Plon (3p. 257-259).


LVIII


Quand Galaad eut dix ans accomplis, le roi Pellès résolut de l’envoyer dans un couvent de nonnains en la forêt de Camaaloth. Sa mère l’aimait si fort qu’elle pensa mourir de deuil lorsqu’elle le vit prêt à s’éloigner. Les bras levés, pleurant si tendrement qu’on ne pouvait l’entendre sans souffrir, elle fut baiser son enfant et chacun des chevaliers et des écuyers qu’on avait donnés à Galaad pour l’accompagner ; et sachez que pour rien au monde nul d’entre eux n’eût alors dit mot. Quant à elle, elle ne se fût jamais retenue de suivre son fils, si le roi Pellès ne le lui eût défendu.

L’enfant demeura dans l’abbaye jusqu’à ce qu’il fût devenu un bel et gent damoisel d’un peu plus de quinze ans. À cet âge, personne ne valut jamais autant que lui : il était non pareil pour nourrir le gerfaut, l’autour, l’épervier, le faucon gentil ou lanier, pour mener les chiens, pour monter les chevaux ; il savait tirer de l’arc et fabriquer avec son couteau tous les traits, flèches et carreaux ; il jouait aux tables mieux qu’homme au monde ; et quant à la chevalerie, nul ne s’entendit jamais mieux que lui à manier un destrier, s’escrimer de l’épée et s’aider de la lance et de l’écu. Mais il savait aussi lire, écrire, parler latin ; surtout il avait le plus franc cœur et le plus loyal du monde ; de tout cela le conte devisera quand il sera temps.

Or, cette année-là, qui fut la quatre cent cinquante-quatrième après la Passion de Notre Seigneur, la veille de la Pentecôte, il arriva que Lancelot et Bohor s’attardèrent si fort à poursuivre un cerf dans la forêt qu’ils furent surpris par la nuit et qu’ils vinrent justement s’héberger dans la maison de religion où était Galaad. Ils s’émerveillèrent de le trouver si beau valet, de sorte que Lancelot consentit volontiers à l’armer chevalier, quand l’abbesse le lui eut demandé. L’enfant passa la nuit dans la chapelle à prier son Créateur ; puis, le lendemain, à l’heure de prime, son père lui chaussa l’éperon droit, tandis que Bohor lui bouclait le gauche ; et Lancelot lui ceignit l’épée et lui donna la colée en disant :

— Que Dieu te fasse prud’homme !… Dame, ajouta-t-il en s’adressant à l’abbesse, souffrez maintenant que notre nouveau chevalier vienne avec moi à la cour du roi Artus, car il s’y perfectionnera mieux qu’ici.

— Beau sire, nous l’y enverrons dès qu’il sera temps.

Là-dessus, Lancelot prit congé, ainsi que Bohor, et tous deux retournèrent à Camaaloth. Mais ici finit ce conte, et prochainement vous aurez celui du Graal qui est de très grand sens et bien doux à écouter. Vous y verrez comment les compagnons de la Table ronde entreprirent la haute quête, et leurs épreuves, et comment Galaad s’assit au siège périlleux et acheva les temps aventureux : de tout cela le conte devisera selon la vérité, et il n’en célera rien, car ce sont choses bien dignes d’être racontées à d’honorables seigneurs et dames, assurément. Explicit.