Le Collier des jours/Chapitre XXIII

Félix Juven, Éditeur (p. 78-80).




XXIII




Il y avait sous l’escalier qui conduisait de la salle à manger à la cour, une citerne à fleur de sol, munie d’un couvercle, que l’on oubliait souvent de replacer. La nuit, alors, il arrivait quelquefois que les chats, en bataille, tombaient dans l’eau, avec un grand « pouff » et des cris épouvantables.

Et c’était, dans la chambre où nous dormions, un réveil effaré, la bougie allumée nerveusement.

— Un chat qui se noie !…

— On n’a pas fermé la citerne !

Et vite, vite, hors du lit, abandonnant la pantoufle qu’elles ne trouvaient pas, les tantes disparaissaient dans le vent de la porte. J’avais bientôt fait, moi aussi, de sauter à bas du lit et de courir derrière elles.

Mais je restais sur le petit palier de l’escalier, dont le retour sur lui-même, me situait, là on ne peut mieux, pour bien voir le sauvetage. La tête engagée entre les balustres, j’assistais à une scène extraordinaire.

Dans l’ombre, qui s’amassait encore plus noire sous cette pente de l’escalier et où tremblait l’étoile rousse de la lumière éclairant si singulièrement, je ne reconnaissais plus les tantes. Accroupies au bord du rond sonore, plein d’un clapotis frénétique, les cheveux tout ébouriffés, leurs chemises de nuit gonflées au vent, elles me faisaient l’effet de furies ou de sorcières. L’une tenait une lanterne, au-dessus de la citerne, l’autre s’efforçait, avec des traits crispés, d’attacher une corde à l’anse d’un panier. Enfin, on pouvait jeter cette nacelle de salut et le malheureux chat s’y accrochait, de toutes ses griffes ; mais ce n’était pas cela qu’il fallait ; quand on voulait le remonter, le panier basculait et la pauvre bête retombait. Il devait entrer dans le panier, ce qui n’était pas facile à obtenir. Les tantes se penchaient de plus en plus au risque d’aller rejoindre le chat. Tante Zoé finissait par se mettre à plat ventre le bras complètement englouti dans l’orifice noir, tandis que tante Lili l’empoignait par sa chemise pour la retenir.

— Il y est !…

Et tante Zoé se relevait, tirait vivement la corde.

— « Prends garde qu’il ne te saute à la figure » recommandait tante Lili.

Le noyé émergeait alors, les yeux hors de la tête, réduit à rien, les poils collés, gluants et ruisselants, lamentable et ridicule. On le remontait pour l’essuyer et le sécher ; mais avant cela je m’étais bien vite sauvée pour me refourrer dans mon lit, où, un peu grelottante et très impressionnée, j’avais beaucoup de peine à me rendormir.