Le Clavecin de Diderot/L’opium du peuple et des autres

Éditions surréalistes (p. 22-25).

L’OPIUM DU PEUPLE ET DES AUTRES

Mais s’agissait-il de drogues, la fameuse chanson finale devait être toujours un cantique à la gloire de l’opium du peuple. Un petit coup de musique religieuse. Là, ça va mieux. Ce sont de saintes âmes que les âmes des violons. Quant à celles des orgues, nul ne leur conteste une magnificence archiépiscopale.

Et même ceux qui prétendent ne point tomber dans le piège des confusions mélomaniaques, les disciples modernes de M. de Voltaire, après avoir consenti à répéter la phrase célèbre : « Si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme le lui a bien rendu » ces professionnels de l’ironie s’autoriseront de la vieille boutade[1] pour continuer à tolérer, c’est-à-dire encourager, de toute leur fielleuse bonasserie, les idées, les idées chrétiennes que le monde se fit au soir angoissé de l’empire romain.


Les radicaux
trinquent avec les cardinaux,
jolis cocos.
Ma foi, ces messieurs vous rendraient poètes.


L’Église, refuge des cœurs qu’on a sortis de leurs poitrines originelles, des cœurs dont on ne sait que faire, des cœurs perdus, cette idée, bien emberlificotée de mots et motifs à soutaches et soubretaches, on sait qu’elle a servi d’axe à l’une des phrases les plus ronflantes de Barbey d’Aurevilly. Mais, cher Barbey (au fait, ne dit-on pas crotté comme un barbet), mais, cher Crotté d’Aurevilly, faut-il que la soûlerie à l’eau bénite ait obscurci votre intelligence si souvent fulgurante des êtres et des idées, – n’est-ce pas historien des Diaboliques et de La Vieille Maîtresse , – pour que vous n’ayez pas même soupçonné que l’Église, afin de ne point demeurer vide, s’était justement donné à tâche de faire en sorte qu’il y eût beaucoup de cœurs perdus, de cœurs, d’âmes sans corps, en réponse à la vieille image des corps sans âme.

Les solitaires les plus brillants, ceux qui se sont arrangé une petite coquille dont la nacre accroche, retient, renvoie les rayons du soleil, ceux dont la gourmandise s’est trouvé une petite cachemite aussi bien dorée que croûte de pâté, ceux qui ont connu la gloire, puis feint de très exaltants mépris, ne savons-nous pas que leurs réduits, leurs tours d’ivoire, finissent toujours par sentir la croupissure d’eau bénite, le pipi de chaisière, les aisselles de sacristain et le nombril de chanoine.

L’aile de l’imbécillité dont Baudelaire s’est senti effleuré, mais elle se confondait avec la membrane des chauves-souris, le velours empoisonné des religions qui flattent, caressent, enveloppent celui que la société a désossé, démusclé, décartilaginé. Homme poreux à la détresse, l’Église, autour du cerveau, glisse, d’abord, son impondérable encens, puis c’est la gélatine des oraisons, et, en compresse de sirop d’opale, la lumière des vitraux. Alors, se mettent à sonner les cloches, les cloches, comme, lorsque parvenu au point culminant de l’anesthésie, on sait qu’on va retomber de l’autre côté. Du côté de la mort. Cette fois, l’opération consiste à empiler l’un sur l’autre, en paquets, tous ces feutres de sournoiseries, dont la pression, digne collaboratrice des scléroses organiques, ne fera point quartier aux méninges.

L’Église, tous les chemins lui sont bons, et elle s’en vante : Tous les chemins mènent à Rome. Ainsi, alors que, dans le privé, un ratichon qualifiait de sacrements du diable les drogues et l’inversion, les ambassadeurs de l’Église, ses représentants officiels et semi-officiels cherchaient des recrues, des alliés parmi ceux-là mêmes qui n’avaient jamais eu d’autres soucis que de communier à ces tables.

  1. Dont la conclusion pratique ne saurait être que le statu quo, puisque si Dieu = l’Homme, l’Homme = Dieu, donc l’homme s’y retrouve, sans rien avoir à craindre de Dieu.