Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes, 50e année , 5e série (p. 411).

Le Chien

Nous sommes deux dans la chambre, mon chien et moi… Dehors hurle une effrayante tempête.

Le chien est assis devant moi, et me regarde droit dans les yeux.

Moi aussi je le regarde dans les yeux.

On dirait qu’il veut me dire quelque chose. Il ne peut se faire comprendre, il est muet, il ne se comprend pas lui-même. Moi, je le comprends.

Je comprends que dans ce moment, un seul et même sentiment existe en lui et en moi et que rien ne nous sépare. Nous sommes identiques, et dans chacun de nous, c’est la même petite lueur tremblotante qui brûle et qui brille.

La mort viendra et nous balaiera de ses ailes froides, de ses larges ailes…

—Et ce sera la fin !…

Et qui, après nous, déchiffrera cette énigme ? Entre ces lueurs qui brûlaient en chacun de nous, quelle est au juste la différence ?

Non ! ce n’est point un animal et un homme qui échangent des regards.

Ce sont deux paires d’yeux, les mêmes yeux, fixés l’un sur l’autre. Et dans chacune — chez l’animal comme chez l’homme — c’est une seule et même vie, qui, craintive, cherche un refuge près de l’autre.


Février 1878.