Albin Michel (p. 218-220).

XXIV

MONSIEUR LE PASTEUR

Sur le mur, mur de sable je n’en doute pas, où j’écris ce récit, je me permets d’accrocher un tableautin.

Dans Charcas, où j’allais également retrouver les compagnons de ma nouvelle vie, une fois j’aperçus, parmi eux, une figure inattendue. Je demandai quelle était cette tête de gargouille.

— C’est le Pasteur !

Je crus à un surnom.

Originaire du Kurdistan, il avait fait ses études à Urmia sur le lac de Van. Il était maintenant Syrien, protégé Français.

Il venait d’Amérique du Nord.

C’était un homme du Milieu.

— Quand prêches-tu ?

Il répondit qu’il prêcherait dimanche matin à dix heures.

— Le Pasteur est très vieux, il le remplace.

— Où prêche-t-il ?

— Dans un temple, pardi !

J’ouvris des yeux émerveillés.

— Si vous voulez m’entendre c’est à la chapelle méthodiste Estados Unidos 1219.

J’en restai béant.


Il était bien du milieu : une femme à la Boca, une autre dans Cangallo.


Je ne me serais plutôt pas couché, j’étais Estados Unidos le dimanche à dix heures du matin.

Je regardais, je mesurais, je palpais les pierres, pas d’erreur, c’était une chapelle !

De méthodistes !

Je me répétais que l’on ne pouvait trouver sectes plus rigides.

Je voyais les âmes de ces fidèles passer devant moi, réincarnées dans des manches à balai !

J’entrai, raide comme la vertu.

Il y avait là des Américains du Nord, droits et secs. Leurs femmes, froides comme la rencontre des deux pôles. Elles devaient être un peu aigres, aussi, mais je ne les ai pas goûtées !

Je suppose qu’il y avait des Écossais.

Et voilà ma gueule de cul de lampe qui apparaît et se met à prêcher en anglais !

On était au mois de novembre, il leur parlait déjà de la Passion !

J’avais peur que mes oreilles ne fussent pas assez larges pour tout entendre.

Il vit bien que j’étais là, changé littéralement en pierre.

Sa langue n’en fut pas impressionnée et garda sa souplesse. Les Américains du Nord et, je suppose, les Écossais, et le vénéré pasteur dont la présence authentiquait le remplaçant, tous, en ce matin, élevaient leur âme sur la parole du vendeur de femmes.

Alors je compris que l’intelligence de Dieu était infinie. Il fallait être Lui pour permettre cela.

Du ciel seulement pouvait tomber une si grande leçon de tolérance.