Le Clavecin de Diderot/Le surréalisme au service de la Révolution

Éditions surréalistes (p. 147-165).

LE SURRÉALISME AU SERVICE
DE LA RÉVOLUTION

Quelle que soit la question qu’on aborde et le côté dont on l’aborde, à peine franchies les curiosités extérieures, dès le périmètre, il faut bien, à la convergence des rayons, reconnaître pour centre du cercle le désir de la connaissance.

Mais, ici, le déterminatif abstrait n’a pas à faire le vampire, à vider de leur sang, pour les momifier l’homme et ceux de ses besoins qu’un vocabulaire abusivement analytique taxe d’immatériels.

Le désir de la connaissance fait partie intégrante de l’ensemble des désirs, du Désir, puisque né de l’obligation pour la créature de trouver un accord entre ses exigences les plus intimes et celles du monde extérieur.

Cet accord, dans la France de 1932 n’est certes point un accord parfait.

Le désir de la connaissance que l’opportunisme méditerranéen voulut, dès la plus haute antiquité, étouffer sous les roses païennes, l’Église entendit, plus tard être son étrangleuse. Or, s’il a su ressusciter de toutes les asphyxies plus ou moins parfumées au parfum des vertus chrétiennes, il doit aujourd’hui encore triompher de plus d’un attentat dogmatique.

Qu’on gratte certaines crasses, qu’on se refuse à la tradition ignorantine, qu’on ne laisse plus tourner à l’endive, au fond d’artichaut filandreux la matière érectile, la matière sensible, et de se condenser, se concentrer la tartuferie éparse dans l’atmosphère d’un monde petit-bourgeois.

Front unique des foudres pudibondes : « Vous ne cherchez qu’à compliquer les rapports si simples de l’homme et de la femme, nous dit une buse » (cf. André Breton, Misère de la poésie).

Étrange matérialisme que celui de cette buse pourtant matérialiste de profession ! Quoi de plus spécifiquement idéaliste, en effet, que la croyance en la possibilité pour tel ou tel de compliquer des rapports simples ?

Cet apriorisme témoigne en outre d’un esprit assez peu révolutionnaire pour donner à redouter la naissance d’un nouveau puritanisme, en réplique, d’ici un siècle ou deux, aux prohibitions et hypocrisies de l’Amérique sèche. Les vrais matérialistes, et aussi bien Diderot, quand il explique par la pauvreté ou la peur de la vérole certaines anomalies qu’Engels quand il étudie les origines de la famille, ont constaté l’universelle réciprocité, de loi, dans le domaine sexuel, comme ailleurs.

Et cependant la superstition d’une responsabilité individuelle intrinsèque semble prévaloir, et, avec elle, la notion de faute, de péché. Ainsi parce que les cervelles sont mal décapées du christianisme et de ses croûtes, à la fin de ce premier tiers du XXe siècle, l’Encyclopédie apparaît vraiment à refaire.

D’autre part, quoi qu’en ose prétendre, tel soi-disant psychanalyste, la réaction coléreuse de qui se soumet à son examen n’est pas simple réflexe d’un refoulé qui défend son refoulement. Le psychanalysé libre de psychanalyser son psychanalyseur, a, dès la première question, constaté que la psychiatrie donnée pour médecine de l’âme est en train de tourner à la médecine de l’amour.

Que se poursuive ainsi la suite des escroqueries idéalistes, les découvertes de Freud n’en demeurent certes pas moins admirables. Mais, sous les précautions oratoires de ses suiveurs, on retrouve la grossièreté bien réaliste du carabin classique dont la turlupinade, avec l’âge, ne manque jamais de tourner à l’esprit fort.

Après des citations de Marx et d’Engels, amplement compensées, du reste, par celles de Mmes Jeanne Galzy, Maryse Choisy, Gina Lombroso et la princesse Nouchafferine, le Dr Allendy qui, dans son dernier livre Capitalisme et sexualité, ose faire comme s’il combattait les préjugés, ne s’en hâte et réjouit pas moins d’affirmer, avec une suffisance de joli barbu, que « les femmes se sont adaptées à un rôle de parasitisme économique et sont liées au capital. La femme, conclut-il, n’est pas seulement, comme dans le symbolisme poétique, la coupe qui reçoit la semence et la conserve. Elle est aussi la tirelire qui retient les sous ».

En réponse à tant de galanterie, il faut bien demander à ce médecin si sa médecine ne s’est pas, elle aussi, liée au capital. Alors, j’y vais de ma petite question : comment le Dr Allendy conçoit-il l’exercice de sa psychanalyse, après l’édification du socialisme ? Selon lui, si j’ai bonne mémoire, la cure, pour porter ses fruits, doit imposer au patient, entre autres sacrifices, un sacrifice d’argent. On voit d’ici le soigneur qui, par probité scientifique, dit au soigné : « Vous avez deux mille francs par mois. Si vous voulez que je vous guérisse donnez-m’en mille. »

L’humour reprend ses droits qu’il n’avait, d’ailleurs, jamais perdus. Ubu fait monter la psychanalyse dans le voiturin à phynances.

Les palotins de tout poil se mettent ainsi à nous la faire et refaire à l’oseille. Quand Berl écrit : « Il y a un genre littéraire qui, de toute évidence est malade : la poésie » , nous voyons passer le bout de l’oreille, oreille d’âne bien entendu, et d’un âne qui a contre qui se frotter puisque asinus asinum fricat.

Or, cet âne, tous les ânes en fin de compte, ne demandent qu’à braire un petit retour à l’humanisme, au culte des apparences, au réalisme. Ils veulent ce que leurs pareils ont toujours voulu : que le clavecin n’ait rien à se rappeler, qu’il s’assourdisse, petit à petit, jusqu’à n’être plus qu’un de ces claviers muets, dont se servent, pour leurs gammes, les virtuoses en voyage.

Alors, les doigts ont beau s’exercer, nulle oreille ne peut, de ces exercices, être nourrie.

Et ceux qui veulent entendre ?

Et entendre dès maintenant, dès ce monde.

Au lycée, leur eût-on épargné les farces menaçantes du catéchisme, à propos de n’importe quoi, fût-ce le début des Métamorphoses d’Ovide (Os homini sublime dedit) on avait tout mis en œuvre pour les persuader de regarder au-dessus d’eux, mépriser ce qui se passe à leurs pieds, s’oublier et oublier leur monde dans la contemplation du firmament.

Aujourd’hui, ne prennent plus ces attrape-nigauds que l’on croyait des attrape-poètes.

Ainsi, Pierre Unik, dans le Théâtre des nuits blanches, constate : « Le ciel n’était que le miroir de l’obscurcissement. »

Il ajoute d’ailleurs : « Le battement d’ailes de l’amour à son apogée laissait une trace d’air libre sur les ténèbres du miroir. »

Visage, visage perceur de murailles, s’était déjà écrié Paul Éluard.

Or, l’amour, s’il est cette voie lactée, cette fenêtre ouverte, on sait, de quelle suie, de quelle pluie de vitriol l’accable la Réalité du monde capitalo-religieux, où, tout demeure, on ne peut plus tristement actuel, des monstruosités dénoncées par Engels dans Les Origines de la famille.

L’idéalisme bourgeois s’y connaît assez en chantage, pour fausser les rapports de clavecin sensible à clavecin sensible.

Esprit, âme, fidélité, à qui s’autorise de ces grands mots et de tant d’autres, pour codifier les anciennes défenses et en édicter de nouvelles, Diderot a donné, sous forme interrogative, la meilleure réponse qui se puisse :

« Et d’où savez-vous que la sensibilité est essentiellement incompatible avec la matière, vous qui ne connaissez l’essence de quoi que ce soit, ni de la matière, ni de la sensibilité ? Entendez-vous mieux la nature du mouvement, son existence dans un corps, sa communication d’un corps à l’autre ? »

Mais justement, ils n’entendent rien, ne veulent rien entendre et c’est pourquoi une telle banqueroute (la crise, la Crise majuscule, générale de par les Royautés parlementaires et Républiques conservatrices) étouffe « le commerce des hommes, dans lequel, constatait Diderot, il n’y a que des bruits et des actions ».

Du bruit, des actions…

Paresse, lâcheté, opportunisme ont voulu croire, ont fait en sorte qu’on crût le contraire. On a donné comme le fin du fin, la fin des fins, la vie intérieure, on a conseillé au vivant le silence, l’immobilité. On a prétendu ceux de la pensée, les attributs mêmes de la mort.

Ce n’est point simple hasard, ce n’est point rencontre fortuite au jardin des symboles, si, dans le premier film de Bunuel et Dali et sur plusieurs toiles de Dali, ressuscite le clavecin de Diderot, sous forme d’un piano qui a toutes ses dents et tous ses nerfs et offre son clavier au délire de Guillaume Tell et de ses compagnons, sa caisse à l’éclosion d’incroyables fontaines, et surtout, son dos à l’étalage des ânes pourris et ses chevilles impitoyables aux cordes étrangleuses de frères ignorantins.

De toute sa force, de la seule force de ses sentiments et de ses muscles, le héros du Chien andalou traîne ce fardeau pathétique et vengeur, à travers un appartement, on ne peut plus quotidien.

Clavecin sensible : les encyclopédistes dans leur immense entreprise, au cours d’un siècle de bouts-rimés, n’ont cessé de témoigner du véritable esprit poétique, d’un esprit qui voulait faire quelque chose, fit quelque chose, puisqu’il prépara la chose à faire la Révolution , et ainsi, fut digne de l’étymologie de son admirable qualificatif poétique du grec poiein, faire.

La poésie faut-il encore répéter qu’elle n’a rien à voir avec ces chants plus ou moins heureusement rimés ou rythmés qui flattent les choses et les êtres bien en place et les laissent à leurs places ?

La menace que ne cesse d’être une poésie digne de ce nom, Platon ne fut-il pas le premier à la reconnaître, qui chassait les poètes de sa République bavarde et opportuniste, la première république des professeurs.

Le poète, il est le plus sensible des clavecins sensibles, donc, de ce fait, le moins facile d’entre eux. Ses recherches, son alchimie, si verbale puisse-t-elle paraître, ne font point de lui un de ces spécialistes que la société volontiers protège, sachant que toute spécialité à soi-même confinée, ne risque guère de lui être danger.

Un contemporain de Diderot imagine un clavecin de couleurs, Rimbaud, dans le sonnet des voyelles, nous révèle le prisme des sons, les objets surréalistes de Breton, Dali, Gala Éluard, Valentine Hugo, sont des objets à penser amoureusement : la poésie, ainsi, lance des ponts d’un sens à l’autre, de l’objet à l’image, de l’image à l’idée, de l’idée au fait précis. Elle est la route entre les éléments d’un monde que des nécessités temporelles d’étude avaient isolés, la route qui mène à ces bouleversantes rencontres dont témoignent les tableaux et collages de Dali, Ernst, Tanguy.

Elle est la route de la liberté, une route qui ne veut pas se laisser perdre parmi les terrains vagues.

« Nécessités de la vie et conséquences des rêves », écrivait, voilà plus de dix ans, Paul Éluard en titre à un recueil de poèmes. Or, « la nécessité n’est aveugle que tant qu’elle n’est pas connue ». Engels qui cite cette phrase de Hegel la commente en ces termes : « La liberté n’est pas dans une indépendance illusoire par rapport aux lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité, fondée sur cette connaissance, de les faire agir, afin d’atteindre des fins déterminées. Cela se rapporte aussi bien aux lois qui régissent la nature extérieure qu’à celles qui régissent l’être matériel et moral de l’homme même, c’est-à-dire à deux catégories de lois qu’il est, tout au plus, permis de séparer dans nos idées, non dans la réalité. La liberté de vouloir n’est donc, par conséquent, que la faculté de prendre des décisions en connaissance de cause. »

Connaissance de cause, connaissance, conséquences des rêves.

Quelques syllabes sur la couverture d’un livre pré-surréaliste avaient donc, déjà, situé les recherches qui, pour le plus grand dommage des profiteurs de la très française idolâtrie analytique, devaient aller à ces découvertes que les connétables des lettres, poètes gentilshommes (à nous les particules de l’ère romantique !) poètes-politiciens chers à M. Thibaudet n’avaient, jamais, certes, eu la tentation de donner pour buts à leurs promenades dans ces domaines dont ils avaient fait leurs chasses gardées. Ils étaient en quête de rossignol. Mais, comme s’est plu à le rappeler Lénine, en tête d’une de ses études, le rossignol ne se laisse pas nourrir de fables. Or, il y a belle lurette qu’il se mourait de faim l’oiseau-symbole. Qui aurait, en effet, pu venir lui porter à manger, puisque les très démagogiques clés des songes, dont s’encombrent les boîtes à bouquins, les boîtes à rouilleries, sur les quais, n’ouvraient nulle porte.

Une des nécessités de la vie et de l’esprit, de la vie de l’esprit, la nécessité poétique ne semble la plus aveugle que parce qu’elle est la plus difficile à connaître.

Le surréalisme qui entend dissiper les obscurités tabou, ainsi, travaille à élaborer la notion d’une liberté, enfin, à ne plus confondre avec les caprices d’esthète, la fantaisie et autres crépinettes de l’individualisme.

Et cependant, voici que, déjà, retombent dans les traquenards dénoncés par les dialecticiens marxistes ceux qui, faute de les avoir compris, faute d’avoir trouvé dans leurs ouvrages des textes d’application immédiate, au lieu de travailler à la synthèse, victimes de la vieille manie analytique, opposent entre elles les nécessités donnent à choisir entre les unes et les autres et les libertés qui correspondent aux unes et aux autres.

Les quelques hommes qui demeurent groupés autour d’André Breton ont à charge et à cœur de poursuivre le mouvement dont le Manifeste du surréalisme a marqué la naissance, et le Second Manifeste un point de son évolution qui, à l’image de toute évolution, est « concevable comme unité des contraires dédoublement de ce qui est un en principes qui s’excluent et rapports entre ces principes opposés » (Lénine).

Les rapports entre ces principes opposés, voilà ce que nient les intellectuels de toute leur rage métaphysicarde.

L’ignorance systématique des problèmes culturels n’est pas mieux tolérable chez qui prétend travailler de toute sa violence à la résolution du conflit social, que le mépris du conflit social de la part de qui déclare s’intéresser, de près ou de loin, à l’examen des questions culturelles.

Et pourtant ce mépris, cette ignorance osent encore se manifester avec une telle impudence que Breton dut écrire Misère de la poésie, en réponse à toutes les niaiseries et saletés qui avaient trouvé une occasion inespérée de donner libre cours à leurs flots, lors de l’affaire Aragon (publication du poème Front rouge dans la revue Littérature de la Révolution mondiale. Inculpation d’Aragon. Protestation et appel en sa faveur des surréalistes).

On sait qu’Aragon lui-même, en vint à dénoncer comme contre-révolutionnaire le contenu de la brochure, avec laquelle, il avait commencé par se déclarer objectivement d’accord, si tactiquement contre.

La plus calomnieuse, mais, sans doute, la plus tactique des injures, la désassimilation soudaine de ce qui avait pu sembler, sinon le plus haut souci, du moins la spécialité, quinze années durant, d’un être, à ne les considérer, que du point de vue de la dialectique, dont, justement, elles se réclament au premier chef, révèlent l’étroitesse spécifique dénoncée par Engels, l’étroitesse d’un de ces petits crânes analytiques, où il n’y aura jamais place pour l’ample travail de la synthèse.

N’est-ce point, d’ailleurs, la même maladie de l’intelligence, le même dualisme non surmonté[1] qui, au plus beau de sa période littéraire inspirait à Aragon l’inoubliable « Moscou la gâteuse ».

Aux observations que se voient, de toute part, opposer les recherches surréalistes, à la négation des problèmes culturels qu’on ne veut pas laisser résoudre, pas même poser, il n’est de meilleure réponse que cette constatation d’Engels dans l’Anti-Dühring : « Les principes ne sont pas le point de départ de la recherche mais le résultat final, ne sont pas appliqués à la nature et à l’histoire de l’humanité, mais en dérivent. Ce n’est pas l’humanité et la nature qui se modèlent sur ces principes, mais les principes ne sont vrais que dans la mesure où ils concordent avec la nature et l’histoire. »

Désespérer, de façon catégorique ou passive, de cette concordance, c’est, à la vérité, faire preuve d’agnosticisme, c’est, pratiquement, condamner à la tour d’ivoire le poète. Mais voici que justement, de ses propres mains, il déchire le brouillard dont on voulait noyer son monde, pour qu’il crût que sa plate-forme était la seule île solide. Il ne veut plus de cet isolement. Ce refus lui est dicté par une nécessité, désormais à ne plus contrarier : la nécessité poétique dont la méconnaissance, l’ignorance fut un des attributs négatifs mais indéniables de la culture bourgeoise.

La bourgeoisie ne voulait, en effet, que des chants en son honneur, des gammes, arpèges, triolets où elle pût reconnaître l’écho de ses bruits intimes (depuis la plus grasse de ses satisfactions bémoles, jusqu’à la plus aiguë de ses inquiétudes dièses).

De position idéologique, la bourgeoisie ne sut jamais prendre, ni chercher d’autre que celle commandée par le plus grossier, le plus immédiat des besoins.

Aussi, Rodin a-t-il eu raison d’asseoir, en fait de penseur, devant le Panthéon des gloires nationales, un homme de bronze dont l’effort nous donne à penser que ça lui tombera des boyaux, plutôt que ça ne lui jaillira de la cervelle.

Une tel spectacle, d’ailleurs, nous évitera d’oublier que le Panthéon devait être une église, et, en tout cas, n’a pas été, comme il eût fallu, désaffecté, désinfecté, a conservé sa forme de croix.

Cette brute d’airain, sous son apparence de nudiste obtus, avec son anatomie d’adjudant, il est le digne successeur de Dieu, de l’Immobile, pour qui, étant donné ses attributs, la création n’est concevable que sous forme de divertissement fécal.

Quant à la bourgeoisie qui s’est donné pour mâle ce penseur à son image, elle prétend fruit de ses entrailles, de ses seules entrailles tout ce qui est esprit.

Elle veut faire croire que, forcément, de ses jupes, doivent sortir, aux plis de son cotillon, s’accrocher les intellectuels.

Que l’un, parmi eux, ne soit, se réjouisse de n’être, d’elle, issu, que tel autre d’elle s’éloigne, elle commencera par faire des petits signes d’amitié, des mamours. Elle ouvre son giron, elle ne demande qu’à être la maman Kangourou de tous les enfants prodigues.

Et si l’on ne veut pas habiter la poche où elle entasse tous ceux qui, par peur des intempéries, acceptent la tiédeur nauséabonde qu’elle leur a offerte ?

Alors, elle imite la plus rageuse des femelles, la Vierge Marie , alors, elle se métamorphose en Notre-Dame du coup de pied dans le bas-ventre. Il ne faut pas qu’on lui résiste. Elle entend, à la fois, pondre tout et tous et ne rien laisser de ce qu’elle a pondu. Elle s’adore au point de gober, comme si c’était des œufs du jour, ses moindres, ses plus vieilles crottes de bique. Elle ne se nourrit que de ses déjections, même et surtout quand elle fait la petite idéaliste. Sacre-t-elle basses certaines parties de son individu c’est afin de s’en mieux délecter.

Soumis à son exemple, chacun de ses fils se condamne au plus grossier matiérisme.

Ainsi le veut la tradition de l’Église de toutes les Églises, pour qui l’esprit devient matière, le Verbe se fait chair.

L’homme religieux (ou, ce qui revient au même, celui dont le libéralisme zigzagant n’échappe point au croc-en-jambe des idolâtries ancestrales) ce délicat tombé de la plus nébuleuse des nébuleuses, dans un tonneau de vidange, cet idéaliste, il n’en fait pas moins profession de mépriser le matérialiste, pour qui, l’être conditionnant le penser, il y a passage de la matière à l’esprit, donc, selon le jugement qualitatif de l’idéaliste lui-même, progrès, au lieu de cette chute orthodoxe et désespérante de l’esprit en pleine matière.

La bourgeoisie ne pouvait vouloir d’autre psychologie que celle qui, de la pensée, considère le seul arrêt. Elle ne voulait point que conscience fût prise d’une course, signal donné d’une marche qui eussent pu mener ailleurs. Elle parlait de précision, d’instruments, d’expérience, mais au lieu de montre, elle offrait un cadran, avec deux aiguilles peintes à même le carton. Elle croyait ainsi que l’heure ne changerait pas, donc que ne passerait pas la sienne, que ne viendrait pas celle des autres.

Un auteur prophétisait la fin de l’Éternel.

Nous nous contenterons de travailler à la fin de l’Immobile.

Et, dès maintenant, parce que, toujours et encore, la dent des vieux préjugés veut mordre dans l’œuvre révolutionnaire, parce que, jamais, ne se dissipe la menace des obscurantismes, parce que n’est point assez clairement dénoncée la méthode dont le défaut interdit d’aller de la nuit au jour par une aube illuminée de rêves, parce que les spécialistes ne cessent de nous la nasiller à la réalité, parce que le conventionnel esthétique, l’apriorisme moral renaissent de leurs cendres, il importe de rappeler, non en guise de conclusion, mais comme signal de départ la définition donnée par Breton, dans son premier Manifeste du surréalisme.

Surréalisme : n. m. automatisme pur, par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre façon, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

  1. À ce dualisme non surmonté, à cet actualisme borné, à ce plat esprit de circonstance, nous opposons la dialectique spontanée, l’authentique poésie, l’humour objectif d’un Péret, qui, dans la mort du lieutenant Condamine de la Tour , au Maroc, dans celle de la propriétaire des magasins de la Samaritaine : Elle est crevée la mère Cognac, trouve une inspiration à faire honte à ce monde, à ce temps une inspiration toujours digne du titre de son prochain recueil : Je ne mange pas de ce pain-là. Seule, une telle inspiration nous rapproche de cet équateur (enfin à ne plus confondre avec le tiède, écœurant juste milieu) dont un point brûlant ne peut manquer de s’offrir, quelque jour, à la rencontre des lignes nées aux antipodes, aux pôles de l’homme.