Le Clavecin de Diderot/Chantages à la poésie

Éditions surréalistes (p. 26-30).

CHANTAGES À LA POÉSIE

Avant leur faillite définitive, les grandes compagnies religieuses — eh ! ne dit-on pas la Compagnie de Jésus, comme la Compagnie du Gaz — ces entreprises d’obscurité ont recours à tous les moyens, à toutes les publicités.

Le Clergé s’est modernisé, mis au goût du jour. Ainsi, l’abbé Violet relève ses jupes, et, d’un pied gaillard, s’en va au Club du Faubourg, discuter le coup : Faut-il que jeunesse se passe ? Mon curé va chez les riches (bien sûr), chez les pauvres (ça lui plaît moins), chez les sportifs et même (qu’il dit), chez les poètes. Quand il ne peut ou n’ose, ou ne veut, ou ne daigne se déranger en personne, il dépêche son nonce laïque. La plus fameuse de ces visites fut pour l’esthète. Sur son seuil, littérature et religion échangèrent des lettres de créance. On décida une petite parade. Le nouveau converti donna la réplique au thomiste. L’on eut donc un tam-tam qui valait bien les histoires de colliers perdus, dans les taxis, par des vedettes en mal de réclame.

Comme, par ailleurs, le mot mystique avait été repeint à neuf, de quels tours de passe-passe ne devint-il pas la baguette magique. En guise de prestidigitateur, ce petit bonhomme de syllogisme :


Mystique = homme religieux.
Homme qui refuse de composer avec le monde et ses iniquités = mystique.
Donc, = homme religieux.


Ainsi, jusque dans les blasphèmes, vit-on l’expression de la foi. L’iconoclaste fut baptisé mystique à l’état sauvage, et, à travers cette épithète, passèrent, comme lettres à la poste, contresens et fraudes majeures, à quoi avaient, au reste, déjà prouvé qu’ils savent exceller les messieurs bien-pensants de l’art et de la littérature qui feignent de s’intéresser à des œuvres subversives, rien que pour les vider de leur moelle, leur flanquer un tuteur, justement de bois mystique, donc complaisant aux volubilis du conformisme gloseur.

C’est la grande tradition claudelienne, dont le mâchouillis diplomatico-bondieusard, depuis tant d’années, s’efforce de convertir (on fait bien voter les morts) Rimbaud, en boule de gomme très catholique.

Quand on lui demanda son avis sur le surréalisme, le poète ambassadeur (parce qu’il avait affaire à des vivants qu’il ne pouvait embigoter malgré eux) répondit par une grossièreté.

Au reste, le surréalisme, appel d’air, était bien fait pour, dès sa première phase, effrayer les grenouilles de bénitier, vous savez ces jolies petites bêtes sans cœur, sans rate, sans gésier, sans poumon et qui respirent avec la peau, celle du cul de préférence, car, alors, elles se respirent elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus caractéristique. Ces petites chéries n’échappèrent point à la contagion du modernisme et inventèrent la poésie pure, laquelle finissait, pour les rajeunir, en prière, c’est-à-dire en queue de têtard. Le qualificatif, d’allure à la fois évangélique et chimique, signifiait qu’on avait entendu miser sur plusieurs tableaux. Depuis longtemps, la Religion se plaisait à croire qu’elle avait, dans la personne de Pasteur, annexé la science. En fait de poète, elle avait bien Verlaine. Tout de même, le pauvre Lélian était par trop arsouille. Alors, l’abbé Bremond croupier de la grande roulette bondieusarde, prétendit mettre dans son jeu, dans sa poche, la poésie tout entière. Cette tricherie lui valut renom de finesse et de modernisme, partant une gloire, qui, dans cent ans donnera fière idée de l’époque à qui feuillettera les collections de nos journaux et revues littéraires.

Sans doute les opinions des laïcs officiels et semi-officiels ne valaient-elles pas mieux que les balivernes du mêle-tout enjuponné. Pour Paul Souday, par exemple, la chose écrite, prose ou vers, devait, avant tout, avoir pour but le divertissement de l’honnête homme. Ainsi, continuait-on à ne voir dans la poésie qu’une mine à sujets de pendules.

D’un article que M. Thibaudet, dans la N.R.F. du 1er janvier 1932 (les belles étrennes ! ) a, sous le titre : Un idéaliste de province, consacré à Victor Bérard, j’extrais ces lignes :

« Lamartine a introduit en France une politique des poètes et une poésie de la politique. Et le sel de la politique ou son âme, ce sont ses poètes. Barrès et Maurras sont les poètes de la politique de droite. Et la gauche ? Elle en a, elle en cherche et elle n’en chercherait pas, si elle n’en avait trouvé. Un jour que, dans une réception officielle, Mme  de Noailles passait au bras de M. Herriot, M. Painlevé qui est mathématicien mais fin, les désigna à ses voisins avec ces mots : Deux poètes. Ce sera d’ailleurs une des gloires de Mme  de Noailles que d’avoir exprimé au XXe siècle, entre Jaurès et Barrès, quelque chose de ce principe généreux de la poésie, de cette présence du courant lamartinien dans la vie politique française.

Parce qu’elle éclaire cette demi-page, il faut citer cette phrase, à la fin de l’article de M. Thibaudet :

Au Sénat, Bérard incarnait avec flamme, originalité et invention le meilleur de la République, un mouvement, une liaison, un dialogue entre trois visages de la République, que j’appellerai République des procureurs, République des professeurs, République des idées.