Le Chemin des ombres heureuses/Bitinna

Édition du Mercure de France (p. 43-44).
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BITINNA


Je ne suis pas sortie du calme gynécée ;
j’y ai vécu en partageant mes heures
entre les soins de la demeure,
mes écheveaux de laine et la maternité.

Dans le jardin sans horizon
où un jet d’eau chantait au milieu du gazon,
j’ai promené mes angoisses d’épouse
qui ressent en ses flancs les premières secousses
de l’inconnu qui sera son enfant.
Mon époux soutenait ma taille en souriant.

Dans le jardin sans horizon
clos d’une blanche galerie
où tournaient le soleil et l’ombre,
je suis restée longtemps assise
en allaitant le nourrisson
qui, jaloux de rester une part de mon sang.
s’accrochait au sein de ses lèvres
et de ses mains, avidement.

L’époux enrichissait mon lit de sa présence.
Dans le jardin sans horizon
j’ai vu mes beaux enfants jouer sur le gazon ;
leurs rires et leurs cris résonnaient dans mon âme.
Au doux abri de mon amour ils ont grandi.

Comme je fus heureuse entre les femmes,
à l’image du père j’ai modelé mes fils
et préparé mes filles, suivant leur destinée,
à goûter après moi les joies du gynécée.