Le Compositeur typographe/Hygiène du compositeur typographe

Adrien Delahaye et Émile Lecrosnier (p. 16-21).

HYGIÈNE DU COMPOSITEUR TYPOGRAPHE


Nous considérerons tout d’abord quelles sont les conditions hygiéniques les plus favorables pour l’installation d’un atelier de typographie.

Il est évident que lorsque l’importance et la nature des imprimeries le permettent, leur établissement en dehors des centres urbains est préférable : un local largement aéré, pourvu à sa partie supérieure d’ouvertures permettant l’enlèvement permanent des poussières métalliques, au moyen du courant d’air ainsi établi, remplira des conditions satisfaisantes de salubrité.

L’atelier de composition devra être convenablement éclairé par la lumière naturelle ; et si la construction du bâtiment ne permet l’éclairage que par un seul de ses côtés, il faudra disposer les rangs de telle façon que le jour arrive à la gauche du compositeur, afin que la main droite de l’ouvrier ne projette pas son ombre sur la casse, circonstance à la fois nuisible à la vue et défavorable au travail.

Lorsqu’il est possible de faire venir la lumière par la partie supérieure de l’atelier, cette disposition est toujours préférable ; or, pour y parvenir, on peut ménager dans la toiture un nombre convenable de châssis vitrés, ou, ce qui vaut mieux encore, percer de larges fenêtres latérales à la partie supérieure du bâtiment, sans recourir au vitrage total, en raison des inconvénients qui peuvent en résulter, surtout pendant les fortes chaleurs.

Quant à l’éclairage artificiel, il faut bien convenir que les procédés les plus économiques sont malheureusement les plus défectueux, que l’action de la lumière électrique est plus nuisible pour la vue que celle du gaz, et que cette dernière elle-même est très inférieure, sous le rapport de l’hygiène, à celle que fourniraient de bonnes lampes alimentées par une huile suffisamment pure.

Pendant l’hiver, l’atelier devra se trouver convenablement chauffé, mais la température ne devra pas dépasser une moyenne de 13 degrés centigrades ; pendant l’été, il faudra s’efforcer, au contraire, de combattre la chaleur par les moyens appropriés.

Sans doute, comme nous l’avons dit plus haut, certaines imprimeries sont condamnées, par la nature même de leurs travaux, à occuper un emplacement restreint et mal éclairé ; dans un semblable cas, le maître imprimeur a pour devoir de remédier dans la plus grande mesure possible à ces inconvénients.

La construction d’un système convenable de ventilation, l’emploi de verres cylindriques épais enveloppant les becs de gaz, entourés eux-mêmes d’abat-jour opaques, verts extérieurement, blancs intérieurement, et les soins d’une propreté rigoureuse apportés à l’atelier, sont des conditions que le chef d’établissement devra s’efforcer de remplir.

La poussière métallique constituant pour le compositeur l’agent principal de l’intoxication plombique, il conviendra d’en prévenir le plus possible la formation ; le balayage journalier, toutes fenêtres ouvertes, le nettoyage fréquent des casses, etc., etc…, rempliront cette indication ; à plus forte raison, conviendra-t-il de pratiquer de fréquents arrosages, qui auront pour résultat de dissoudre les éléments de cette poussière ou de les mettre en suspension dans l’eau, qui les entraînera.

L’hygiène particulière du typographe nécessitant des soins minutieux de propreté, le maître imprimeur, afin de les assurer devra veiller à ce que ses ateliers soient pourvus de lavabos et d’ustensiles convenables.

La réglementation du travail possède une importance capitale ; nous ne parlerons ici que des points particuliers à l’industrie typographique, rappelant pour mémoire seulement la question plus générale des règlements administratifs relatifs aux ouvriers et apprentis des deux sexes employés dans les manufactures.

Tout excès dans la durée du travail devra être proscrit, sous peine de provoquer plusieurs cas de colique saturnine, parmi les typographes employés ; si le nombre des commandes exige, à un moment donné, un surcroît d’activité, mieux vaudra augmenter momentanément le personnel typographique que recourir aux heures supplémentaires pour en assurer l’exécution.

Afin de diminuer le plus possible les moyens d’absorption du produit toxique, il devra être interdit de prendre ses repas et de fumer dans les ateliers de composition.

À la suite de ces moyens prophylactiques recommandés au maître imprimeur soucieux de la santé de son personnel, viennent naturellement se placer ceux qui s’adressent au compositeur lui-même.

Il importe que cet ouvrier ne travaille jamais à jeun ; il devra dans son alimentation s’abstenir de l’usage des salaisons, recourir fréquemment au lait, bannir sévèrement l’abus du vin et des spiritueux et éviter les excès de toute nature.

Si les prodromes de la colique saturnine se manifestent, il devra immédiatement suspendre son travail et avoir recours aux moyens que nous indiquons plus bas pour la combattre.

Toute compositrice entrant dans le second tiers de sa grossesse devra abandonner sa profession et ne la reprendre que six semaines après l’accouchement.

Le typographe atteint de varices ou de varicocèle, sous peine de voir ces accidents augmenter, devra, dans le cours de son travail, user des tabourets mobiles que possèdent tous les ateliers de composition.

Le compositeur qui ressentira les symptômes de l’asthénopie accommodative devra faire usage de lunettes à verres convexes ; ces verres, en augmentant la convergence des rayons lumineux, suppléeront au défaut d’action du muscle ciliaire et rendront à la vision son acuité primitive.

Les soins de propreté corporelle sont pour le typographe de la plus grande importance ; aussi, sans crainte de les exagérer, devra-t-il recourir fréquemment, et en particulier avant les repas, au savonnage et au lavage minutieux de la face, de la bouche, des mains, avec une brosse pour les ongles ; nous l’engageons à prendre chaque semaine un bain alcalin et à s’y savonner avec soin.

Afin d’offrir au plomb le moins de voies possible à son absorption, qu’il n’expose pas, surtout en été, ses bras, son cou, sa poitrine au contact de la poussière métallique, qu’il tienne, au contraire, sa blouse soigneusement boutonnée au col et aux poignets, qu’il quitte ce vêtement en sortant de l’atelier et qu’il ne néglige pas de le faire laver fréquemment.

Le compositeur qui suivra scrupuleusement ces indications s’affranchira en grande partie des désordres causés par le saturnisme, et si son organisme ne reste pas absolument indemne, du moins les effets toxiques seront-ils singulièrement atténués.

Lorsque, malgré ces précautions, la constipation tendra à s’établir d’une façon permanente, l’ouvrier la combattra utilement en prenant, au commencement des deux principaux repas, dans du pain à chanter un mélange de 10 grammes de miel et 10 grammes de soufre sublimé.

Il trouvera bien également, à l’époque des changements de saison de recourir aux purgatifs salins : sulfate de magnésie, 32 grammes, en dissolution dans un litre de bouillon d’herbes, à boire dans la matinée ; ou encore sulfate de soude, même dose et même préparation ; eau de Sedlitz, eau de Pullna, etc., etc.

Si, pour avoir négligé les moyens prophylactiques que nous venons d’indiquer, le compositeur se trouve surpris par la colique saturnine, il devra se coucher immédiatement, s’astreindre à la diète, et en attendant l’arrivée du médecin, se conformer aux indications suivantes :

Tisane de bourrache (10 grammes infusés, pendant une heure, dans un litre d’eau bouillante) ; administration d’un lavement composé de 500 grammes d’eau tiède et 100 grammes de miel ordinaire[1] ; application sur l’abdomen d’un cataplasme de farine de lin arrosé de 30 gouttes de laudanum. C’est au docteur appelé qu’il appartiendra de diriger ensuite la médication.

Si l’on s’en rapportait à Tanquerel, à Beau, à Pidoux, il existerait un antagonisme entre l’intoxication saturnine et la tuberculose ; le fait, loin d’être démontré, est au contraire contredit absolument par les observations de Hirt ; d’accord avec cet auteur, nous n’engagerons jamais les individus atteints de maladies des bronches et des poumons à embrasser la profession typographique, convaincu que nous sommes qu’elle ne pourrait qu’aggraver ces affections.

Malgré l’assertion d’Henckel et d’Hoffmann, nous doutons aussi que l’usage du tabac à fumer et à chiquer soit avantageux pour les saturnins et dans tous les cas, pour les raisons que nous avons déjà signalées, nous le proscrirons absolument pendant le travail de la composition.

Si la thérapeutique demeure quelquefois impuissante à réparer les désordres causés par le saturnisme, elle arrive presque toujours chez le typographe, à en atténuer en grande partie les effets.

Les accidents plombiques disparaissent d’ailleurs assez rapidement lorsque l’ouvrier cesse sa profession, à la condition que les lésions provoquées ne soient ni trop anciennes, ni trop profondes.

Pour terminer enfin, nous dirons que, tout en regrettant que les procédés industriels ne soient pas parvenus à modifier la composition actuelle des caractères employés dans les imprimeries, de façon à en rendre la manipulation inoffensive, la profession typographique n’offre de sérieux inconvénients pour la santé que lorsque les ateliers sont insalubres, lorsque les soins hygiéniques que nous avons recommandés sont mal observés, lorsque les fonctions de paquetier se prolongent après l’âge de trente ans, lorsque enfin l’ouvrier se livre aux excès alcooliques.

Il est supposable d’ailleurs que l’industrie typographique subira d’ici quelques années une transformation importante, par suite du perfectionnement apporté à la construction des machines à composer et à distribuer.

Dans l’imprimerie du journal le Times, on vient, en effet, d’installer des appareils nouveaux qui ne se bornent pas à fondre les caractères destinés à l’impression, mais qui les rangent automatiquement dans les tubes servant aux machines à composer.

Des caractères neufs sont ainsi livrés chaque soir à la composition et sont refondus immédiatement après le tirage du journal, de telle sorte que la distribution se trouve ainsi supprimée.

  1. Et mieux encore du lavement purgatif suivant, préconisé par Grisolle : Sené, 20 gr. — Jalap en poudre, 4 gr. — Miel de mercuriale, 60 gr. — Eau pure, 500 gr.