Le Collier des jours/Chapitre XLI

Félix Juven, Éditeur (p. 173-177).




XLI




Quand les sorties n’étaient que de quelques jours, je passais chez mon père, chez ma grand’mère ou même chez Carlotta Grisi, ces courtes vacances.

C’était chez Giselle que je m’ennuyais le moins.

Le matin, elle travaillait pendant plusieurs heures, en chemise, devant sa psyché, elle étudiait ses pas : elle courait, bondissait, marchait sur la pointe des orteils, se renversait en toutes sortes de poses, souple, légère, délicieuse. J’assistais à ce spectacle, bien sage dans un petit coin, avec une surprise et une curiosité extrêmes.

Je n’ai, d’ailleurs, jamais vu danser Giselle, que là.

Les personnes qu’elle recevait étaient très aimables pour moi ; dans l’idée de plaire à la tante, sans doute, on flattait la nièce.

J’ai gardé le souvenir, toujours attendri, d’un jeune prince étranger, pâle et blond, qui était mon ami plus que les autres. Je lui tenais compagnie, dans ses longues stations d’attente au salon. Il causait avec moi, comme avec une grande demoiselle, d’une voix douce et sourde, et toute sa personne me paraissait particulièrement précieuse et élégante. Il me fit des cadeaux merveilleux, entre autres celui d’un canard mécanique que l’on remontait avec une clé, et qui marchait, battait des ailes et faisait : coin-coin !… Il me donna aussi un salon, formé d’un paravent rose et or, où s’enchâssaient des glaces, alternant avec des tableaux, d’un mobilier mignon et de deux belles dames qui se rendaient visite. Ce fut là mon jouet de prédilection, et je le conservai très tard dans ma vie.

Quand c’était chez ma grand’mère, que je passais mes jours de sortie, ils étaient alors pour moi une vraie pénitence.

Cette dame, solennelle, sévère et grognonne, m’était tout à fait antipathique, et, de plus, elle me faisait peur, de sorte que, contre ma coutume, je subissais sa tyrannie.

Elle occupait, passage Saulnier, derrière une cour, séparée de la rue par une porte cochère, et un mur orné de pots de fleurs, un petit appartement au premier. Victoire, sa bonne, une femme d’un certain âge, coiffée d’un tour de cheveux noirs comme de l’encre, qui lui donnait un air terrible, venait me chercher au couvent. Aussitôt arrivée passage Saulnier, ma grand’mère me faisait asseoir sur une petite chaise auprès du feu (c’était le plus souvent en hiver) et me donnait à lire un livre très ennuyeux, pour me faire tenir tranquille, disait-elle.

Je rôtissais d’un côté, ma joue devenait toute rouge, et avec des impatiences dans les jambes et des envies de crier, je n’osais pas bouger, pendant des heures. Quelquefois, j’obtenais d’aller faire le marché avec Victoire, et c’était une délivrance.

Quand la grand’mère était absente, ma seule ressource pour me distraire, était de converser avec le perroquet, le seul personnage de la maison pour qui j’eus de la sympathie.

C’était un vieil oiseau, qui en savait long, et m’enseignait complaisamment tout son répertoire. Il me reprenait très drôlement quand je me trompais, en me regardant de son petit œil malin et j’avais pour lui la plus vive admiration. J’ai appris de lui bien des refrains et, entre autres une chanson, paroles et musique, que je n’ai jamais oubliée :


« Quand je bois du vin clairet,
Tout tourne au cabaret… »

Chez mes parents c’était plus gai ; je retrouvais ma sœur, et il y avait un perpétuel va-et-vient de gens, que je ne connaissais pas, mais qui étaient connus, quelquefois célèbres ; entre autres Ernest Reyer, qui chantait au piano d’extraordinaires chansons, Paul de Saint-Victor, Nadar, Vivier, qui jouait du cor de chasse et imaginait les farces les plus étonnantes. Une négresse cantatrice Maria Martinez, surnommée la Malibran noire. Elle embrassait, de ses grosses lèvres, ma mère, qui n’aimait pas du tout cela et prétendait qu’elle sentait le singe. Mon père s’intéressait à elle et s’efforçait de la protéger dans sa carrière fantaisiste et décousue. Il composa même pour elle une opérette, qui fut jouée, intitulée : La Négresse et le Pacha.

Une rieuse demoiselle, connue par voisinage (elle habitait sur le même palier) Marie Dupin, était là aussi très souvent. Son nez, spirituellement relevé, amusait beaucoup mon père, qui essaya plusieurs fois de le croquer.

Louis de Cormenin, le parrain de ma sœur, venait souvent nous chercher, et nous conduisait au théâtre de Séraphin, ou bien nous promenait en voiture ; mais, à moi, campagnarde, puis recluse, la voiture ne me plaisait guère, je n’y étais pas très rassurée et je vois encore le regard de surprise et de dédain suprême, que ma sœur, Parisienne déjà blasée, laissa tomber sur moi, un jour où j’avais peur d’un cheval, que je trouvais trop grand, et qui se cabrait !