N.-D. des Sept-Douleurs.
(p. 11-14).

Départs d’Automne

À Armand Sylvestre



Lautomne triomphant souffle dans ses clairons,
Arbres creux, vieilles tours, flèches des cathédrales
S’emplissent tristement de rumeurs sépulcrales,
Tandis qu’on voit passer les grands vols des hérons.

Après les chants d’amour, les heures fortunées,
Les soirs clairs, ils s’en vont vers le Midi vermeil,
Et dans l’air alourdi des froides matinées
Rêvent d’un minaret blanc sous le chaud soleil.

Ils s’en vont, la tempête enfle leurs grandes ailes,
Mais sur la route immense ils notent les détours,
Gardant le souvenir et l’espoir des retours ;
Ils s’en vont… mais leurs cœurs restent toujours fidèles.


 Les jeunes gens d’Alsace, après avoir vendu
Les dernières moissons et le sol de leurs pères
Partent sous d’autres deux cherchant des jours prospères,
Ressemer le blé lourd du paradis perdu.

 Car ils ne veulent pas, soldats des nouveaux maîtres,
Dans le triste Hanôvre, ou le froid Brandebourg,
Aller servir trois ans, et, songeant aux ancêtres,
Ils n’osent regarder le clocher de Strasbourg.

 Ils ont assez pleuré !… mais la flèche se dore
Sous le pâle soleil, et les blonds émigrants
Qui reviendront un jour chasser les conquérants
S’arrêtent, tout pensifs, pour regarder encore.

 La bise emporte au loin les papillons d’azur ;
Ils s’envolent, ouvrant leurs ailes diaprées
Pour découvrir les fleurs de nouvelles contrées,
Imprudents que la mort guette au coin d’un vieux mur.

 Ils espéraient trouver derrière les collines
Des parfums plus puissants aux lis immaculés,
De longs chemins couverts, sablés de cornalines,
Des prés toujours fleuris et des deux étoilés.



 Ils espéraient trouver les splendeurs d’autres mondes…
— Hélas ! le vent du nord brise les papillons,
Et, brusquement saisis dans les froids tourbillons,
Ils décrivent, lassés, d’interminables rondes.

 Sur le chemin bordé de hêtres rougissants,
Leurs ailes vont rouler avec les feuilles sèches,
Où les derniers soleils, jetant mille flammèches,
Allument chaque soir des feux éblouissants.

 C’est l’heure inexorable où meurt le poitrinaire,
Dont les acres vapeurs corrodent les poumons,
Et l’Angelus lointain semble un glas mortuaire
Accompagnant le chœur chanté par les démons.

 Car si le ciel défend les trop ardentes fièvres,
Les phthisiques mourants brulés par les amours,
Plus que tous ont vécu dans leurs printemps trop courts,
Plus que tous ont senti des hymnes sur leurs lèvres.

 Mais auprès de Satan, peut-être le damné
Sous les brillants arceaux où se tordent des flammes,
Errant désespéré, rencontre-t-il des âmes
Qui furent Cléopâtre, Aspasie et Phryné !


 — Pourquoi songer aux morts retournés à la terre ?
Ils sont passés, pourquoi songer au dur trépas ?
Il doit venir ; pourquoi chercher le noir mystère,
Ouand la grande Faucheuse est déjà sur nos pas ?

 Sombre automne, oublions tes jours froids et moroses,
Oublions tes douleurs comme au temps des aïeux,
Nous ayons les rubis du vin qui rend joyeux,
Si nous ne pouvons plus aller cueillir des roses.