Le Collectivisme, Tome I/Chapitre VI

Imprimerie Louis Roman (Tome Ip. 27-30).

VI

On s’imagine communément que la nationalisation du sol et de l’outillage industriel, si elle doit unifier la situation des citoyens, les réduira tous à une misère pareille.

Il suffit de prendre, pour base de nos calculs, les chiffres officiels qui n’ont pas été combinés pour les besoins de notre cause, pour en dégager des conclusions tout autrement optimistes.

Le gouvernement saxon a publié récemment la statistique suivante, qui a servi, en 1892, au prélèvement de l’impôt sur le revenu :

Classes Contribuablesxxxx Revenus en marcs
I 950.000 xsoitx 66.06 %xxxx 477.350.154 xsoitx 31,29 %
2 438.784 » 30,51 » 589.191.748 » 38,62 »
3 038.796 » 02,70 » 198.805.510 » 13,03 »
4 010.537 » 00,73 » 260.143.761 » 17.05 »


On remarquera immédiatement que les citoyens des deux classes supérieures, soit 49.333 contribuables, représentent 3.43 p. c. de la population et jouissent néanmoins d’un revenu de 458.949.271 marcs, équivalant à 30.09 p. c. du revenu total de la nation. Leur situation est égale à celle des 950.000 contribuables de la classe inférieure.

L’expropriation du revenu prélevé par les classes privilégiées de Saxe permettrait de doubler les ressources des citoyens les plus pauvres de ce pays : il en résulterait un développement de toutes les industries, qui assurent la satisfaction des nécessités ordinaires de la vie, et les classes moyennes seraient les premières à en profiter.

Les 49.333 contribuables des classes supérieures, rejetés dans les rangs de la classe moyenne, trouveraient aisément, à raison du mouvement économique qui serait provoqué par l’amélioration du sort des hommes des classes inférieures, à employer utilement et lucrativement leur activité.

Nous osons affirmer que toutes les statistiques qui seront publiées en Saxe et ailleurs, relatives aux ressources des diverses classes sociales, fourniront des données identiques et permettront d’en tirer d’identiques conclusions.

Il a été dit notamment qu’un partage égal du capital accumulé en Belgique, ne modifierait guère la situation des classes déshéritées. C’est là une erreur manifeste.

Le capital belge a été évalué à trente milliards, ce qui équivaut à cinq mille francs par habitant, soit vingt-cinq mille francs environ par famille moyenne.

Si l’on suppose que ce capital n’assure qu’un revenu de 3 p. c., revenu évidemment fort inférieur au revenu réel, les ressources de chaque famille se chiffreraient par 750 francs, qui viendraient s’ajouter au salaire familial.

On peut en inférer que l’ouvrier belge verrait en cette hypothèse, comme l’ouvrier saxon, sa force économique largement doublée. Cette amélioration provoquerait nécessairement et fatalement une expansion industrielle que tout homme de bonne volonté et de bon sens doit appeler de tous ses vœux.

Il importe de faire remarquer que l’introduction du régime collectiviste, ainsi précisé, n’aurait pas pour conséquence de mettre le pays qui l’appliquera, dans un état d’infériorité au point de vue international. Il est évident qu’un ouvrier qui jouit déjà d’un revenu annuel de 750 fr. sera plus disposé à accepter une légère diminution de salaire, si elle doit permettre d’augmenter la productivité de la nation, sa force d’échanger et amener ainsi l’introduction plus aisée de matières premières ou de produits que d’autres nations peuvent fournir à des prix avantageux.

Pour résumer, en une courte phrase, la situation qui serait le résultat de l’appropriation collective des richesses, telle que nous l’avons esquissée, nous ne pouvons mieux faire que d’assimiler la collectivité à une vaste société anonyme dont chaque citoyen serait un actionnaire. Seulement, dans cette société tous les actionnaires auront des droits et des avantages égaux.

L’inégalité ne dérivera pour eux que de l’inégalité des efforts qu’ils dépenseront pour faire fructifier le patrimoine commun, à moins que cette inégalité des efforts ne provienne d’une cause indépendante de leur volonté : défauts physiques, faiblesse congénitale, infériorité intellectuelle, aptitudes restreintes, vieille ou maladie.

C’est donc de la gestion, de l’administration, de la mise en valeur du patrimoine commun que dépendront et le revenu social, et le revenu individuel.

Une collectivité sera d’autant plus prospère et plus riche, que ses membres seront plus disposés à accumuler leurs efforts et plus aptes à rendre ces efforts aussi efficaces et aussi productifs que possible.



Fin du premier volume.