Le Collier des jours/Chapitre LXX

Félix Juven, Éditeur (p. 283-286).




LXX




Il fut décidé qu’on passerait l’été à Enghien. Ma sœur avait la gorge délicate, ma mère avait besoin de fortifier ses cordes vocales, l’eau sulfureuse ferait du bien à tout le monde.

Nous sautions de joie, croyant voir l’institutrice renvoyée après les vacances. Mais bien au contraire, ce départ hâta la décision. Mon père devait rester, la plupart du temps, à Paris, ma mère avait besoin d’y venir toutes les semaines, qu’aurait-on fait de nous ? Mlle Huet devenait indispensable.

Elle nous rejoignit après la première semaine de notre séjour à Enghien.

Nous étions si évaporées par le grand air, si éperdues de jeu et d’un engouement nouveau pour de délicieuses Espagnoles, devenues nos camarades, que l’effet de cette arrivée, si redoutée, en fut émoussé.

Ce jour-là même, ma mère allait à Paris et nous raccompagnâmes à la gare. Au retour, nous étions seules avec Mlle Huet. Elle s’efforçait de se montrer très aimable, très bonne enfant, pas sévère du tout ; mais elle nous proposa de faire une promenade, au lieu de rentrer, prétendant que rien n’était bon pour la santé, comme les longues trottes.

Nous eussions préféré jouer dans le jardin ; mais il fallait bien la suivre. Elle nous entraîna vers des sites fort vilains, que nous ne connaissions pas : le long d’un chemin poussiéreux, où des vignes basses, sur des terrains bossués, cachaient toute vue. Nous nous jetions des regards navrés, ma sœur et moi.

Tout à coup, Mlle Huet poussa un cri, et s’élança entre les ceps.

Qu’est-ce qui lui prenait ?… Nous nous étions arrêtées net, croyant qu’elle avait été piquée par une guêpe, ou qu’elle avait vu un serpent.

Mais d’une voix joyeuse, elle s’écria

— Un escargot !…

Alors, elle retira de sa poche, un mouchoir, qu’elle déploya et qui parut presque aussi grand qu’une serviette, elle l’étendit par terre, puis cueillant délicatement l’escargot, elle le posa au milieu.

— Comment ! vous allez l’emporter ?…

— Lui et bien d’autres, j’espère. Des escargots de vignes !… Vous ne savez donc pas comme c’est recherché ?… Allons, mes enfants, faites la chasse avec moi…

Et nous voilà, cherchant des escargots sous les feuilles, en nous demandant, tout ébahies, qu’est-ce qu’elle pourrait bien en faire ! C’était tout de même moins ennuyeux qu’une leçon de grammaire, et nous allions gaîment d’un cep à l’autre, un peu dégoûtées, mais intéressées tout de même à la chasse.

Quand le mouchoir fut rempli, Mlle Huet le noua soigneusement, et tout verdi, gluant et grouillant, le rapporta à la maison, au grand effroi de la cuisinière.

— Vous ne savez donc pas votre métier ? disait Mlle Huet, une cuisinière qui se respecte doit savoir accommoder les escargots, car c’est un mets des plus délicats. Nous allons les faire jeûner, et, demain, je les préparerai moi-même, selon la bonne recette provençale, et vous vous en lécherez les doigts.

Malgré cette affirmation, personne ne voulut goûter aux escargots, et, au risque de se donner une indigestion, Mlle Huet les dévora toute seule, tandis que nous nous cachions les yeux, pour ne pas voir ce spectacle.

On eût dit des représailles, quand, l’institutrice, un peu vexée, déficela un ballot de livres menaçants, à cartonnages marbrés, qui nous annonçaient l’irrévocable avènement d’une ère nouvelle.