Traduction par Jean Brignon.
(p. 33-36).


CHAPITRE VI.
De quelques autres avis très-utiles pour acquérir la défiance de soi-même, & la confiance en Dieu.

COmme tout ce que nous avons de forces pour vaincre notre ennemi, vient de la défiance de nous-mêmes & de la confiance en Dieu, j’ai crû devoir encore donner quelques avis très-nécessaires pour obtenir ces vertus.

Premiérement donc, que chacun se mette bien dans l’esprit que ni tous les talens, & naturels & acquis, de quelqu’espece qu’ils soient, ni toutes les graces gratuites, ni l’intelligence de toutes les Ecritures, ni tous les services rendus à Dieu durant l’espace de plusieurs années ; que rien, dis-je de tout cela ne peut le rendre capable d’accomplir la divine volonté & de satisfaire à ses devoirs, si la main du Tout-puissant ne le fortifie dans chaque occasion qui se présente, ou de faire quelque bonne œuvre, ou de surmonter quelque tentation, ou de sortir de quelque péril, ou de suporter quelque croix que la Providence lui envoye. Il faut donc que tous les jours de sa vie, qu’à chaque heure, à chaque moment il se propose cette vérité, que jamais il ne l’oublie ; & par ce moyen il s’éloignera du vice de la présomption, & n’osera pas se confier témérairement en les forces.

Mais pour avoir une plus ferme espérance en Dieu, l’on doit croire sans nul doute qu’il lui est également facile de vaincre toutes sortes d’ennemis, soit qu’ils soient peu, ou en grand nombre ; qu’ils soient forts & aguerris, ou foibles & sans expérience. Suivant ce principe, quand une ame seroit chargée de pechés ; quand elle auroit tous les défauts imaginables ; quand elle se seroit inutilement forcée de se corriger de ses vices, & de pratiquer les vertus ; quand même elle se sentiroit de jour en jour plus de penchant pour le mal, au lieu d’avancer dans la perfection, elle ne devroit pas pour cela manquer de confiance en notre-Seigneur, ni perdre courage, & abandonner ses exercices spirituels : elle devroit au contraire s’exciter plus que jamais à la ferveur, & à faire de nouveaux efforts pour repousser l’ennemi.

Car en cette espece de combat on est toujours victorieux, quand on a assez de cœur pour ne point quitter les armes, & pour tout espérer de Dieu, le secours duquel ne manque jamais à ceux qui combattent pour lui ; quoiqu’assez souvent il permette que dans la mêlée ils reçoivent quelque blessure. Il faut donc combattre jusqu’à la fin ; & c’est de-là que la victoire dépend. Car du reste celui qui combat pour le service de Dieu, qui met en lui seul toute sa confiance, trouve toujours aux playes qu’il reçoit un remede prompt & efficace, & lorsqu’il y pense le moins, il voit son Ennemi à ses pieds.