Traduction par Jean Brignon.
(p. 36-39).


CHAPITRE VII.
Du bon usage des puissances, & premierement qu’il faut que l’entendement soit libre de l’ignorance & de la curiosité.

SI dans le Combat Spirituel nous n’avions point d’autres armes que la défiance de nous-mêmes, & la confiance en Dieu, non-seulement nous ne pourrions pas vaincre nos passions, mais nous tomberions souvent en de grands défauts. C’est pourquoi il y faut joindre le bon usage des puissances de notre corps & de notre ame, qui est la troisiéme chose que nous avons proposée, comme un moyen nécessaire pour arriver à la perfection.

Commençons donc par régler l’entendement & la volonté. L’entendement doit être exemt de deux grands vices, dont il a peine à se défendre. L’un est l’ignorance, qui l’empêche de connoitre la vérité, qui est son objet. Il faut donc qu’à force de l’exercer, on dissipe ses tenebres, & qu’on l’éclaire ; de sorte qu’il voye ce qui est à faire pour purger l’ame de ses passions déréglées, & pour l’orner des vertus. Or cela se fait par deux moyens.

Le premier & le principal est l’Oraison, où l’on demande au S. Esprit ses lumieres, qu’il ne refuse jamais à ceux qui cherchent Dieu tout de bon, qui aiment à accomplir la divine Loi, & qui soumettent en toute rencontre leur jugement propre à celui de leurs Supérieurs.

Le second, est une aplication continuelle à examiner soigneusement & de bonne foi les choses qui se présentent, pour sçavoir si elles sont bonnes ou mauvaises, & pour en juger, non pas selon l’aparence & sur le raport des sens, ni selon l’opinion du monde, mais selon l’idée que l’esprit de Dieu nous en donne. Par ce moïen nous connoîtrons clairement que ce que le monde aime avec tant d’ardeur, & ce qu’il recherche en tant de manieres, n’est que vanité & illusion ; que les honneurs & les plaisirs passent comme un songe, & qu’étant passés ils remplissent l’ame de regret & de chagrin ; que les oprobres sont des sujets de gloire, & les souffrances des sources de joye ; qu’il n’y a rien de plus grand, de plus généreux, ni qui nous rende plus semblables à Dieu que de pardonner à nos ennemis, & de leur faire du bien ; qu’il vaut mieux mépriser le monde, que d’être le maître du monde ; qu’il est plus avantageux d’obéir pour l’amour de Dieu au dernier des hommes, que de commander aux Rois & aux Princes ; qu’une humble connoissance de soi-même est préférable aux sciences les plus sublimes : qu’enfin l’on mérite plus de louanges en mortifiant les apétits dans les moindres choses, que si l’on prenoit beaucoup de Villes, ou qu’on défît de grandes armées, ou qu’on opérât des miracles, & qu’on ressuscitât même les morts.