Le Chemin des ombres heureuses/Ménestrate

Édition du Mercure de France (p. 49-50).

MÉNESTRATE


Combien ai-je compté de gens
qui, jusqu’au bout de la vieillesse,
s’obstinant à poursuivre le vent,
sont exténués et se plaignent
de ne pouvoir le retenir entre leurs doigts.

Pourquoi ne point s’arrêter en soi
d’abord, au lieu de courir au hasard ?
Le bonheur n’est pas ici, il n’est pas là,
il se trouve où chacun le place.

Il suffit de s’interroger et de choisir ;

chacun, selon son sang, a d’intimes désirs.
Tant pis pour qui demande l’impossible
si son rêve est impuissant à lui suffire !

Satisfais-toi du peu que tu tiendras d’abord ;
l’arbuste devient arbre et donne une récolte
quand ton amour l’a cultivé ;
mais attends-toi sans cesse aux vents et aux gelées.

Chacun son goût ; aux uns la ville,
aux autres le voyage et aux autres les camps ;
moi, j’ai vécu paisiblement
dans ma maison rustique au milieu de mes vignes.