Le Comte Gaston de Raousset-Boulbon, sa vie et ses aventures, d’après ses papiers et sa correspondance/Introduction

L’esprit d’aventure est dans l’essence même du génie français : de tout temps, il s’est rencontré en France des audacieux, pris d’inquiétude, obéissant aux impulsions secrètes et s’en allant devant eux, au hasard, sans grand souci de retour.

Ces vagabonds sublimes ont appris le nom de la France à tous les coins du globe ; partout ils ont planté son drapeau ; partout, ils l’ont fait respecter. Ce sont, en quelque sorte, des messagers mystérieux, continuant à leur insu la tradition héroïque de la race franque, en vue des desseins de Dieu, comme disaient nos pères : Gesta Dei per Francos.

Au début, rien ne les distingue des aventuriers vulgaires : personne ne les soutient, personne ne s’inquiète d’eux. Mais tout à coup, au milieu des hasards de leur vie nouvelle, les voilà qui conçoivent un grand dessein. Ils mettent au service de leur idée tout leur courage, toute leur persistance, et l’on reste confondu d’admiration devant leurs efforts, leur patience et leur désintéressement. Dès ce moment, ils se transforment ; ils entrent dans la grande famille des Albuquerque et des Cortez : les aventuriers sont des héros.

Le Midi, il faut le reconnaître, a toujours été et est encore, par excellence, la pépinière féconde de ces étranges missionnaires. Ses cadets gascons continuent à chercher fortune aux quatre points cardinaux.

Au dix-huitième siècle, c’était Dupleix conquérant l’Inde, et Victor d’Olivier restaurant le trône de Cochinchine ; au commencement de ce siècle, le général Allard gouvernant Lahore. De nos jours, c’est le comte de Lastelle à Madagascar, le général d’Orgoni en Birmanie et Gaston de Raousset en Sonore[1].

On s’est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, du comte Gaston de Raousset-Boulbon et de ses aventureuses entreprises. Sa fin tragique a ému les deux mondes.

Ce qu’on en a écrit jusqu’à ce jour, tant en France qu’à l’étranger, nous encourage dans la publication de notre travail ; M. le comte de Raousset-Boulbon n’est ni connu ni jugé comme il mérite de l’être.

Grâce à des recherches patientes, grâce surtout à l’obligeance de personnes que nous ne saurions trop remercier ici, nous avons pu rassembler la plus grande partie de sa correspondance, prendre connaissance de ses papiers intimes, et compulser quantité de journaux californiens et mexicains, tour à tour sympathiques et hostiles à ses idées et à ses actes.

Si la France avait secondé M. de Raousset, elle serait aujourd’hui maîtresse d’une colonie magnifique, comme elle serait maîtresse de l’Indoustan si elle n’avait pas abandonné Dupleix. C’est en suivant les plans de Dupleix que lord Clive et Warren Hastings ont soumis cent millions d’hommes à l’Angleterre ; demain, en suivant les plans de Raousset, les États-Unis vont fonder en Sonore une puissante république.

On a dit de M. de Raousset : — C’est un Cortez avorté. Il eût été plus juste de dire : C’est un Cortez tué au début.

Qui peut savoir ce qu’avec un peu de chance eût accompli ce jeune audacieux, si résolu, si persistant ? Jusqu’où serait-il allé ? Faire de grandes choses avec de petits moyens est le propre des esprits supérieurs. À ce titre, qui contestera la supériorité de M. de Raousset ?

Pour nous, pendant tout le temps qu’a duré ce travail, nous avons eu présente aux yeux sa chère et douloureuse image ; nous nous flattons bien moins d’avoir réussi à raconter sa vie que d’avoir tenté d’élever un monument sympathique au compatriote, à l’ami, au représentant de l’esprit vivant de la France, à cette gloire d’une heure, dernier et vif éclair d’une chevalerie qui s’en va.

  1. Dupleix, le grand Dupleix est né à Condom, sur les bords du Rhône ; Victor d’Olivier à Carpentras ; Allard à Saint-Tropez ; le comte de Lastelle à Toulouse ; Raousset à Avignon ; d’Orgoni seul fait exception, il est né à Chambord.