Le Commandant Gardedieu/Avertissement

La Renaissance du Livre (p. 9-12).


Avertissement.


Dans un précédent volume, le signataire du présent livre a exposé comment, au début de 1927, il avait acquis un lot de papiers manuscrits, au cours d’une vente « par suite de décès » qui avait eu lieu à Mons, dans une petite maison de la rue des Blancs-Mouchons, abandonnée depuis le début de la guerre. Ces manuscrits étaient le Journal de Gédéon Gardedieu et le Mémorial de Tartarin. Nous avons relaté comment, s’ennuyant à mourir à Beaucaire, où A. Daudet l’avait laissé, Tartarin s’était acheminé vers le Nord, quelques années avant la guerre et avait élu domicile à Mons. Nous avons conté comment Mons l’adopta et les aventures qui lui advinrent dans la cité du Doudou, ainsi qu’à son ami Gédéon Gardedieu, commandant du bataillon des Chasseurs éclaireurs. Nous avons dit aussi à la suite de quels événements Gédéon Gardedieu avait supplié Tartarin de quitter cette ville de Mons qui, transformée à l’image du héros tarasconnais, se grisait d’imaginations, de craques et de vantardises : avec un entraîneur comme Tartarin, les Montois, ces Tarasconnais du Nord, étaient — sauf respect — en train de battre le record de la Menterie.

Alarmé, le commandant Gardedieu avait compris qu’il était temps d’enrayer et, de Tarascon où il s’était rendu pour enquêter sur le passé de Tartarin, il lui avait écrit :

« .…voilà pourquoi, en conclusion de cette lettre, je suis obligé de vous parler gravement : Mons n’est plus Mons, Tartarin ; ou plutôt Mons, le Mons de l’heure présente, est dangereusement transformé par la louffoquerie de votre Midi. Je vous accorde que le terrain était préparé, que le bouillon de culture était un consommé unique. Mais, tout de même, je suis en droit de vous dire, moi qui représente, dans mon cher petit trou de ville, la tradition : « Tartarin, qu’avez-vous fait de mes Montois ? »

Écoutez-moi, mon cher et bon ami : je remplis un devoir ! Je viens vous demander, au nom de ma cité natale, au nom de mon pays, dont la réputation de sagesse et d’équilibre est mondiale : « Ne croyez-vous pas, Tartarin, que le moment est venu d’aller exercer ailleurs votre joyeuse mais coupable industrie ? »

Tartarin, noblement, avait répondu :

… Je quitterai Mons, Gédéon. Le temps de faire mes malles… Quand vous y reviendrez, vous ne m’y trouverez plus. Je laisserai dans votre petit trou de ville une partie de moi-même, la meilleure : un morceau de mon cœur ; mais, puisque vous croyez que je ferais du mal aux vôtres en y restant… Tartarin n’a jamais voulu et n’a jamais fait de mal à personne.

J’emmènerai avec moi mon fidèle Aimé Bouton, mon disciple : ses facultés d’« inventioneux » — comme il aime à se qualifier lui-même — ont d’ailleurs compromis son commerce et renfoncé son petit ventre plat (en sorte que, si ça devait continuer, la peau de son ventre collerait bientôt à celle de son dos) et dégarni les moustaches gauloises de ses sourcils. Il est devenu — et je m’en accuse s’il se doit — un bienheureux ivrogne de l’Imaginative. Si nous devions être désargentés quelque jour, nous connaissons déjà le vin que nous boirions de compagnie — le vin qui fait oublier et qui ne coûte rien. Mais nous trouverons bien, grâce à Daudet ou à sa descendance, un bureau de tabac, quelque part sur le Rhône… Et nous parlerons souvent de Mons, au comptoir, en débitant du Caporal.

…Adieu, Gédéon ! Vous m’avez écrit des paroles dures. Je vous les pardonne, parce que je vous aime. Épousez la femme montoise que votre cœur choisira et, quelquefois, quand, vos enfants ayant gagné leur chambre, vous serez seuls, à deux, sous la lampe amie, dans la vieille maison paternelle et que sonnera la grosse cloche du Château, donnez une pensée — sinon une larme à votre vieil ami,

Tartarin.

Nos renseignements sur Gédéon et Tartarin en étaient restés là et nous nous proposions d’aller à Mons interroger « la commune renommée », quand de nouveaux documents furent découverts dans le grenier de la maison de la rue des Blancs-Mouchons.

C’est la suite du journal de Gédéon.

Nous avons patiemment inventorié ces papiers : de pittoresques épisodes se sont ainsi dégagés qui font connaître tels traits nouveaux de l’âme montoise en général et de l’âme de Gédéon Gardedieu en particulier.

Daigne le lecteur s’intéresser au récit de ces avatars inédits du grand homme montois, comme il a bien voulu s’intéresser aux épisodes qui lui furent déjà contés.