eſtre à moy. Je vous oſtois à celui ſans lequel vous ne pouviez vivre. Vous en dites beaucoup, interrompit Mademoiſelle de Roye en rougiſſant. Hé, Mademoiſelle, lui dit-il, pourquoi cette retenuë & cette contrainte ? Auoüez moy que vous aimez mon Rival. Je le ſçais, je le vois malgré vous, & la reſerve dont vous uſez, eſt un rafinement de tendreſſe dont je ſuis plus jaloux que de toute celle que vous me marqueriez avoir pour lui. Mais que vous dis-je, reprit-il, pourquoi vous montrer cette bizarerie ? Je vous demande pardon. Je vous aime, je vous aimeray toute ma vie. Je n’ay pû eſtre le maiſtre de ne vous point parler une fois de Sanſac, mais je ne vous en parleray plus. Je vous reſpecte aſſez pour reſpecter méme voſtre paſſion. Je me contraindray ſans ceſſe & je ne vous entretiendray jamais de la mienne. Mais la ſeule grace que je vous demande, c’eſt que vous me regardiez comme quelque choſe de plus qu’un amy. Je vous regarde même, lui dit-elle, comme quelque choſe de plus qu’un Amant. Vous avez fait pour moy des choſes ſi peu ordinaires, que je ne puis avoir pour vous des ſentimens communs.

La conduite de ce Comte avoit eſté ſi digne d’admiration, & Mademoiſelle de Roye lui eſtoit ſi obligée, qu’elle crut lui devoir parler avec douceur, mais cependant d’une maniere qui ne flataſt point ſon amour ; auſſi ces paroles le firent ſoupirer. Madame de Roye entra comme elle les achevoit. Cette Comteſſe apprit à Monſieur d’Amboiſe en quoi il pouvoit lui eſtre utile, & il lui promit de lui obéir ponctuellement dans les choſes qu’elle ſouhaitoit. Elles avoient quelque rapport à Mademoiſelle de Roye, & il ſe trouva encore ſenſible au plaiſir de lui rendre un ſervice. Ses honneſtetez ou plûtoſt ſa veuë, avoient remis une ſorte de douceur dans ſon ame, quoiqu’elle ne lui euſt rien dit de favorable à ſa paſſion. C’eſtoit toûjours beaucoup qu’elle eût pour lui toute l’eſtime qu’il méritoit, & qu’elle la lui euſt marquée.

L’affaire dont Madame de Roye l’avoit chargé, l’obligea à retourner chez elle plus d’une fois. Il n’évitoit plus mademoiſelle de Roye, & il reprenoit l’habitude de lui parler. Peut-eſtre même retrouvoit-il dans ſon cœur quelque penchant à l’eſperance. Les obſtacles qui s’oppoſoient au mariage du Marquis de Sanſac, pouvoient durer longtemps. Il n’eſtoit pas impoſſible qu’une conduite ſoûmiſe & déſintereſſée, ne lui attiraſt une bien-veillance particuliere de mademoiſelle de Roye, & que ne lui parlant jamais de ſa paſſion, & lui faiſant neanmoins connoiſtre qu’elle n’eſtoit pas éteinte, il ne priſt à la fin quelque choſe ſur les ſentimens qu’elle avoit pour un Rival qui les méritoit moins que lui.

Madame de Tournon eſtoit au déſeſpoir de n’avoir pû empêcher la liaiſon de Sanſac & de Mademoiſelle de Roye ; elle cherchoit du moins à la rompre, & le Comte de Sancerre qui dans ce temps-là revint à Paris, lui parut propre à la ſervir dans ſes deſſeins. Il eſtoit ſon amy particulier, cependant il ne lui avoit point fait confidence autrefois de ſon inclination pour Mademoiſelle de Roye, & ce n’eſtoit que par l’application qu’elle avoit toûjours euë pour ce qui regardoit cette belle perſonne, qu’elle l’avoit découverte ; il avoit méme eu de la peine à lui avouër une paſſion dont il eſperoit ſi peu, qu’il l’avoit cachée à celle qui la cauſoit.

Le Comte de Sancerre eſtoit bien fait ; il eſtoit fin, adroit & ſpirituel. La Comteſſe avoit empéché autant qu’elle l’avoit pû, qu’il n’aimaſt Mademoiſelle de Roye, & elle avoit beaucoup contribué à lui faire entreprendre le voyage qu’il avoit fait en partie pour la fuir. Mais l’Amour la fit changer d’intereſts. Elle ſacrifia la jalouſie de beauté, à la tendreſſe qu’elle avoit pour Sanſac, & elle aſſûra le Comte de Sancerre qu’elle viendroit à bout de la lui faire épouſer, s’il vouloit ſuivre exactement la conduite qu’elle lui preſcriroit. Elle lui conſeilla de tâcher à s’inſinüer dans ſon eſprit ſous le nom d’amy, & de lui cacher ſes veritables ſentimens juſqu’au temps de les faire éclatter avec ſuccés. Sancerre goûta cét avis qui s’accordoit avec ſon humeur & avec ſon intereſt.

Mademoiſelle de Sanſac ne pouvoit ſouffrir l’indiference que d’Amboiſe avoit pour elle. Elle commença à le maltraiter, & à lui faire de petites incivilitez, qui de la part d’une perſonne raiſonnable, ne pouvoient eſtre que des marques de paſſion. Il connut avec chagrin des ſentimens auſquels il ne pouvoit répondre, & dont ſes propres malheurs le forçoient d’avoir pitié. Mademoiſelle de Roye s’appercevoit de l’etat où eſtoit le cœur de ſon amie, par les plaintes bizares qu’elle lui faiſoit ſans ceſſe de ce Comte. Elle craignoit tout de la diſpoſition de Monſieur d’Amboiſe ; quelquefois elle eſperoit que la tendreſſe de Mademoiſelle de Sanſac le toucheroit ; elle vouloit lui en parler, mais quand elle faiſoit reflection ſur l’indépendance des inclinations, ce qu’elle avoit dans le cœur la faiſoit trembler pour ſon amie.

Mademoiſelle de Sanſac demeuroit dans une mélancolie qui empéchoit le retour de ſa ſanté. Elle avoit demandé permiſſion à la Reine de ſe retirer de la Cour, & elle vivoit chez ſon pere dans une aſſez grande retraite. Mademoiſelle de Roye prenoit part à ſes maux, & elle eſtoit aſſez équitable pour lui en eſtre obligée. L’indifference que Mademoiſelle de Roye avoit pour d’Amboiſe, la flatoit, & l’empêchoit de la haïr. Elle tâchoit d’adoucir l’eſprit de ſon pere, ſur le mariage de Sanſac, & de Mademoiſelle de Roye, & elle ne deſeſperoit pas d’y réuſſir, mais il lui arriva de nouveaux chagrins qui l’empécherent d’executer ce qu’elle s’eſtoit proposé.

Un jour qu’elles eſtoient enſemble dans le Carroſſe de Mademoiſelle de Sanſac, elles virent d’Amboiſe dans le ſien entraîné par ſes Chevaux, avec tant de violence, que ſa vie étoit en danger. Mademoiſelle de Sanſac pâlit, & dit à ſes gens de mener ſon Carroſſe ſur leur paſſage, afin de les arreſter. Elle leur parloit d’une maniere ſi vive & ſi preſſante, que malgré le riſque qu’ils couroient à lui obéïr, ils executerent cét ordre ; cependant ce fut avec tant de bonheur, que les Chevaux dont la premiere fureur commençoit à ſe r’allentir, rencontrant les autres de front, ne paſſerent pas outre.

Comme il voulut aller rendre grace à ceux qui s’étoient mis en péril pour le ſauver, il apperçut les Livrées de Sanſac, il crut que c’eſtoit ſon Rival, & il fut au déſeſpoir de lui devoir la vie ; cependant pour ne lui point faire connoître une ingratitude qu’il n’avoit pas volontairement, il s’avança vers ce Carroſſe, mais il n’y vit que des femmes. Mademoiſelle de Roye ſe preſenta d’abord à ſes yeux. Mademoiſelle de Sanſac s’êtoit trouvée ſi mal de l’émotion que cette avanture lui avoit causée, qu’elle avoit eſté contrainte de s’appuyer ſur une de ſes mains. Il commençoit à remercier Mademoiſelle de Roye en des termes où ſa paſſion s’exprimoit malgré-luy, mais elle luy dit qu’il avoit toute l’obligation à Mademoiſelle de Sanſac, & quoiqu’il fût fâché de s’eſtre trompé à une choſe qui luy plaiſoit, il ne put ſe diſpenſer de la remercier avec beaucoup de reconnoiſſance ; il les quitta pour les laiſſer pourſuivre leur chemin.

Aprés qu’il les eut quittées, Mademoiſelle de Sanſac ſe trouvant ſeule avec Mademoiſelle de Roye, vous avez vû ma foibleſſe, luy dit-elle, il n’eſt plus temps que je vous la diſſimule. Je me ſuis toûjours refusé le ſoulagement de me plaindre avec vous, pour ne point entretenir une douleur que je condamne. Ayez pitié de moy & me donnez quelque conſolation. Vous n’eſtes point coupable, luy dit Mademoiſelle de Roye, perſonne n’eſt exempt des paſſions, il ſuffit de les combatre. Je voudrois que la confiance que vous me têmoignez, vous puſt eſtre utile. Elle l’embraſſa en diſant ces paroles. Mademoiſelle de Sanſac vit avec chagrin qu’elles étoient arrivées au lieu où on les attendoit. Cette converſation luy faiſoit plaiſir, & elle pria Mademoiſelle de Roye de venir, s’il ſe pouvoit, le lendemain ſe promener avec elle, dans un lieu agreable où ſon peu de ſanté l’obligeoit à aller prendre l’air tous les matins.

Mademoiſelle de Roye revit ce même jour le Comte d’Amboiſe chez Madame de Tournon. On y joüoit. Ils eſtoient les ſeuls qui ne joüoient pas. Mademoiſelle de Roye s’approcha de la fenêtre pour parler à ce Comte. Elle vouloit ſçavoir de quelle maniere il reconnoîtroit ce que Mademoiſelle de Sanſac avoit fait pour luy. J’avois du plaiſir à penſer que c’eſtoit à vous que je devois la vie, luy dit-il, Mademoiſelle, mais vous ne voulez pas ſeulement me ſouffrir une erreur qui me ſoit agréable. Que me dites vous, interrompit Mademoiſelle de Roye ? Je ſerois au déſeſpoir ſi vous aviez toûjours des ſentimens qui vous donnaſſent lieu de n’eſtre pas content de moi, & qui me donnaſſent auſſi lieu de n’eſtre pas contente de vous. Mademoiſelle luy répondit-il, je ne croyois pas vous importuner. Je ne vous demande point de paſſion, ajoûta-t-il malgré luy, laiſſez moy la mienne, c’eſt tout ce que je vous demande. Je n’y puis conſentir, luy dit-elle, la conſideration que j’ay pour vous s’y oppoſe, & ſi vous ſçaviez en quelle extrêmité on ſe trouve quand on eſt remplie d’eſtime, de reconnoiſſance, & ſi on l’oſe dire, de pitié, pour une perſonne qui mérireroit quelque choſe de plus, je ne vous paroîtrois peut-eſtre guére moins à plaindre que vous-méme. Ils garderent là-deſſus tous deux le ſilence ; puis Mademoiſelle de Roye ſe repreſentant vivement l’état où elle avoit vû ſon amie, ne put reſiſter à l’envie de luy en faire un mérite auprés du Comte ; elle voulut le rendre ſenſible à la douceur d’eſtre aimé d’une belle perſonne ; elle luy fit une peinture touchante des ſentimens de Mademoiſelle de Sanſac. Enfin, elle ſçavoit bien qu’elle ne riſquoit rien à luy faire une pareille confidence. La diſcretion du Comte étoit connuë, & l’on eſtoit ſeur que s’il ne ſe faiſoit point un plaiſir de ſa conqueſte, du moins il ne s’en feroit pas d’honneur. Il ne put répondre à ce qu’elle luy diſoit, parce que Madame de Roye qui avoit ceſſé de jouër, ſe leva pour ſortir, & emmena ſa fille, avant méme qu’elle eût achevé ce qu’elle avoit à dire, mais il ne penſa à rien qu’à l’empécher de croire qu’il y euſt fait la moindre reflexion.

Mademoiſelle de Roye ne vouloit point inſtruire Monſieur de Sanſac, que le Comte d’Amboiſe n’étoit pas encore indiferent, de peur de l’aigrir contre un homme à qui il avoit l’obligation de luy avoir cedé ſes droits. Elle devoit méme ce foible égard au Comte, en conſideration des choſes extraordinaires qu’il avoit faites pour celle. Ces ſentimens ne bleſſoient point ſa paſſion. Elle étoit bien éloignée d’en prendre d’autres pour Monſieur d’Amboiſe, que ceux de la pitié ; & ſi elle eſtoit partagée entre ces deux Amans, elle plaignoit l’un, & elle aimoit l’autre.

D’Amboiſe avoit trouvé un pretexte pour aller le lendemain matin chez Madame de Roye, mais il la rencontra à la porte du Louvre. Il lui dit qu’il avoit eu ce deſſein, & qu’ayant pluſieurs choſes à luy dire, il l’executeroit lors qu’elle ſeroit de retour. Il demanda à une des femmes qui l’accompagnoient, pourquoi Mademoiſelle de Roye n’étoit pas avec ſa mere. Cette femme luy dit qu’elle eſtoit allée ſe promener, & luy nomma le lieu, mais elle ne luy dit point que c’eſtoit avec Mademoiſelle de Sanſac, parce qu’elle ſuivoit Madame de Roye, & qu’elle n’en eut pas le loiſir.

Monſieur d’Amboiſe y courut ſans rien examiner. C’eſtoit à un de ces beaux lieux que les maîtres ſe font un honneur de laiſſer voir. On y venoit par deux côtez ; il entra dans le jardin, & il n’y trouva d’abord que Mademoiſelle de Sanſac. Mademoiſelle de Roye avoit eſté arrétée par la Comteſſe de Tournon, qui l’ayant rencontrée l’avoit voulu accompagner, de ſorte qu’elle avoit feint d’aller ailleurs, pour pouvoir eſtre ſeule avec ſon amie.

D’Amboiſe qui avoit eſté apperçû de Mademoiſelle de Sanſac, n’avoit pû éviter de lui parler. Elle lui avoit dit qu’elle attendoit Mademoiſelle de Roye, & qu’elle s’ennuïoit de l’attendre ; de ſorte qu’il n’avoit osé la quitter, que ſa compagnie ne fût venuë. Ils furent embaraſſez l’un & l’autre. Le Comte ſongeoit que Mademoiſelle de Roye en le voyant avec Mademoiſelle de Sanſac, jugeroit qu’il auroit fait reflexion à ce qui s’étoit dit le ſoir precedent, & il l’auroit quittée bruſquement, s’il n’avoit êté arreſté par l’envie de voir Mademoiſelle de Roye. Mademoiſelle de Sanſac n’eſtoit pas dans une peine moins grande. Elle n’auroit point eſté fâchée qu’il euſt connu une partie de ſes ſentimens, & elle auroit eſté au déſeſpoir de les lui faire connoître elle-même.

Fin de premier Livre.